La Couronne de Cuivre

On n'aurait pas pu paraître moins sûr de lui et moins pressé que Lothar.
-On s'est débarrassé de Guillermo avant qu'il n'en dise trop. Et votre ami le paladin est à l'heure actuell occupé à faire des rondes sur les remparts. Mais quand bien même lui prendrait-il l'idée de revenir, quand bien même se trouverait-il quelques alliés...
Il fixa le clerc bien en face.
-Dites-moi, messire Megrall, que fera une poignée de combattants face à deux cent soldats de métier, au bas mot ? Parce que, vous savez, c'est ce qui va se déverser d'un instant à l'autre dans les salles et les couloirs de la forteresse...

Deux cents ?! Evidemment, ce n'était pas sur eux que les cannibales étaient tombés. Tymora était décidément très sélective.
" Il faudrait déjà qu'ils arrivent à sortir des souterrains."
La situation était catastrophique. Ils avaient été d'une négligence sans bornes, à laisser les forts d'accès sans surveillance. Dans le même temps, ils n'étaient pas assez nombreux, Albérich en était bien conscient. Mais si deux cents soldats survenaient subitement dans la forteresse, ils seraient perdus. Bien sûr, ils avaient l'avantage du terrain, ils connaissaient bien la forteresse, et déjà une partie des souterrains, mais ce ne serait pas suffisant pour évacuer tout le monde. Il ressentit un bref moment de découragement. Pourquoi le sort s'acharnait-il sur lui ? Qu'avait-il fait pour mériter une chose pareille ? Et eux, tous ces gens qui cherchaient la paix ? Est-ce que le bien était toujours voué à l'échec ?
Il se reprit. Il fallait espérer. Luménis pouvait être prévenue. Et Luménis interviendrait. Evidemment, c'était la guerre en Dorrandin, mais la capitale n'attendait qu'un écart d'Ithilion pour lui fondre dessus... et c'était l'écart bienvenu. Malheureusement, il faudrait des victimes, et c'était tombé sur eux. Il ne fallait pas penser en terme de bien personnel, mais de bien commun. Tôt ou tard, les Oghmans se mordraient les doigts de s'être montrés si veules.

-Cela ne leur posera aucun problème : quelqu'un leur a montré comment on ouvre grilles et portes secrètes. Et moi, je me suis fait un plaisir de leur expliquer en détails la disposition des lieux.... Bref, je pense que d'ici une heure, tout sera réglé.
Il fit un geste à l'homme entré dans la pièce un peu plus tôt.
-Il va falloir qu'on vous attache afin que vous ne tentiez rien d'irréfléchi, expliqua-t-il. Soyez raisonnable et tout se passera bien. Le rôle de ma compagnie est seulement de maîtriser les éléments les plus dangereux de la Communauté, afin d'ôter aux autres toute stupide velléité de combat. Ainsi évitera-t-on les actes de violence et de brutalité inutiles...

Evidemment... On allait de nouveau le réduire à l'impuissance, comme de coutume. Il fallait qu'il garde son calme. Il n'était pas certain de ne pas dissocier comme autrefois, malgré le retour de Lathandre. Le souvenir de ce qu'il s'était produit la dernière fois était suffisant pour le faire basculer, il en était conscient, et tout bien considéré, peut-être était-ce la meilleure chose possible... Il ne pouvait de toute façon rien faire pour venir en aide à la communauté. Contempler le désastre. Il n'était pas certain de pouvoir le supporter.
Pendant un instant, il songea à se défendre. Il aurait pu essayer de passer par la fenêtre : la chute lui aurait brisé quelque chose, mais rien qu'il ne puisse réparer en un clin d'oeil. Mais ils étaient trois. Il était probable qu'ils le rattrapent avant qu'il n'y parvienne.
" Si ça ne vous gêne pas, j'aimerais autant prendre mon manteau. Il fait plutôt froid."

Lothar acquiesça.
-Faites donc. Mes employeurs, loin d'être des barbares, comptent vous traiter, vous et les autres membres de la Communauté, avec les égards qui vous sont dus. Mais... Pas de geste brusque, pas de tentative d'incantation. Sinon, je serai contraint de vous interrompre et... vous n'aimerez pas ça.
C'est alors qu'une voix scandalisée retentit dans le couloir.
-Dites, je veux bien croire qu'il soit nécessaire de tenir des réunions militaires en pleine nuit mais au cas où vous l'ignoreriez, il y a des gens qui essaient de dormir, ici ! En plus, vous avez une salle d'état-major exprès pour ça !
Le mercenaire grimaça.
-Fait chier.
Il se tourna légèrement vers l'un de ses hommes.
-Occupe-toi de lui. Mais ne le tue que si tu n'as pas d'autre choix.

" GIOVANNI ! SAUVE-TOI !" cria alors Albérich de toutes ses forces.
Il n'espérait pas pouvoir aller plus loin avant de se prendre un coup, mais si le barde saisissait le message, c'était déjà ça de pris... et l'alerte serait aussitôt donnée.

Il écopa d'un coup de poing à la mâchoire qui l'envoya valdinguer contre le mur.
-Ça, c'était un truc irréfléchi, cracha le mercenaire.
Dans le couloir, Giovanni semblait ne pas avoir pris très au sérieux l'avertissement d'Albérich.
-Quoi, Hubert est furieux parce que j'ai osé me plaindre ! Qu'il vienne ! Je n'ai pas peur de lui !
Lothar se tourna plus franchement vers ses hommes.
-Faites taire ce barde ainsi que tous ceux qui montreront le bout de leur nez. Grouillez-vous.

Malgré sa tête bourdonnante, le clerc se redressa et prit une profonde inspiration. C'était sans doute sa seule fenêtre d'opportunité : Lothar regardait ailleurs.

Albérich -> Injonction Suprême -> Mercenaires

" Halte !"

Si cela fonctionnait, il ne lui resterait plus qu'à prendre la poudre d'escampette. Sinon, il s'estimerait heureux de s'en sortir avec un nez cassé.

Les mercenaires, leur chef en tête, s'immobilisèrent aussitôt.
- Çà, ça ressemble à un sacré sort d'injonction où je ne m'y connais pas ! s'exclama Giovanni.
Il entendit des pas qui s'approchaient, probablement ceux du barde.
-Albérich, si tu en as la possibilité, prends quelques affaires utiles avant de sortir. Je ne sais pas ce qui se trame mais mon petit doigt me dit que la nuit va être agitée...

" Je ne sais pas combien de temps ça va tenir..." souffla le clerc avant d'attraper son manteau, sa cotte de mailles et sa masse, non sans vérifier que le phylactère de métamorphose se trouvait bien dans la poche du premier.
Il contourna rapidement le mercenaire le plus proche de la porte et sortit dans le couloir. Il jeta son barda par terre et se remit aussitôt à incanter.

Albérich -> Mur de Pierre -> devant les trois portes

Le sortilège produisit son effet. Juste à temps, sembla-t-il, car, de l'autre côté de la paroi de pierre, il perçut les imprécations de Lothar.
-J'étais en train de maudire mon incapacité à m'endormir mais j'ai l'impression que c'était une bonne chose, au final... souffla le barde.
Il était habillé et tenait son arbalète. Un carreau y était encoché.
- Et si tu me disais ce qui cloche avec ceux-là ?

" Il faut qu'on scelle les souterrains. Guillermo a été trahi par ses hommes, Lothar travaille pour quelqu'un d'autre, et ce quelqu'un d'autre nous amène deux cents hommes par en-dessous. S'ils déferlent dans la forteresse, la communauté est perdue. Il faut sonner l'alarme, prévenir les militaires, et surtout boucher l'accès par le sous-sol... J'imagine que si nous avons seulement trente mercenaires à gérer, nous nous en sortirons..."
Il jeta un coup d'oeil dans le couloir.
" Mais que faire des gens, en attendant ? Faut-il réveiller tout le monde ?"

Giovanni le dévisagea quelques instants, apparemment partagé entre l'horreur et l'incrédulité. Mais il ne tarda pas à se reprendre.
-Réveiller tout le monde ? Hum, d'un côté, ce serait peut-être mieux que personne ne dorme, vu les circonstances. Mais d'un autre côté, ne crois-tu pas que cela sèmerait la panique et que ça rendrait la défense plus ardue ?
Il pâlit.
-Et... Combien y avait-il de mercenaires, dans ta chambre ? Deux ? Trois ? Parce que ça veut dire que tous les autres sont en liberté... Et peut-être avec des avec des prisonniers...

" Il y en avait trois, dont leur chef, Lothar... Ils vont finir par défoncer le mur, voire sortir par les fenêtres. Les autres... Je n'en sais rien. Lothar avait l'air de dire que quasi tout le monde était passé de son côté. Nous devons trouver Hubert, Thibault et Etienne. Et fermer ces fichus souterrains. Viens... Traîner ici ne sert à rien."
Il entraîna le barde vers l'étage inférieur. Ils avaient choisi leur appartement expressément pour qu'il soit proche de la grande salle. Ce faisant, il réfléchissait aux alliés potentiels qui logeaient à proximité, tout en surveillant les alentours.
" Nous devrions peut-être nous séparer... Un pour rassembler les personnes critiques, l'autre pour aller fermer les souterrains... "

Giovanni hésita.
-Si tu as encore en réserve un sortilège du type que celui que tu viens de lancer, je crois que tu serais le mieux placé pour cette dernière tâche. Mais si je comprends tout l'intérêt de se séparer, je me demande si c'est bien indiqué : avec une grosse vingtaine de mercenaires hostiles trainant on ne sait où dans la forteresse, l'aventure pourrait vite rourner court pour l'un d'entre nous. Ou pour les deux.

" Bon, descendons, alors, tu as raison." dit le clerc.
Il s'engagea dans les escaliers.
" Mais il doit y avoir un système de blocage interne à la forteresse... Il y en avait un au fort... Un mécanisme pour protéger la forteresse des intrusions. Je n'ai plus de mur à invoquer. Bouse, Etienne est sûrement le mieux placé pour nous renseigner... Mais je n'ai aucune idée du temps que nous avons devant nous. Ils pourraient très bien être déjà à l'intérieur... Or les souterrains sont notre seul goulot d'étranglement... S'ils le franchissent, nous serons immanquablement débordés."

-Resterait la possibilité de s'enfuir par les portes ou les passages secrets : en dehors de Ruth et de moi, peu de gens les connaissent. Et certainement aucun mercenaire. Bon, on ne pourrait pas emporter grand chose mais... Les clercs savent faire apparaître de l'eau et de la nourriture, non ?

***

-Mais pour en revenir à nos affaires... reprit Guillermo. Agir discrètement, donc afin de pouvoir les prendre au dépourvu si possible et de ne pas être repérés par leurs guetteurs si d'aventure ils sont déjà passés à l'action.
Son expression se fit dure.
-Et je me réserve Lothar quoiqu'il advienne.

" Je vous le laisse bien volontiers." dit le paladin.
Il avança vers la porte de la forteresse.
" Les Sunites étaient dans la grande salle... Ils nous seraient bien utiles, si nous pouvons les rallier..."

Il traversèrent le hall désert, gagnèrent la grande salle qui l'était presque tout autant.
Presque.
Les convives se comptaient quasiment sur les doigts d'une main : un quatuor de soldats et le trio de Sunites, jouant à des tables séparées. Mais il semblait fort que tout le monde était sur le point de se retirer.

Hubert ne voulait pas prendre de risques. Il fit signe à Guillermo de rester en arrière et prit le temps de scruter les issues de la pièce, lentement, à la recherche du moindre signe que des mercenaires si soient trouvés, embusqués. Il n'avancerait vers les Sunites que lorsqu'il se serait assuré qu'il n'y avait personne, même si c'était plus ou moins impossible... Quant à son compagnon, dans un premier temps, il resterait dans l'ombre. Il y avait là quatre soldats, également, des hommes de la communauté. Ils seraient déjà neuf, ce n'était pas négligeable.

Il ne nota rien d'alarmant et pu donc s'avancer vers le clerc et les paladins.
-Messieurs, je vous l'avais bien dit que nous aurions des ennuis si nous veillions trop tard, fit Thibault, souriant.
Mais il se fit aussitôt sérieux. Sans doute l'attitude d'Hubert indiquait-elle que l'heure n'était pas à la plaisanterie.
-Quelque chos ne va pas ?
C'était davantage une affirmation qu'une question.

Hubert s'assit avec eux, croisant les bras sur la table, puis baissa la voix.
" Je vais le dire une fois, écoutez bien. Les mercenaires sont en train de se mutiner. Guillermo est avec moi, mais Lothar a pris leur tête. Nous ne savons pas où ils sont, ni ce qu'ils préparent, mais c'est pour ce soir. Thibault, je veux que tu ailles chercher un maximum de renfort... Commence par Albérich. Essayez de trouver Ezéchiel, Etienne, Giovanni, a minima. Renaud, je veux que tu ailles sur les remparts, prévenir l'officier en faction. Les sentinelles doivent scruter la cour plutôt que l'extérieur. Reste là-bas, ils passent sous ton commandement. Roland, tu vas venir avec nous, et on va embarquer ces quatre-là. Il faut que nous trouvions tous les mercenaires et que nous les neutralisions. Guillermo pourra nous dire quand l'intégralité de la compagnie sera maîtrisée. Il faut être discret mais prompt. Personne ne tente rien de stupide. Et la sécurité des civils passe avant tout."

Si la stupéfaction fut de rigueur parmi les Sunites, tous gardèrent leur sang froid.
-C'est bien que je commence par Albérich : ma chambre n'est pas loin de la sienne et celle de Giovanni non plus. Mais où dois-je vous envoyer les renforts au fure et à mesure que je les trouve ?
Renaud, lui, s'éloignait déjà.

" Je n'en ai aucune idée... Je dirais que le principal est que vous formiez vous-même des petites escouades prêtes à en découdre avec l'ennemi... Comme je l'ai dit, je ne sais pas où ils sont, je ne sais pas ce qu'ils font... Nous ne pouvons nous replier nulle part pour l'instant. Je suis conscient que ce que je vous raconte est très flou, mais je n'en sais pas davantage. Je pense que Guillermo, Roland et moi-même allons nous diriger vers les salles qu'occupent les mercenaires, mais s'ils y sont encore, nous ne ferons pas le poids à sept... Le mieux est sans doute que nous utilisions cette pièce comme point de rendez-vous. Je n'ai pas mieux à proposer... mais si vous avez une idée, je suis preneur."

Mais ni Roland ni Thibault n'avaient mieux à proposer.
-Bon, faisons comme ça. De toute façon, en cas d'urgence, il me reste un sortilège de communication à distance : au moins, cela permettra de pallier à un imprévu...
Sur ce, il se leva et s'éloigna, s'efforçant d'adopter l'attitude de quelqu'un qui va se coucher.

" Bon. Il va falloir que tu t'armes, ainsi que ces quatre-là. Ensuite, nous irons voir où en sont les mercenaires. J'espère qu'ils sont encore groupés dans leurs appartements, mais j'en doute... Il est déjà tard. Enfin, si nous pouvons déjà coincer ceux qui sont restés en arrière, ce sera toujours ça de pris."
Il se leva et traversa la pièce vers les quatre hommes attablés.
" Vous quatre, suivez Roland à l'armurerie. Sans bruit, sans inquiétude. Nous avons une urgence, mais je ne veux pas de précipitation."

Les quatre soldats s'entreregardèrent. Mais dans une attitude tout ce qu'il y a de plus martiale, ils ne posèrent pas la moindre question, se levant plutôt et suivant le paladin de Sunie.
Quelques minutes plus tard, Hubert les rejoignait avec Guillermo, a qui il avait expliqué ses décisions et qui n'avait rien trouvé à redire. Leurs cinq compagnons s'étaient équipés de pied en cap.
Ils s'apprêtaient à prendre la direction des quartiers occupés par les épées louées lorsque, tout à coup, Hubert entendit une voix dans sa tête.
Albérich est parti en enfermant des mercenaires dans sa chambre. Giovanni n'est pas dans la sienne.

Hubert resta pétrifié par ce que lui communiquait Thibault. Des mercenaires dans sa chambre ? Comment une telle chose avait-elle pu se produire ? Comment le Sunite pouvait-il en être sûr ? Il fallait qu'il garde son calme. Qu'il réponde à son interlocuteur.
Trouve Etienne. Giovanni et Albérich sont probablement ensemble. Combien de mercenaires ?

Bref silence.
Deux ou trois. Dont Lothar, je crois. Furieux.
Près de lui, ses alliés demeuraient immobiles, attendant ses ordres.
Tout autour d'eux, le silence était absolu.

Sois prudent. Trouve Etienne et Gabriel. Merci.
Il se tourna vers les autres.
" Lothar est apparemment pris au piège dans mes appartements. Il a essayé de s'en prendre à Albérich, mais ça ne lui a pas réussi..."
Il s'adressa à Guillermo.
" Qu'en pensez-vous ? Devons-nous le neutraliser en priorité ? Cela vous permettra-t-il de reprendre un ascendant sur les autres ?"

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue