La Couronne de Cuivre

Voir sans être vu faisait partie intégrante de sa nature d’ancien rôdeur et Kasumi choisit une position qui était susceptible de répondre à cet objectif. Il avait déjà pris soin de réduire à des braises le petit feu qu’il s’était autorisé pour que Mylène ne souffre pas du froid. Et à moins de disposer de sens particulièrement aiguisés, il y avait peu de risque que ce dernier trahisse leur position. Pour autant, le demi-elfe ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur la signification des mouvements d’oiseaux et des conclusions qu’il pouvait en tirer sur l’imminence d’un danger.

Vu la direction du vent, il ne risquait pas d'être trahi par une quelconque odeur de cendres -ni par son odeur corporelle. Et une fois bien caché, il pouvait observer sans risquer d'être vu. Première Neige, humant l'air, lui confirma qu'elle sentait la présence d'un loup agressif. Il vit, encore une fois, des oiseaux s'envoler, un peu plus près.
Puis il crut distinguer une ombre, une vague silhouette sombre bondissant d'un bosquet à un autre. Peut-être un loup au pelage sombre, en effet, mais il lui semblait trop gros. Ce pouvait être un loup-garou, sans certitude. L'animal avançait vers l'ouest, et semblait devoir passer suffisamment loin au sud de leur position : s'il parvenait à demeurer parfaitement immobile et silencieux, et si le prédateur ne déviait pas de sa trajectoire, il ne risquait rien.
Il disparut sous le couvert des arbres, puis Kasumi crut deviner à nouveau un mouvement plus à l'ouest. Il l'aperçut à nouveau, immobile, flairant l'air. L'animal sembla tourner sa tête vers lui, scrutant la paroi rocheuse. Le vent avait légèrement tourné, peut-être sentait-il quelque chose. Puis il repartit vers l'ouest.

Kasumi aurait probablement décidé d'enquêter sur la nature du loup même malgré les dangers que cela impliquait mais il ne pouvait présentement pas se le permettre. Il ne voulait prendre aucun risque dispensable alors qu'il avait Mylène sous sa responsabilité et qu'il n'y avait fondamentalement pas de danger immédiat pour le village, le bosquet ou même sa mission. Concernant cette dernière, il avait décidé de réorienter leurs recherches dans l'autre zone dès le lendemain matin et il aviserait en fonction de ce qu'il y découvrirait.

Le danger continua à s'éloigner peu à peu. Première Neige parut se détendre. Il restait encore une heure ou deux de nuit, pas plus. Il put se reposer un peu, tandis que la louve achevait de veiller. Elle se reposerait à son tour pendant qu'ils déjeunerait : elle n'avait pas besoin d'autant de temps qu'eux pour se préparer.
Mylène dormait profondément lorsqu'il se réveilla, et tout aussi profondément lorsqu'il revint de ses ablutions. Même l'odeur du petit déjeuner mit quelques temps à la tirer de sa léthargie. Elle ouvrit les yeux dans un bâillement, l'air un peu perplexe en se retrouvant dans la grotte, puis ses souvenirs lui revinrent.
" C'est déjà le jour ? Et on n'a pas eu d'alerte cette nuit ?"

Kasumi laissa à sa jeune apprentie le temps d’émerger doucement en faisant preuve de bienveillance à son égard. Il lui servit une tasse de thé chaud quand elle émergea enfin de leur petit abri improvisé et pris le temps de répondre à sa question et à détailler leur programme du jour :

- La nuit a été calme mais il y a une sorte de… loup qui rôde dans les parages. Première Neige n’a pas été tranquille ce qui me fait dire que l’endroit, même s’il paraît prometteur, n’est peut-être pas propice à l’installation de la meute. Je pense que nous allons explorer l’autre endroit que nous avions repéré depuis le promontoire avant de décider lequel nous inspecterons en détail.

Mylène, mal réveillée, resta silencieuse un moment, digérant les bribes d'informations tout en soufflant doucement sur le thé brûlant pour le refroidir. Elle étouffa un bâillement. Première Neige lui fit écho, et s'installa au soleil pour un petit somme. L'air du petit matin était agréable, plus frais que la moiteur qui les attendrait dans la journée. Les oiseaux chantaient par centaine, signe que le danger était passé.
L'apprentie rôdeuse but une gorgée, puis une autre... puis elle fronça les sourcils, enfin réveillée.
" Une.... sorte.... de loup ? Comment ça ? C'est un loup ou pas un loup ?"

Le demi-elfe se réinstalla à son tour avec l’intention de prendre son temps pour déjeuner de sorte que Mylène puisse prendre son temps pour émerger de son sommeil et pour que Première Neige ait le temps de terminer sa nuit. Il répondit doucement à la question de la jeune femme après lui avoir tendu un peu de pain et de confiture :

- Même parmi les loups, il y a plusieurs espèces très différentes : comme Première Neige que l’on ne trouve qu’en montagne ou dans les terres gelées ou les loups plus forestiers de la meute qui pose problème au village. Mais il y a d’autres races complètement différentes : les worgs, les loups noirs, les loups sanguinaires. Et aussi les loups garous. Je pense que le loup que Première Neige a repéré hier appartient à l’une de ces deux espèces. Ils sont dangereux l’un comme l’autre et je ne crois pas que la meute acceptera de s’installer ici si nous sommes sur l’un de leurs territoires de chasse.

" Un autre loup-garou ? Je ne savais pas qu'il pouvait y en avoir d'autres... Et à vrai dire, je n'y connais pas grand-choses en bêtes féroces. J'ai appris un peu autrefois, mais Marco et Yvan veillaient à ce que je ne courre pas de risque.... Je ne sais pas ce qu'est un loup sanguinaire par exemple."
Elle parut frissonner, comme si elle prenait conscience du danger potentiel de leur expédition.
" Si ma mère vous entendait, elle dirait qu'elle a eu raison de chercher à m'éloigner des bois autant qu'elle pouvait. Il vaut mieux qu'elle n'entende pas parler de ce genre de bestiole. Si même votre loup en a peur..."

Kasumi sentit Première Neige se rebiffait légèrement comme si elle avait compris qu'on parlait d'elle et de sa supposée crainte. Le demi-elfe esquissa un sourire et répondit à Mylène en cherchant à se montrer tout de même rassurant :

- Les loups sanguinaires, comme certaines autres espèces, sont simplement des animaux plus sauvages que la moyenne, systématiquement hostiles même envers les rôdeurs ou les druides. Ils sont généralement plus gros que la moyenne donc plus dangereux et les autres animaux les évitent. Certains de mes mentors avançaient que c'était des animaux ayant perdu leur lien naturel avec les dieux de la forêt après avoir été en contact avec une source de corruption. Heureusement, on en croise très peu et ils sont aussi faciles à maîtriser que des animaux ordinaires si on fait bien attention.

" Oh.... Dans cette forêt, il doit y en avoir beaucoup, des animaux ayant été en contact avec une source de corruption. Donc les loups sanguinaires, ou autres animaux de ce type, doivent être nombreux."
Mylène se prépara une tartine de confiture -les nombreuses provisions fournies par sa mère comprenaient ce genre de douceur- avant de siroter doucement ses dernières gorgées de thé.
" Et donc, on repart vers le nord? Enfin, davantage vers l'est, si j'ai bien compris. Vers la zone qu'on avait aperçue près du fleuve. Donc des moustiques en perspective... Dommage, c'était bien ici, il y avait du gibier, des grottes pour dormir... Puis je me sentais plus en sécurité, je ne sais pas pourquoi. J'ai mieux dormi."
Elle s'étira en baillant, puis commença à rassembler ses affaires.
Son sac, vidé d'une bonne partie des provisions, devenait plus léger à porter. Il leur restait néanmoins de quoi manger pour la journée, et même déjeuner le lendemain matin. Il leur faudrait songer ensuite au ravitaillement.

Kasumi n'avait pas vraiment envie de s'attarder dans cette zone où Première Neige avait perçu un danger la veille. C'est pourquoi il proposa de se mettre aussitôt en route avec l'espoir que la prochaine zone tiendrait ses promesses en tant que nouveau foyer potentiel pour les loups et qu'ils pourraient s'adonner à une petite partie de chasse pour achever de convaincre Première Neige et reconstituer les réserves qui leur seraient utiles pour le voyage de retour. Il n'excluait pas non plus de revenir ici si l'autre zone se révélait décevante : au moins pourraient-ils se ravitailler le temps d'explorer plus avant et de préciser à quel danger ils avaient affaire.

Ils se mirent donc en route assez vite, en direction du nord-est, et quittèrent bientôt la zone vallonnée et rocailleuse pour rejoindre une végétation dense et par moments quasi impénétrable, du moins pour Mylène qui avait moins d'aisance que Kasumi dans ce type d'environnement. Les ronces étaient trop nombreuses, les taillis trop touffus, l'obligeant à batailler avec les branches basses et à faire des détours là où Kasumi parvenait à se glisser avec facilité. Première Neige avait presque autant de difficulté que l'apprentie rôdeuse, et faisait savoir son agacement de se faire constamment fouetter les flancs par des épines.
Au grand soulagement de la louve et de Mylène, ils rejoignirent au bout d'une heure la sente d'un grand herbivore, puis une autre plus large. Jusqu'à aboutir à une véritable tranchée dans la végétation, apparemment taillée à coups de machette quelques jours auparavant. Kasumi y découvrit des traces de chevaux : au moins deux bêtes, passées ici quelques jours plus tôt, et accompagnés de piétons. La trace allait dans la direction qui les intéressait.

Kasumi commençait à se demander si on ne cherchait pas à saboter sa mission : où qu'il aille pour tenter de mettre fin à la crise des loups, il semblait tomber sur les signes d'une activité humaine dont il ne parvenait pour autant pas à percer les motivations. C'est avec un certain agacement mais en incitant Mylène et Première Neige à la plus grande prudence qu'il s'engagea sur cette nouvelle voie évidente. Il devait en apprendre plus sur ses prédécesseurs mais il quitterait la piste au moindre signe de danger. Et il comptait d'ici là rester vigilant sur la présence d'un piège ou le risque d'une embuscade.

La piste dégagée par leurs prédécesseurs avait un avantage certain : elle leur permettait d'avancer beaucoup plus vite. Il semblait toutefois qu'elle allait un peu trop vers l'est par rapport à leur destination. Néanmoins, la suivre sur un morceau de chemin les rapprocherait efficacement :ils arriveraient avant la nuit.
Ils pique-niquèrent à midi d'un peu de viande froide, de fruits, de fromage et de pain. Le temps semblait au beau fixe, mais des nuages à l'horizon, entraperçus au détour d'un petit monticule dégagé, annonçaient la pluie pour le lendemain.
Ils avaient repris la route depuis une bonne heure, lorsque Première Neige, qui avançait en tête sur le sentier dégagé, s'arrêta. Elle entendait, ou flairait peut-être, un groupe qui approchait face à eux. Kasumi, peu de temps après, perçut à son tour un vague bruit de voix portées par le vent, qui s'éteignirent peu après.

Le demi-elfe ne voulut prendre aucun risque et demanda à Première Neige de se dissimuler dans les taillis bordant le chemin artificiel pendant que lui-même accompagnait Mylène pour la dissimuler avec lui. Ils allaient peut-être enfin savoir à qui ils avaient affaire et déterminer leurs intentions. Le tout sans être repérés eux-mêmes. Kasumi savait que personne ne saurait le détecter tant qu'il le déciderait mais Mylène était un cas un peu plus épineux : c'est pourquoi il voulait la garder un peu en retrait et près de lui.

Mylène, qui avait elleaussi entendu les voix, acquiesça et le suivit, l'air un peu anxieuse. Première Neige se tenait prête à bondir.
Il y eut plusieurs minutes de silence avant qu'il entende à nouveau les voix. Il s'agissait de deux hommes, à en juger par leur timbre grave, qui conversaient à voix mesurée. Il était trop loin pour comprendre les paroles. Il devinait une certaine tension chez l'un d'eux, un ton évoquant la frustration, ou peut-être des reproches. Puis ils se turent, et le silence revint. Il finit par deviner le bruit de leur déplacement, s'approchant peu à peu. Ils étaient eux aussi sur le large chemin dégagé à coup de machettes. Il devina le souffle d'un cheval, puis ils apparurent, au détour d'un virage, à quelques dizaines de toises. Il vit d'abord deux hommes, portant besantines et épées courtes à la ceinture, à pieds, suivis par un cheval court sur pattes, peut-être même un poney, chargé de bagages. Derrière venaient deux autres hommes à pied, portant des cottes de maille passablement usagées, puis un dernier, sans armure, monté sur un autre poney tenu par la longe.

C'était là un groupe bien armé - ce qui n'avait rien d'étrange étant donné la dangerosité du lieu qu'ils traversaient - mais le demi-elfe était surpris de découvrir une si solide équipée en un lieu apparemment dénué d'intérêt. Si ces hommes se contentaient de voyager, ils auraient certainement privilégié la route à la lisière de la forêt. Il devait donc y avoir une autre raison à leur présence. Kasumi chercha à repérer des signes distinctifs sur leurs tenues - un uniforme, un symbole, n'importe quoi d'identifiable - mais au moins était-il rassuré de ne pas tomber sur le groupe de Malarites auquel il n'avait pas envie de se frotter, surtout avec Mylène.

Les deux premiers hommes ne portaient aucun signe distinctif visible. Ils avançaient d'une démarche souple, et paraissaient aux aguets. Les deux autres semblaient tout aussi difficile à identifier, mais leur démarche avait un je-ne-sais-quoi de martial. La chaleur de l'été leur avait fait quitter capes et vestes, où se trouvait peut-être un écusson ou un insigne quelconque : rien n'était visible sur les cottes de maille nues ou les besantines.
Ce fut le dernier homme, non armé, qui attira davantage son attention. Il se tenait raide sur sa monture, la tête baissée, les mains posées sagement devant lui. Trop immobile, peut-être : lorsque le poney fit un écart, il eut du mal à garder son équilibre, et Kasumi devina qu'il crispait des cuisses... comme s'il ne pouvait pas se servir de ses bras et de ses mains pour se rattraper. Il était difficile d'en juger depuis là où il se trouvait, mais le demi-elfe avait l'impression qu'il avait les mains attachées.

Kasumi savait pouvoir quitter son couvert et se dissimuler à nouveau au besoin mais il n'avait pas l'intention de mettre inutilement le groupe de soldats en alerte. D'autant que ce qui se tramait sous ses yeux n'était pas forcément son affaire. Par acquis de conscience et pour tenter d'éclaircir quelque peu le mystère, le demi-elfe tenta de repérer des signes permettant d'identifier le prisonnier : l'avait-il déjà vu quelque part ? Sa tenue permettait-elle d'émettre des hypothèses sur sa profession ? Et qu'en était-il du cheval ?

Le prisonnier était un homme jeune, petit et svelte, l'air renfrogné -ce qui se comprenait dans sa situation. A priori, son visage ne lui était pas familier, et sa monture non plus. Il portait des habits rustiques et discrets, aux couleurs des bois : un pantalon de peaux de bêtes vaguement tannées et une vieille chemise de lin dans les tons bruns, ainsi qu'une cape aux couleurs des feuillages. Un collier de crocs, autour de son cou, attira l'attention de Kasumi.
A côté de lui, Mylène bougea, imperceptiblement. L'immobilité était difficile à tenir longtemps pour une jeune femme de son caractère. L'un des "éclaireurs" du groupe s'arrêta, tendant l'oreille, aux aguets.

Les soldats n'avaient décidément pas une dégaine d'esclavagistes mais plutôt de mercenaires ou de chasseurs de prime. Quant à l'homme jeune, il semblait à sa place dans ces bois mais le demi-elfe doutait de pouvoir déterminer s'il était lié d'une façon ou d'une autre à la nature. Si rien ne venait étayer cette hypothèse, il ne voyait pas de raison de se manifester pour intervenir.

A moins bien sûr que leur présence ne risque d'être révélée par l'inexpérience de sa jeune apprentie. Si celle-ci était vraiment mal à l'aise ou si l'éclaireur insistait pour trouver l'origine de son mouvement, il devrait prendre l'initiative de détourner l'attention en sortant de son couvert un peu plus loin sur le chemin artificiel.

L'éclaireur était sur le qui-vive, et le léger mouvement de Mylène l'avait alerté. Il scrutait les fourrés avec attention, cherchant l'origine de l'alerte. L'un des deux hommes escortant le prisonnier l'interrogea dans un murmure.
" Tu crois qu'il est....
- Chut !", lui intima l'éclaireur.
L'autre se tut.
Il n'y eut plus aucun mouvement ni aucun bruit pendant quelques instants.
" Il est loin, vous l'aurez pas, les bois c'est son domaine ! lança le prisonnier d'un ton revêche.
- Ta gueule! , intima l'un de ses gardiens.
- T'façon y craint rien de vous, c'est vous qui feriez mieux de ne pas le croiser ! Faites pas l'poids !
- P'tain mais faites-le taire !, s'agaça l'éclaireur.
- Tu t'tais ou on t'baillonne !"
Mylène avait profité de la brève diversion pour faire porter son poids d'une jambe sur l'autre, mais les deux éclaireurs étaient expérimentés et Kasumi les vit tourner à nouveau leur attention dans leur direction.

Kasumi en avait appris assez pour vouloir intervenir et en apprendre davantage sur l'identité de ces personnes et de celui qui était toujours dissimulé dans les bois. C'était d'ailleurs une nécessité car Mylène serait découverte tôt ou tard s'il n'agissait pas, ne serait-ce que par une diversion. Heureusement, en épousant la cause de la prêtrise, son arsenal s'était étoffé de quelques tours profitables dans un environnement tel que le leur :

Kasumi -> Druiderie -> Arbuste de l'autre côté de la trouée

En se concentrant, le jeune clerc parviendrait à faire se mouvoir les fines branches de la plante qui avait retenu son attention, simulant ainsi l'effet d'une brise ou de quelqu'un de léger se mouvant de ce côté éloigné. L'intention de Kasumi était d'opérer une diversion puis de s'éloigner dans une autre direction pour interpeler les gardes et leur faire croire qu'ils étaient cernés de toutes parts.

La diversion attira, comme prévu, l'attention de l'éclaireur. Celui-ci concentra son regard sur le mouvement qu'il avait cru percevoir, et Kasumi vit Mylène exhaler un soupir de soulagement.
Elle le regarda avec perplexité se mettre en mouvement, et fit mine de le suivre, avant de comprendre qu'elle ne devait pas bouger. Kasumi vit le regard de l'éclaireur qui allait de l'endroit où se trouvait Mylène à celui où il avait fait bouger l'arbre. L'autre éclaireur, peut-être moins expérimenté, observait son comparse et semblait s'efforcer de deviner ce que celui-ci avait cru voir. Toute la petite troupe s'était arrêtée.
" Faut avancer, pressa l'un des hommes en armes. Qu'on sorte avant la nuit..."

Kasumi profita de cet échange pour se déplacer comme il l'entendait. Il savait pouvoir se montrer assez discret pour ne pas être repéré même par un pisteur expérimenté mais il fallait savoir tirer partie de toutes les opportunités. Une fois suffisamment loin de Mylène pour être certain qu'il n'attirerait pas l'attention vers elle, il se décida d'agir en recourant à un autre sortilège des plus simples :

Kasumi -> Thaumaturgie -> Au niveau des feuillages

Le demi-elfe imita le grondement d'un puma près de l'endroit où se tenait le premier éclaireur. Ce serait certainement une bonne source de distraction et de motivation à suivre l'injonction de son comparse.

L'éclaireur bondit aussitôt en arrière, dégainant une épée courte, aussitôt imité par les autres. Puis, après un bref instant d'hésitation, il poussa une sorte de "youhou!" tonitruant et ajouta :
" Faites du bruit, beaucoup de bruit. M'étonnerait qu'un félin s'attaque à un grand groupe armé.
- Tu crois que l'autre est par là ?
- C'est pas moi qui vais pleurer sur son sort !"
Obtempérant, ses compagnons tapèrent des mains, des pieds, s'interpelant à voix haute, tandis que le prisonnier les observait d'un air désabusé en marmonnant des paroles que Kasumi était trop loin pour entendre.

Il allait falloir changer de stratégie : ces hommes étaient suffisamment entraînés pour ne pas se laisser paniquer par de telles diversions. Il aurait fallu s'y attendre étant donné la zone qu'ils traversaient sans crainte. Mais face à un groupe en surnombre, il suffisait de repérer le maillon faible pour désorganiser les forces adverses. Il se déplaça à nouveau lentement pour se rapprocher du cheval de manière à reproduire son subterfuge aussi près que possible de lui : si un homme pouvait se maîtriser face à la menace d'une bête sauvage, ce n'était certainement pas le cas d'un herbivore dont l'instinct ancestral le poussait à fuir les prédateurs.

Le subterfuge fonctionna. Le cheval rua, se cabra.... et désarçonna son cavalier, lequel se retrouva un instant plus tard sur ses deux jambes, se redressant souplement malgré ses mains liées. Avec son visage quelconque, Kasumi avait du mal à déterminer s'il l'avait croisé ou non auparavant. Il était petit et svelte mais musclé, et, bien campé sur ses deux jambes, il ne semblait pas manifester de crainte. Concentré, il fixait l'endroit d'où était venu le bruit, comme s'il était prêt à en découdre avec le félin.
Le cheval, lui, bousculait les hommes en armes pour fuir la menace. L'un d'eux, l'attrapant par la longe pour tenter de le calmer, fut entraîné dans sa fuite et dut lâcher prise quelques mètres plus loin. L'autre reculait lentement en fixant lui aussi la source du bruit, arme au poing.
" Bon sang, continuez à faire du bruit ! Il a peur !
- C'est vous qui crevez de trouille, lança le prisonnier. Même pas les couilles de l'affronter ! Si vous me détachez...
- Bien sûr, tu t'imagines que le vaincrais à main nue. Z'êtes encore plus fous que j'croyais, dans ta secte !"

Il y avait toujours le risque que la secte évoquée ne soit pas celle qu'il traquait mais Kasumi pensait enfin avoir appris ce qu'il espérait grâce à ce subterfuge dont il n'était pas si fier : il allait falloir longuement discuter avec Mylène par la suite pour lui expliquer quelles avaient été ses raisons d'agir ainsi et que ce n'était certainement pas un exemple à suivre à chaque rencontre. Mais pour l'heure, le plus important était de reprendre la maîtrise de la situation et cela commençait par une entrée soignée. Si le prisonnier avait fait mine de fuir, il aurait aisément pu le capturer mais, comme ce n'était pas le cas, sa priorité alla au cheval paniqué.

Kasumi -> Amitié animale -> Cheval

Le demi-elfe tenterait de se dresser sur le passage du cheval et de le rassurer aussi rapidement que possible pour bien montrer aux hommes qui l'accompagnaient qu'il n'était pas une menace pour eux. Et qu'il leur venait même en aide. C'était peut-être un brin cynique mais la situation avait exigé ce petit écart de conduite.

L'animal, paniqué, se calma un peu sous l'effet du sortilège. Un peu seulement. Il soufflait bruyamment par les naseaux, encore affolé, lorsque Kasumi se dressa devant lui, et se cabra brutalement avec un hennissement. Il ne fit pas demi-tour, néanmoins, peut-être trop désorienté par ces deux surprises coup sur coup. Il observa le nouveau venu avec inquiétude, prêt à se ruer en arrière à la moindre menace. Mais le sortilège avait fait son effet et il ne s'enfuit pas lorsque Kasumi tendit une main vers lui en lui parlant doucement. Il recula d'un pas, puis d'un autre, nerveux, mais Kasumi put reprendre la longe en main.
" Vous !.... Qui êtes-vous ?" lança la voix peu amène d'un des hommes en arme, qui se précipitait vers lui.
Il n'avait pas remis son épée au fourreau et la brandissait devant lui, menaçant. L'un des deux éclaireurs le suivait.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde