La Couronne de Cuivre

Il rit.
-Ai-je l'air si pitoyable, pour que vous pensiez qu'il soit nécessaire de me protéger ? D'aucuns m'ont pourtant dit que je paraissais redoutable...
Il brandit sa masse, crâneur à dessein, puis redevint sérieux.
-Et vous oubliez un détail d'importance. La Communauté compte quatre clercs. Et je suis convaincu que le moment venu, Lathandre fera un clin d’œil à à l'un de ses plus fidèles serviteurs, comme il nous fait un clin d’œil à nous, en cet instant même, pour raviver l'espoir en nos esprits torturés par le doute.

Hubert eut un sourire entendu et acquiesça dans un soupir.
" Je pense, Gabriel, que si Lathandre entend récupérer un fidèle serviteur, il a intérêt à ne pas se contenter d'un clin d'oeil. Un coup de pied au séant me semble nécessaire... au minimum."
Il haussa les épaules.
" Mais vous et moi porterons les couleurs de l'aube, ce matin... Dommage que nous ayons le soleil de face. Il est superbe, mais peu propice au combat."
Comme le jeune clerc l'avait dit, néanmoins, il sentait l'énergie de son dieu l'envahir, le courage enfler en lui, la lassitude de la nuit s'effacer, les certitudes se raffermir, les tourments se taire. Il frémit, flatta distraitement l'encolure de son cheval, puis le fit volter pour observer l'avance des cannibales. Les premières flèches partiraient bientôt... mais où était Robert ?

Il arrivait. Et il fut là quelques instants plus tard.
-Les premiers civils vont atteindre le sentier d'une minute à l'autre, annonça-t-il. Ils devraient tous pouvoir rallier le fort à temps. En revanche, je ne suis pas tranquille en ce qui concerne les chariots, vu la proximité des cannibales... Il faudrait les retarder, et la magie semble une bonne option. Il serait "juste" nécessaire de trouver un moyen pour que nos mages ne soient pas trop exposés : certains de ces barbares ont des armes de jet.

" Je pensais que les mages avaient des sortilèges pour ce genre de situations, dit Hubert, un peu surpris. Ils ont toujours des sphères de lumière qui leur tournent autour, quand ils ne sont pas invisibles..."
Il hésita.
" J'imagine qu'on peut les prendre en croupe des chevaliers... les armures nous protégeront des projectiles... sauf quand nous ferons volte-face pour revenir au convoi... Donc non. De quelle portée parlons-nous ? Faut-il approcher les magiciens beaucoup plus près des cannibales ?"

Robert plissa le front : il fouillait manifestement dans les tréfonds de sa mémoire, et la fatigue comme la nervosité ne devaient pas aider.
-J'avais discuté avec eux de ce genre de chose, et si je me souviens bien, pour les boules de feu, c'est un peu plus d'une centaine de mètres minimum. Sans doute le double pour le plus puissant de nos lanceurs de sorts.
Il lorgna les cannibales, encore hors de cette portée.
-Ils ont des moyens de se protéger, oui, mais s'ils en usent, cela fait des sortilèges offensifs en moins. Et puis, ce ne sont pas des hatlètes : il ne faudrait pas qu'ils soient trop lents à se replier, qu'ils fassent une mauvaise chute. En cela, leurs fichues robes n'aident pas... Hum, nous pourrions toujours les mettre à cheval et nous placer devant eux, en manière de bouclier...

" A cheval, le repli sera sans doute plus simple... mais avec cent mètres de portée, nous ne sommes pas obligés de décoller très loin de la colonne... et c'est une distance que n'atteignent pas les flèches ou les carreaux ordinaires."
Il jeta un regard circulaire autour de lui, pour repérer les différents mages et des montures qui pourraient être aisément réquisitionnées.
" Préparons-nous, ils sont de plus en plus proches et s'ils décident de se séparer, nos boules de feu deviendront moins efficaces."

-Regardez... fit alors Gabriel, désignant l'armée ennemie.
Celle-ci ne suivait plus tout à fait la même direction. Plutôt que se diriger vers le nord-ouest, et donc vers eux, c'est plein nord qu'elle filait désormais, en direction du fort.
-Ils veulent peut-être nous obliger à avoir le soleil dans les yeux... reprit le prêtre.
-Ou bien nous dépasser, soit pour nous couper la route soit, n'en déplaise à Varamyr, pour s'en prendre d'abord aux civils.

Hubert blêmit, puis regarda la nature du terrain qui s'étendait devant eux.
" Nous allons devoir les intercepter avant qu'ils ne nous dépassent, ou nous ne pourrons jamais les rattraper, souffla-t-il. S'ils atteignent les civils avant que ceux-ci ne soient à l'abri, ce sera le carnage..."
Il se tourna vers Gabriel.
" Y a-t-il un semblant de porte ? Une vieille herse ? Une manière de garder l'entrée du fort ?"
S'ils envoyaient des cavaliers au galop, ils pourraient rattraper les colons et les protéger, mais cela voudrait dire abandonner le train de bagages ou en déforcer les défenses. Diviser leurs maigres troupes paraissait suicidaire. D'autant qu'il s'agissait peut-être juste d'une diversion.

-Il y avait deux lourdes portes de bois renforcées de métal mais elles sont tombées et sont très abîmées... Les renforcer et les remettre en place parait possible... avec du temps. Or, du temps, nous n'en avons pas.
Il se tourna vers Robert.
-Vous ne croyez pas qu'ils essaient juste de nous faire angoisser ? Je veux dire... S'ils gardent les non-combattants comme, hum, bétail... Ils ne peuvent pas les massacrer.
-Sauf s'il l'anéantissement de l'autre tribu leur a fourni assez de prisonniers, ou sauf s'ils scindent leurs forces : une moitié resterait plus que susceptible de nous vaincre, et l'autre serait largement assez nombreuse pour capturer les civils.
Le terrain sur lequel avançaient les Écorcheurs était parsemé de rocaille et donc quelque peu accidenté ; cependant, il était beaucoup plus ferme que les marais qu'ils venaient de quitter.

" Ils sont beaucoup trop nombreux pour que nous puissions les défaire, dit Hubert à mi-voix. Si nous chargeons, nous serons massacrés, la colonne sera exposée, les civils n'auront qu'un très court répit avant d'être acculés dans le fort, et même s'ils parviennent à s'y barricader, privés de vivres et de matériel, ils y mourront."
Il sentit le désoeuvrement l'envahir. Il ne parvenait pas à trouver d'issue à la situation.
" Vous avez dit qu'il y avait une baguette de boules de feu dans le trésor et une baguette de convocation de monstres, n'est-ce pas ? Sont-elles encore puissantes ? J'ai l'impression qu'hormis bloquer leur progression, nous n'avons aucune manière de nous en sortir. Or, si nous devons aller au corps à corps, nous serons balayés en quelques minutes. Ils sont trois ou quatre fois plus nombreux que nous."
Pendant une seconde, il songea à Tobias Eckhart perché sur son dracoliche. Il aurait aimé que les provocations du fermier soient vérité, pour une fois.

-D'après nos experts, les baguettes possèdent encore un nombre de charges appréciabls...
Robert ne quittait pas des yeux la cohorte en marche.
-Peut-être y a-t-il moyen de les impressionner... Si tous nos lanceurs se déchaînent sur eux, si nous utilisons jusqu'à la dernière goutte de magie de ces objets, bref, si nous pluie de feu s'abat sur eux, il n'est pas impossible qu'ils hésitent... Et si c'est le cas, peut-être une charge les désorganiserait-elle ? Il en faut parfois peu pour semer la panique...

" Varamyr ne les pensait pas du genre à s'émouvoir, mais il ne pensait pas non plus qu'ils s'en prendraient à nos civils..." murmura le paladin, à moitié pour lui-même.
Les cannibales progressaient, ils ne pouvaient plus tergiverser.
" Envoyons un tiers de fantassins renforcer les arrières des civils. Approchons en protégeant nos lanceurs de sorts, balançons leur toute notre puissance de feu, puis chargeons... La question, c'est de savoir si les fantassins restent près de la colonne ou si nous chargeons à cheval et à pied... J'ai l'impression qu'à diviser nos forces, nous nous affaiblissons, mais dans le même temps..."
Il n'avait jamais fait ce genre de choses de sa vie, il n'en avait en fait aucune idée. Les points communs entre la gestion d'une garde urbaine et la situation présente étaient non existants. Finalement, le spécialiste des batailles, c'était Robert. Qu'il ait pu croire qu'Hubert puisse être plus utile que lui à la communauté apparaissait dément.
" Nous devrions demander son avis à Guillermo... Après tout, il a l'habitude, et les chevaux..."

Un messager s'en fut chercher le capitaine mercenaire, lequel ne tarda pas à se montrer et observa attentivement la marée ennemie tandis qu'ils lui exposaient leur plan.
-A mon humble avis, faire charger les fantassins, c'est les condamner, dit-il calmement. Vu la nature du terrain, vu comme l'ennemi y semble à l'aise, ils ne pourraient jamais se replier. Mieux vaut les garder pour protéger le convoi, les civils... et le fort, le moment venu. Pour le reste, une pluie de feu suivie d'une charge conjointe de la cavalerie et des créatures magiques, ça me parait bien. Si nous frappons fort, si nous frappons vite, soit les cannibales paniqueront, soit ils tiendront à réadapter leur stratégie pour mieux faire front. Dans les deux cas, nous aurons gagné un peu de temps.

Ils paraissaient sur la même longueur d'ondes aussi Hubert se tourna-t-il vers le Loup Blanc.
" Nous ne pouvons plus traîner, Robert. Devons-nous donner les ordres ?"
Ils allaient charger à quarante contre quatre cents. Hubert ne voulait même pas y songer. Mais il espérait en même temps que le chevalier le laisserait galoper avec eux, aussi suicidaire soit leur action. Il avait parlé de demeurer auprès de la colonne, mais c'était avant que les Cannibales ne changent de stratégie et que ce qui devait être leur dernier recours devienne en fait leur premier mouvement.

-Ai-je l'autorisation de reformer ma compagnie ? demanda à son tour Guillermo, avant que le chevalier n'ait pu répondre.
Celui-ci acquiesça.
-Bien sûr.
Il fit face à Hubert et prit une profonde inspiration.
-Oui, nous donnons les ordres. Les vôtres sont de rester dans la colonne avec Étienne. Si les choses devaient mal tourner, s'il devenait impossible d'amener les chariots à bon port, abandonnez-les et rejoignez les civils.

Cette fois-ci, malgré l'urgence, Hubert ne put s'empêcher de protester.
" Robert, je suis mieux équipé que la plupart des cavaliers et je suis entraîné à la charge ! Pourquoi ne pas laisser Gabriel avec Etienne ? Il est Lathandrite, il voit toujours le bon côté des choses, il pourra gérer la colonne aussi bien que moi !"
C'était un peu pour le principe, car il n'espérait pas que le Loup Blanc change d'avis, mais l'idée de les regarder se ruer dans la mêlée sans pouvoir les aider était insupportable et il n'était pas certain de parvenir à garder son sang-froid.

-Hors de question que je reste en arrière ! protesta Gabriel.
-Hubert, vous êtes notre unique paladin. Vous disposez de pouvoirs particuliers qui ont déjà été et seront encore extrêmement utiles à la Communauté. Vous êtes à même de maintenir son moral, de lui inspirer confiance, et vous êtes l'un des mieux armés, sinon le mieux armé, pour combattre les morts-vivants qui infestent les Landes. Bref, vous êtes indispensable.
-Si je puis me permettre... intervint Guillermo. Si nous organisons bien notre charge, si nous tirons profit de la présence de créatures magiques à nos côtés, nous devrions pouvoir nous replier sans trop de mal. Ce sera évidemment risqué, mais pas forcément suicidaire.

Hubert s'était douté que Gabriel protesterait, mais il trouvait stupide qu'un clerc aussi jeune que lui aille jouer les cavaliers contre des adversaires bien vivants. Il ne s'était pas attendu, par contre, à ce que Guillermo se porte à son secours, même s'il avait du mal à partager son optimisme. Mais là encore, le mercenaire était spécialiste, et s'il estimait que la charge n'était pas désespérée, c'était probablement qu'elle ne l'était effectivement pas...
Il regarda à nouveau Robert.
" Laissez-moi charger une première fois, je remonterai ensuite jusqu'à la colonne..."
C'était hasardeux, car il ne pourrait probablement jamais se résoudre à abandonner ses alliés dans le besoin.

Robert poussa un bref soupir.
-Très bien. Mais je compte sur vous pour revenir ici après la première charge. La Communauté a besoin de vous, Hubert. Ne l'oubliez pas.
L'instant suivant, il s'éloignait pour donner ses ordres. Non loin, Guillermo rassemblait ses hommes.
A quelques centaines de mètres à l'est, les premières lignes des cannibales n'allaient pas tarder à arriver au niveau de l'arrière de la colonne qui progressait toujours aussi lentement sur la route pentue.

Hubert ne s'était pas attendu à ce que Robert capitule, mais puisqu'il l'avait fait, le paladin avait bien l'intention de ne pas le décevoir. Il savait qu'il aurait du mal à s'arracher à la mêlée une fois qu'elle aurait commencé, aussi essaya-t-il à se mettre en condition. Il fallait qu'il s'impose de songer au bien du plus grand nombre, même si cela signifiait abandonner des amis derrière. Il avait à moitié songé à confier Grand Vent à quelqu'un d'autre, Edgar par exemple, ou Gabriel, qui étaient moins bien équipés que les chevaliers pour faire face à l'ennemi. Mais puisque le Loup Blanc avait accepté qu'il charge, il aurait été stupide de ne pas mettre toutes les chances de son côté. Pas pour sa survie, mais pour infliger le maximum de dégâts à l'adversaire.
Il suivit ses alliés du regard, Robert, Guillermo, les autres cavaliers. Il avait une bonne expérience de la charge, de manière générale, et sa symbiose avec Grand Vent améliorait encore son efficacité. Par contre, la question d'organiser celle-ci n'était pas de son ressort. D'autant qu'ils commenceraient par avancer pour couvrir les mages, avant de prendre de la vitesse. Cependant, s'il avait le choix de la position, il se mettrait entre Edgar et Gabriel, histoire de garder un oeil sur l'un et l'autre. Les chevaliers étaient capables de prendre soin d'eux-mêmes et avaient de meilleures montures, tandis que les mercenaires se serreraient d'abord les coudes entre eux.

A présent que le mouvement était lancé, les choses s'organisaient rapidement. Déjà, les mercenaires formaient les rangs, les cinq lanceurs de sorts montaient en selle, les cavaliers de l'escorte et les chevaliers se rapprochaient. A la notable excpeption de Robert et d’Étienne, lancés dans une houleuse discussion : manifestement, le premier n'était pas facile à convaincre...
A côté d'Hubert, Gabriel avait l'air détendu, contrairement à Edgar, nerveux au plus au point.
-Je crois que vous devez pas vous en faire pour moi, lui dit-il néanmoins. Parce qu'à mon avis, je tomberai de ma monture avant qu'on ait atteint l'ennemi, et je n'aurais alors plus qu'à me carapater piteusement jusqu'aux chariots...

" Ne raconte pas n'importe quoi. Tu es natif de la Trouée, tu es fatalement un excellent cavalier, surtout si tu t'es élevé dans la hiérarchie de ta cité, dit le paladin avec un sourire réconfortant. Mais nous chargeons de concert. Veiller les uns sur les autres est nécessaire. Je ne doute pas de tes prouesses à venir."
Tout en devisant avec Edgar, en espérant que son aura, autant que ses paroles, pourraient le rasséréner, Hubert jeta un oeil en direction d'Etienne et Robert. Il fallait que le jeune Fontbrune accepte de rester en arrière. Dieux, il comprenait sa frustration et sa colère, mais plus encore que lui, il devait entendre raison...

Étienne finit par céder et par se détourner, épaules basses. L'instant suivant, il disparaissait entre les chariots, et Hubert l'entendait lancer des ordres d'un ton ferme : il demandait aux fantassins de se préparer à se positionner à droite de la colonne, où ils formeraient un rempart contre un éventuel assaut des cannibales.
Pour leur part, les cavaliers étaient désormais au grand complet.
-Les dépasserons-nous pour les attaquer de face, afin de ne pas avoir le soleil dans les yeux et de profiter au maximum de la pente ? s'enquit Guillermo.
-Cela me semble effectivement le mieux, répondit Robert. Allons-y.
Et ils se mirent en branle.
-

Hubert suivit le mouvement, gardant un oeil attentif sur les cannibales, curieux de voir comment ils réagiraient à leur déplacement. En se plaçant devant le groupe ennemi, ils protégeraient également les civils, indirectement, c'était un soulagement. Il avait l'intention, une fois en position, de profiter de la déferlante magique pour incanter à son tour et bénir les hommes les plus proches de lui. Cela ne les protégerait qu'une dizaine de minutes, mais c'était un coup de pouce appréciable quand l'assaut était imminent. Pour le reste, il espérait que les shamans paludiers étaient restés à digérer quelque part et que les Ecorcheurs étaient surtout des gros bras sanguinaires.
Il se sentait étrangement calme, observant la scène à distance, ultime respiration avant que son organisme ne soit plus que fureur.

Évidemment, les Paludiers remarquèrent ce qui se tramait. Mais cela ne parut en rien les effrayer. Au contraire, ils s'immobilisèrent et se mirent à hurler de tonitruants cris de guerre, à entrechoquer armes et boucliers, lançant ainsi un tonitruant défi que les civils devaient percevoir, là où ils se trouvaient. Mais, ce faisant, ils permirent à la cavalerie de la Communauté de gagner sans mal ses positions...
-Ils ont un paquet de lances... souffla Edgar, comme la première ligne ennemie se hérissait de pointes acérées et se protégeait derrière d'imposants pavois.
-Les boules de feu en auront raison, répondit Robert, rassurant.
-Que diriez-vous d'une formation en fer de lance, justement ? s'enquit Guillermo. C'est celle que nous adoptons ordinairement en pareilles circonstances.
-Pourquoi pas. Mais, dans l'immédiat, ne devrions-nous pas former une ligne afin que, derrière nous, les mages puissent dès à présent nous procurer des alliés magiques sans que les cannibales s'en aperçoivent ? S'ils découvrent cette surprise juste après avoir encaissé le choc des sorts et juste avant de subir celui de notre charge, cela pourrait affecter leur moral...

Hubert écoutait Robert et Guillermo sans oser intervenir. Il s'était de temps en temps entraîné avec la cavalerie solarcienne mais les troupes de Béranger étaient stationnées hors de la cité et n'appartenaient pas au Rayon qu'il avait commandé. Les chevaux de la garde ne se retrouvaient jamais en terrain ouvert et on les entraînait surtout à rester calme dans la foule et en dépit des échauffourées, à contenir les mouvements de leur poitrail, sans broncher, ou à galoper sur les pavés, en louvoyant le plus précisément entre les obstacles. Autant dire que le paladin devait redécouvrir les formations de guerre et qu'il lui semblait que le chef mercenaire et le chevalier avaient raison l'un et l'autre.
" En démarrant à vos ordres, nous pourrons aisément passer de l'une à l'autre formation, dit-il finalement. Il faut juste déterminer qui prendra la tête de la lance. Je veux bien m'en charger mais je devine que vous ne serez pas d'accord."

-Effectivement, c'est hors de question.
-En règle générale, je confie ce rôle à Lothar, dont l'impact est pour le moins... impressionnant.
-Soit, que Lothar ouvre le bal. Et comme vous êtes plus expérimenté que moi en ce domaine, Guillermo, je vous laisse le commandement de la charge. Nous allons former une ligne, laisser les mages convoquer des créatures, puis nous nous avancerons afin qu'ils soient assez près pour bombarder les cannibales. Ensuite... Nous attendrons vos ordres.
Le mercenaire acquiesça.
Bientôt, les cavaliers avaient pris possession et, dans leur ombre, préservés des regards indiscrets, les lanceurs de sorts se mirent soit à incanter soit, pour l'un d'eux, à user de sa baguette. Dès lors, l'on commença à voir apparaître de gigantesques ours noirs à l'air au moins aussi farouche que celui arboré par les cannibales, toujours immobiles, toujours occupés à les provoquer.

Hubert ne s'était pas attendu à ce que Robert accepte sa proposition, aussi gagna-t-il sereinement une place latérale, toujours entre Gabriel et Edgar. Il ne se soucia pas de ce qui se déroulait derrière lui mais commença à observer plus précisément leurs adversaires. Ils étaient innombrables, leurs lances mortelles parées entre les pavois, leur défi barbare résonnant de plus belle. Il chercha leur chef des yeux, mais aussi ceux qui paraissaient les plus dangereux. Dans ce type de peuplade, les meilleurs guerriers devaient exhiber leur rang d'une manière ou d'une autre : tatouages, plumes d'aigle ou dents de victimes. Bien sûr, il chargerait droit devant, mais repérer les têtes à couper en priorité ne pouvait pas faire de mal. Et peut-être son examen attentif de leurs lignes l'informerait-il d'autres éléments intéressants voire cruciaux...

Il était difficile de distinguer quoi que ce soit derrière la muraille de boucliers. Cependant, Hubert entraperçut des faces tatouées, des parures d'os, d'ivoire ou de métaux précieux, des colliers de dents,, de doigts ou d'oreilles humaines. Et, effectivement, il lui sembla que certains d'entre eux étaient plus fournis que d'autres... Mais ce qui le marqua, surtout, c'est le fait que quelques barbares portaient de l'équipement d'excellente facture, parfois richement ornementé. Les anciennes possessions de preux vaincus par ceux qui les arboraient désormais, selon toute vraisemblance, ce qui pouvait faire de ces derniers des chefs ou des champions.
-En avant ! lança Robert d'une voix forte.
Et ils commencèrent à avancer.
-Mon capitaine, si je me pisse dessus, je vous saurais gré de garder cela pour vous, lâcha Edgar d'une voix blanche. Sinon, les copains me louperont pas...
-Je pense que personne ne songera à se moquer de vous quand nous rejoindrons nos compagnons, répondit Gabriel. Attendez-vous plutôt à d'admiratives louanges !

" Un bon bain chaud. Voilà ce que j'exigerai en guide de louanges, dit Hubert avec le sourire. Je suis sûr qu'il doit rester des cuves appropriées dans ce fort..."
Il résista à l'envie de jeter un oeil derrière son épaule pour regarder où en étaient les civils. Il pressa doucement Grand Vent, lui rappelant de modérer son allure pour ne pas distancer ses congénères plus ordinaires. Il lui suggéra aussi d'être à l'affût du moindre signe de panique parmi les animaux. Si les destriers des chevaliers et des mercenaires obtempéreraient aux consignes de leurs cavaliers, les montures moins entraînées pourraient paniquer devant le front de pavois, la déferlante de feu et l'attaque des ours. Ensuite, le paladin vérifia les brides de son bouclier, dégaina son épée et adressa une ultime prière à Lathandre.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée