La Couronne de Cuivre

La première vague de volontaires acquiesça et prit la direction de l'armurerie d'un pas rapide ; les deux gamins avaient pris soin de se noyer dans la masse, comme s'ils craignaient qu'Hubert, se ravisant, ne revienne sur sa décision. Cependant, le paladin avait noté, un peu plus tôt, le geste enthousiaste de Ruth : manifestement, avoir le droit de tenir une vraie arme, cela la réjouissait assez pour qu'elle passe outre son étrange réserve.
Plus loin dans la cour, bien des soldats - les moins fatigués, probablement - et certains de leurs officiers avaient observé la scène, la mine embarrassée, comme s'il étaient gênés de ne pas être également mobilisés.

Hubert compta le nombre de volontaires qui lui restait puis les renvoya à leurs activités dans l'attente de leur tour. Il lui manquait des sentinelles aussi se rendit-il auprès des soldats qui l'observaient de loin. Il les aborda d'un sourire.
" J'ai besoin d'un peu d'aide, annonça-t-il. Il me faudrait deux personnes pour faire le tour des colons et recruter des sentinelles. Sans forcer, sans brusquer, juste expliquer que nous avons besoin d'un coup de main..."
Il se tourna vers un des sous-officiers.
" Puis-je mettre cette tâche sous votre responsabilité ? Peut-être serai-je disponible pour superviser le roulement, dans quatre heures, mais je ne peux pas le jurer."

L'intéressé - un des instructeurs avec lesquels il avait mangé le fameux soir où le tournoi avait été décidé mais dont il avait oublié le nom, pour peu qu'il l'ait jamais connu - opina du chef et, entraînant ses acolytes avec lui, partit aussitôt accomplir la tâche qu'on venait de lui confier.
Du coin de l’œil, Hubert nota qu'Edgar s'était relevé et qu'il regardait autour de lui, l'air désorienté. Ailleurs dans la cour, il remarqua la présence de Gaspard, de Mathias et même d’Étienne, qui semblait un peu remis. Quant à Guillermo, il était toujours avec sa compagnie.
S'il voulait réunir son état-major, le moment était sans doute bien choisi.

Hubert confia à un autre homme la tâche d'aller prévenir Ignace de la présence des sentinelles civiles sur les remparts, qu'il faudrait abreuver et nourrir, puis se dirigea vers Edgar. A chaque pas, il se sentait un peu moins assuré, et il arriva devant l'instructeur sans plus savoir exactement comment l'aborder. Il sut alors qu'elle serait sa première action, une fois le groupe réuni.
" Si tu es d'attaque... J'aimerais organiser une réunion d'état-major. Nous devons commencer à nous préparer au plus vite."

L'ancien sergent l'observa un instant, avec un regard vague, comme s'il n'avait pas saisi. Puis, tout à coup, il se redressa et hocha la tête.
-Je sais pas si je suis d'attaque, mon capitaine, répondit-il. Mais faut que je me secoue : j'ai l'impression que si je le fais pas maintenant, j'y arriverai jamais.
Il soupira; s'arracha un sourire qui se voulait vaillant.
-Voulez-vous que je regroupe tout le monde ? Que je nous déniche un coin où s'installer ? Je suis à vos ordres.

" Déniche-nous un coin et va chercher les autres. Je m'occupe juste d'Etienne."
Il serra l'épaule de son confrère.
" Nous allons nous en tirer."
Il traversa ensuite la cour vers le jeune seigneur de Fontbrune.
" Comment vous sentez-vous ?" demanda simplement Hubert, une fois devant lui.

-Il y a eu des jours meilleurs, répondit spontanément le chevalier. On a beau avoir conscience des risques, mesurer leur ampleur, les garder à l'esprit et tenter de s'y préparer... Tout ça ne pèse pas lourd quand on y est réellement confronté. Surtout quand ils prennent une forme aussi brutale, quand...
Il s'interrompit, s'empourpra.
-Pardonnez-moi, Hubert. Je sais que vous êtes très affecté, vous aussi. Alors vous imposer mes états d'âme, c'est pour le moins égoïste...
Il toussa dans son poing, retrouva un semblant de contenance.
-Ça va aller. Je suis à l'origine de ce projet, il est de mon devoir de faire tout mon possible pour qu'il ait une fin heureuse, pour que ceux qui sont tombés ne se soient pas sacrifiés en vain. Agir autrement, m'écrouler...
Il secoua la tête.
-Ça va aller. Et de votre côté ?

Le paladin sourit douloureusement.
" Comme vous, je ferai face, Etienne. Mais je suis un peu sous le choc, je crois. Notre situation présente m'empêche d'y penser."
Il désigna Edgar qui parlait avec Guillermo.
" Je voudrais organiser une réunion d'état-major, si vous êtes disponible."
Il prit une profonde inspiration.
" Comment va Louis ?"

Le teint du jeune homme s'empourpra encore un peu plus.
-Bien. Physiquement, du moins, et c'est un miracle à plus d'un titre. Son cheval a été tué sous lui, l'a emporté dans sa chute et l'a écrasé sous son poids, provoquant plusieurs maintes graves fractures. Et les cannibales ont eu le temps de le frapper plusieurs fois avant que Robert...
Il se détourna.
-Quand Gabriel l'a ramené à Barthélemy, il était moins une, mais il a pu le remettre sur pied. Donc physiquement, tout est en règle, même s'il doit se reposer. Moralement, par contre, il se sent terriblement coupable...
Il refit face à Hubert.
-Ni lui, ni moi... Personne n'oubliera ce qu'a fait Robert. Vous pourrez compter sur Louis dès demain. Et compter sur moi dès à présent.

" Je n'en ai jamais douté." dit Hubert d'un ton qu'il espérait apaisant.
En son for intérieur, même s'il en avait honte, il regrettait intensément que Robert se soit sacrifié pour un jeune chevalier imbu de lui-même comme Louis. Certes, c'était l'ami d'Etienne et Etienne aurait été dévasté. Mais la communauté avait perdu au change, indéniablement.
" Allons-y. Edgar doit nous avoir trouvé un endroit approprié."

Les autres officiers avaient tous disparu, hormis Edgar, qui les attendait. Il les mena jusqu'à un chariot dont on avait sorti divers caisses. A l'intérieur, des bancs, une table à tréteaux sans doute fraichement dressée... et tous les officiers, exceptés Frida, toujours sur les remparts, et Louis, alité. Ils étaient assis devant des verres de vin chaud fumant et un plateau de biscuits. Aucun d'entre eux ne les avait encore touchés
-L'intendance est au petit soin, fit l'instructeur.
L'instant suivant, ils s'installaient également et tous les regards convergeaient vers Hubert.

Hubert les dévisagea.
" Je n'ai pas connu Robert longtemps."
Moins d'un mois, en réalité. A peine plus d'une veille. C'était un fait. Pourtant, il avait l'impression que chaque minute avait eu du sens.
" Mais pendant ce court laps de temps, il a su me rappeler ce qu'était un véritable chevalier. Ce qu'était un meneur d'hommes, aussi. Sa valeur... Sa noblesse... Son souci de la communauté... Rien de cela n'est réellement remplaçable et nous serons désormais forcés d'essayer de nous souvenir de l'homme qu'il était, de ce qu'il aurait dit ou fait, nous devrons tenter de nous montrer dignes de ce qu'il voulait pour nous tous, pour le groupe, pour la cité à venir."
Il ne s'était pas attendu à être solennel, mais c'était ce qui était venu.
" Robert m'a nommé second à un moment où il était plein de vie et de projets. J'étais fier d'être dans son ombre. J'étais fier de sa confiance, même si je ne suis pas certain d'avoir tout le temps été à la hauteur de ce qu'il voyait en moi. Mais je me serais pour toujours satisfait de ce rôle."
Il soupira.
" Aujourd'hui, je me retrouve catapulté à votre tête et je ne me sens pas parfaitement légitime. J'ai besoin de savoir si l'un d'entre vous veut contester mon commandement. Je ne le prendrai pas pour une insulte, ou un affront, je trouverais ça... compréhensible. Et je suis prêt à céder ma place s'il y a consensus."

Ils avaient écouté son discours avec attention, avec émotion, même, le ponctuant parfois de discrets acquiescements. Mais ses dernières phrases les laissèrent bouche bée, décontenancés, et silencieux.
Une bonne minute passa avant qu’Étienne ne s'éclaircisse la gorge.
-Robert a à plusieurs reprise tenu les mêmes propos que vous, commença-t-il. Il pensait manquer de légitimité et d'expérience pour exercer ses fonctions, rappelait qu'il n'avait dirigé que de petits groupes... Nous avons tous pu constater ce qu'il en a été réellement, la manière dont il s'en es sorti haut la main. Mais s'il n'était pas bon juge à son sujet, ou si sa modestie ou ses doutes l'empêchaient de l'être, son jugement s'est toujours révélé plus que sûr en ce qui concerne les autres hommes. Cela aussi, nous avons pu le constater : il a su s'entourer, confier à chacun des tâches à sa mesure, déceler chez certains des qualités qu'eux-mêmes ignoraient. J'ai donc une foi totale en son jugement, et s'il vous a désigné comme successeur, c'est à mon avis que vous étiez le meilleur pour ce poste.
Il avala une gorgée de vin.
-En ce qui me concerne, si je me montre objectif... J'arrive certes à faire partager mon enthousiasme. Mais que suis-je, au fond, sinon un jeune chevalier aussi idéaliste qu'expérimenter ? Je serais incapable de diriger efficacement nos forces armées et, en ce qui concerne, je reconnais pleinement votre autorité.
-Je suis dans le même cas qu’Étienne, intervint Gaspard. Je suis chevalier, ce qui me confère le prestige de l'uniforme, si je puis dire ; j'ai également participé à quelques opérations mineures, par le passé, et j'ai donc une expérience relative du combat. Mais c'était presque des enfantillages, comparé à ce que nous devons affronter ici. Pour le reste, je n'avais jamais commandé d'hommes avant que Robert ne me le demande. En revanche, vous, Hubert... Vous avez dirigé le Rayon de Solarcis, dont la réputation n'est plus à faire. Bien sûr, c'est une garde urbaine, mais elle n'en est pas moins fournie et prouve votre capacité à diriger un grand nombre de soldats. Par ailleurs, vous êtes paladin, avec les pouvoirs divins qui en découlent, avec tout ce que cela symbolise. Par conséquent, en un mot comme en cent, je suis à vos ordres.
Edgar grimaça.
-Vous allez bien, tous, à faire les modestes. Moi, je n'ai jamais été qu'un sous-officier, un petit sergent de rien du tout, et je me demanderais ce que je fais ici si j'osais mettre en doute les choix de Robert, ce qui n'est pas le cas. Sincèrement, faire appliquer les consignes, m'occuper d'un petit groupe, je pense pouvoir m'en tirer à peu près convenablement. Mais d'avantage... Alors comptez pas sur moi pour contester votre autorité, mon capitaine. Au contraire, je me fais fort de la respecter et de la faire respecter, si besoin.
Mathias acquiesça.
-Pareil. J'ai été capitaine de la garde du sieur d'Argencourt, et çs s'arrête là. Ne vous méprenez pas, j'en suis fier, mais en dehors d'escorter Louis, pour la forme, dans les rues d'Antelucas ou de l'accompagner dans quelques expéditions, ça n'est pas allé très loin. Je me satisfais de la place qu'on m'a donné au sein de la communauté et je pense être en mesure de donner satisfaction. Pour le reste... Je vous suivrai.
L'on se tourna vers Guillermo, qui ne s'était pas encore exprimé.
-Puisqu'on en est aux constats objectifs... J'ai pour ainsi dire passé ma vie à guerroyer, j'ai participé à des sièges que ce soit comme assiégeant ou assiégé et je dirige une compagnie depuis des années. Donc oui, j'ai de l'expérience, peut-être plus que chacun d'entre vous. Cependant, si j'ai l'habitude de commander, cela vaut presque uniquement pour des hommes que j'ai recruté et formé, pour des gens tels que moi : des mercenaires. Car c'est ce que je suis : quelqu'un payé pour assurer la sécurité de la Communauté, non l'un de ses membres. Ainsi, même si j'en avais le désir, je ne pourrais assumer nulle fonction de commandement en son sein, par manque de légitimité et pour des raisons statutaires. Or, je n'en ai nul désir. Non que je sois indifférent ou que je m'en tienne à une posture purement professionnelle : j'ai de la sympathie pour votre projet et pour ceux qui le soutiennent. Simplement, j'estime que comme Robert avant vous, vous êtes le mieux à même d'exercer le commandement.

Hubert sourit gravement. Il ne s'était pas réellement attendu à ce qu'on remette son autorité en question, mais il avait besoin d'être certain que chacun d'entre eux entérinait leur nouvelle hiérarchie. En fait, le seul qui aurait pu contester la décision de Robert se reposait au dispensaire et vu ce qui lui était arrivé, il ne risquait pas de se faire remarquer avant un moment.
" Dans ce cas, j'accepte ce rôle, dit-il finalement. Et je vous promets d'y mettre tout ce que j'ai."
Il fallait désamorcer la tension, à présent, et revenir aux choses urgentes.
" Comme vous le savez, les Paludiers ne partiront pas. Varamyr, qui les connait bien, estime qu'ils ne renonceront pas avant de nous avoir annihilés. Même si nous parvenions à les repousser, ils reviendraient dès que possible. Nous n'avons qu'une option : les éliminer tous. Et nous devons commencer à réfléchir à cette nécessité dès à présent. Cependant, le plus urgent reste la défense du fort. Les cannibales nous laissent un moment inespéré de répit, mais ils ne tarderont pas à revenir. Frida estime à trente le nombre de sentinelles nécessaires et je lui ai envoyé un premier groupe. Il faudrait cependant que ces groupes de sentinelles repassent sous commandement militaire. Nous allons prévoir trois équipes, veillant chacune huit heures. Les deux équipes de jour feront des rotations de quatre heures, deux fois, tandis que l'équipe de nuit, constituée de tous les non-humains que compte la communauté — sauf vos hommes, Guillermo — veillera huit heures d'une traite. Je me chargerai de superviser l'équipe de nuit, mais il me faut deux personnes pour la journée. C'est une tâche a priori simple, mais en réalité, il faudra être capable de gérer les sentinelles très finement, en fonction de ce qui se passe en bas : Frida est persuadée que les cannibales vont tout faire pour saper notre moral, en ce compris se livrer à des actes barbares sous nos yeux..."

-J'aurais juste une question... intervint Edgar, hésitant. Les soldats ne participent pas au guet ? C'est sûr que c'est bien s'ils peuvent se reposer un peu, mais s'ils n'ont rien à faire, ils vont s'ennuyer...
-De surcroit, cela vous permettrait d'augmenter le nombre de groupes, en y mêlant civils et militaires, et par conséquent de limiter le temps de garde, notamment la nuit. Huit heures d'affilée, cela me paraît très long... En tout cas, mes hommes participeront si vous le souhaitez, humains comme non humains.
-Je crois que vous pourrez compter également sur pas mal de volontaires civils : les membres de la Communauté tiendront à se rendre utiles, et ce serait un excellent moyen d'éviter qu'ils soient rongés par l'oisiveté. Et je pense que c'est également valable en ce qui nous concerne : en tout cas, à titre personnel, je en veux pas passer mon temps à ne rien faire et c'est donc avec plaisir que je dirigerai l'un des groupes.
Les autres acquiescèrent. Manifestement, il ne manquerait pas d'officiers pour rester sur le pont.

" Bien. Etienne..."
Il ne parvient pas à décider s'il devait le tutoyer ou le vouvoyer.
" ... s'occupera d'un des groupes."
Il se tourna vers Edgar.
" Pour les soldats, je ne sais pas encore. J'ai l'impression qu'il nous faut d'abord faire le point sur tout ce que nous avons à faire avant de les affecter à cette tâche, que les civils remplissent parfaitement."
Il en vint à Guillermo.
" Je suis d'accord avec vous, pour les huit heures de nuit. Mais même avec tous vos non-humains, nous ne pouvons pas faire deux équipes. Sans doute pourrons-nous décharger les enfants, cependant, ou une partie d'entre eux. Je vous remercie de cette proposition."
Il lui manquait un second chef d'équipe, mais il y reviendrait.
" Qu'en est-il des portes ? Mathias, vous qui étiez dans l'avant-garde, savez-vous ce qui a été décidé ?"

-Frida en a commandé de nouvelles. Le charpentier a pris des mesures et il s'est mis au travail sitôt qu'on a pu démonter un chariot. Elle a aussi discuté avec notre forgeron quand il est arrivé, pour voir comment il pourrait renforcer les battants avec du métal et fabriquer de nouveaux gonds, parce que les anciens sont en mauvais état. Tout ça sera prêt demain et en attendant, les vieilles portes devraient faire l'affaire. Elles sont assez solides et on les a renforcées, mais il serait quand même plus prudent d'éliminer tous les cannibales qui voudraient s'en approcher. Surtout s'ils ont un bélier.

" Formidable."
La rôdeuse était décidément un allié de poids.
" Je pense qu'il nous faudra avoir des hommes mobilisés en permanence. Surtout parmi les meilleurs tireurs, archers et arbalétriers. Mais vu toute la rocaille à notre disposition, les jets de pierre seront également efficaces pour déloger les ennemis au bas de la muraille. Il faudra aussi que nous parlions aux lanceurs de sorts. Robert connaissait bien leurs possibilités, mais ce n'est pas mon cas : je ne sais même pas comment ils s'appellent."
Pas qu'il en soit fier, mais c'était un fait.
" Le conseil a estimé qu'il serait utile de reprendre les entraînements. Je pense qu'il faut l'envisager à la fois comme une activité mobilisant les corps et les esprits, mais aussi de manière très pragmatique, en fonction des modes de combat spécifiques au siège. Exercices de tir, défense de la muraille en cas d'attaque groupée, et puis évidemment du corps à corps, si le pire devait se produire."

Tout le monde trouva que c'était une bonne idée, et Edgar se détendit visiblement.
-Là, c'est déjà plus mon élément, commenta-t-il. Si vous voulez, j'irai trouver les autres instructeurs pour leur en parler et pour qu'on mette ça en place au plus vite. Ce sera pas difficile : on a encore nos listes de groupes, même s'il faudra peut-être les adapter un minimum pour tenir compte des gens qui feront le guet ou qui seront mobilisés pour d'autres activités. Et puis, ça rappellera à tout le monde le bon vieux temps de nos joyeuses balades dans la Trouée ou sur la côte, ça fera du bien au moral.

" Parfait, alors c'est toi qui t'occupes de ça. La cour est déjà très encombrée, mais Ignace est en train d'organiser la répartition du logement et du matériel, et un espace devrait pouvoir s'y dégager rapidement. Ce serait idéal si les premiers entraînements pouvaient commencer demain..."
Il hésita.
" Je sais que par le passé, l'entraînement était obligatoire pour tous. Je pense que vu les circonstances, nous devrions nous laisser quelques jours pour voir comment les gens réagissent. Je n'ai pas encore passé beaucoup de temps avec les civils, depuis notre arrivée, mais... j'imagine que certaines personnes doivent être très choquées et leur laisser un peu de latitude, pour absorber la nouvelle donne, me parait plus porteur que de les contraindre à se battre immédiatement. Je pense aussi qu'il faut peut-être laisser la possibilité à certains de se spécialiser. Mais nous pouvons en rediscuter et aviser après une première journée. Je voudrai de toute façon que tu me fasses un topo de tes projets ce soir."

L'ancien sergent opina du chef.
-Bien sûr, je vous ferai mon rapport ce soir. De toute façon, on va surtout discuter pour voir comment on va organiser tout ça, pour essayer, peut-être, d'imaginer des simulations pour que les gens s'habituent au type d'affrontements qui pourraient avoir lieu... Bon, et à moins que vous soyez contre, on pourrait aussi commencer à aller voir nos anciens élèves, pour tâter le terrain, déterminer qui est partant tout de suite et qui a besoin de temps...
Il sourit.
-Ted va être content. Honnêtement, il commençait à être jaloux de Gabriel.

Hubert sourit.
" Tu peux commencer à tâter le terrain, oui. Si nous voulons des gens à l'entraînement demain, il faudra les prévenir ce soir."
Il embrassa à nouveau le groupe du regard.
" Imaginons qu'il y ait une alerte. Une sentinelle voit du mouvement. L'officier responsable est en faction sur les remparts, évalue rapidement la menace. Combien d'hommes devons-nous mobiliser ? Et lesquels ? Nous allons probablement devoir imaginer un code de communication au cor pour que les hommes puissent être réquisitionnés en fonction de leurs compétences."
Il se tourna vers Guillermo.
" Votre expérience nous est indispensable, en la matière."

-Un code est une bonne idée, et il sera d'autant moins long à élaborer qu'il doit être simple et clair, afin que tout le monde se l'approprie et pour qu'il n'y ait pas de risques de confusion.
Il but un peu de son vin.
-En cas d'attaque ennemie, la tentation sera forte de mobiliser beaucoup de monde, mais les remparts n'offrant guère d'espace, ce serait une erreur. A mon avis, mieux vaut diviser nos forces, installer dans chaque tour un groupe destiné à intervenir sur un mur bien précis. Les premiers à devoir agir seront évidemment les tireurs et les lanceurs de sorts, y compris les clercs voire les bardes, lesquels ont sans doute des ressources utiles. Concernant les combattants au corps-à-corps, mieux vaut les impliquer dans un second temps et uniquement s'il n'a pas été possible de repousser l'assaut grâce à nos projectiles magiques ou traditionnels.

" Ça me semble sage. Peut-être votre compagnie peut-elle couvrir deux des remparts, et nos soldats les deux autres, à moins qu'il ne soit préférable de mélanger les groupes ? Il est vrai que si vos non-humains veillent, vos troupes sont déforcées. Ensuite, chaque officier pourra organiser sa tour au mieux. Si Etienne s'occupe d'un tiers des sentinelles, disons... Mathias de l'autre, Edgar sera surtout à l'instruction, cela laisse Gaspard et Louis pour deux tours, et Lothar et vous-même pour les deux autres."
Il pinça les lèvres.
" Non. Il y en a une en ruines, donc il faudra rassembler deux groupes dans la même. Peut-être vous, justement, Guillermo. Cela permettrait de compenser vos effectifs plus réduits. Ah ! Il me faudrait un plan de cet endroit. Peut-être que notre dessinateur attitré pourrait s'en charger..."

-Je crois que l'intendance travaille déjà sur un plan... fit Edgar.
-Quant à la tour sud-est, seul l'un des étages s'est effondré : les autres tiennent le coup et l'escalier, lui, n'a pas bougé. Elle reste donc en bonne partie utilisable.
-Néanmoins, si vous le souhaitez, ma compagnie peut n'occuper qu'une seule tour. Cela ne nuira pas à la rapidité de notre intervention en cas de besoin, puisqu'il y a des accès aux deux murs voisins.

" C'est à vous de le dire, Guillermo. Ça dépend aussi de la place dont nous disposons, je suppose. Bon. J'imagine qu'on peut aussi estimer que chaque équipe qui a la responsabilité d'un rempart devra, en priorité, l'examiner : état des murs, des créneaux, présence de meurtrières, et puis assurer l'approvisionnement en flèches et rochers."
Il lui fallait un second, cela devenait de plus en plus urgent, mais il ne voyait pas bien comment le choisir. Edgar était son ami le plus proche, parmi les officiers, mais il n'était pas certain qu'il soit le candidat le plus adapté. Modeste et inquiet comme il l'était, il risquait de ne pas prendre ses marques. Sans compter qu'Hubert ne voulait pas vexer les chevaliers. Etienne était conseiller, il ne pourrait donc pas lui suppléer pendant les réunions. Mathias était subordonné à Louis, cela pourrait provoquer des tensions. Restait donc Louis et Gaspard. Le premier était bon combattant mais Hubert n'aimait pas son attitude, sans compter qu'il n'était pas certain de parvenir à contenir son amertume dans l'immédiat. Gaspard avait servi sous les ordres de Robert, il lui faudrait un certain temps avant de pouvoir l'appréhender.
Il était trop tôt pour décider.
" Bon. Je serais tenté de confier les murs ouest et nord aux mercenaires, le mur sud à vous, Gaspard, et l'est à Louis ? Pouvons-nous tenter cette disposition, à réévaluer ?"

Ils acquiescèrent : l'organisation semblait parfaitement leur convenir.
-Si vous en êtes d'accord, nous n'occuperons que la tour nord-ouest, dit finalement Guillermo. Nous ne sommes pas si nombreux, nous pourrons intervenir sur les deux murs placés sous notre responsabilité, et il restera une tour disponible pour d'autres activités. Comme l'installation n'est pas terminée, comme elle risque d'être un casse-tête pour l'intendance, un surcroit de place ne sera pas malvenu, j'imagine.

" Très bien, j'irai trouver Ignace dès que nous levons la réunion, et je vous donnerai ensuite le feu vert."
En fait, ce n'était pas d'un second militaire qu'il avait besoin, mais bien d'un super-messager, une sorte d'intendant personnel, et il voyait exactement le candidat idéal pour ce poste. S'il acceptait...
" Nous demanderons aux lanceurs de sorts de dormir dans une des tours, ensemble. Peut-être celle qui demeurera libre. Quant à nous... J'imagine qu'Etienne et Mathias, vous pouvez dormir dans la tour de Louis, et Edgar et moi, dans la tour de Gaspard. Bon. Voyez-vous d'autres choses à discuter dans l'immédiat ? Sinon, je file voir Ignace. Edgar, tu t'occupes des entraînements. Etienne, tu vas relever Frida. Guillermo, j'apprécierais si vous pouviez nous inventer ce code sonore. Dès que j'ai le feu vert d'Ignace, vous pourrez vous installer. Mathias, tu devras suppléer à Louis tant qu'il est au repos."
Tutoiement, ainsi soit-il.

Tous acceptèrent ses consignes sans rechigner le moins du monde. Et tous, nota-t-il, en restèrent au vouvoiement. Tous hormis Étienne, qui passa sans mal au tutoiement. Sans doute la transition finirait-elle par s'opérer pour les autres aussi. Hormis peut-être pour Edgar, qui ne pouvait s'empêcher de l'appeler "mon capitaine", et pour Guillermot, cette fois pour des raisons statutaires.
Comme ils n'avaient rien a rajouter et semblaient plutôt impatients de se mettre à l’œuvre, Hubert put lever la réunion et son état-major s'égaya aux quatre coins du château, le laissant libre d'aller trouver Ignace, opération qui fut rondement menée.

Hubert devait à présent rassembler les lanceurs de sorts, mais il voulait régler son problème d'estafette. Il n'était pas complètement normal qu'il ait à courir à droite à gauche à la recherche des uns et des autres, pour demander des permissions, des informations. Ce n'était pas tâche désagréable en soi, mais il avait l'impression d'avoir des choses plus importantes à faire. Et donc, il lui fallait un relais.
Débaucher Albérich aurait été l'idéal. Il l'aurait eu sous les yeux, se serait réchauffé à sa simple présence, y aurait gagné en détermination. Mais il avait la certitude que le Luménien avait mieux à faire. Son calme dans la tempête était remarquable, et complètement imprévu. Il aurait gâché ses compétences en le prenant à son service. Même si son coeur le poussait à être égoïste, il avait assez de maîtrise pour ne pas commettre cette imposture.
Sans doute gâcherait-il un peu les compétences de l'homme qu'il avait en tête, également, mais il avait l'impression que leur dynamique pourrait fonctionner pour le plus grand bien, et que son candidat pourrait s'illustrer de bien des manières face aux imprévus. Il fallait juste le convaincre.
Il se mit donc en quête de Gabriel.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée