La Couronne de Cuivre

Albérich lui tendit les rênes de la jument d'un geste sec, puis se leva en s'époussetant les genoux.
" Quand je dis que je ne sais pas monter à cheval, ça veut dire que je ne sais pas monter à cheval." grommela-t-il en se dirigeant vers l'étalon d'Aubin.
Il attrapa le pommeau de la selle de l'animal et se hissa sur son dos.
" Maintenant c'est trop tard, même si ta jument est la gentillesse incarnée, nous sommes brouillés."

-C'est pas la mienne... avança le clerc, toujours embarrassé.
Il se hissa sur Mutine, lui flatta l'encolure.
-J'imagine que la justice voudrait que je morde la poussière une demi douzaine de fois aujourd'hui... Nul doute que cela adviendra...
Ils repartirent sans plus tarder, quoi qu'à un rythme plus modéré.
Il ne fallut que quelques minutes à Albérich pour constater qu'Esbroufe était aussi docile que l'avait dit son ami. Pas aussi prévenant que Douce, tout de même, mais c'était une monture qui lui convenait plutôt bien.
Une demi heure plus tard, ils regagnaient la route, à bonne distance de Combeloup. Là, ils reprirent de la vitesse, progressivement, atteignant un rythme de croisière élevé mais acceptable, tandis que la campagne, radieuse en son luxuriant printemps, défilait sous leurs yeux.

Le reste de la journée se déroula sans nouveaux incidents. Comme il l'avait prévu, Albérich se sentait ankylosé de partout, mais l'étalon d'Aubin était une bête aux allures confortables et il finit par trouver son rythme. Le Luménien réalisa cependant que chevaucher avec Aubin derrière lui le mettait mal à l'aise, bien que le barde soit inconscient, et il finit par opter pour l'arrière-garde de leur petit groupe. Ils ne croisèrent pratiquement personne et lorsque le crépuscule commença à griser le paysage, ils s'en remirent à Clovis pour leur trouver un endroit de bivouac approprié.

Celui-ci, scrutant les environs avec attention, demeura longtemps sans donner le signal de la halte. Lorsqu'il le fit enfin, le crépuscule jetait ses derniers feux, ses pourpres flamboyants se muant peu à peu en violets de plus en plus sombres dans un ciel de cobalt où, déjà, brillaient les premières étoiles.
Ils quittèrent la route pour s'engager dans un pré parsemé de fleurs, puis franchirent la petite butte qui marquait sa limite, au nord. A l'abri de cette modeste éminence, les herbages continuaient, parsemés ici où l'à d'arbres solitaires ou en petits bosquets. Un ruisseau, à quelque distance, faisait entendre son doux murmure.
-De l'herbe tendre pour nous allonger, de l'eau claire pour nous abreuver et du bois sec pour nous réchauffer : ne t'avais-je pas dit que Clovis était maître en l'art de repérer les lieux d'un bivouac adéquat ? lança joyeusement Thibault en mettant pied à terre.

Bien qu'Albérich ne soit pas rancunier, il ruminait encore sa mésaventure équestre, et il se contenta d'opiner du chef avec un vague sourire en mettant pied à terre. Une petite voix revancharde lui suggéra de faire un commentaire grinçant sur la giboulée qui ne manquerait pas de les tremper en pareil endroit, mais il n'eut aucun mal à la faire taire et il se contenta de desseller Esbroufe, puis de l'entraver, avant de rejoindre Clovis pour recevoir ses instructions de bivouac auprès du professionnel. Il n'était pas adepte des nuits à la belle étoile, mais la saison était moins meurtrière que l'hiver précédent, quand des mirages inspirés par le froid avaient failli l'entraîner de l'autre côté du voile. Il était tout prêt à faire confiance au cousin de Thibault.

Il n'y avait cependant guère de tâches à effectuer pour établir leur campement : compte tenu de la tiédeur ambiante, du ciel qui se dégageait rapidement de ses quelques nuages - donnant ainsi tort à la petite voix insidieuse entendue par Albérich -, il semblait peu probable qu'ils dressent des tentes. Ils se contenteraient, plutôt, de s'enrouler dans leurs couvertures autour d'un bon feu.
Lequel était d'ailleurs la seule chose à préparer, en dehors du repas : Clovis, qui aurait très bien pu s'en charger lui-même mais ne voulait sans doute pas rebuter son compagnon de route, chargea donc l'ancien clerc de rassembler du bois mort. Opération aisée et rapidement expédiable que ne compliquerait que l'obscurité grandissante.
De son côté, Thibault faisait l'inventaire de leur provisions, réfléchissant déjà au repas qu'il leur mitonnerait.

Le Luménien musarda dans la campagne assombrie, ramassant les branchages qu'il trouvait. Malgré le tempérament humide de la saison, le soleil flamboyant des beaux jours avait séché suffisamment de bois pour tenir toute une nuit. Il se serait volontiers attardé, car le crépuscule était agréable et la marche bienvenue après les heures de selle, mais on l'attendait pour allumer la petit flambée, aussi se hâta-t-il. Il n'avait pas particulièrement envie de se retrouver non loin d'Aubin, même si le barde était probablement encore dans les limbes de son inconscience, mais il faudrait tenir le coup jusqu'à Erhedun, quelques jours de route seulement, et il tenta de se retrouver un semblant de sérénité. Il se savait éprouvé et la nuit promettait d'être difficile...
Ne pars pas vaincu d'avance, se sermonna-t-il en regagnant la proximité de ses compagnons.

Quelque chose avait changé dans leur bivouac, et Albérich ne parvint à mettre le doigt dessus qu'une fois le bois donné à Clovis.
Aubin était invisible.
Cependant, à voir l'attitude détendue des deux cousins, il paraissait peu probable que le barde se fût réveillé, libéré de ses entraves et proprement envolé. Conscients de son malaise - et le partageant probablement, dans le cas de Thibault -, ils avaient dû l'installer en un lieu où sa vue n'incommoderaient pas l'ancien aubemestre.
Il fallut peu de temps avant que les flammes ne s'élèvent, faisant battre les ombres en retraite ; peu de temps, aussi, avant que le Sunite n'ait posé sur le feu une casserole et distribué les écuelles.

L'ancien Lathandrite s'installa aux côtés des cousins mais plus la fatigue prenait ses quartiers dans sa carcasse, et plus des pensées diverses, entremêlées, venaient tambouriner aux portes de sa conscience. Il y avait le Sharite bien sûr, les événements de la matinée, ce qui s'était échangé, avec Noir Dessein, Bastien, César, mais aussi l'étrange confession de Thibault, le nouvel éclairage, imprévu, incertain, sur une époque depuis longtemps révolue. Il avait envie d'être à Erhedun, débarrassé du fardeau qu'ils transportaient. Il avait aussi envie de dormir. Mais d'abord il ferait honneur à la pitance préparée par Thibault. Il ne se souvenait pas de si le Sunite avait la moindre compétence de cuisinier. Il était par contre prêt à parier que celui-ci n'avait plus dû se préparer quoi que ce soit depuis des années, si l'on omettait le repas du midi, auquel les bocaux d'Ada avaient largement contribué.

Il y avait de l'intention, dans le repas bientôt servi par Thibault. De bonnes intentions, même. Sans parler d'une inspiration assez juste pour ce qui était de marier les - relativement rares - ingrédients dont ils disposaient. Néanmoins, on sentait également, comme l'avait supposé Albérich, un certain manque d'habitude : une cuisson un peu trop longue, un mélange un peu trop épais... C'était toutefois très acceptable.
-Désolé, ce n'est pas exactement la cuisine d'un grand chef, commença le Sunite, comme s'il lisait dans leurs pensées. Mais si je m'étais vraiment appliqué, la succulence du plat aurait par trop tranché avec... heu... le côté rôdeur, nomade, rustique de notre présente situation.

Albérich leva les yeux au ciel mais se garda bien de faire le moindre commentaire désobligeant : au sortir du temple, il n'était pas plus doué que le Sunite. Evidemment, les semaines passées à Combeloup, livré à lui-même, dans sa demeure, sa cuisine, avec son garde-manger, l'avaient forcé à se découvrir une fibre plus aventureuse en matière culinaire. Il ne serait jamais un cordon bleu, mais il pensait pouvoir rivaliser avec Thibault.
" Si tu veux, je me chargerai du repas demain soir. Ça t'évitera d'avoir à brider ton excellence, et je pense que je gérerai sans souci l'aspect cuisine du terroir."

Thibault fit la grimace.
-Heu... Ecoute, Alby, je ne doute pas de tes capacités culinaires, ni du vernis campagnard dont t'a paré ton séjour dans ce village. Mais, à franchement parler, je tiens à ce que manger reste un plaisir. Et je tiens à la vie, aussi... Alors tant pis pour mon talent bridé...
Clovis secoua la tête et se tourna vers Albérich.
-Voulez-vous que je vous raconte ce qui s'est produit, la première fois qu'il a essayé de cuisiner tout seul ?
-Clovis...
-Et la dernière fois qu'il a cuisiné tout seul ?
-C'était un accident !

Albérich sourit, jeta un regard en coin à Thibault, puis reposa les yeux sur Clovis.
" Une petite histoire digestive, voilà qui me semble une idée optimale pour terminer la soirée. Je suis moulu, mais je postposerai mon roupillon avec plaisir, si ça me permet de récolter un moyen supplémentaire de faire chanter ce cher Thibault."
Il s'installa plus confortablement et repoussa son assiette.
" Je sens que je vais être soulagé d'avoir déjà terminé. J'ose espérer que cela signifie qu'il n'a pas cuisiné seul ce soir..."

-Non, il n'a pas cuisiné seul. Enfin si, mais je l'ai constamment gardé à l'œil.
-Pfff, tu t'occupais de l'autre zouave !
-En te surveillant.
-Ne l'aurais-tu pas fait que ça n'aurait rien changé : le repas aurait été comme il l'a été !
-Peut-être. Ou peut-être pas. Quoi qu'il en soit, je préférais nous épargner un nouvel accident.
-Accident, accident... Tout de suite les grands mots ! Personnellement, je trouve qu'"incident" serait déjà par trop exagéré...
Clovis secoua la tête.
-Laissons Albérich juger, d'accord ?
Puis, se tournant vers l'intéressé :
-Le premier événement a eu lieu...
-Tu ne vas pas oser, l'interrompit Thibault.
-Et pourquoi non ?
-Tu es de ma famille.
-Justement. Il faut que je m'en montre digne.
-Traître !
-Je le serai si je ne donnais à tes exploits la publicité qu'ils méritent.
Sans davantage faire attention au Sunite outré, il refit face à l'ancien aubemestre.
-Le premier événement, donc, a eu lieu deux ou trois ans après que Thibault ait rejoint le temple. Il venait encore nous voir, de temps en temps, mais refusait catégoriquement de participer à la chasse aux grenouilles. Un serviteur de Sunie couvert de vase et de boue, son aube crottée jusqu'au col, portant un panier plein de batraciens... Il ne pouvait s'y résoudre. Ce n'était plus assez bien pour lui, alors qu'autrefois, il adorait ça. Enfin bref : il dédaignait notre chasse familiale. Ce qui, vous pouvez l'imaginer, lui attira bien des moqueries. Après un certain temps, n'y tenant plus, et sans pour autant se joindre à notre expédition, il voulut montrer que sa vie de luxe et d'oisiveté ne l'avait pas rendu incapable d'assumer les exigences simples du quotidien. Il proposa donc de cuisiner le produit de notre chasse, adaptant une recette apprise, prétendait-il, auprès du chef employé au temple. Il réquisitionna ainsi une bonne part des réserves de notre alcool maison, et entreprit la préparation de "Grenouilles flambées". Avait-il trop bu de la boisson que nous lui avions remise ? Sa carrière nouvelle avait-elle changé l'adroit garnement en novice d'une incurable maladresse ? Je ne saurais le dire. En tout cas, si les grenouilles flambèrent bel et bien, elles ne furent pas les seules. Il avait mis de l'alcool de partout, si bien que les autres mets s'embrasèrent aussi, que la réserve de bois se consuma joyeusement, et jusqu'à sa si précieuse aube ! Si une âme visionnaire n'avait prévu, juste au cas où, un baquet rempli d'eau, Thibault le flamboyant Sunite serait devenu torche humaine, puis petit tas de cendres...
-Je n'avais pas beaucoup bu et je n'étais certainement pas maladroit ! protesta le clerc. Mais les cousines m'ont distrait...
-Il en a toujours fallu très peu pour te distraire. Mais bon, cette fois-là, ce n'est que ta santé que tu as mise en danger. Nous, on a juste été privés de repas. Lors du dernier événement, en revanche...
-Oh, pitié, Clovis...

Albérich n'aurait jamais imaginé que derrière la façade rustique et pragmatique de Clovis se cachait un homme aussi disert, mais il ne s'en plaignit pas : l'anecdote était truculente et il rit de bon coeur, imaginant l'adolescent de quatorze ans crâneur qu'avait été Thibault caracolant, l'aube en flammes, jusqu'à son baquet. Mais si le Sunite espérait sincèrement qu'il n'en demanderait pas davantage, il se fourrait le doigt dans l'oeil.
" Allons. Rien de tel que ce genre d'épisodes pour égayer une nuit sombre. Puis tu sais bien que plus rien ne peut me surprendre en ce qui te concerne. Je vote pour la seconde histoire !"

-Ce n'est pas très charitable de te venger ainsi de mon innocente plaisanterie de tout à l'heure ! s'exclama Thibault.
Il se tourna ensuite vers son cousin, le foudroya du regard.
-Et toi, ce n'est pas charitable du tout de lui donner ainsi en pâture de modestes anecdotes que tu montes en épingle, de surcroît !
-Je ne monte rien en épingle : c'est la vérité toute nue, répondit Clovis, tranquille. Et je trouve cela très charitable, au contraire. D'aucuns parleraient même de justice.
Il sourit à Albérich, tandis que le Sunite se renfrognait. Il avait l'air franchement boudeur, mais il était difficile de savoir s'il durcissait volontairement le trait ou si sa réaction embarrassée était totalement sincère.
-Or donc vint le Dernier Événement, reprit l'inébranlable natif de Dansedunes. Il remonte à deux étés seulement. Depuis l'aventure que je vous ai précédemment décrite, on interdisait à Thibault de participer à la moindre activité liée à la cuisine, accompagnant, comme il se doit, cette interdiction de railleries nombreuses mais bon enfant. Thibault, désireux de faire oublier la chose et de s'épargner nos moqueries, revenait sans cesse à la charge, nous promettant un repas à nul autre pareil. Nous tînmes bon, pourtant. Du moins, jusqu'à cette dramatique journée où ses arguments vainquirent nos réticences. Il resta derrière les fourneaux des heures durant et, le soir venu, nous servit un mets comme, pour sûr, nous n'en avions jamais mangé. En premier lieu, il faut le reconnaître, il était succulent. En second lieu, il possédait des saveurs inconnues de la plupart d'entre nous, vaguement familières à certains sans qu'ils puissent pour autant l'identifier. Nous félicitâmes donc notre dignes cousin, nous le pressâmes de questions pour qu'il dévoile son secret. Il se fit prier, prier, prier, mais, enfin, il avoua qu'à une recette patiemment apprise s'était jointe l'inspiration du moment : il avait mis la main, dans les réserves d'Aidan, sur une plante aromatique qui lui avait semblé se marier admirablement avec le reste des ingrédients. Il n'avait fait ni une ni deux, et nous avions pu constater la justesse de son intuition. Aidan, intrigué, émerveillé, désireux de pouvoir à son tour accomplir l'exploit, s'enquit de la plante en question. Thibault fit évidemment attendre sa réponse, finit par la donner, grand seigneur.. C'est à ce moment-là, à cet instant précis où Aidan blêmissait, que commencèrent pour nous tous les crampes d'estomac. Thibault avait confondu la réserve d'aromates et d'épices avec celle des plantes médicinales, et parfait son chef d'œuvre culinaire à l'aide d'une plante aux agréables fragrances mais, surtout, aux vertus... purgatives, dirons-nous. Nous eûmes tôt fait de constater son efficacité en la matière et la nuit qui s'ensuivit fut un véritable enfer.

Rire aux dépends du Sunite semblait être le passe-temps favori de ses proches, et Albérich se sentit un peu désolé pour Thibault, même si sa mésaventure était plutôt hilarante. En même temps, il savait que son pétulant camarade n'avait jamais été le dernier au rayon des moqueurs, c'était donc de bonne guerre. Sans doute un sport familial. Le Luménien jeta un regard critique à son assiette, plus par jeu que par réelle inquiétude, puis sourit.
" Cuisiner est un art et lorsqu'on monte en grade dans une organisation telle qu'un temple, on s'éloigne immanquablement de ce genre de tâches, pris par les paperasses, les hymnes et les cérémonies... Et puis le jour où on se retrouve en rase campagne au coin du feu, on se maudit d'avoir délaissé les choses simples au profit d'une liturgie qui ne nourrit pas son clerc..."

Thibault parut sur le point de se fendre d'une remarque - sans doute caustique - mais il se ravisa au dernier moment, et ce fut Clovis qui répondit :
-Bah, il est heureux que les grands de ce monde ne soient pas experts dans l'art de la cuisine, de la chasse ou du bivouac, sans quoi les petites gens auraient du mal à trouver du travail ! Pour ma part, si Thibault avait su s'acquitter de ce genre de tâches, je me serai vu priver de cette agréable virée...
Il sourit à son cousin qui lui tira franchement la langue.
-Va te faire voir. Je ne t'amènerai plus jamais nulle part !
-Allez, fais pas ton rancunier ! Et dis-toi que ç'aurait pu être pire : j'aurais pu raconter à Albérich la fois où tu t'es coincé le...
-CLOVIS !
L'autre éclata de rire.
-Oups, j'avais oublié qu'il me restait de l'ouvrage... lança-t-il d'un ton léger.
L'instant suivant, il se levait et s'éloignait, sans doute pour s'occuper d'Aubin.

Albérich demeura silencieux plusieurs secondes, un sourire embarrassé sur les traits, puis se leva pour chercher la bouilloire qu'il avait entraperçue plus tôt.
" Ne fais pas cette tête. Si tu veux, je te raconterai certaines anecdotes me concernant qui rétabliront l'équilibre..." dit-il avant de s'éclipser vers le ruisseau pour y puiser l'eau nécessaire à leur préparer une petite infusion de fin de soirée.
Le ciel était piqueté de millions d'étoiles et il soupira doucement en contemplant sa calme immensité. Il se sentait plus détendu. La campagne était paisible, on entendait chanter les grenouilles et les grillons, une brise délicate frôlait les herbes hautes sans s'attarder. Il ne pouvait rien leur arriver. Il vida à nouveau ses poumons. Le calme après la tempête. Le contraste était trop fort pour son corps qu'il sentait encore secoué. Thibault paraissait stoïque. Clovis l'était. Pourquoi ne pouvait-il pas simplement tourner la page, lui aussi ? Bastien était vivant, César était solide. Et ils avaient vaincu... Mais rien que de penser à ce qui aurait pu... ce qui avait failli... ce qui avait été à deux doigts de se produire... Il en avait l'estomac retourné et un haut le coeur l'ébranla. Secouant la tête, il revint près du feu avec son eau.

Thibault affichait toujours son air boudeur, ce qui ne l'empêcha pas de dévisager Albérich lorsque celui-ci entra dans le cercle de lumière projetée par le feu.
-Voilà que tu as déjà perdu ta bonne mine... commenta-t-il. Faudra-t-il que Clovis raconte de nouvelles horreurs pour te la rendre ?
Il grimaça.
-Quoi que je ne suis pas sûr que ce soit encore de mise. Par certains côtés, il me fait horriblement penser à un servant de Tyr : la justice, l'équilibre... Il a voulu les rétablir en compensant le coup du cheval par ces... anecdotes. Peut-être s'estime-t-il satisfait, désormais, et demeurera-t-il coi...

Le Luménien trouva les herbes aromatiques et effectua son tri avec concentration, désireux de ne pas empoisonner ses compagnons. Il revint s'asseoir près de Thibault et mit la bouilloire à chauffer.
" Quand je suis arrivé à Combeloup... Le lendemain de mon arrivée, en fait... J'ai invité le négociant du village, Umberto, à prendre le thé chez moi. Il y avait des mélanges divers dans la cuisine, laissés par Ada, la guérisseuse... Je n'ai pas fait très attention, j'ai pris un bocal au hasard. Nous avons conversé tranquillement."
Il sourit.
" Quand il est parti, j'ai fait un malaise. J'ai eu une hallucination particulièrement désagréable, j'ai failli m'évanouir dans ma propre cheminée... Je me suis pissé dessus. Le thé contenait de la belladone. Je ne m'en étais pas rendu compte. Le négociant n'en avait presque pas bu, mais il y était hautement allergique. Il a aussi fait un malaise et s'est cassé une jambe. Mon deuxième jour à Combeloup... J'avais déjà presque tué quelqu'un."
Il soupira et esquissa un sourire.
" Marqué par Shar et empoisonneur à mes heures... J'ai eu de la chance qu'on se fie à mon épouvante."
Il croisa le regard de Thibault.
" D'accord, ce n'était pas l'anecdote la plus comique du monde."

Le Sunite sourit.
-Oh, je la trouve comique, au contraire. Mais seulement parce que je sais ce que tu as volontairement tu. Et je te promets une chose, Albérich : lorsque nous en auront fini avec Aubin, je t'apprendrai quelles plantes utiliser pour rendre docile et consentant l'objet de tes désirs sans lui faire courir le moindre risque. Et ce ne sera certainement pas de la belladone...
Il secoua la tête.
-Vouloir ainsi abuser d'un pauvre commerçant de village le lendemain de votre rencontre... Tu ne cesseras jamais de m'étonner, Alby.

Le Luménien leva les yeux au ciel.
" Tu racontes vraiment n'importe quoi." fit-il en leur servant à chacun un bol. " Mais je me souviendrai que si jamais, un jour, j'ai des visées sur quelqu'un, je te demanderai un coup de main pour droguer l'objet de mes désirs et le forcer à m'apprécier. Exactement l'idée que je me fais de la relation idéale, je suis surpris de ta finesse quand il s'agit de me percer à jour."

Thibault grimaça.
-Hey, te méprends pas ! Je ne parlais pas de vraie relation. Je ne voulais pas non plus dire que tu aies besoin de cela pour en nouer une ! Loin de moi cette idée ! Simplement, parfois, disposer d'une boisson rendant consentant un ou une partenaire qui ne le serait pas autrement - parce que marié, ou je ne sais quoi -, tout en lui ôtant, après coup, tout souvenir de l'événement... Cela peut se révéler pratique !

Albérich le dévisagea, abasourdi, réalisant que Thibault ne plaisantait pas.
" Honnêtement, je ne veux rien savoir. Je pense que j'estimerais... que s'il est nécessaire de... Non, je ne veux rien savoir."
Il frissonna, scruta à nouveau le visage de son ami, guettant le signe qu'il se moquait de lui.

Celui-ci lui répondit pourtant avec un sérieux et un aplomb inchangé.
-Allez, arrête de jouer les pudibonds. En quoi serait-ce mal agir ? Ces partenaires ne se souviennent pas des ébats, tout en les ayant accepté bien volontiers : ils ne peuvent donc en souffrir. Et, franchement, ce petit mélange permet de réaliser des exploits autrement inaccessibles ! Crois-tu que j'aurais pu accrocher le grand prêtre de Helm, celui de Tyr ou même ce vieux Molwen à mon tableau de chasse, sans cela ? Crois-tu qu'ils se seraient abaissés à se compromettre avec un Sunite ? Ou avec un homme, tout simplement ?

Albérich contempla Thibault sans rien trouver à lui rétorquer. Se pouvait-il qu'il soit réellement sérieux ? Qu'il pense ce qu'il était en train de raconter ?
" Excuse-moi, mais droguer quelqu'un pour le rendre consentant, j'appelle ça contraindre." répondit le Luménien d'une voix blanche. " Et je ne vois pas l'intérêt d'avoir un tableau de chasse de ce genre. Evidemment, on vous enseigne les valeurs qu'on estime appropriées, je suppose... Je sais que vous vous targuez de recueillir les pauvres petits coeurs solitaires pour les couvrir d'amour. Quelle condescendance. Mais sans doute est-ce l'apanage de nos religions... Croire que l'on sait ce qui est bon pour autrui, de préférence en se souciant peu de ce qu'il en pense."

Le Sunite fronça les sourcils, une seconde.
-Alby, Alby, Alby... Tu ne marches pas, tu cours. Comment, par tous les dieux du panthéon, peux-tu croire un seul instant que je veuille coucher avec cette vieille bique de Molwen ? Et comment peux-tu imaginer que je sois égoïste et égocentrique au point de... de...
Il soupira, l'air désespéré par son compagnon.
-Au point de les priver du souvenir impérissable d'une sublime nuit en mon irremplaçable compagnie ! conclut-il. Je ne pourrais jamais les priver d'une telle chose ! Ce serait criminel ! Et puis d'abord, je n'ai besoin d'aucune drogue pour que les gens veuillent de moi ! Enfin, en général...

Albérich soupira et se massa un instant les sourcils, atterré de s'être fait avoir par les discours du Sunite. C'était un comédien, il fallait qu'il s'en souvienne à tout moment. C'était un juste retour des choses : il avait ri à ses dépends plus tôt dans la soirée. Il ne releva pas la dernière allusion que fit Thibault : la conversation qu'ils avaient eue près du Cottage avait été suffisamment étrange pour qu'il n'ait aucun envie de la relancer une seconde fois sur la même journée.
" Quand on a fait de l'amour son activité principale et qu'on écume les rues de la même cité depuis plus de vingt ans... Molwen ne m'aurait pas semblé complètement farfelu. On dit parfois que ceux qui en montrent le moins sont les plus surprenants. En tout cas, entre Molwen et le Tyrite, j'aurais pensé que tu opterais pour les délices de l'aube."

-Je me suis interdit de regarder le moindre Lathandrite depuis... commença-t-il spontanément, avant de s'interrompre d'un seul coup.
Il demeura silencieux une brève seconde, puis s'empressa de reprendre :
-Enfin, je veux dire... Molwen... Molwen, quoi ! Il a autant à voir avec l'aube qu'une pierre tombale !
Il soupira, adressa à son ami un sourire désolé.
-Excuse-moi, Albérich. Je ne voulais pas te mener en bateau ou me moquer de toi. Simplement... Aujourd'hui, ce que j'ai vu et vécu m'a pas mal secoué, mine de rien. Et comme toujours quand je suis secoué, je fais et raconte n'importe quoi. En oubliant, bêtement, que tout le monde n'a pas la même façon que moi de décompresser. Alors... Désolé, vraiment. Je suis un irrémédiable crétin.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup