La Couronne de Cuivre

L'elfe ne ménagea pas ses efforts, usant au besoin de son épée pour triompher de la peu coopérante mousse. Il était décidé à en récupérer jusqu'au dernier fragment : pour leur nourriture, certes, mais plus encore pour un éventuel feu, si d'aventure la pêche de Martin s'avérait fructueuse. Les remarques du courtisan concernant les gamins étaient pertinentes : lui-même était glacé, ses frusques n'avaient pas été épargnées par les filets d'eau dévalant les tunnels qu'ils avaient traversés ou par l'humidité ambiante. Il préférait donc ne pas imaginer l'état de Victor et surtout celui de Jehan. Une flambée serait plus que bienvenue : salutaire, assurément.
Une fois la récolte faite et les parois totalement dépouillées de lichen, il alla déposer sa récolte près de l'endroit où Jehan était allongé. Puis, par acquis de conscience, il entreprit d'explorer les environs, en quête de combustible ou d'éléments de décor familiers. Bredouille sur les deux plans, il rejoignit finalement ses compagnons.

Taliesin fut accueilli avec enthousiasme par Victor et Martin. Le premier était assis devant une sorte de petit enclos qu'il avait bâti à l'aide de cailloux ramassés un peu partout. Y gigotaient toutes sortes de créatures étranges, habitants des récifs, qu'il avait cueillis à tâtons. Il y avait là des coquillages divers, deux crabes ventripotents, des poignées de petits escargots noirs qui s'escaladaient les uns les autres, et plusieurs masses gélatineuses, verdâtres, d'un aspect plutôt douteux.
" C'est dégoûtant de mettre sa main comme ça, sous l'eau..." fit Victor. " J'avais peur d'être attrapé par une sirène maléfique, en fait... Mais Martin dit que les trous sont trop petits."
" C'est surtout la mer. Rien à voir avec les lacs souterrains qui nous ont joué des tours jusqu'ici."
" Le premier, c'était la mer."
" C'était quand même différent."
Le courtisan avait attrapé trois poissons de taille moyenne. En fait, pour un ventre affamé, ils avaient l'air minuscules ou énormes, suivant l'état d'esprit. Taliesin nota qu'il pêchait au sang, plongeant sa propre main entaillée à même l'eau salée.
" On devrait brûler tous les vêtements d'un des drows. Mais ça nous obligerait à le tuer. Par souci d'humanité, je veux dire." fit-il d'un ton léger.

Le barde ne put réprimer une grimace. L'atmosphère, presque légère un instant plus tôt, s'était brusquement alourdie. Du moins, de son point de vue.
-Même dans l'hypothèse où nous nous résignerions à de telles extrémités, le jeu n'en vaudrait pas la chandelle : les vêtements brûleraient trop rapidement. Une vie pour un feu éphémère, c'est un peu disproportionné.
La question de se réchauffer ne s'en posait pas moins...
-Interrogeons les drows, reprit-il. S'il s'avère qu'on trouve, dans les parages, beaucoup de mousse similaire à celle que j'ai ramassée, brûlons notre petite réserve. Elle ne durera pas bien longtemps non plus, mais ce sera déjà ça.

" Et combien de temps dure un élémentaire de feu, quand personne ne lui tape dessus ? Parce qu'on pourrait tout aussi bien lui demander de s'asseoir par terre et profiter de son rayonnement pour nous réchauffer et cuire notre casse-croûte. Certains de ces coquillages sont tout à fait délicieux quand ils sont chauds, mais garantie de maux d'estomac si on les consomme nature..." demanda Martin.
" Moi le poisson cru, ça me tente pas. Le poisson cuit, déjà, c'est pas vraiment mon plat préféré..."
" Pour quelqu'un d'originaire du bord de mer, tu me déçois, Victor. Le lieu à la carotte glacée est pourtant une spécialité luménienne prisée, même à Mélandis !"
" Ah beurk."
" Que Taliesin me parle de lièvre aux baies sauvages ou de sanglier rôti, j'aurais compris. Mais toi... Quelle déception."
" Ma maman n'était pas de Luménis."
" Ah, tout s'explique."

Taliesin fronça un sourcil. Voilà un détail qu'il ignorait... En même temps, il devait admettre ne pas connaître grand chose des parents de Victor : le gamin ne lui avait jamais vraiment parlé de sa vie d'antan. Galathée, elle, en savait certainement bien davantage.
-Je dirais qu'il peut rester environ une heure... répondit-il au courtisan après un instant de réflexion. Pas énorme, certes, mais tout de même assez pour que nous préparions notre festin, pour que nous nous séchions et nous réchauffions. Je peux tenter de le convoquer dès à présent, à moins que tu ne désires encore pêcher.
Il avait déjà levé les mains pour incanter, tout en souhaitant que son sommeil ait été assez long pour le lui permettre.

" Une heure ! C'est Eauprofonde, dis-moi !" fit le courtisan avec le sourire. " Ecoute, je vais encore pêcher un peu. Si nous devons nous farcir les deux noirauds, autant qu'ils soient capables de mettre un pied devant l'autre. De votre côté, vous pouvez vider les poissons, je suppose, et Krenlyn a dit que la mousse se mangeait froide, donc ça, c'est à mettre de côté. Pour ce qui est des crustacés, on peut mettre les crabes directement dans la flamme, il faudra juste les empêcher de s'enfuir le temps qu'ils cuisent. Par contre, les limaces de mer, il faut les enfiler sur une lame, pour les griller comme des brochettes."
Il sourit dans l'ombre.
" On doit vraiment manger ces trucs. Ils ont l'air répugnant."
" L'air ne fait pas la chanson. C'est délicieux. Avec un peu de poivre vert et un soupçon de coriandre ciselé encore plus, mais nous n'avons pas ce que nous n'avons pas."

-Bah, nous n'avons pas à nous plaindre, fit le barde, enjoué. D'accord, les condiments et l'assaisonnement nous font défaut, mais personnellement, je n'aurais pas pensé que nous aurions tant de choses à nous mettre sous la dent !
Il s'assit, s'empara de l'un des poissons.
-Bon, je vais commencer à les ouvrir avec ma lame, mais il faudra faire le reste avec les doigts. Un chef ogre se satisferait peut-être d'une épée en manière de couteau de cuisine ; malheureusement, je ne suis qu'un elfe.
L'instant suivant, il se mettait à l'ouvrage. Il devrait sans doute s'acquitter seul de ces préparatifs : Victor, malgré la lueur grisâtre qui baignait les lieux, n'y verrait probablement pas assez pour l'aider.

Victor ne le proposa pas, en tout cas. Il demeura assis à proximité, attendant probablement la lumière de l'élémentaire. Martin sortit encore deux beaux poissons de l'onde puis rejoignit l'elfe.
" Je pense que nous avons trop faim pour attendre encore davantage." fit-il. "Qu'allons-nous faire des drows ? Je serais pour les faire manger à tour de rôle. Si nous sommes deux à les surveiller, nous ne risquons rien. D'autant que nous avons les armes et qu'ils te craignent. Moi, donner la becquée à un elfe noir, ce n'est pas trop mon style. D'autant que Krenlyn m'a déjà mordu tout à l'heure."
Il sourit.
" A ce sujet, si tu as un sort de soin de trop, je suis intéressé..."

Que les drows le redoutent surprenait beaucoup Taliesin. Après tout, n'auraient-ils pas dû avoir peur de Martin, qui n'avait pas caché le sort qu'il aimerait leur faire subir ? Lui-même avait été plus - sinon trop - humain. Mais il savait jeter user de magie, savait se battre... D'où, peut-être, la réaction des elfes noirs.
-Nous feront comme ça pour les nourrir, répondit-il. Quant au soin...
Il incanta aussitôt. Même si son sommeil avait été trop bref, point sur lequel il n'était pas encore fixé, il lui restait effectivement cette ressource en réserve.

Taliesin --> Soins légers --> Martin

Ce fut ensuite l'épreuve de vérité.
-Fermez les yeux, on ne sait jamais... dit-il.
Puis il leva à nouveau les mains

Taliesin --> Convocation de monstres III

Malgré les maigres heures de sommeil dont il avait disposé, Taliesin parvint à lancer son sortilège. En voyant apparaître l'élémentaire de feu, il réalisa cependant qu'il n'était pas au meilleur de sa forme et qu'il n'était pas certain de pouvoir disposer de son potentiel habituel. La créature parut attendre quelque chose et lorsque Victor s'approcha d'elle en tendant les mains, le sourire épanoui, il sembla même au barde qu'elle paraissait interloquée.
" Assieds-toi donc, seigneur des plans !" s'exclama Martin avec entrain.

Sitôt remis de sa surprise - avec son pessimiste habituel, il avait été persuadé de faire chou blanc -, Taliesin se concentra pour raffermir son autorité sur la créature. Il lui demanda de s'assoir, de ne plus bouger... et de monter la garde, au cas où des ennemis surgiraient tandis qu'ils étaient occupés à se réchauffer et à se nourrir. Peut-être la demande, ainsi expliquée, abasourdirait-elle moins l'élémentaire ?
En tout cas, l'elfe ne songerait à profiter de sa chaleur qu'une fois assuré qu'il appliquerait bien ses consignes.

L'élémentaire se plia aux desiderata de son maître sans rechigner, même si son expression, si on pouvait en deviner une sur son visage enflammé, demeura sceptique. Il s'assit en tailleur sur la pierre et se contenta de brûler, plus immobile qu'un feu véritable. Martin avait déplacé Jehan non loin de la source de chaleur et entreprit de le déshabiller. Victor l'imita rapidement, tandis que le poisson grésillait déjà sur la flamme, diffusant une odeur délicieuse.
Les drows s'agitaient.
Taliesin prit conscience du froid qui avait régné jusqu'alors et du contraste incroyablement agréable avec cette flambée originale.

Taliesin éprouva un profond sentiment de gratitude envers Martin. D'eux tous, Jehan était celui qui avait le plus besoin de se réchauffer. Et l'attention du courtisan était d'autant plus louable que, face à ces flammes bienvenues, on n'avait qu'une envie : s'abandonner à leurs bienfaits sans plus rien faire d'autre.
Lui-même dut se secouer : il ne devait pas se laisser gagner par cette dangereuse langueur. Ses deux compagnons conscients étant pour l'heure occupés, il se chargea seul du gros de la cuisine, conduisant les crabes et une limace - après l'avoir piquée sur la lame de son épée - vers leur cruel mais si nécessaire destin. Il était vaguement embarrassé d'infliger un tel traitement à l'élémentaire. C'était pour la bonne cause, cependant.
Quant tout serait prêt, il irait recueillir de l'eau - usant d'une carapace de crabe comme récipient improvisé - et ferait boire Jehan. Puis il se mettrait en devoir de le nourrir. Il fallait impérativement qu'il y parvienne, d'une manière ou d'une autre.

Les carapaces de crabe ne seraient disponibles que lorsque leurs occupants auraient été mangés : il faudrait donc attendre encore un peu avant de s'occuper de Jehan. Victor, nu comme un ver, et Martin, dans la même tenue, rejoignirent l'élémentaire et leur chef cuisinier. Le courtisan tendit Rumoc à Taliesin avec un sourire.
" Tiens, maintenant que nous avons de la lumière, je préfère te le rendre."
" Je ne suis pas juste un objet." grommela la ceinture.
" Oui, enfin, tu vois."
Il jeta un regard au barde.
" Cela dit, tu ferais mieux d'en profiter pour faire sécher tes vêtements, toi aussi."

-C'était bien mon intention, répondit-il, espiègle. Mais j'ai préféré me consacrer à la communauté avant de songer à mon propre bien être !
Souriant - chaleur et repas à venir le mettaient de bonne humeur -, il posa Rumoc au sol puis commença à se dévêtir.
-Comment va Jehan ? s'enquit-il, ce faisant.

" Il est froid mais vivant. Il respire lentement. Plus que ça, je ne saurais dire."
Il baissa le ton.
" Je pense que nous devrions interroger les drows à son sujet. Ils doivent en savoir davantage... Ce n'est sûrement pas la première fois qu'ils observent ce genre de phénomène. Personnellement... Je n'y entends rien. Il a l'air profondément endormi. Comme s'il était gelé, je dirais."

-Je les ai déjà interrogés, tu sais. Dans la petite grotte, avant qu'on ne te réveille. Ton ami Krenlyn m'a dit que leur prêtresse avait pompé son énergie vitale pour lancer davantage de sorts... D'après lui, les victimes de semblables traitements meurent ou se réveillent sans qu'on puisse vraiment faire quelque chose. En même temps, je doute que les drows prennent la peine de les réchauffer, de les nourrir. Ce que nous ferons, nous. Mais peut-être ne m'a-t-il pas tout dit... On pourrait le questionner à nouveau, demander à Rumoc s'il parait mentir, cacher des choses...

" C'est sûr qu'il n'est pas vraiment le genre à se soucier du corps exsangue d'un esclave... Pourtant, il était sous les ordres de la prêtresse. C'est lui qui dois en savoir le plus. D'un autre côté... Je ne vois pas pourquoi il t'aurait menti. Enfin... leur esprit est tellement tordu, en même temps..."
" Il va probablement marchander son savoir." intervint Rumoc.
" Oh, j'ai les moyens de le faire parler..." murmura Martin avec un léger sourire. " Pour autant qu'on éteigne les lumières..."
" J'ai entendu !"
" Oui, mais tu manques d'imagination, Victor."
Le gosse allait protester mais Martin lui tendit un poisson fumant qu'il laissa tomber sur la pierre. La convoitise se lisait dans les yeux de l'enfant. Il en envoya un vers Taliesin.
" Heureusement qu'il y a de l'eau à proximité... Tout ceci ne risque pas d'être très raffiné."
Puis sans attendre, il s'attaqua à sa propre pitance.

Le barde l'imita aussitôt.
L'interrogatoire du drow et les moyens qu'ils devraient employer pour le faire parler - pour peu qu'il sache quelque chose - le préoccupaient. Mais, une fois n'est pas coutume, il avait décidé de remettre les soucis à plus tard et de profiter de l'instant présent.
La chaleur, la nourriture... Tout ce soudain réconfort semblait presque irréel.
-Et bien... commença-t-il joyeusement après avoir englouti une grosse partie de sa portion. Du poisson grillé, un feu de camp, la mer toute proche... Ne se croirait-on pas en villégiature ?

Martin sourit.
" Pour moi, c'est surtout un retour aux sources. J'ai grandi en bord de mer. Ce genre de petites occasions... C'était mon quotidien. Bon... Nous pêchions avec plus de discernement... Ces petites gougrettes ne sont pas mauvaises, mais ce n'est pas exactement le poisson le plus fin du rivage."
Une ombre passa, furtive, sur son visage.
" Mais oui, ça a un côté décalé, je le reconnais."
" Moi je préférerais qu'on soit dehors, avec du soleil, et puis des meilleures choses à manger..."
" Allez, goûte la limace de mer, c'est bon, je te jure."
" Il dit vrai." fit Rumoc, flegmatique.

L'elfe adressa un sourire reconnaissant à Rumoc, allié imprévu. La triste remarque de Victor, autrefois si prompt à retrouver son entrain et son optimisme, ne manquait pas de l'inquiéter. Que le gamin ait perdu son allant et soit si découragé n'était pas une bonne chose... Il espérait être en mesure d'y remédier, au moins un peu - après tout, il était barde, non ? - mais n'était pas certain d'y parvenir.
-Je fais entière confiance à Martin, dit-il en prenant la limace qui lui était destinée. Et puis, j'ai mangé des choses autrement plus bizarres...
C'était vrai. Quoi que, d'ordinaire, on lui servait les aliments exotiques cuits. Avoir vu la bestiole vivante changeait la donne... Aussi, malgré l'air gourmand qu'il arbora, ce n'est pas sans une crainte certaine qu'il entreprit de goûter ce met aux dehors si peu engageants.

Et c'était effectivement plutôt bon, une fois qu'on faisait abstraction de l'enveloppe roussie et de la consistance crémeuse de l'animal. Martin se leva après avoir terminé son poisson et alla vers les drows. Il revint peu de temps après, avec Krenlyn, qu'il détacha près du feu, à distance respectable de Taliesin et Victor. Le drow était manifestement très gêné par la lumière, même si la chaleur devait lui faire du bien.
" Au moindre geste agressif, l'élémentaire qui a bien voulu nous réchauffer te carbonisera sur pied." fit le courtisan, en se mettant debout derrière son prisonnier, la lame dénudée. " Et je te décapiterai en sus. Une belle mort, si c'est ce à quoi on aspire."
L'elfe noir se garda bien de répondre et chercha des doigts quelque chose pour se sustenter.

Après s'être assuré qu'il aurait de quoi se nourrir - de la mousse, surtout, les meilleurs morceaux étant soit déjà mangés, soit réservés à autrui -, Taliesin rapprocha de lui son épée et, du coin de l'œil, surveilla le drow détaché.
Il aurait bien continué à discuter tranquillement autour du feu. Il avait même songé à interroger Martin sur son enfance en bord de mer. L'ombre qu'il avait surpris sur son visage l'en avait dissuadé. Et à présent, le courtisan s'occupait du repas de leurs prisonniers. Il avait raison, évidemment : il fallait profiter de la lumière qui les désavantageait. Mais, n'empêche : le charme était quelque peu rompu.
Sans relâcher sa vigilance, il se tourna vers Victor.
-Alors, et cette limace ?

" Mouais... Et bien, ça ne vaut pas l'omelette aux champignons sauvages et ciboulette. Mais ça a la même consistance." fit le petit garçon, d'un air mutin. " J'ai l'impression que je pourrais encore manger le triple de ce que je viens d'ingurgiter."
Il se laissa aller en arrière, appuyé sur ses bras tendus.
" Maintenant, j'imagine que je devrais en profiter pour me laver, ou quelque chose comme ça ? Combien d'élémentaires peux-tu invoquer par jour ? Allons-nous subitement retomber dans le noir ?"

Taliesin grimaça. Comment pouvait-il détendre l'atmosphère si Victor mettait invariablement le doigt là où ça faisait mal ?
-Oui, répondit-il franchement. L'élémentaire ne peut rester qu'une petite heure avec nous, et je suis seulement capable d'en convoquer un par jour. Les bardes se débrouillent en bien des domaines mais... ils ne sont vraiment bons nulle part, tu sais. Bref, je suis désolé, mais il nous faudra encore faire avec le froid et l'obscurité. Il vaut donc mieux que tu attendes pour te laver, d'autant que tu risquerais d'attraper froid en allant jusqu'au point d'eau et que tes habits sont dans un tel état qu'ils te saliraient sitôt enfilés...
Il s'arracha un sourire.
-Mais il y a quand même de bonnes nouvelles. Maintenant que nous avons atteint le niveau de la mer, il nous suffit de dénicher une ouverture adéquate pour regagner l'air libre. Ensuite, il reste encore de quoi manger : les crabes doivent être prêts, maintenant.

" Oui, j'imagine que je pourrai prendre un bain de mer tôt ou tard. Sans infâmes sirènes carnivores, j'espère. Même elles ont l'air d'habiter le rivage aussi, vu ce qui est arrivé avec le Mélandien et cette pauvre Elerinna."
Les crabes étaient effectivement cuits et Victor en retourna un avec la mine sceptique.
" Que comptez-vous faire lorsque vous aurez regagné la surface ? Vous devez savoir que le Squale vous y cueillera comme de la chiendent." fit alors le drow, entre deux bouchées.

Taliesin leva les yeux au ciel : voilà que le drow s'y mettait aussi, à présent !
Pour retrouver contenance - et se donner le temps de réfléchir à sa réponse -, il s'empara de l'autre crabe et entreprit de le décortiquer sans abîmer sa carapace.
-Normalement, le Squale est déjà de l'histoire ancienne, répondit-il calmement, comme s'il était sûr de son fait. Ou, au moins, en passe de le devenir.
N'ayant pas encore tout à fait abandonné l'idée de laisser la vie sauve à leur prisonnier, il n'entendait pas leur donner trop d'informations. Mais il fallait impérativement remonter le moral de son groupe.

La déclaration de Taliesin fut accueillie par un silence que ne brisait que le crépitement des denrées plongées dans les flammes de l'élémentaire. Le drow avait l'air dubitatif, mais ce n'était peut-être que le résultat de son aversion à la lumière. Il ne relança en tout cas pas le sujet et du bout de sa lame, Martin l'invita à se lever avant de l'attacher à nouveau et de le ramener dans un coin de la grotte.
" Tu crois que c'est vraiment vrai ? Que les Luméniens sont arrivés ?" demanda rapidement Victor, profitant de leur tranquillité relative.

-Je n'en sais rien... répondit l'elfe, à mi-voix. Mais je l'espère de toute mes forces. Et qui sait ? En me montrant optimiste, une fois n'est pas coutume, peut-être influerai-je de façon bénéfique sur le cours des choses ?
Il était sincère : il vivait avec, chevillé au corps, l'espoir que les Luméniens aient débarqués ou soient sur le point de le faire. S'il en allait autrement, si le Squale contrôlait toujours la surface de l'île... Alors, ils seraient perdus. S'ils ne se faisaient pas cueillir sitôt sortis des grottes, ils périraient dans l'obscurité, à petit feu. Ils n'auraient comme vivres que ce qu'ils pourraient trouver au fil de leurs errances. Ils n'auraient comme source de chaleur que cet élémentaire, une fois par jour, pendant une heure. A côté de ça... Des vêtements en loques et pas assez chauds. Deux épées tout ce qu'il y avait de plus ordinaire... Rien d'autre. Ni couvertures, ni armures, ni armes magiques, ni pipeau miraculeux. Rien.
Oui, si les Luméniens n'avaient pas répondu à l'appel... Leur petit groupe serait bien mal embarqué.

Victor acquiesça, songeur.
" Si tu le dis..."
Il fronça les sourcils.
" Et que vas-tu faire, si jamais les Luméniens sont là ? Tu crois que tu iras quand même jusqu'à Mélandis ? Malgré tout ce qui est arrivé ? Même s'il n'y a plus de Liberté, et tout ça ?"

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