La Couronne de Cuivre

Ruth n'était pas visible : peut-être attendait-elle au rez-de-chaussée.
-Étienne m'a demandé de le remplacer pour l'expédition qu'il devait normalement mener, fit le chevalier. Il s'estimait trop... préoccupé pour assumer corectement cette mission.
Il baissa d'un ton.
-Il m'a néanmoins demandé de vous prévenir que nous avions perdu tout contact avec la colonne revenant de Grand-Estuaire.

Albérich ne parvint pas à répondre tout de suite.
" Quoi ? Comment ça ? murmura-t-il d'une voix rauque. Barthélémy a essayé de les joindre ? Qu'a-t-il obtenu ?"
Il pouvait le faire lui-même, il avait un sort de communication à distance en réserve, bien sûr... mais le mieux aurait été sans doute de tenter une scrutation pour pouvoir observer Louis ou Frida à distance.

-Rien du tout. Ni en tentant de contacter Louis, ni en tentant de contacter Frida.
Le chevalier grimaça.
-Je n'ai aucune connaissance en magie, je ne sais s'il faut en conclure à leur trépas ou s'il existe d'autres explications. Je ne puis que vous rapporter les faits bruts.

Albérich resta à nouveau silencieux.
" Nous devrions rentrer avec toi. La magie est notre meilleure chance de récolter des informations sur ce qui a pu leur arriver. J'imagine que Barthélémy n'avait pas mémorisé de sort de scrutation, mais il n'est pas impossible que d'autres, dans notre groupe, aient des moyens de les contacter."
Il n'osait imaginer dans quel état de stress devait se trouver Etienne.
" Et Marthe ? Est-ce qu'ils ont pu contacter Marthe ?"

-Oui, sans le moindre souci. Son groupe n'est plus très loin, à présent, et continue à progresser à bonne allure.
Il soupira.
-Et annuler votre fouille ne servirait à rien. Barthélemy est allé trouver Gabriel, lequel n'avait pas mémorisé le sort de communication adéquat. En revanche, il s'st souvenu avoir établi, pour le compte d'Hubert, la liste des sortilèges à la disposition de nos mages. Il l'a consultée et aucun d'entre eux n'a malheureusement les moyens de contacter la colonne ou d'apprendre ce qui est arrivé.

Albérich pinça les lèvres et soupira.
" Bon. Je vais quand même avertir le groupe. Mais il doit y avoir une explication logique... Ils avaient à peine quitté Grand Estuaire, ils étaient encore dans des zones presque sans risques... J'imagine qu'il va être question d'envoyer une escouade à leur recherche... Sauf si nous parvenons à contacter Grand Estuaire : leur partie du trajet est plus courte."
Etienne avait parlé de clercs et de paladins, dans la colonne. Comment avaient-ils pu disparaître ? Ça n'avait aucun sens.

-C'est indéniable. Cependant, je ne sais pas s'ils accepteront de risquer des vies pour nous aider. Ils craignent les Landes et pourraient estimer que nous nous y sommes aventurés à nos risques et périls. J'espère qu'ils seront plus altruistes que cela mais... Je n'en ai pas la certitude.
Il soupira.
-Je dois vous laisser : mon escouade m'attend. Ruth est en train d'examiner la maquette. Oh, et, à nouveau, n'hésitez pas à me contacter en cas de besoin.

Albérich préféra laisser Ruth à sa maquette pendant qu'il annonçait la mauvaise nouvelle aux autres membres du groupe. La gamine devait être au courant, bien sûr, mais autant qu'elle s'occupe à autre chose. Il leur relaya exactement ce qu'avait dit Gaspard, ni plus, ni moins. Il se doutait que Giovanni, qui connaissait bien Louis, serait affecté par sa disparition subite, et il se tenait prêt à relever l'équipe de son travail si c'était ce que les gens désiraient.

La nouvelle rendit ses compagnons soucieux, inquiets pour certains mais aucun ne parut catastrophé. De l'avis général, pourquoi envisager d'emblée le pire, puisque bien des raisons pouvaient expliquer ce silence ? En premier lieu, on n'était pas obligé de répondre au message que l'on recevait : peut-être Louis et Frida avaient-ils été, à ce moment-là, pris par quelque tâche réclamant toute leur attention. Ensuite, la Toile de Mystra qui servait de source et de vecteur à la magie profane étant parfois victime de perturbations, il semblait logique qu'il en aille de même pour la magie divine. Enfin, il existait des lieux où, quel que soit leur type, les arcanes fonctionnaient mal voire pas du tout : la colonne avait fort bien pu se trouver dans l'un d'entre eux. Bref, l'on chercha à se rassurer - de manière légitime, car des arguments solides parlaient en ce sens - et tous s'accordèrent pour dire que, dans l'état actuel des choses, rien ne motivait l'interruption des fouilles.

Albérich fut soulagé de la réaction du groupe et de son optimisme. Lui-même pensait aussi qu'il y avait peut-être une perturbation dans les effets de la magie, mais il ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur sa cause. L'un dans l'autre, si les nouvelles tentatives de communication échouaient, il devinait qu'il leur faudrait partir à la recherche de la colonne. Mais ce n'était pas le moment opportun pour s'en soucier : ils avaient une autre mission à mener à bien et il décida de rejoindre Ruth auprès de la maquette.

La gamine examinait la maquette avec intérêt mais... sans trop s'en approcher et tout en gardant les mains dans le dos, peut-être pour résister à la tentation de la touchée. Lorsque parut Albérich, elle s'empourpra aussitôt et baissé la tête.
-Bonjour, m'sire, lâcha-t-elle d'une petite voix. Voilà, je suis là... Dites-moi ce que je dois faire, ce que je ne dois pas faire et... je ferai ce que vous m'aurez dit et je ne ferai pas le reste.

Albérich posa une main amicale sur son épaule. Elle était évidemment encore ébranlée par son accrochage avec Hubert, et le Luménien était prêt à parier que le paladin l'avait évitée jusqu'à son départ pour l'examen des remparts. Dans le même temps, il se doutait qu'il aurait décanté à son retour et qu'il affronterait la gamine. Pour lui dire quoi, c'était un mystère, mais les choses progresseraient. Hubert n'était pas du genre à pouvoir ignorer longtemps ce genre de tourments.
" Je voudrais que tu fasses ce que tu fais d'habitude, dit finalement le clerc. Trouver. Je sais que tu n'es pas férue de livres, mais... J'ai bon espoir que Tymora te bénisse ici aussi... Je proposerais que nous cherchions les bureaux des bibliothécaires... et que nous fouillons leurs tiroirs, quelque chose comme ça."

Ruth parut réfléchir.
-Je ferai ce que vous voudrez, répondit-elle. Mais vous devez savoir que d'habitude, je passe un long moment à chercher normalement, jusqu'à ce que ça me saoule, jusqu'à ce que ça m'énerve et que j'aie... heu... un geste d'agacement. Et en général, c'est là que je tombe sur quelque chose de bien.
Elle grimaça.
-Mais vous inquiétez pas non plus, hein. Je vais pas me mettre à taper sur tout ce qui bouge, à jeter les livres partout... Chuis pas irrécupérable à ce point.

" Je sais bien, ne t'en fais pas." dit le Luménien.
Il se tourna vers la maquette.
" Mais j'ai vu que tu admirais ce magnifique ouvrage. T'inspire-t-il quelque chose de particulier ?"

-Oh, elle est juste vachement chouette...
Elle parut embarrassée.
-Bon, c'est vrai aussi que j'ai eu envie de la toucher. La forteresse, par exemple. Mais m'sire Hubert a bien insisté sur le fait que je ne devais faire que ce que vous me diriez alors... Je me suis retenue. De toute façon, elle doit être fragile et ce serait bête de la casser.

" Et puisque c'est ce qu'a dit Hubert, faisons comme ça. Je te donne l'autorisation de toucher la forteresse. Ça ne veut pas dire l'arracher, mais je sais que tu connais la différence. Si cette merveille a survécu jusqu'ici, elle supportera bien que tu la touches, je pense. Et si les Anciens avaient vraiment voulu que ça n'arrive pas, ils l'auraient protégée par une barrière ou ne l'auraient pas installée au milieu d'une bibliothèque. Donc vas-y, tu as ma bénédiction."

-Bon...
Elle prit une profonde inspiration et entreprit de s'exécuter. La maquette étant de taille appréciable, elle dut se hisser sur la pointe des pieds, s'appuyer d'une main sur le rebord de la table et tendre le bras au maximum pour effleurer la silhouette tout au centre.
Aussitôt, un bruit se fit entendre. Une sorte de frottement. Semblant provenir de la maquette elle-même, il dura à peine quelques secondes avant de s'interrompre.
-Vous êtes témoin, j'y suis allé tout doux ! souffla Ruth, presque paniquée.
Autour d'eux, rien ne semblait avoir changé.

" Intéressant." murmura Albérich, en gardant une main tranquille sur l'épaule de la petite fille.
Il hésita une seconde puis décida de ne pas prendre de risques.

Albérich -> Détection des pièges.

Ensuite, il se remit à examiner la maquette. S'il ne décelait rien d'inquiétant... Il soulèverait Ruth dans ses bras pour qu'elle puisse appuyer un peu plus fermement sur cette forteresse.

Son sortilège n'ayant détecté auqueun piège, son examen n'ayant révélé aucune altération dans la maquette, il lui fallut recourir à cette méthode à laquelle Ruth ne trouva rien à redire. Elle posa un doigt précautionneux sur la forteresse miniature, provoquant à nouveau le son. Elle l'y maintint jusqu'à ce que celui-ci cesse.
Une nouvelle fois, rien ne parut avoir changé. Et puis...
-M'sire, je crois qu'ça a ouvert un truc de l'autre côté de la table... souffla la gamine.
En fait de truc, il s'agissait d'une manière de tiroir qui, jusqu'alors indétectable, avait coulissé vers l'extérieur.
Un tiroir qui n'était pas vide. Non, il renfermait un long et épais rouleau de parchemin.

" J'étais certain que tu ferais des merveilles." murmura-t-il avec un sourire.
Il contourna la maquette et observa un moment le parchemin dans son tiroir, histoire de se faire une idée de son état. Puis il décida d'être prudent et alla chercher du parchemin et une plume.
" Bon, Ruth. Tu vas prendre doucement le parchemin et essayer de le dérouler le plus précautionneusement possible, devant moi. Je me tiens prêt à écrire ce que j'y lirai, le plus vite possible, au cas où il ne survivrait pas longtemps à l'épreuve du temps..."

Bien que le parchemin parût en parfait état, la petite fille s'exécuta avec une douceur et une prudence dont on ne l'aurait pas forcément crue capable.
Apparut ainsi progressivement sous les yeux d'Alberich une carte.
Un plan, plutôt.
Et pour autant qu'il puisse en juger, c'était celui des souterrains.
-Alors, c'est quoi ? s'enquit Ruth.

" Quelque chose que j'espérais trouver ici... et qui devrait tempérer la mauvaise humeur de ceux qui m'ont trouvé déraisonnable, je l'espère."
Il lui sourit.
" Regarde par toi-même. Ensuite, nous tâcherons d'en faire une copie, le plus prudemment possible. Même si, en réalité, je dois pouvoir le reconstituer s'il tombait en morceaux."

Elle se contorsionna pour examiner l'autre côté du parchemin, dont les dimensions rendaient la manipulation difficile.
-Un plan des tunnels caché sous la maquette de la ville, commenta-t-elle. Tellement logique que j'y aurai jamais pensé.
Vu sa taille, il faudrait plusieurs heures à Albérich pour le recopier, surtout s'il voulait respecter les proportions. Et s'il ne comportait aucune annotation, nul doute qu'il devenait limpide si on le comparait à une carte de la cité.

Et le Luménien n'était pas un très bon copiste, aussi décida-t-il de demander à Ruth de replier le document.
" Hum. Je serais tenté de l'emporter, mais s'il se désagrège... Je vais voir si nos cartographes ne peuvent pas nous accompagner demain matin pour venir réaliser cette copie. D'ici là, nous ferions peut-être mieux de remettre la carte dans le tiroir, pour la protéger... et regarder éventuellement si d'autres bâtiments réagissent quand tu les touches ?"
Il se doutait qu'à nouveau, les étranges pouvoirs dont étaient investis certains membres de la communauté étaient critiques dans la découverte qu'ils venaient de faire et Ruth, en particulier, avait vraiment un don qu'on ne pouvait pas négliger.

Aucune des tentatives ultérieures de Ruth ne produisit le moindre résultat. Si ce n'est que lorsqu'elle toucha à nouveau la forteresse, le tiroir se referma.
-Je suis soulagée... souffla la fillette. Mine de rien, j'avais la pression... J'avais peur de rien trouver du tout... Au moins, là, j'aurai servi à quelque chose même si c'est ma seule et unique découverte.

" Comment ? s'exclama le clerc avec un large sourire. Il n'est pas question que tu te reposes déjà sur tes illustres lauriers ! J'ai bien l'intention que nous trouvions d'autres merveilles ! Comme je te l'ai dit, je voudrais inspecter les bureaux des bibliothécaires, ou leur salle de détente, leur vestiaire, je ne sais pas... et je propose donc que nous nous mettions en quête de cet endroit pendant que nos amis continuent à fureter parmi les livres..."

-Du moment que vous me demandez pas d'en lire, des livres... Moi, tout me va.
Albérich trouva ce qu'il cherchait. Dans les murs latéraux du hall s'ouvraient des portes donnant dans des salles plus modestes apparemment non destinées au public. La plupart avaient dû être des bureaux et l'on y voyait encore tables, sièges et étagères, ces dernières supportant ce qui ressemblait à des registres ou à des catalogues. Une autre salle paraissait avoir été dévolue à la réparation des ouvrages abîmés et, de fait, quelques livres en piteux état demeuraient visibles.

Albérich cherchait des notes personnelles, n'importe quoi qui aurait pu être laissé derrière par les bibliothécaires et qui aurait reflété leurs soucis du moment. Peut-être avaient-ils des réunions dont ils consignaient les comptes-rendus, ou bien l'un ou l'autre avait-il laissé des lettres ou quelque chose du style... Une autre possibilité était d'examiner les registres d'emprunts, si c'était une pratique existante à l'époque. Il n'était pas impossible que si la catastrophe s'était annoncée, certains se soient penchés sur des ouvrages la concernant, ou ses manifestations... Bref, il n'avait pas d'idée préconçue sur ce qu'il cherchait exactement : juste quelque chose ! Et il conseilla à Ruth de fureter à sa guise... Elle tomberait peut-être sur quelque chose qui attirerait son regard.

Il ne trouva ni lettres, ni écrits personnels, ni rapports de réunion. Peut-être avaient-ils été déplacés, peut-être n'avaient-ils pas survécu au temps, contrairement au reste.
En revanche, il dénicha des registres d'emprunt. Il lui fallut du temps pour mettre la main sur le plus récent et pour parvenir à déchiffrer les pattes de mouches de la dernière personne a avoir été en charge de sa tenue. Mais il y parvint et si les ouvrages empruntés abordaient tous les sujets, il lui sembla malgré tout que les habitants de Clairétoile avaient porté un intérêt tout particulier à l'interprétation des rêves.

Ils avaient rêvé de la catastrophe et s'en étaient inquiétés. C'était aussi ce que suggérait la lettre qu'ils avaient trouvée dans le trou du mur, dans la maison visitée quelques jours plus tôt. Mais de quoi diable avaient-ils rêvé ? Où trouver des indications sur ce qui avait hanté leurs nuits ? Certains avaient dû prendre des notes, d'autres en avaient parlé, la chose s'était répandue... Rêves récurrents, communs... Peut-être dans un bâtiment officiel. Mais il n'avait pas dit son dernier mot, pas encore.
" Tu as trouvé quelque chose ?"
Dans le cas contraire, il se mettrait en quête de livres sur l'interprétation des rêves. Sans doute dans la section théologie.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue