La Couronne de Cuivre

Il eut un sourire embarrassé.
-Et bien... En songeant à la crédibilité de notre mise en scène, je me suis demandé... Sachant que Baptiste nous a prévenus, que j'ai vu dans quelle direction ils partaient, que leurs traces sont parfaitement visibles, est-il réaliste que je ne m'engouffre pas là-dedans à leur suite ? J'ai trouvé que non et je l'ai donc fait, mais comme ils n'avaient guère avancé, j'ai dû rebrousser chemin...
Soupir.
-Enfin, si ça ne te semble pas illogique que je sois demeuré dehors, je rentre volontiers à la ferme. Je les ai plus qu'assez explorées, ces profondeurs.

" A mon avis, tu risques au pire une moquerie sur tes capacités de pisteur... Il serait plus logique que nous restions dehors à les appeler... sans deviner qu'ils se sont enfoncés dans une tanière ! Faire cette hypothèse me semble dévoiler notre lien avec l'affaire. Or Baptiste et Victor sont loin d'être des idiots... Hum. En même temps, si tu te changes, ils se poseront des questions... Mais on peut prétendre qu'un des bébés a fait pipi sur toi. Ce serait crédible. Va te changer. Moi je vais hanter les bois en appelant... Et il faut qu'on décide si on va les punir d'avoir fait une chose aussi stupide. Ou si cela risque de les monter l'un contre l'autre."

-On commencera par les sermonner : c'est incontournable. Ensuite, on n'aura qu'à s'accorder le temps de la réflexion. Cela ne paraîtra pas incongru puisque, officiellement, nous devrons tenir compte de l'énormité de leur imprudence mais aussi de leur attitude repentante où non et de notre souhait de ne pas empirer les choses entre eux...
L'idée de les punir ne lui plaisait guère, puisque sa compagne et lui étaient à l'origine de toute l'affaire. Néanmoins, si la crédibilité l'exigeait...
-Bon, je rentre. Si Callie me repère, je renoncerai à l'excuse de l'accident avec les jumeaux et je prétendrai avoir glissé et m'être étalé de tout mon long en courant sur le chemin.
Il sourit puis prit la direction de la ferme.

Quand il revint, Galathée en était encore à errer en bordure du bois, tranquille. Elle sourit en le voyant approcher, changé.
" J'ai réfléchi. Je pense qu'il faudrait garder le sermon très léger... S'ils avaient foncé ventre à terre tous les deux, je ne dirais pas, mais puisque Victor a pris cette initiative, que Baptiste a quelque part obéi à ton injonction... Je crois que nous devrions surtout être soulagés de les retrouver tous les deux. Impressionnés par leur courage. Et les traiter d'imbéciles en sus. Mais sans réel sermon. Sinon Baptiste risque d'en vouloir à Victor, et tout sera gâché."

Il opina du chef.
-Tu as raison, d'autant que dans de tels cas, à moins d'être d'une sévérité à toute épreuve, c'est surtout le soulagement qui s'exprime. Et puis... Victor fonçant tête baissée pour sauver le doudou des jumeaux, Baptiste suivant mes consignes et lui prêtant main forte... Ce sont des choses dont nous nous serions réjouis même si nous n'avions pas tout manigancé.

La rôdeuse acquiesça.
" Bon... Combien de temps penses-tu que toute l'affaire devrait nous prendre ? On devrait peut-être errer dans les bois et les champs en nous époumonant..."
Son regard fila au-dessus de l'épaule du barde.
" Et nous avons de la compagnie... Il faut l'écarter de la souche."
Elle se dirigea vers la sortie du champ tandis que Callie arrivait, l'air mal réveillé.
" Y'a un souci ? J'entends des cris... puis des cavalcades dans les escaliers... et les bébés pleurent accessoirement.
— Ah zut. Merci. Je laisse Taliesin vous expliquer la situation."
Et, sur un clin d'oeil, la rôdeuse battit en retraite vers la ferme.

Et flûte... Il l'avait bien su que la nouvelle leur compliquerait la tâche. Restait à espérer qu'elle ne soit pas une experte en l'art du pistage, sinon...
-Les garçons étaient restés dehors pendant que nous changions les jumeaux et ils ont vu une "bestiole", expliqua-t-il. Grosse, je présume, vu l'effet qu'elle leur a fait. Victor s'est lancé à ses trousses, Baptiste nous a prévenus et je lui ai demandé de le suivre... Depuis, nous les cherchons. Nous ne sommes pas franchement inquiets car il n'y a pas vraiment d'animaux dangereux dans les parages mais voilà, nous aimerions bien savoir où ils sont passés.

La jeune femme opina du chef.
" Ça n'a pas l'air immense, cet endroit. A mon avis, si vous ne les trouvez pas, c'est qu'ils n'ont pas envie d'être trouvés."
Elle haussa les épaules.
" Ils ne peuvent pas être très loin. Mais en même temps, si la bestiole est enragée, ou quoi... C'était quoi, comme animal ? Vous l'avez vu ?"

Il secoua la tête.
[color=#FFFFF66]-Aucune idée. Tout ce que j'ai vu en regardant par la fenêtre, c'est Victor au grand galop. Quant à Baptiste, il a juste mentionné une bestiole sans plus de précisions.[/color]
A regarda également autour de lui.
-Si c'était une bête enragée, elle ne serait pas passée inaperçue et les voins nous en auraient prévenus...

" Sauf que vos voisins ont des terrains autrement plus vastes que le vôtre et qu'il n'est pas certain que la bestiole se soit donnée en spectacle."
Elle haussa les épaules.
" Mais vous avez raison de voir le bon côté des choses. Et puis au pire, on ira chercher un clerc au bled voisin. Je suis la preuve vivante qu'on règle la plupart des désagréments assez aisément, quand on a les bonnes relations."

Il eut une légère grimace.
-Hum, j'espère quand même que nous n'aurons pas à recourir aux services d'un clerc...
S'il n'avait pas su le fin mot de l'histoire, elle aurait réussi à l'inquiéter pour de bon.
-Reste à savoir où ils sont. Ils pourraient ne pas souhaiter qu'on les trouve, mais... pourquoi ? D'accord, l'un a foncé tête baissée après un animal, mais nous ne sommes pas du genre très sévère... Ils auraient aussi pu franchir les limites du domaine mais d'une part je les vois mal faire ça et, d'autre part, si c'était malgré tout le cas, les gardes les auraient sans doute repérés...
Il fit quelques pas, scrutant les alentours. S'ils pouvaient remprendre les recherches et, ce faisant, interrompre une discussion potentiellement problématique, ça ne serait pas plus mal.

Elle bâilla.
" Moi je veux bien surveiller le champ. Et vous n'avez qu'à aller dans les bois. Ils sont sûrement dans les bois. Ils ont peut-être suivi la bête un moment puis ils auront trouvé un chouette caillou, une plume ou un sentier inconnu... Les gosses c'est comme ça : pas beaucoup de contrôle de soi, tendance à suivre ses impulsions... Enfin, vous savez ça aussi. Et ne posez pas de questions : je suis l'aînée d'une fratrie de onze. Regardez-moi, faites le calcul... Ouais, les petits derniers sont vraiment petits. Mais y'avait des triplés."

-Alors vous ne serez pas dépaysée ici, même si la marmaille ne compte que neuf membres en incluant les jumeaux...
Il sourit.
-Bon, je pars donc explorer ces bois immenses... A tout à l'heure !
Bientôt, il s'enfonçait entre les arbres, ne manquant pas d'appeler régulièrement les deux garçons. S'ils approchaient de l'autre issue, ils ne pourraient manquer de l'entendre, ce qui achèverait de rendre crédible l'ensemble de la manœuvre.

Les gamins ne reparurent qu'une bonne demi-heure plus tard, s'extirpant du terrier l'un après l'autre, Victor devant, Baptiste derrière. Ils étaient couverts de boue mais paraissaient indemnes. Taliesin était évidemment non loin et les garçons attirèrent son attention.
" On est là ! Par ici !" cria Victor en lui faisant de grands gestes.

Tout en se hâtant dans leur direction, il émit des vœux pour que l'opération se soit avérée payante. Mais dans l'immédiat, il devait vayer à ne commettre aucun impaire...
-Ça fait au moins une heure que je vous cherche, je commençais à m'inquiéter... fit-il en les rejoignant. Où étiez vous donc...
Il s'interrompit, son regard allant des gamins au terrier, puis du terrier aux gamins.

Tous deux regardèrent ce que le barde lorgnait, puis leurs vêtements. Baptiste eut une grimace.
" Ah bouse...
— Taliesin, c'était mon blaireau ! s'exclama Victor. Un blaireau énorme ! Il avait volé le doudou ! Il pouvait pas s'en tirer comme ça, ça non ! Alors on l'a poursuivi ! Y'avait des trous et des racines et des cailloux et de l'eau et le doudou, il était dans une grande fosse, profonde comme ça !"
Il leva la main loin au-dessus de sa tête.
" Pas vrai ?
— Si, si, c'est vrai."

Surtout ne pas sourire, même si la réaction de Victor lui en donnait grande envie. Non, il afficha plutôt une expression où se mêlait surprise et perplexité, tout en remerciant les dieux de n'être pas trop mauvais acteur.
-Vous m'auriez raconté cette histoire dans d'autres circonstances, j'aurais eu du mal à vous croire, tant elle est... surprenante, murmura-t-il. Mais là...
Il fixa à nouveau le trou, revint aux enfants.
-Bon, vous m'expliquerez tout ça en détails plus tard. Pour l'instant, l'essentiel est que je vous aie retrouvés et que vous soyez en un seul morceau.
Il esquissa un sourire.
-Venez, rentrons à la ferme : Galathée doit elle aussi commencer à s'inquiéter.

" Ouah, on est crados ! s'exclama Victor en bondissant sur le chemin. Et regarde !"
Il ouvrit sa veste pour en extirper le petit renard de peluche, tout crasseux.
" Ça va, il l'a pas trop déchiré. On va pouvoir le laver, et il sera comme neuf !"
Baptiste suivait, les mains dans les poches, sans se laisser distancer, un léger sourire sur les lèvres.
" Mais ça veut dire qu'il y a un énorme blaireau dans le domaine ! Il pourrait nous bouffer toutes nos poules, va falloir qu'on fasse drôlement gaffe. Enfin. Si ça mange des poules, ces trucs-là."

-Il me semble que d'ordinaire, ils mangent plutôt des insectes et de petits animaux. Mais si celui-là est vraiment énorme... Enfin, on demandera à Galathée de mener l'enquête.
Il avait du mal à garder une mine un tant soit peu sérieuse, tant l'enthousiasme de Victor et peut-être plus encore le sourire de Baptiste faisaient plaisir à voir.
-En tout cas, c'est bien que vous ayez réussi à récupérer le doudou : ç'aurait été trop bête qu'il disparaisse après avoir vécu déjà tant d'aventures...

" Je me demande pourquoi ce blaireau voulait un doudou. Peut-être qu'il s'ennuie le soir tout seul ? Peut-être qu'il ressemble à un bébé blaireau ?"
Il tendit la peluche dégoutante à la lumière du soleil, qui perlait entre deux branches.
" Tu dirais quoi, toi ?"
Le sourire de Baptiste s'élargit.
" Je dirais qu'il avait envie que deux gamins viennent visiter son intérieur pour leur montrer combien il creuse de belles galeries.
— N'importe quoi !"
Victor rit joyeusement.
" Je me demande où il s'est caché, maintenant..."

Il se demanda si Baptiste n'avait pas déjà découvert le pot-aux-roses. Et si c'était le cas, il espéra de tout cœur qu'il ne vendrait pas la mêche...
-Galathée se lancera à sa recherche, répondit-il. Mais d'ici qu'elle l'ait retrouvé ou obtenu la preuve qu'il s'est carapaté...
Il fixa tour à tour les deux enfants, l'air plus sérieux.
-Les gars, si ce blaireau ou une autre bestile pointe le bout de son nez, ne foncez plus jusque dans son antre. Ce n'était quand même pas très prudent.
Se souvenant de ce qu'avait dit sa compagne, il se limiterait à cela en matière de sermon.

" Ouais, j'imagine qu'il aurait pu sérieusement nous agresser. Si ça avait été une femelle avec des petits..."
Victor frissonna.
" Mais on n'a rien vu de ce genre."
Ils débouchèrent dans le jardin.
" Mais voilà les aventuriers !" s'exclama Callie, installée sur un des bancs, un gros oreiller appuyé sur le tronc d'arbre voisin en guise de dossier.
Galathée allaitait l'un des bébés et elle fit de son mieux pour avoir l'air franchement soulagée.
" TADAM !" fit Victor en exhibant le doudou.

Il sourit à sa compagne.
-J'aurais pu les chercher encore longtemps dans les champs et les bois sans avoir la moindre chance de les trouver. Parce qu'en réalité, ils étaient...
Il s'interrompit, se tourna vers les gamins.
-Non,racontez, plutôt. C'est votre aventure, après tout. Et si je le fais moi-même, je crains qu'on ne pense que j'essaie de vous couvrir...

" On était dans le terrier du blaireau ! Tu sais, celui que tu disais qu'il était sans doute vide ? Et bien pas du tout, il était plein ! D'un gros blaireau ! Voleur de doudou ! Pas vrai ?
— Si, si.
— Alors on est entrés, et c'était crado, et Baptiste voulait qu'on revienne en arrière pour vous attendre parce qu'il disait qu'avec du feu, on pourrait faire fuir le blaireau. Mais j'avais un briquet à amadou dans ma poche.
— Un quoi ?!
— Hum, enfin. Grâce à lui, on a sauvé le doudou !
— Vous auriez pu vous asphyxier ! Mettre le feu à vos vêtements, vos cheveux !
— C'était une petite flamme, Galathée, je te jure.
— Une toute petite ! Puis dans les tunnels, on a toujours une torche, demande à Taliesin !
— Enfin, sauf que lui, il voit dans le noir...
— Oui, c'est vrai, mais n'empêche."

A l'instar de la rôdeuse, il n'avait pas eu à mimer la surprise, cette fois.
-Hum, d'habitude, les couloirs ou les tunnels où on emploie des torches sont beaucoup plus hauts, beaucoup plus larges... Là, dans cette tanière, c'était vraiment risqué.
Mais si les gosses ne l'avaient pas eu, peut-être n'auraient-ils pas poursuivi l'exploration.
-En tout cas, Victor, tu laisseras désormais ce briquet ici, d'accord ? Tu n'en as de toute façon pas besoin. Enfin, d'ordinaire.
Toujours un ton tranquille : il devait se fendre de cette remontrance mais n'avait aucune envie de doucher leur enthousiasme.

Victor eut subitement l'air très buté. Baptiste lui jeta un coup d'oeil rapide puis prit une profonde inspiration.
" Avec la lumière, on pouvait suivre la piste... Il fait très noir, sous terre, quand on n'y voit rien. On n'aurait jamais retrouvé le doudou. On se serait sans doute... brisé l'échine dans un des trous. Parce que des trous, il y en avait..."
Galathée regarda Taliesin avec une grimace. Ils n'avaient pas du tout songé à cette question de lumière.
" C'est vrai. Mais avec notre torche, on voyait les pièges...
— Vous auriez peut-être dû attendre vos parents, plutôt que de jouer les joyeux rampants.
— Ils pouvaient pas venir ! Y'avait les bébés !"

Taliesin avait songé à la lumière, mais il avait imaginé Victor assez décidé pour faire sans ; il n'empêche : c'était une chance qu'il ait eu le briquet. Quant à la dernière excuse avancée, elle ne tenait guère... Toutefois, puisqu'il avait déjà procédé à sa manière de sermon, il préféra ne pas en rajouter.
-Enfin, tout est bien qui finit bien : aucun de vous deux n'est blessé, le doudou a été récupéré... Galathée en est juste quitte pour se lancer dans la chasse au blaireau.

" Il était énorme ! Avec un pelage touffu ! Tu aurais dû le voir, Galathée, un monstre ! Il a creusé des trous immenses !
— A mon avis, tu ne le rattraperas pas."
Victor se tourna vers Baptiste.
" Galathée est une traqueuse hors pair !
— Oh, mais ça je sais. Je crois juste que... heu... on lui a fait beaucoup trop peur pour qu'il revienne. Il a sûrement filé hors du domaine. Puis on lui a ravagé son terrier.
— OUAIS ! Ça c'est sûr ! Sus aux voleurs de doudous !"
Baptiste échangea un petit regard désolé avec Taliesin tandis que Victor caracolait à nouveau dans le jardin.

Le barde s'autorisa un sourire amusé : l'enthousiasme de Victor était communicatif, après tout. Et, surtout, il était heureux de la manière dont les choses s'étaient déroulées. L'opération ne leur coûterait qu'un petit surcroit de lessive, et elle leur apporterait... Et bien, il avait l'impression que les relations entre les deux garçons en sortiraient améliorées. Bien sûr, l'euphorie du moment était peut-être trompeuse ; bien sûr, il faudrait voir comment Baptiste se comporterait, s'il les avait bel et bien percés à jour. Néanmoins, il avait envie d'y croire.

Victor revint près de la table.
" Il va falloir raconter ça aux autres. Ils vont jamais nous croire ! Enfin... On est deux à l'avoir vu..."
Baptiste se tourna vers Taliesin.
" Tu ne l'as pas aperçu, toi, par hasard ? Par la fenêtre, je veux dire."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins