La Couronne de Cuivre

Elle secoua la tête.
-Non, m'sire. Par contre, j'ai cru entendre des cris.
Elle grimaça.
-Des cris de joie, je veux dire. Je crois que certains sont très très contents des livres qu'ils ont trouvés.

" Dans ce cas, allons voir."
Des cris de joie... Il fallait que la découverte soit formidable... ou que l'on soit prompt à l'enthousiasme. Vu les personnes qui l'accompagnaient, difficile de savoir ce qu'il en était...

Ils gagnèrent donc la salle principale puis l'étage et n'eurent aucun mal à localiser le reste du groupe : il leur suffit de se guider au son d'une conversation animée. Ils retrouvèrent ainsi des Sunites et un ensorceleur qui, perplexes, écoutaient des mages totalement extatiques. Il ne fallut que quelques instants à Albérich pour comprendre que l'un de ces derniers était parvenu à ouvrir un coffre situé dans la salle où ils étaient réunis et qu'à l'intérieur, ils avaient découvert des traités de magie d'une grande rareté, dont un au moins était réputé avoir disparu de la surface de Toril depuis des siècles.

Albérich était heureux pour eux : quoi de plus excitant que ce genre de découvertes, quand on était un amoureux des arcanes ? Il leur faisait confiance pour veiller à ce que les ouvrages ne s'abiment pas. Faudrait-il les protéger magiquement ou les copier sans les emporter, la décision serait sans doute compliquée, mais ils avaient tous à coeur de ne pas perdre ce patrimoine, et les mages étaient certainement les mieux placés pour juger de la préservation des livres. Le clerc n'avait en tout cas l'intention de les enjoindre à passer à autre chose : il était crucial que son équipe demeure enthousiaste.

De toute façon, il apparut très vite qu'ils ne pourraient pas travailler beaucoup plus ce jour là.
En effet, la lumière filtrant par le dôme et par les fenêtres était en train de décroître rapidement, signe que la nuit approchait : ils n'avaient pas vu les heures passer. Et, bientôt, Gaspard fit son apparition.
-Nous sommes prêts à regagner la forteresse, dit-il à Albérich. Néanmoins, si vous avez encore besoin de temps, cela peut s'organiser : plusiseurs de mes homme sont prêts à demeurer en faction ici, et il suffirait que vous envoyiez l'un d'entre eux nous prévenir pour que nous revenions vous chercher au moment opportun.

" Non, rentrons, dit Albérich. Nous avons bien travaillé et nous reviendrons demain à la première heure. Je crois que tout le monde a besoin d'une pause, et moi je dois voir les autres membres du conseil. Laissez-moi juste le temps de rassembler le groupe et nous vous suivons."
Il retourna vers l'intérieur de la bibliothèque pour donner le signal du retour.

Il y eut quelques "Déjà ?", quelques "On ne peut vraiment pas rester encore un peu ?" mais cela n'empêcha pas l'escouade de se montrer disciplinée et de se préparer pour rentrer. Quelques minutes plus tard débutait le long trajet de retour dans les souterrains. Si le groupe de la bibliothèque s'avéra bavard, celui de Gaspard ne le fut pas moins : apparemment, c'était une manière de musée ou de vaste cabinet de curiosités qu'il avait visité puis sécurisé ce jour-là.
Enfin, l'on atteignit la forteresse, et chacun commença à se disperser.

Après avoir félicité Ruth pour sa superbe contribution à cette première journée d'exploration, Albérich se mit en quête d'Etienne. Il espérait que Barthélémy avait retenté de contacter Frida et Louis, avec succès cette fois, et le jeune chevalier serait certainement la personne la mieux placée pour l'informer des derniers développements. Tout en grimpant les escaliers, il se surprit à prier Lathandre. La perte de la colonne serait un coup très dur pour la communauté... peut-être fatal : la route soi-disant praticable s'était révélée mortelle, qui donc oserait venir les ravitailler ou les rejoindre dans le futur ?

On lui dit que le sieur de Fontbrune était allé s'exercer et, comme il faisait désormais trop sombre au dehors pour continuer à le faire dans la cour, c'est dans la salle d'entraînement qu'il falut le chercher.
Étienne rompit son engagement sitôt qu'il remarqua qu'Albérich souhaitait lui parler. Pour discuter plus tranquillement, tous deux se replièrent dans une petite salle déserte.
-Barthélemy étant prévoyant, il avait préparé plus de sortilèges de communication que normalement nécessaire, commença le chevalier. Malheureusement, ils ont abouti au même résultat ou, plutôt, à la même absence de résultat que les précédents. Néanmoins, il m'a assuré qu'il fallait se garder de tirer de trop dramatiques conclusions. De surcroit, il paraît assez peu probable qu'une catastrophe soit survenue si près de Grand-estuaire.
Des propos rassurants, donc. Sauf que son interlocuteur était mort d'inquiétude : malgré les efforts qu'il déployait pour le cacher, cela parut d'emblée évident au Luménien.

Albérich opina du chef et posa une main amicale sur le bras d'Etienne.
" Est-ce que Barthélémy a essayé de contacter d'autres membres de l'escorte ? L'écuyer de Louis, peut-être ? demanda doucement le Luménien. Les mages pensent, de leur côté, que c'est peut-être notre magie qui est bloquée, en réalité..."
Il serait aisé de le tester en tentant de créer une communication avec une cité plus lointaine, comme Luménis ou Solarcis.

-Non, il n'avait plus les moyens de contacter qui que ce soit d'autre après sa deuxième vague d'essais. Mais si nous prenons des dispositions comme le jour où nous leur avons transmis la liste des fournitures dont nous avions besoin, il sera possible de multiplier les tentatives autant que les cibles. Pour le reste, Barthélemy pense que la colonne peut se trouver dans une zone où la magie est instable ou dysfonctionnelle. Il estime par exemple que la proximité de tumulus ou de cercles de pierres levées, pour peu qu'ils soient investis d'un antique pouvoir, serait susceptible d'expliquer logiquement l'absence de réponse.

" C'est possible aussi, il a raison."
Il pinça les lèvres.
" Il me reste un sort de communication, je peux retenter un contact... Je crains de ne pas visualiser l'écuyer de Louis suffisamment clairement, cependant, mais je peux essayer de toucher Louis lui-même."

Il opina vivement du chef.
-Cela ne coute rien d'essayer.
Albérich lança donc son incantation et tenta d'entrer en contact avec Louis. Ce fut un échec cuisant : non seulement il n'obtint pas la moindre réponse mais, de surcroit, il n'eut aucun moyen de savoir si le chevalier avait ou non pris conscience de sa tentative.
-Alors ?
L'espoir perçait dans le ton d’Étienne. Néanmoins, sa mine était résignée.

Albérich pinça les lèvres et secoua la tête.
" Désolé. Rien du tout." murmura-t-il.
Hubert choisit cette seconde pour surgir, de retour sans doute de son expédition des remparts.
" J'ai appris. Est-ce que tu veux que j'y aille ? Avec Grand Vent, je peux franchir la distance beaucoup plus rapidement qu'avec n'importe quel cheval. Les Sunites pourraient venir avec moi, et on prendrait les Paludiers en croupe. Ce serait l'affaire de quelques jours."

L'excursion du paladin avait été globalement similaire à celle de la veille : une brèche de moyenne importance détectée, quelques morts-vivants éliminés... A son retour à la forteresse, cependant, Edgar était venu le trouver pour lui dire que ce serait lui qui assumerait le commandement de la première équipe de garnison aux portes, laquelle équipe était déjà constituée et pouvait partir dès qu'il en donnerait l'ordre.
-C'est très gentil mais nous avons besoin de vous ici, répondit Étienne après quelques instants de réflexion. De surcroit, une telle mesure est sans doute prématurée... Mais si nous devions échouer à les contacter demain, et si Grand-Estuaire n'est pas prêt à envoyer une mission de secoure, nous devrons probablement nous y résoudre.

" C'est vrai que l'idéal serait de pouvoir avoir un contact à Grand Estuaire, dit Albérich. Ils sont nettement plus proches. Et nous pouvons les payer pour leurs efforts, cela devrait les motiver à bouger. Le seul souci est d'avoir ce contact... A part l'aubergiste qui nous a accueillis, je ne sais pas si je parviendrais à établir une communication avec qui que ce soit, en ce qui me concerne..."
Hubert soupira.
" Bon, je vais aller entraîner mes écuyers. Mais s'il faut partir à la recherche de la colonne, je suis volontaire."

Le chevalier l'observa un instant, soupira brièvement.
-Bon entraînement, Hubert, dit-il d'un ton amical.
Puis, à Albérich :
-Barthélemy et surtout Gabriel ont passé un peu de temps en ville : il est donc probable qu'ils soient en mesure de contacter quelqu'un pouvant servir d'intermédiaire entre nous et les autorités.

Hubert échangea un regard Albérich, puis acquiesça imperceptiblement et sortit.
" Bon. Nous avons des moyens d'agir, c'est le principal. L'hypothèse de Barthélémy, sur le pouvoir des tumulus, me semble raisonnable."
Il pinça les lèvres.
" Est-ce que... je peux faire quelque chose pour toi ?"
Inutile de lui dire qu'il avait une mine épouvantable : il devait s'en douter.

Il secoua la tête.
-Je crains que non : je ne pourrai être tranquille que quand nous aurons obtenu de bonnes nouvelles. D'ici là, je pense que l'escrime est un bon exutoire.
Il eut un pauvre sourire.
-Mais ne t'en fais pas : il n'y aura aucun blessé.

" S'il y a des blessés, je m'en chargerai, dit le Luménien avec une grimace. Mais je vais te laisser aller t'entraîner... Aie foi. Demain est un autre jour. Nous les retrouverons."
Les paroles étaient inutiles, bien sûr, mais pour l'heure, il fallait les saisir et s'en convaincre. Se changer les idées. S'accrocher aux explications alternatives. Tout bien considéré, une perturbation de l'énergie magique paraissait plus crédible que la disparition du groupe de Frida et Louis.

-Oui. Et au pire, nous possédons des mines de diamants.
Il grimaça.
-Je sais que je ne devrais pas dire ça à un clerc de Lathandre mais... Il faut bien se rassurer comme on peut. Et de toute façon, nous n'en aurons pas besoin.
Il s'arracha à à nouveau un sourire palot puis, sur un salut amical, il tourna les talons et reprit la direction de la salle d'entraînement.

Albérich resta silencieux, observant la silhouette du chevalier tandis qu'il s'éloignait. Il aurait voulu le soutenir davantage, et mieux, il était manifestement très secoué et le clerc ne pouvait s'empêcher de songer à la conversation qu'ils avaient eu seulement quelques jours plus tôt. Mais à part être vigilant et disponible, il ne pouvait pas faire grand chose : il fallait qu'ils obtiennent des informations de cette colonne lointaine et tant qu'ils n'en auraient pas, Etienne imaginerait le pire. Il soupira. Il ne s'était pas attendu à ce que le sort frappe cette expédition d'entre toutes. Marthe lui avait semblé beaucoup plus à risque...
Il devait y avoir une autre explication. Mais l'idée que la magie puisse être perturbée ne le rassurait pas vraiment non plus.
Il se leva et décida de gagner le grand hall. Peut-être pouvait-il donner un coup de main pour le repas...

Et il le put car, même si les bonnes volontés ne manquaient pas, du renfort n'était jamais malvenu.
L'heure du souper arriva et la salle commune, peu à peu, commença à se remplir. L'ambiance était légèrement moins joyeuse qu'à l'accoutumée : on lisait de la perplexité, voire de l'inquiétude sur certains visages. L'information avait donc circulé dans les rangs de la Communauté qui, pour autant, n'avait pas perdu tout son allant.
Tout s'étant bien déroulé jusqu'ici, sans doute tenait-on à être optimiste.

Après le repas avait lieu le conseil, et Albérich s'y dirigea avec une certaine gravité, devinant qu'ils ne pourraient faire l'économie d'une nouvelle discussion sur la disparition de la colonne. Contrairement à l'affaire de la bibliothèque, il n'avait pas de grandes solutions concernant cette histoire et il se sentait prêt à accepter toute proposition raisonnable. L'idée de voir les paladins quitter la ville pour partir à leur recherche ne l'enchantait pas follement mais il était conscient qu'il leur fallait absolument pouvoir compter sur cette route dégagée — et sûre — jusqu'à Grand Estuaire s'ils voulaient que la cité renaisse.

Mais cette option ne semblait pas à l'ordre du jour.
Étienne, toujours aussi anxieux, rappela néanmoins les faits, ainsi que les diverses hypothèses rassurantes pouvant expliquer l'absence de réponse de la part de Louis et de Frida. Quant aux solutions, il proposa que les clercs préparent le nécessaire pour pouvoir, le lendemain, opérer de multiples tentatives de contact. Si aucune n'aboutissait, il faudrait refaire le point et décider soit de réitérer l'opération le jour suivant, soit d'essayer d'entrer en communication avec Grand-Estuaire.

Albérich acquiesça aux propositions d'Etienne avant de prendre la parole.
" Je serais d'avis d'entrer en contact avec Grand Estuaire dès demain en fin de journée, si nos autres tentatives n'ont rien donné. Cela nous permettra à la fois de lancer une opération de recherche, mais aussi de vérifier que ce n'est pas nous qui sommes en réalité incapables de communiquer avec des contrées lointaines. Je crois que, même si l'explication est sans doute simple et rassurante, nous ne perdons rien à agir rapidement. S'il s'avère ensuite que nous avons fait galoper quelqu'un pour rien... Tant pis."

Ézéchiel acquiesça. Etienne également.
-Tu as raison. De toute façon, à moins que Barthélemy, Gabriel ou Thibault ne connaissent l'un des dirigeants de la cité, il nous faudra forcément passer par un intermédiaire, dont les démarches pourraient prendre un certain temps. Donc plus tôt nous passerons à l'action de ce côté-là, mieux ce sera. D'autant que s'il s'avère que nous avons eu peur pour rien, il sera toujours possible d'arrêter la machine.

" Je pense que nous pourrions aussi tenter une scrutation. C'est un sortilège qui permet d'espionner une personne... Mieux on la connait, plus c'est facile... Thibault, Barthélémy et moi pouvons nous en servir. Ce n'est malheureusement pas un sort que l'on mémorise par défaut, mais nous pourrons essayer demain. Ça nous fait une possibilité supplémentaire de savoir ce qui se passe..."
Hubert n'avait encore rien dit mais il manifestait son accord de hochements de tête aux moments opportuns.

Le rôdeur avait adopté la même attitude.
-Tout à fait. Je crois vraiment que nous devons user de tous les moyens à notre disposition pour être fixés, pour être tranquillisés. Du moins, tant que tes confrères et toi, Albérich, gardiez quelques sortilèges d'urgence de côté, pour pallier à toute mauvaise surprise. Nous ne sommes jamais à l'abri d'un coup dur... Et comme je n'ai absolument aucune connaissance en magie, je te fais entière confiance sur ce qu'il convient de préparer.

" Nous ferons au mieux." dit le Luménien.
Hésitant, Hubert enchaîna avec ses histoires de murailles. Il avertit aussi le conseil que dès le lendemain, il y aurait une garnison aux portes. Albérich reprit avec le résultat de la première journée de fouilles. Il exposa leurs découvertes générales, parla de celle des mages, et bien évidemment du plan des souterrains qu'avait déniché Ruth en manipulant la maquette. C'était déjà quelque chose, même s'il leur manquait encore un plan de l'extérieur. Il espérait pouvoir s'adjoindre les services d'un des cartographes le lendemain, et évidemment, progresser dans leurs découvertes. En fonction, bien sûr, de la situation avec la colonne.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue