[Lieu] Combeloup

[Galathée]

" Non, non... Ne t'en fais. Je vais bien." murmura-t-il en se redressant.
Un peu par réflexe, il effleura son épaule gauche, pour vérifier qu'il ne s'était pas trompé, que la marque avait réellement cessé d'exister. Mais il était intègre. C'était imprévu. Et inespéré. Un peu embarrassé, il ramassa sa chemise, puis fit face à Thibault et son neveu.
" Je pense que le mieux... est que tu l'emmènes à la garnison où j'habite. Attendez-moi là. Je vous rejoindrai dès que j'ai ramené Bastien à César et que je lui ai... exposé la situation. En quelque sorte."

[Taliesin]

Thibault acquiesça.
-Très bien. On fera gaffe à ne pas être vus du village.
A cet instant, ils entendirent un hennissement : Clovis venait de réapparaître, tirant derrière lui leurs trois montures. Il avait dû aller les chercher après avoir constaté que le combat s'était terminé au mieux... Et attendre, peut-être, que tous se soient remis avant de les rejoindre.
Le Sunite, de son côté, s'en alla soulever Aubin, le jeter sur son épaule. Puis, peinant sous le poids mais décidé à n'en rien laisser paraître, il se dirigea vers son cousin.

[Galathée]

Albérich alla détacher l'étalon d'Aubin et en remit les rênes à Bastien, puis il alla jusqu'aux deux hommes affairés autour de leur prisonnier. Ils avaient choisi d'installer Aubin sur Douce, un choix probablement judicieux, et Albérich les aida à l'y stabiliser. Il sourit ensuite, embarrassé, à Clovis et se rapprocha de Thibault alors que celui s'apprêtait à monter en selle.
" Merci pour ton aide." lâcha simplement le Luménien." En dépit de... de tout ça."

[Taliesin]

-Bah, il fallait bien que je vienne rétablir la situation ! fit-il, gaiement.
Puis il se fit plus grave.
-Non, mais... Ne me remercie pas, Alby. Je n'ai pas fait grand chose. Presque rien, en réalité. Si, malgré tout, cela a pu t'aider... J'en suis heureux. Vraiment.
Il lui sourit, lui serra l'épaule.
-Et... Ne t'avais-je pas dit que tu triompherai à nouveau d'elle ?
Sur un clin d'œil, il enfourcha sa monture.

[Galathée]

Albérich pinça les lèvres et acquiesça, puis les regarda s'engager sur le chemin qui descendait de la colline. Ils auraient l'opportunité de parler plus tard. Il poussa un bref soupir. Il avait retrouvé un ami véritable en la personne de Thibault. Si on le lui avait prédit un mois plus tôt, il aurait ri. La vie était décidément pleine de surprises. Souvent mauvaises, mais parfois lumineuses. Il sourit pour le vide puis rejoignit son neveu.
Il monta en selle derrière lui et ils se mirent en route à leur tour.

[Taliesin]

Durant la majeure partie du trajet, Bastien conduisit le cheval sans prononcer un mot. Il gardait les yeux rivés devant lui, sur la campagne ensoleillée qui, peut-être, lui paraissait toujours aussi pâle qu'à son départ du Domaine. Mais ce n'était pas une certitude : sans doute le pouvoir de la Dame conférait-il un charme particulier même aux terres qui n'étaient pas sous sa juridiction. Albérich n'avait-il pas été frappé par la beauté des lieux, en revenant à Combeloup quelques jours plus tôt ?
Alors qu'ils s'approchaient du village, n'en étaient plus qu'à une demi lieue, l'enfant finit par pousser un profond soupire... et par prendre la parole.
-Faut qu'on réfléchisse à ce qu'on va dire à grand-père.

[Galathée]

La voix de l'enfant arracha Albérich à ses pensées, qui dérivaient dans la nature environnante. Il sentait qu'il était encore un peu secoué, qu'il puisait dans des réserves d'énergie dont il ne disposait pas vraiment, qu'il tenait le choc pour Bastien avant tout, et pour la confrontation à venir. Il espérait ne rencontrer personne en chemin car il n'était pas certain de pouvoir aligner trois mots sensés.
" Penses-tu sortir de ta réserve ? Lui montrer que... que les choses ont changé ?"

[Taliesin]

Bastien baissa la tête, lorgnant ses mains cramponnées aux rennes.
-Peut-être, oui... Je me dis que ça lui ferait plaisir et que... Que ça compenserait un peu... Et si je... Si je dis comme vous, qu'oncle Aubin est malade ou... qu'il a quelqu'un dans la tête... Il doutera encore moins...
Il soupira à nouveau.
-Mais ça lui fera de la peine quand même.

[Galathée]

Albérich songea à nouveau aux paroles de Noir Dessein et il sentit comme une boule se former dans son ventre. Il avait envie de savoir si ce que le Sharite avait dit était vrai. En même temps, il fallait qu'il parvienne à s'en détacher. Il ne pouvait pas poser de questions à César. Et de toute façon, ça n'avait pas d'importance. Ou bien si. Peut-être qu'Aubin était tellement atteint en lui-même que l'absence de Noir Dessein ne changerait rien à la couleur de son âme.
" Nous n'avons pas le choix. Mais ton grand-père est solide. Et il sera heureux de te retrouver... et nous ferons de notre mieux pour lui ramener Aubin."

[Taliesin]

-Oui...
L'enfant se retourna pour le dévisager, brièvement, puis reporta son attention sur le chemin.
-Mais... Faut rien lui dire sur ce qu'il m'a fait. Rien de rien. D'accord ?
Sa voix, ténue, était emprunte d'inquiétude. Sinon d'angoisse.

[Galathée]

Albérich pinça les lèvres et acquiesça. Il ne voyait pas bien comment il allait manoeuvrer pour ne rien dire à César, mais Bastien avait le droit d'exiger son silence. Il allait devoir vivre avec ce qu'il s'était produit.
" Pourtant, en parler pourrait... pourrait t'aider à y voir plus clair... et à faire face." murmura le Luménien. " Mais je respecte ta décision, je ne dirai rien."
Restait à espérer que César se contenterait des explications floues qu'ils étaient sur le point de lui fournir.

[Taliesin]

Bastien se tourna à nouveau vers lui.
-Ben, je vous en ai parlé à vous, non ? Même votre ami le sait... C'est pas comme si... Comme si personne le savait, ou personne me croyait. Je veux juste pas que grand-père le sache. Même si.. Même si oncle Aubin est malade, ou qu'il est... possédé, on dit ? Même s'il a ça... Grand-père lui en voudrait beaucoup, je crois.

[Galathée]

Et il n'aurait pas complètement tort, probablement.
" Je comprends, ne t'en fais pas. Je ne dirai rien, tu as ma parole. Si tu décides un jour de le faire, ce sera à toi de choisir le moment."
Il songea que Thibault et lui-même seraient probablement absents pendant plusieurs jours, peut-être plusieurs veilles. Que si Bastien avait envie de parler, il devait le faire tout de suite.
" Et si tu veux en parler avec moi, à un moment ou un autre... Je tâcherai de n'être pas trop longtemps absent."

[Taliesin]

Le gamin hocha la tête.
-J'espère que vous serez pas absent trop longtemps. En fait... j'espère que vous reviendrez. Même si... Même si quand vous venez, vous avez toujours à faire à des trucs pas drôles. Vous devez détester Combeloup. Et pas vraiment avoir envie d'y rester.

[Galathée]

Albérich sourit.
" C'est plutôt Combeloup qui doit me détester. J'ai la fâcheuse impression d'y amener le désastre... Et cette fois-ci, c'est malheureusement vrai..."
Il lâcha un léger soupir, faillit continuer sur sa lancée, y renonça. Bastien était un gosse. Il parlerait des choses chagrines avec Thibault. Il avait un ami, il fallait qu'il ose lui parler. Bien sûr, le Sunite avait horreur des histoires tristes et ce n'était pas vraiment un champion en matière d'écoute, mais ce serait mieux que rien. Beaucoup mieux.
Ils atteignirent les premières maisons du village, enfin. Albérich sentit la tension l'envahir à nouveau. Un peu d'affliction. Il n'était pas fier de rentrer chez eux.
" Si tu préfères, je peux lui parler seul." murmura-t-il à Bastien comme ils arrivaient à bon port.

[Taliesin]

Le petit garçon parut hésiter.
-Non... murmura-t-il enfin. Je crois que c'est mieux si je suis là. Pour... Pour que je lui dise, aussi. Il s'attendra pas à ce que je parle de moi-même, et... Enfin, voilà, je pense que si on est tous les deux, ça se passera bien.
Il secoua la tête.
-Pas trop mal, au moins.

[Galathée]

Quelques secondes plus tard, ils mirent pied à terre devant la maison de César. Albérich attacha le cheval d'Aubin au portail, puis remonta la petite allée qui menait à la porte, précédé par l'enfant. Il préférait que Bastien prenne l'initiative : frapper ou entrer directement, après tout, il était chez lui. Et il valait également mieux que les explications, et les éclats éventuels, aient lieu à l'intérieur.

[Taliesin]

Le petit garçon lui jeta un dernier regard puis, prenant une profonde inspiration, il poussa le battant.
César s'encadra presque aussitôt à la porte de la salle à manger.
-Ah, vous voilà... dit-il, bonhomme.
Mais son humeur légère - peut-être factice - disparut sitôt qu'il aperçut leur expression. S'il ne s'était pas inquiété jusque là - mais ils ne pouvaient rien en savoir -, ce n'était plus le cas, à présent.
-Aubin n'est pas avec vous ? demanda-t-il.

[Galathée]

" Non." répondit Albérich. " Mais il va bien."
Ce n'était qu'un semi-mensonge, après tout, le barde était en relative bonne santé et aucun mal réel ne lui avait été fait. Il serra légèrement les poings, songeant comme il avait été proche de le tuer.
" Nous ferions mieux de nous asseoir. Nous avons beaucoup de choses à te raconter." ajouta-t-il ensuite, posant au passage une main amicale sur l'épaule de Bastien.
Il se sentait profondément désolé de ce qu'il allait infliger au vieil homme. Mais ce n'était pas de sa faute, quoi qu'en pense Aubin dans les profondeurs de son âme retorse. Et ils n'avaient pas d'autre choix.

[Taliesin]

César fronça les sourcils. Il dévisagea Albérich, un moment, puis baissa les yeux sur Bastien dont l'expressivité parut l'inquiéter encore bien davantage. Il ne dit rien, pourtant, se contenta de les inviter à le suivre.
Le vieil homme s'assit en face d'eux à la table de la salle à manger. Il les observa à nouveau, puis prit une profonde inspiration.
-Bon, dites-moi ce qui vous vaut ces mines sinistres. Vous seriez vous disputés avec Aubin ?

[Galathée]

Albérich s'assit, croisa les bras et poussa un léger soupir.
" Pas exactement, non." dit-il.
Il jeta un regard à Bastien.
" Papa, je m'excuse d'avance pour ce que nous allons te dire. Je voudrais t'avoir parlé de certaines choses plus tôt, des raisons véritables de mon retour d'Erhedun, mais... j'espérais qu'il n'y aurait rien à raconter. Je me suis trompé. Aubin est... dans une mauvaise passe. Il est... malade, en quelque sorte. Il a dû lui arriver quelque chose sur la route, une mauvaise rencontre, un coup du sort, mais... il a changé... et il a posé des actes... ou tenté de poser des actes... qui font qu'il a désormais besoin d'aide. Et une aide que nous ne pouvons pas lui apporter."
Il secoua la tête.
" Quand je suis arrivé à Erhedun, j'ai renoué avec un de mes anciens amis, Thibault, un clerc de Sunie que j'avais connu adolescent. Il s'est avéré que Thibault et Aubin se fréquentaient. De surcroît, ils étaient en train de monter une pièce de théâtre ensemble, un spectacle sur l'oecuménisme, la nécessité pour les clercs de la lumière de travailler de concert. Mais les choses ont mal tourné. La pièce était un pamphlet grinçant sur la religion, pire, une version remaniée, soi-disant pour adoucir les choses, s'est révélée être un appel au meurtre des prêtres de la cité. Il y a eu une émeute, des blessés... Or c'était Aubin qui avait traduit la pièce, c'était aussi lui qui avait repris le texte... et qui s'est enfui. Mais il a fabriqué des preuves pour incriminer Thibault et celui-ci a été arrêté puis interrogé durement. Ce qu'Aubin ignorait sans doute est que les clercs disposent de méthodes infaillibles pour déceler la vérité... et ils ont découvert qu'il était responsable. Thibault était ravagé, il avait vraiment cru partager quelque chose de particulier avec Aubin, quelque chose de vrai. Je suis rentré à Combeloup à cause de cela... Je te jure que je n'avais pas d'intention particulière... Je voulais juste... constater et comprendre. Surtout comprendre. Mais j'ai réalisé qu'Aubin n'avait pas abandonné ses... malfaisances en rentrant chez lui..."
Il regarda l'enfant, posa la main sur son épaule.
" Je sais que c'est difficile à croire. Mais il faut que tu nous croies."

[Taliesin]

Si les premiers mots d'Albérich à propos de maladie et d'aide nécessaire arrachèrent au vieillard une expression perplexe, ce fut sans commune mesure avec ce qu'il afficha ensuite. Sourcils haussés, yeux écarquillés, bouche entrouverte sur une protestation muette, tout témoignait de sa surprise, de son incrédulité grandissante.
Son visage finit cependant par se fermer peu à peu. Et lorsque l'ancien clerc jeta un regard à Bastien, lorsqu'il lui posa une main sur l'épaule, le vieillard tressaillit.
-Que... Qu'entends-tu par "Il n'a pas abandonné ses malfaisances en rentrant chez lui" ? demanda-il, d'une voix étrangement calme.

[Galathée]

Albérich pinça les lèvres et jeta un regard en coin à Bastien. Il avait à moitié espéré que le gamin prenne son relais, mais en même temps, son neveu venait lui aussi de découvrir ce qui s'était produit à Erhedun, il devait peut-être assimiler ces nouveaux événements. Même s'ils semblaient probablement bien confus à un enfant de son âge.
" Aubin... a cherché à s'en prendre à Bastien."
Ils arrivaient en terrain piégé et Albérich n'avait qu'une vague idée de comment s'en tirer sans donner la moindre information à son père.
" Papa, tu dois comprendre qu'en ce moment, Aubin abrite l'âme d'une seconde personne à l'intérieur de son corps. Celle d'un criminel qui a été exécuté il y a peu. Cette... entité le force à faire des choses et... le principal est que nous sommes intervenus à temps."
Il était en train de s'enliser, mais peut-être pouvait-il détourner la conversation.
" Je vais emmener Aubin à Erhedun avec Thibault. J'ai bon espoir que les clercs du conseil puissent extirper la présence qui se sert de lui et le ramènent à ce qu'il était auparavant."
Quoi que ce soit, songea-t-il.

[Taliesin]

Albérich avait eu beau prendre des précautions, ses paroles portèrent un rude coup à César. Le vieil homme resta digne, posé, mais il pâlit, ses rides se creusèrent, le faisant paraître plus vieux. Beaucoup plus vieux.
-Ce sont là de graves accusations, mon fils, dit-il d'une voix qu'il parvint à rendre égale. De très graves accusations. Et, pardonne-moi de te le dire, elle me paraissent incroyables... Si tu veux que j'y prête foi, il va te falloir les étayer, m'apporter des preuves...
-Il dit la vérité, grand-père.
César se tourna vers le petit garçon. Son intervention spontanée l'avait pris au dépourvu, et sa mine soudain si expressive, si défaite, le frappa au point de lui couper le souffle.
Mais, déjà, l'enfant reprenait.
-Oncle Albérich dit la vérité. Oncle Aubin est... bizarre. Et il y a vraiment quelqu'un d'autre dans sa tête.
Le vieil homme se passa une main tremblante sur le visage.
-Que t'a-t-il fait ? souffla-t-il.
Bastien, lui aussi, se mit à trembler.
-Rien, grand-père. Il a essayé. Seulement essayé. Mais... Quand il essayait, je voyais qu'il était bizarre et... En parlant, ça lui passait, il redevenait normal... Aujourd'hui... Aujourd'hui, l'autre dans sa tête était là mais... Mais oncle Albérich et ses amis sont arrivés à temps...
Les yeux du vieil homme s'embuèrent, et il déglutit avec peine. Pourtant, quand il parla, ce fut d'un ton doux, étrangement calme.
-Qu'a-t-il essayé de faire ? dit-il, s'adressant autant à son fils qu'à Bastien.

[Galathée]

Albérich jeta un regard désemparé à Bastien puis revint sur son père. Il avait l’impression que César avait le droit de savoir, que le silence le ferait imaginer des choses peut-être pires que ce qu’il s’était réellement passé, que ce qu’ils avaient esquissé le minerait bien plus durement que la vérité, aussi douloureuse soit-elle. Mais il avait promis à Bastien.
" Aubin voulait que Bastien renie la Nature, repousse la Dame et la charge de tous ses maux. " fit-il, ce qui n’était pas vraiment un mensonge. " Nous ne savons pas jusqu’où il serait allé pour parvenir à ses fins, mais le principal est que Bastien ait pu m’en avertir et que j’ai pu m’interposer à temps. A présent, nous devons nous concentrer sur les étapes nécessaires à sa guérison. Ce qui s’est produit, s’est produit. "

[Taliesin]

Une lueur de colère brilla un instant dans le regard de César. Mais sa voix demeura posée.
-Tu ne peux pas balayer ce qui s'est passé d'un revers de main, Albérich. Tu me parles d'agissements graves à Erhedun, d'appels au meurtre, de preuves fabriquées pour faire accuser un innocent. Tu me parles ensuite de... de possession, de l'esprit d'un criminel qui possède Aubin et le pousse à faire des choses. Et de ces choses...
Il secoua la tête.
-Ce qui s'est produit s'est produit, oui. Mais ça s'est produit sous mon toit, dans mon village, sur mon petit-fils. Et je n'en ai rien vu. Alors que toi... Si tu avais des doutes, d'emblée, pourquoi ne pas m'en avoir parlé ? Pourquoi avoir laissé les choses continuer ? Bastien a passé du temps avec Aubin depuis ton retour... Et si tu n'imaginais pas... Comment t'en es-tu rendu compte ? Moi, je n'ai rien remarqué. Aubin me paraissait égal à lui-même. Un peu tendu, peut-être, mais... Et Bastien ne m'a rien dit, jamais...
Il se tourna vers l'enfant, qui tremblait comme une feuille et paraissait au bord des larmes.
-Vous voulez me ménager... murmura le vieil homme. Vous avez peur... Que je ne puisse pas entendre...Sinon, vous m'auriez dit. Vous ne feriez pas tout pour esquiver...

[Galathée]

Albérich regarda son neveu, embarrassé. Il avait l'impression que le moment aurait été idéal pour poursuivre cette conversation entre adultes. Un gosse de dix ans ne pouvait qu'être déstabilisé par les faiblesses révélées de ses aînés. Pourtant, il ne voyait pas comment évincer l'enfant sans le trahir à nouveau. Bastien était au bord de la crise mais César ne lâcherait pas le morceau, il en était persuadé. Le vieil homme, comme il l'avait dit à Thibault, n'était pas un fermier en fin de vie. Il l'avait vu croiser le fer avec un homme, après avoir marché des heures dans un hiver pétrifiant.
" Nous..." commença-t-il, avant de s'interrompre.
Il se leva, alla jusqu'à la fenêtre.
" Nous ne voulons pas que tu tires des conclusions dramatiques de ce qui s'est produit. Et nous voulons te ménager, oui."
Il était conscient que ça ne suffirait pas. Il faudrait qu'il reparle avec son père en tête à tête, immanquablement.

[Taliesin]

César soupira.
-Me ménager ? En ne me disant rien ? fit-il sans pouvoir tout à fait départir sa voix d'une certaine acidité. Pensez-vous que ne pas savoir m'empêchera de souffrir, de m'en vouloir ? Non, ne pas savoir, c'est pire, c'est laisser libre cours à mon imagination. C'est me laisser faire tout seule les conclusions hâtives auxquelles vous ne voulez pas que je vienne.
Il secoua la tête, se massa les tempes. Reporta son attention sur Bastien... et s'adoucit aussitôt.
Il tendit la main par dessus la table, comme pour toucher la sienne... Mais il hésita. N'osa pas.
-Et je n'ai rien vu... souffla-t-il. Rien. Et j'étais heureux quand il t'emmenait avec lui, s'occupait de toi. "Bien, me disais-je, ça va lui changer les idées.". Quel imbécile.

[Galathée]

Albérich croisa les bras et poussa un bref soupir. Il n'aurait jamais dû promettre à Bastien de ne rien dire, mais c'était trop tard. Il n'aurait jamais dû opter pour un plan qui nécessitait d'aller parler à César, mais c'était trop tard aussi. Désormais, les choses regardaient le gamin et son grand-père. Dire qu'ils avaient tergiversé expressément pour ménager le vieil homme alors qu'ils auraient pu cueillir Aubin dans son lit dès la nuit précédente, s'ils y avaient renoncé. Quel gâchis.
" Tu ne dois pas t'en vouloir, tu ne pouvais pas deviner." lâcha simplement Albérich. " Aubin cachait bien son jeu, et Bastien ne voulait pas t'alarmer."
Ce qui, à bien y réfléchir, n'était pas très malin. C'était trop tard, là aussi.

[Taliesin]

Le vieillard acquiesça.
-C'était... gentil de ta part, mon grand... fit-il doucement. Mais... Tu n'aurais pas dû hésiter. Ne pas garder cela pour toi. Je sais que j'ai parfois l'air soucieux, fatigué, et que je ne suis plus de prime jeunesse... Mais je suis plus solide qu'on pourrait le croire.
Il s'arracha un sourire.
-Je crois que je vais me servir un verre. Et... Peut-être qu'une... tisane serait indiqué pour Bastien... Non pas que je veuille garder mon eau de vie pour mois, mais après une telle matinée et une telle discussion, un peu d'apaisement serait peut-être le bienvenu.
Il jeta un regard à Albérich, tandis que le gamin, prostré, hochait vaguement la tête.