La Couronne de Cuivre

Kasumi était ravi que Mylène ait appris à se fier à Première Neige et que cette dernière ne soit plus intimidée par sa présence. C'était une grande étape de franchie et qui était de bon augure pour la poursuite de la formation de la jeune femme.

Aux paroles de cette dernière, le demi-elfe se fit songeur et réalisa qu'il aurait adoré pouvoir mener cette expédition aux côté de Sylvia : c'était une occasion manquée mais il espérait sincèrement qu'il y en aurait beaucoup d'autres. Et pour bien d'autres raisons que le repérage que pouvait leur procurer son oiseau.

- Nous allons continuer vers le sud-est jusqu'à trouver le fleuve puis nous aviserons : au besoin, Première Neige pourra partir en éclaireur en couvrant plus de terrain.

La jeune fille haussa les épaules.
" D'accord. De toute façon, je ne connais pas du tout cette partie des bois, je ne peux donc guère donner un avis...."
Ils reprirent leur marche peu après, plus tard sans doute que Kasumi ne l'aurait fait s'il avait été seul : Mylène manquait singulièrement d'efficacité dans le rangement de son sac.

Le minuscule ruisseau qu'ils suivaient fut rapidement entouré d'une végétation impraticable, les obligeant à prendre un peu de distance. Mylène, en effet, n'avait pas l'aisance de Kasumi dans les bois, et franchir des lieues et des lieues de ronces n'était pas une perspective très réjouissante. Ils durent donc, plus d'une fois, se détourner de leur direction pour trouver un passage plus praticable.
Kasumi savait d'instinct où était le sud-est, heureusement : pour Mylène, tout se ressemblait. Lorsqu'il la questionnait, après un de ces petits détours, la direction qu'elle indiquait était souvent très éloignée de leur direction originelle. Elle avoua ne guère avoir le sens de l'orientation.
Première Neige, quant à elle, filait souvent en tête, leur servant d'éclaireuse. La direction lui importait peu: elle cherchait des signes de présence de gibier. Signes pour l'heure absents, la végétation étant trop dense.

A la mi-journée, ils découvrirent un petit promontoire rocheux, sur lequel ils grimpèrent, heureux de sortir un court moment des broussailles : le sommet, dégagé, leur offrit le plaisir de profiter de quelques rayons de soleil. La lumière ici paraissait aveuglante, et la souillure des bois semblait soudain beaucoup plus ténue, comme chassée par la lumière. De surcroît, ils pouvaient enfin voir plus loin qu'à quelques toises. Suffisamment pour se rendre compte qu'il n'y avait aucune trace de fleuve vers le sud-est. Une petite irrégularité dans le relief et la végétation suggérait sa présence plutôt vers le nord-est, en tout cas beaucoup plus au nord qu'attendu. Ils étaient descendu trop loin... Ou peut-être l'une des boucles du fleuve l'éloignait-elle d'eux.

Ce nouveau point de vue sur leur situation allait permettre de corriger leur direction : Kasumi avait l'intention de se diriger vers un endroit où la végétation semblait éclaircie sans pour autant suggérer la présence de marais ou de tourbière. A priori, il semblait falloir se diriger plein est à présent, quitte à bifurquer au nord s'ils ne parvenaient pas à se rapprocher d'une zone suffisamment abondante en eau claire, gage de la présence de gibier en suffisance. Le demi-elfe décida également de prolonger légèrement la halte de ce milieu de journée pour profiter de la lumière du soleil. Le temps pouvait être mis à profit pour permettre à Première Neige de bien récupérer de sa nuit. Quant à Mylène et lui, il avait une autre idée de tête : une séance d'entraînement à l'arc.

Première Neige ne se fit pas prier pour s'allonger au soleil : à vrai dire, elle s'était installée pour une sieste à l'instant même où les deux bipèdes avaient sorti leur casse-croûte.
L'examen attentif de la végétation lui montra plusieurs secteurs où les bois semblaient moins dense : il distinguait des cimes élevées au sommet de troncs épais - il ne restait qu'à espérer que le sous-bois ne soit pas trop dense, mais il savait que c'était souvent le cas lorsque de gros arbres dominaient.
L'un de ces secteurs était au nord-est, près du fleuve. Plus loin à l'est se trouvait une zone quasiment dénudée, qu'il devina marécageuse, et il en apercevait une semblable également plus au nord, mais il y avait entre les deux un large secteur planté de grands arbres, qui semblait a priori accueillant, en bordure du fleuve : l'eau ne manquerait pas et on pouvait donc espérer y trouver du gibier.
Une autre zone prometteuse était un peu plus proche, en partant vers le sud. Le promontoire où ils se trouvaient annonçait en effet un secteur légèrement vallonné, au sol probablement calcaire à en juger par les rochers apparents, promesse d'abris rocheux voire de grottes. Même si les arbres étaient moins imposants qu'au bord du fleuve, la végétation était plus clairsemée, laissant apparaître des portions de roche nue. Là aussi, de grands herbivores pouvaient avoir trouvé asile -pour peu qu'il y ait de l'eau, mais la présence de relief suggérait des ruissellements donc des ruisseaux, au moins.
Enfin, un peu plus à l'ouest, se trouvaient également une zone moins touffue. Mais elle était éloignée, et peut-être un peu trop proche de la lisière des bois : ils se trouvaient à plusieurs lieues au sud que Respelm, et il se pouvait qu'il y ait d'autres villages dans les environs.

Mylène, somnolente après le repas, le laissa mener ses observations en écoutant d'une oreille un peu distraite ses explications. Cependant, elle ne se fit pas prier lorsqu'il proposa une séance de tir à l'arc.

Les premières minutes de la séance avaient pour but de se dérouiller les muscles et le rôdeur avait choisi de faire viser à son apprentie des cibles proches et faciles à atteindre. Une fois qu'elle serait en confiance et suffisamment échauffée, il corserait l'exercice en lui faisant travailler la vitesse sur les mêmes cibles : il suffirait de compter à haute voix pour lui imposer un temps limite. Enfin, pour conclure l'exercice, il lui demanderait de se concentrer pour atteindre une cible bien plus éloignée. Pendant toute l'opération, il lui dispenserait ses conseils pendant qu'il réfléchissait à leur options de destination. A priori, poursuivre encore au sud pour explorer la zone vallonnée pourrait être une bonne entrée en matière. Au retour, ils pourraient revenir au promontoire pour passer une nuit plus calme avant de bifurquer vers l'autre zone prometteuse au abords de la rivière. Ainsi, ils multipliaient leurs chances de trouver un site convenable et de choisir le meilleur qu'ils puissent trouver.

Mylène était une élève enthousiaste. Peut-être un peu trop. Ses tirs, trop précipités, étaient mal ajustés, et il comprit qu'il lui fallait d'abord apprendre à se concentrer et à viser, avant de passer à des exigences de rapidité de tir : son élève était, en réalité, trop rapide. Ou peut-être que bander l'arc lui demandait un effort auquel elle n'était pas assez habituée : il devinait un frémissement dans l'arme, dû à un léger tremblement de ses bras sous l'effort.
Mais une fois bien échauffée, une fois qu'elle réussit à bien se concentrer posément sur sa cible, elle se révéla plutôt habile. Elle visait juste, quand elle prenait son temps. Lui demander plus de rapidité avec un décompte du temps fut plutôt inefficace : pressée de tirer, elle ne prenait pas le temps de viser...
Mais le temps filait, et ils poursuivraient sans doute la leçon plus tard : Première Neige se redressait, signalant son envie de repartir. Elle était prête, s'il le souhaitait, à aller de l'avant en éclaireuse pour leur laisser un peu plus de repos. Elle pouvait également explorer une direction différente de la leur.

Kasumi mit un terme à la séance d'entraînement en félicitant son apprentie pour ses progrès. Il avait pu noter les axes sur lesquels elle devrait travailler : gagner en concentration et renforcer légèrement sa musculature, deux domaines pour lesquels il suffisait de pratique via des séances répétées plutôt que longues. Et puisqu'il s'agissait maintenant de se dégourdir les jambes et qu'il ne souhaitait pas prendre le risque de progresser séparément dans cette partie de la forêt, le demi-elfe donna le signal du départ vers le sud. Une fois dans la zone intéressante, ils pourraient éventuellement explorer différentes directions mais pas avant le lendemain matin.

Ils prirent donc la direction du sud, Première Neige en tête. Le secteur était un peu plus accidenté, et ils progressaient avec plus de difficultés dans les broussailles. Ils grimpèrent sur une autre colline dont la crète était aussi boisée que les flancs, puis troçuvèrent une sente qui contournait un autre monticule. Le sol devenait plus calcaire, et ils trouvèrent un abri rocheux, puis un autre. Le premier était vide, et le second servait visiblement de repaire à un animal de grande taille, absent pour l'instant. Les empreintes suggéraient un ours.
Un peu plus loin, ils trouvèrent un ruisseau serpentant entre les rochers. La végétation était moins dense. Des arbres anciens alternaient avec des secteurs plantés de buis et de broussailles. L'endroit semblait singulièrement accueillant, par contraste avec les ronces qu'ils avaient traversé la veille. Kasumi avait même la sensation qu'il ressentait un peu moins la souillure de ces bois. En outre, on y trouvait de petites grottes pouvant servir d'abri, et ils aperçurent un troupeau de chevreuil qui prit la fuite à leur approche, affolé.
Bref, l'endroit avait tout pour plaire.

Objectivement, cette zone semblait effectivement prometteuse et son lien avec Mielikki lui permettait d'y être sensible. Mais ce n'était pas lui qui devait être convaincu et enchanté par cet endroit mais bien les loups. C'est donc à Première Neige et à ses impressions qu'il convenait de se fier. Puisque que l'endroit avait du potentiel, Kasumi avait donc l'intention de passer un peu plus de temps à l'explorer et peut-être d'y camper la nuit suivante : les grottes leur offriraient un abri bienvenue et une relative sécurité. Cela n'empêcherait pas d'aller visiter l'autre zone potentiellement intéressante de sorte d'achever de convaincre les loups, et sa compagne animale la première, que l'endroit était idéal pour leur implantation.

Première Neige, de son côté, furetait de droite et de gauche, avec curiosité. Les grottes lui inspiraient de la méfiance : elle avait flairé longuement chacune de celles qu'ils avaient aperçues avant de se laisser convaincre d'y entrer, craignant peut-être d'y déranger l'occupant des lieux. Le troupeau de chevreuil, en revanche, avait éveillé son intérêt, de même que les multiples effluves qu'elle percevait. Mais il la sentait pourtant dubitative. Quelque chose ici l'inquiétait.
Il finit par comprendre, en l'interrogeant, qu'elle percevait une présence qui la mettait mal à l'aise. Un autre loup, lui sembla-t-il, dont elle avait perçu l'odeur dans l'une des grottes - celle qu'ils avaient jugé vide.

Les démons de Kasumi semblaient le rattraper alors qu'il avait peut-être pris trop de risques en se rendant si loin au sud. La présence d'un seul loup était en effet étrange en elle-même mais c'est surtout l'inquiétude qu'il puisse s'agir de bien pire que cela qui faisait douter le jeune clerc. Car c'était dans cette direction qu'était parti le loup garou et les malarites et ces derniers seraient d'autant plus dangereux qu'il les affronterait sur leurs nouvelles terres. Et qu'il devrait défendre son apprentie bien trop inexpérimentée. Il espérait donc se tromper et préféra changer de grotte pour éviter une rencontre malencontreuse.

Il trouva sans peine une autre grotte : elles étaient nombreuses dans les parages. Aucune odeur de loup n'y régnait, selon Première Neige, ni celle d'aucun autre prédateur. Pour autant, la louve ne semblait guère à son aise, et demeurait vaguement inquiète. Elle fit savoir à Kasumi qu'elle veillerait sur leur sommeil ce soir.
Il restait cependant du temps avant la nuit, et, comme il l'avait prévu, il poussa plus avant son exploration des environs. Il ne découvrit aucune trace probante d'une présence d'un quelconque loup, bien que Première Neige soit quand à elle persuadée du contraire. Il eut également la confirmation que l'endroit ne manquait ni de gibier, ni d'eau. Mais devant une autre grotte, assez éloignée de la leur, des vestiges de feu, à demi-enterrés, étaient clairement reconnaissables : des humains -ou autres humanoïdes- y avaient campé, il y avait de cela au moins plusieurs jours déjà. Le sol avait également gardé une marque qu'il reconnut aussitôt comme étant celle du sabot ferré d'un cheval.

Ces signes de passage récents étaient inquiétants car ils venaient confirmer ses craintes que les Malarites aient choisi cet endroit pour s'installer. Toutefois, le demi-elfe tenait à s'en assurer en étudiant de près les traces qu'il avait pu découvrir sur le sol : pouvait-il en estimer l'ancienneté et y avait-il des indices qui laissent envisager une récurrence dans cette présence ? Si ses doutes étaient confirmés, il s'en ouvrirait à Mylène et déciderait peut-être de rebrousser chemin vers l'autre zone prometteuse.

Les cendres dataient de plusieurs jours, et n'étaient guère étendues : il pouvait s'agir d'un feu unique, ou d'un feu répété de petite dimension, par une -ou des- personne soigneuse qui s'appliquerait à bien respecter le foyer d'origine. Toutefois, ce foyer n'avait pas dû servir plus de deux ou trois fois, sans quoi le sol serait davantage brûlé, et la couche de cendres plus épaisse. S'il y avait passage récurrent, il était très épisodique, ou bien très récent.
La grotte devait pouvoir abriter une bonne demi-douzaines de personnes, ce qui ne lui apportait guère d'information utile. Il découvrit à proximité des restes d'ossements calcinés, issus probablement d'une ou deux volailles de bonne taille, cachés sous un buisson d'épineux.
Il n'y avait pas de trace nette de passage à proximité : le sol rocailleux et sec n'avait pas gardé d'empreintes, et la végétation était un peu clairsemée. Mais en cherchant en direction du nord-est, il découvrit les fourrés plus épais qui gardaient la trace du passage d'humains et surtout d'un -ou plusieurs- chevaux. Ils semblaient se diriger vers le fleuve. Mais là aussi, les traces dataient de plusieurs jours, une demi-veille environ.

Kasumi livra ses constatations et ses quelques doutes à Mylène, autant par prudence et honnêteté afin qu'elle se prépare aux dangers qu'ils étaient susceptibles d'affronter qu'à des fins de leçon de pistage avancé. Le demi-elfe fit appel à ses ressources de rôdeur en la matière mais il chercha également des signes de maléfice grâce au lien spécial qu'il entretenait avec la déesse des bois. Il était en effet peu concevable que des Malarites se soient montré respectueux de la nature au point de masquer toutes les traces de leurs exactions et il devait forcément en rester des signes si c'était bien à eux qu'il avait affaire.

Il eut beau user de toute sa sensibilité, exacerbée depuis qu'il était au service de Mielikki, il ne découvrit pas grand-chose. La souillure de la forêt était un peu moins perceptible par ici, peut-être parce que la végétation était moins dense. Mais il ne perçut pas la trace d'autres maléfices. Cela ne prouvait pas que les malarites n'étaient pas passé par ici. Mais le lieu n'était pas un de leur sanctuaire, et, a priori, ils n'avaient pas mené ici de rite lié à leur culte, ou du moins pas récemment. En outre, le gibier, abondant, semblait prouver que l'endroit était relativement peu fréquenté par de grands prédateurs.
Il n'y avait finalement que Première Neige pour pressentir le passage récent d'un loup, qu'elle semblait elle aussi assimiler -peut-être- à un loup-garou. Selon elle, les traces, peu abondantes, dataient de quelques jours auparavant. Il n'y avait rien de récent, et ce qu'elle percevait était trop vague pour qu'elle puisse lui indiquer dans quelle direction, par exemple, il avait pu partir. Mais, selon son ressenti de louve, ces traces suffisaient à marquer le territoire comme sien.

Les indices étaient intrinsèquement rassurants mais Kasumi avait appris à se fier à sa louve. Si elle détectait les symboles d'un territoire de chasse, il devait en tenir compte d'autant plus que la meute ne pourrait pas s'épanouir si elle se retrouvait en concurrence avec un loup-garou et plus encore avec une secte de malarites. Le demi-elfe fit donc le choix d'élargir ses recherches dans cette zone en s'éloignant de la grotte qui mettait Première Neige mal à l'aise. Si elle ressentait toujours cette gêne, il faudrait faire un croix sur ce territoire et se rabattre - dès le lendemain - sur la zone plus proche du fleuve.

Mylène, quant à elle, n'était pas vraiment rassurée à l'idée que des malarites puissent être dans les parages. Et il fallut que Kasumi lui assure plusieurs fois que les traces n'étaient pas récentes pour qu'elle se détende un peu.
L'exploration des environs, dans une autre direction confirma une présence relativement récente d'humains : en se dirigeant vers l'ouest, Kasumi détecta des traces très nettes de passage d'humains et de chevaux, qui se dirigeaient là aussi vers l'est. Probablement-être les mêmes, à un point antérieur de leur périple. Il y avait par ici moins de rocaille, moins de grottes, quelques secteurs plus broussailleux qui faisaient obstacle à leur progression, et les traces étaient suffisamment claires pour qu'il estime qu'il y avait deux montures et peut-être une demi-douzaine d'hommes à pied.
Première Neige ressentait aussi plus fortement, dans cette direction, la présence d'un concurrent. Il avait été davantage présent dans ce secteur-ci, et elle préféra finalement revenir vers les grottes de l'est où les traces étaient plus ténues -mais suffisamment sensibles pour qu'elle s'y sente pas tout à fait à l'aise.

Le soir approchait, et ils n'avaient de toute façon pas le temps d'explorer davantage.
" On va dormir dans une des grottes ? questionna Mylène en étouffant un bâillement. La jeune fille semblait recrue de fatigue.
- C'est un peu dur comme sol.... Mais c'est vrai que je me sentirai plus en sécurité, surtout si Première Neige fait le guet. On n'aura peut-être pas besoin de veiller.... ?" ajouta-t-elle avec espoir.

Kasumi craignait une mauvaise surprise malgré la position privilégiée qu'ils trouveraient dans une des grottes. C'est pour cette raison qu'il ne comptait pas dormir toute la nuit pour assister Première Neige dans sa veille mais également qu'il allait conseiller à Mylène de ne pas y participer : elle était encore éprouvée de la nuit agitée de la veille et il fallait qu'elle soit en état de se défendre si les choses devaient en arriver à ce point.

- Il y a beaucoup de branches mortes et de feuilles dans les environs : en amener un peu dans la grotte serait une bonne idée pour s'aménager un bon couchage.

La jeune fille acquiesça avec enthousiasme et l'aida à apporter de quoi adoucir le sol. Ses gestes trahissaient sa fatigue, mais elle tenait à aider jusqu'au bout. Elle s'occupa également d'aller chercher de l'eau.
Première Neige, quant à elle, décida de prendre un peu d'avance sur la nuit. S'installant confortablement à l'entrée de la petite grotte, elle fit savoir à Kasumi qu'il pourrait la réveiller lorsqu'il irait se coucher.
Ils puisèrent une fois encore dans les provisions de Mylène, allégeant d'autant son sac. A peinent eurent-ils terminé que la jeune fille allait se pelotonner sous les couvertures, passant sans bruit devant la louve pour ne pas la réveiller -Kasumi la vit cependant dresser les oreilles. Quelques minutes plus tard, elle dormait profondément.

Comme il l'avait prévu, Kasumi avait l'intention de laisser dormir Mylène et de faire le moins de bruit possible tant qu'il n'y aurait aucune alerte et il se posta à l'entrée de la grotte, aux côtés de Première Neige, pour faire le guet. Il n'était pas vraiment rassuré par les constatations de cette dernière et s'attendait à devoir se battre. Toutefois, comme il ne servait à rien de se ronger les sangs, il profita du temps qu'il avait devant lui pour tailler deux branches de bois en prévision des premiers cours d'escrime qu'il comptait dispenser à la jeune femme.

Tandis qu'il taillait ses morceaux de bois, les étoiles s'allumaient dans le ciel, et la brume montait, insidieuse. Elle était moins épaisse que la veille, peut-être parce que la végétation était moins dense. Mais elle était tout aussi menaçante, porteuse de dangers dissimulés et de sombre magie. La brise légère qui soufflait du nord ne parvenait pas à la chasser.
La forêt aux alentours demeurait silencieuse, toutefois. Trop, peut-être. Compte tenu du nombre de traces de passage animal qu'ils avaient relevées, la forêt aurait dû bruisser de vie, même la nuit. Mais tout était calme. Certes, la petite falaise rocheuse abritant la grotte, derrière lui, faisait obstacle à tout bruit venu du nord. Mais il aurait dû entendre résonner quelques bruissements au sud. Il y avait bien un cri de chat-huant, au loin, et un grattement de rongeur près de l'entrée de la grotte. Il distingua aussi le vol d'une chauve souris. Mais il avait l'impression désagréable que la nature retenait son souffle. Pour quelle raison, il l'ignorait, et le temps s'égrenait sans apporter de réponse à cette interrogation. Minuit approchait et tout demeurait calme.

Kasumi avait tout d'abord tenté de chasser ses appréhensions par le fait que la source d'eau la plus proche était quelque peu éloignée de leur abri et donc que les animaux n'avaient aucune raison d'en approcher. Mais il se fiait aussi à son instinct et au sentiment d'avoir peut-être pris un risque inutile qui n'engageait pas que sa propre sécurité.

Non, décidément, il ne pourrait pas aller dormir tant qu'il n'en aurait pas le cœur net et même si affronter un ennemi aussi dangereux qu'un loup-garou sans avoir pu dormir était très périlleux. C'est pour cette raison qu'il poussa plus loin sa veille longtemps après en avoir terminé du travail manuel qui lui occupait les mains et lui libérait l'esprit. Il attendrait que Première Neige se réveille d'elle-même pour le seconder.

Première Neige se réveilla quelque part vers le milieu de la nuit. Il sentit sa truffe humide contre la paume de sa main, en guise de salut et de relève. Il pouvait aller se coucher, elle se sentait suffisamment reposée pour veiller sur eux désormais.
Il ne s'était rien passé. Tout était toujours trop calme, trop silencieux. Il vit la louve humer l'air alentour, attentive, méfiante. Vaguement inquiète, elle aussi. Mais elle ne perçut aucune odeur inquiétante. Ni loup, ni humain, ni aucun autre prédateur n'était à portée d'odorat.

Kasumi décida donc d'aller s'allonger à son tour, partagé entre la confiance aveugle qu'il vouait à sa louve pour veiller sur eux et le sentiment que quelque-chose de menaçant se tramait sans qu'il n'y puisse rien faire. Mais tergiverser davantage ne mènerait de toute façon à rien de bon et ne contribuerait qu'à épuiser un peu plus les forces qui lui seraient nécessaire si la menace se faisait plus concrète, plus pressante. Il garda ses armes à portée de main - comme il en avait l'habitude en pareille circonstance - et s'emmitoufla tout habillé sous sa couverture.

Mylène dormait paisiblement, fatiguée par les deux longues journées de marche et par le manque de sommeil de la nuit précédente. Malgré son inquiétude, il ne tarda guère à plonger dans le sommeil à son tour.

Mais celui-ci ne fut pas aussi paisible que celui de sa jeune apprentie. Tourmenté, sans doute, par son vague pressentiment, il fut des rêves étranges. Il n'était plus homme mais loup, et il courait dans l'obscurité à la poursuite d'une proie imaginaire. Il ressentait par anticipation le goût du sang dans sa bouche et cette sensation excitait ses sens, décuplant son énergie. Il ne voyait pas sa proie, mais savait qu'elle serait tendre et fondante. Puis il l'aperçut : un humain... qui se retourna soudain, arc en main, et tira trop vite, sans viser. Il n'eut que le temps de plonger pour éviter la flèche et fuir à son tour, poursuivi, il ne savait trop par quoi ou par qui. Il avait à nouveau deux jambes et fuyait de toutes ses forces un danger imminent dont il ignorait la nature. Il savait juste qu'il était poursuivi et que sa vie en dépendait. Il tomba dans un trou et se retrouva dans le repère des malarites, reconnaissant la voix de leur chef qui lui promettait une chasse sanglante, et à nouveau, il courut... bondissant de bouquet d'arbres en bouquet d'arbres... et se retrouva projeté au milieu de la meute de loup. En sécurité, disaient leurs regards. Il était à l'abri. Il sentit la truffe humide de Première Neige contre sa main, amicale, puis insistante. Il fallait qu'il vienne avec elle.

Et ce n'était plus un rêve : la louve était près de lui et s'efforçait de le réveiller. Il sentit son inquiétude. Un danger rôdait au-dehors. Elle devinait la proximité d'un prédateur.

Il ne fallait pas être grand savant pour analyser l’origine de ces étranges songes : sa douloureuse et récente expérience avec les Malarites associée à ses craintes de la journée avaient pu suffire à les modeler sans même aller chercher le risque d’un danger imminent.

Mais, quand Première Neige le secoua, il sut immédiatement que l’alerte n’était pas à prendre à la légère et qu’il était peu probable qu’il ne s’agisse que d’un faible groupe de morts errants. Ses armes en main, il cligna des yeux et se leva presque à la force de l’instinct et entreprit de suivre sa louve : son objectif était de tenter de repérer la menace sans toutefois s’éloigner de la caverne : il ne s’agissait pas de laisser Mylène seule et sans défense.

Ses trop faibles sens humains ne voyaient pas grand-chose et n'entendaient rien. Mais par son lien avec Première Neige, il sut qu'il y avait une odeur, ténue, lointaine, amenée par un léger souffle d'air. Une odeur qui évoquait celle d'un loup, peut-être, en un peu différente. Et qui évoquait à Première Neige quelque chose de dangereux, de menaçant.
A en juger par la provenance du souffle d'air, cette odeur venait l'est. Mais il était difficile d'en savoir plus. Il n'y avait aucun son audible, rien de visible depuis là où il se trouvait. Il était trop loin.

Cette situation d’alerte n’avait rien de particulièrement enviable mais elle convenait au jeune clerc pour le moment : il n’avait aucune envie de rechercher l’affrontement dans sa situation – notamment avec une jeune femme totalement inexpérimentée et donc vulnérable – et chercher à l’anticiper en partant en reconnaissance serait courir des risques dont il estimait pouvoir se passer dans l’immédiat : si la nuit passait sans attaque, il s’estimerait parfaitement satisfait et il poursuivrait ses recherches dans l’autre lieu plus prometteur dès le lendemain.

Première Neige demeurait en alerte, et semblait partagée entre l'envie d'aller voir de plus près la source de l'alerte, et la prudence. Mais elle se rallia à la décision de Kasumi et resta sagement à ses côtés, oreilles dressées, concentrée.
Il sut, par son intermédiaire, que l'odeur semblait devenir un peu plus forte, toujours vers l'est. Il aperçut un envol de deux oiseaux nocturnes dans cette direction, peut-être causé par la présence d'un danger. Depuis leur grotte légèrement surélevée, il voyait assez bien, du moins la où les collines alentours ne lui cachaient pas la vue. Mais il pouvait aussi être vu, peut-être, si quelqu'un levait les yeux vers la paroi rocheuse où se trouvait la grotte. Il était cependant facile de s'y dissimuler : de nombreux buissons s'agrippaient au rocher, et il pouvait aussi, tout simplement, rentrer à l'intérieur de la grotte...
Un autre envol d'oiseaux attira son attention. C'était loin d'ici, quelque part au sud-est, trop loin pour voir nettement et entendre quoi que ce soit. Première Neige, les yeux fixés dans cette direction, crut percevoir un mouvement. Qui, a priori, ne semblait pas se diriger directement vers eux, mais s'en rapprochait tout de même.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde