La Couronne de Cuivre

" J'imagine, oui", marmonna Astrée avec une grimace.
C'était davantage dû à la succession de chocs émotionnels, aux journées passées à courir en tout sens sans relâche, qu'aux suites de son refroidissement. Et on n'y pouvait pas grand-chose.
" Mais ça n'est rien de grave, pour la cheville, juste une morsure de félin..." précisa-t-elle tout de même. Tybert lui réparerait ça en moins de deux.

Elle laissa son regard errer sur la scène devant elle, l'esprit ailleurs. Elle aurait dû aller parler à Goran, à Tybert, mais elle avait du mal à rassembler ses idées. Ce qu'avait dit Byron... elle en restait stupéfaite. Lorsqu'elle l'avait rencontré, la harde passait bien avant sa propre vie, et maintenant, il considérait que l'essentiel étaient qu'ils soient tous vivants ? Un peu comme Dymphéa avant-hier. Sans la pierre, sans shaman, sans la magie centaure, la harde se disloquait, perdait son identité. Bien sûr, ils pourraient exister autrement, sans shaman... comme des sans-harde, finalement ? Quelque chose qui leur aurait paru une aberration, une ou deux veilles plus tôt...
Elle réprima un soupir. Était-ce un bien, un mal ? Ils se rapprocheraient du fonctionnement des sociétés humaines, sans doute. Peut-être était-ce juste une évolution naturelle. Mais pour sa part, elle ne pouvait s'empêcher de regretter la harde, telle qu'elle l'avait connue. Et Neffen...

Décidément, c'était tout de même un comble qu'elle pleure davantage la harde et son shaman que les centaures eux-mêmes. Ça n'était même pas "sa" harde, comme le lui avait si bien rappelé le minotaure du Castel.

Goran et Tybert étaient restés en retrait, comme s'ils percevaient que leur présence n'était pas nécessaire dans l'immédiat. Sans doute pourraient-ils la mettre au courant de ce qui s'était produit quand elle en aurait envie, si elle en avait envie. Byron la dévisagea, toujours inquiet.
" Le Capitaine de Tempera a envoyé plusieurs groupes dans la vallée, pour rechercher les centaures et les Montequins. Pour l'instant, nous ne savons pas très bien comment... comment agir avec les centaures et les humains... Tout est assez désordonné... Je ne sais pas si tu peux nous aider... si tu es en état..."

" Si je peux être utile à quoi que ce soit, tu peux compter sur moi, Byron, affirma Astrée avec une conviction un peu forcée. Je suis un peu secouée par... ce qui s'est passé là-bas... mais ne t'en fais pas, au contraire ça me fera du bien d'aider à quelque chose."
Elle était un peu épuisée, aussi. Le contrecoup. Elle n'avait qu'une envie, se replier sur elle-même et se reposer. Mais ça n'était pas le moment de s'apitoyer sur son sort. Agir était le meilleur remède à la mélancolie. Même si elle doutait de pouvoir aider en quoi que ce soit...
" Quel est le problème, exactement ? Ou la situation, en tout cas ?"

Byron n'avait pas l'air convaincu par les paroles d'Astrée.
" Je devrais te laisser te reposer à la place de t'ennuyer avec ça mais... Je dois partir retrouver Sheldon. Et je me dis que tu as peut-être davantage de... perception de la situation que les autres."
Goran et Tybert ne les écoutaient plus. Le cavalier borthéian s'apprêtait d'ailleurs à monter sur les remparts.
" Les Luméniens ont commencé à libérer les centaures. Mais pour l'instant, ils les ont tous rassemblés sur la place principale du village... Les gens sont tenus à l'écart, eux... Ils vont de bâtiment en bâtiment... C'est compliqué, j'ai l'impression. Adoucir les angles... ça pourrait peut-être aider un peu..."

Astrée grimaça.
" La situation ne doit pas être simple. Je me souviens que quand on avait comme projet de libérer les centaures, avec Neffen, il disait qu'il nous fallait Sheldon avec nous, sans quoi ça tournerait au chaos. Et il parlait de réveiller leur âme. Mais maintenant... et bien tout est différent. Et je ne sais pas comment ça risque de tourner, effectivement. Pas aussi chaotique qu'il le craignait, j'espère. Il y a des cavaliers pour empêcher les débordements, je suppose que ça suffira. Mais il y a deux cent centaures, tout de même. C'est énorme..."
Elle secoua la tête.
" Bref, je ne sais pas si je serai utile à grand-chose. Mais je veux bien essayer... Et toi, comment vas-tu pouvoir retrouver Sheldon ? Aux dernières nouvelles, il était parti dans une guérilla... désespérée je pense... avec deux de ses guerriers... "

" Retrouver Sheldon... Ce ne sera pas difficile. Même sans le lien de la harde, je le perçois confusément. Je suis sans doute le seul qui puisse le raisonner, s'il est aussi désespéré que tu le penses... Mais je crois que... comme moi... il doit ressentir qu'il y a une autre manière... un chemin qui s'ouvre... Je ne saurais pas le décrire."
Tybert s'était approché, cette fois, mais il ne paraissait pas encore décidé à intervenir. Il écoutait désormais leur conversation.
" Les centaures domestiques sont très calmes. Même les anciens de la harde paraissent un peu... un peu sonnés... C'est comme une sorte de contrecoup, je suppose. Ou alors ils percevaient, eux aussi, le chant de la harde, et il a disparu."

" J'aimerais bien ressentir moi aussi... ce chemin qui s'ouvre, comme tu dis. Au lieu de ça, je me suis obstinée à vouloir sauver la pierre, et ce n'était pas la bonne voie. J'aurais dû prendre le temps, sans doute, Neffen me l'avait dit, il m'avait avertie... Mais ce qui est fait est fait."
Elle soupira, et vérifia que personne d'autre que Tybert n'entendait, avant de poursuivre, à voix plus basse.
" Neffen m'avait confié un rameau issu de de l'arbre de vie, sans me dire à quoi il pourrait me servir. Et j'ai voulu tenter de ressusciter la pierre, en le plantant à côté. Elle était morte... Mais au lieu de la ressusciter, ça l'a détruite. Explosée. Voilà... Je te le dis juste au cas où vous vous posiez des questions sur ce qui a ravagé la clairière là-bas..., expliqua-t-elle en rougissant, la tête baissée. Je ne pensais pas que ça aurait cet effet, je me disait qu'on n'avait rien à perdre à essayer. Enfin bref. J'ai eu tort...

" Le bois de l'arbre de vie est mort, dit Byron en pinçant les lèvres. Je suis surpris que Neffen ne t'ait pas dit de t'en débarrasser... de le brûler, par exemple. Les feuilles et les fruits... Les humains les ont souvent convoités, par le passé, car ils ont du pouvoir... mais le bois... le bois est mort dès qu'il est détaché de l'arbre. Il est très dangereux. Je ne sais pas à quel point, mais c'est ce qu'on répète à tous les centaures, depuis leur naissance."
Il eut un sourire.
" Mais alors tu l'as vu ? Neffen l'a invoqué pour toi ?"

Astrée acquiesça.
" Oui... il l'a invoqué pour l'âme de Kess. Ca aussi, c'est de ma faute... Ils l'avaient attachée là-bas, en guise d'appât, et j'ai sectionné ses liens pour qu'elle s'évade, mais ça n'a pas marché. Cela dit, ils l'auraient sans doute tuée quand même au bout d'un moment. Mais donc, je l'ai vu. Un immense arbre éthéré. Neffen a dit que ça n'était pas une réussite... Et il m'a donné un rameau, portant un fruit pour l'enfant que je voulais soigner. Et deux feuilles, aussi... mais elles ont été détruites. Et il m'avait dit de détruire le bois ensuite, de le brûler, sans m'expliquer pourquoi. Et c'est ce que je comptais faire, bien sûr, après avoir tenté ça..."
Elle soupira.
" Je ne saurai jamais à quoi étaient sensées servir les deux feuilles. Mais ça n'était pas forcément important. Il disait qu'elles étaient pour moi, quand je serais prête, il n'a pas dit pour quoi... mais je n'ai besoin de rien pour moi, je voulais juste essayer de sauver la harde."
Et il valait peut-être mieux qu'elle ne sache pas à quoi servaient ces feuilles, sans quoi elle risquait fort de regretter son acte stupide. Quant au bois... peut-être que son danger était justement pour la pierre ?

Byron posa la main sur le bras de la rôdeuse.
" Ça valait le coup d'essayer, même si ça n'a pas marché." dit-il, apaisant.
Il sourit doucement.
" Normalement, l'arbre de vie est un véritable arbre qui pousse à une vitesse fulgurante. Dans les temps anciens... nous avons beaucoup souffert à cause de cet arbre, et du pouvoir qu'il possède... A présent... Tu as vu le dernier arbre de vie de notre harde. C'est un souvenir que tu devras chérir. Cela fait finalement de toi l'ultime mémoire de cet instant."

" C'est vrai... Mais j'avoue que je n'avais pas vraiment le coeur à l'apprécier. J'étais trop bouleversée par la mort de Neffen..."
Elle soupira, le coeur serré.
" Quand j'aurai digéré tout ça, tu as raison, ce sera sans doute un souvenir merveilleux, même si je n'en ai vu qu'un fantôme. Mais je trouve dommage qu'un tel prodige disparaisse, tu sais. J'en veux énormément aux montequins d'avoir détruit votre harde. Au-delà de toutes les vies perdues, ils ont détruit un immense savoir, une culture..."
Et tué Neffen, aussi. Même s'il n'était pas réellement un être vivant comme les autres et qu'elle serait, en un sens, peut-être la seule à le pleurer.
" Mais bon, je sais aussi le fardeau que c'était. Et puis, on n'y peut plus rien de toute façon. Il faut penser aux vivants... Et puis, tu dis qu'une autre façon de faire vivre la harde est possible..."
Elle se força à sourire. Elle se sentait passablement déprimée. Avoir raconté sa succession d'échecs n'avait en rien arrangé son moral, même s'il fallait, de toute façon, qu'elle l'informe de tout ça. Pour les heures à venir, il valait mieux qu'elle s'active, qu'elle se trouve quelque chose d'utile à faire, malgré sa fatigue. Ça serait mieux que de ruminer ses erreurs.

Byron lui pressa doucement l'épaule, puis lui reprit les mains.
" Je reviens vite. Repose-toi. Tu en as déjà beaucoup fait."
Puis il la salua et se dirigea au trot vers les portes ouvertes. Deux cavaliers de la Trouée le rejoignirent et ils partirent tous trois vers la forêt, au grand galop. Byron s'efforçait de ne pas distancer les chevaux moins rapides. Tybert s'était approché.
" Veux-tu que je soigne ta cheville ?" demanda-t-il.

Astrée regarda Byron s'éloigner, le coeur serré. Maintenant qu'elle n'avait plus à faire bonne figure, elle se sentait, à nouveau, au bord des larmes. Comment une autre façon de faire vivre la harde serait possible ? Sans shaman ? C'était tellement inattendu, tellement contraire à tout ce qu'elle avait compris, ou cru comprendre, de leur fonctionnement... Et comment Byron parvenait-il à prendre la disparition de sa harde de façon aussi détachée ? Était-ce dû à tout le temps passé auprès des humains ? Ou juste à la disparition du chant de la harde, comme il disait ?
La question de Tybert la ramena à l'instant présent. Elle acquiesça, machinalement.
" Oui, je veux bien... Même si ma blessure est un peu le moindre de mes soucis en ce moment. J'ai un peu le moral dans les chaussettes, je dois dire, ajouta-t-elle, prise du besoin subit de partager ce qu'elle ressentait. Et je ne suis pas sûre de comprendre vraiment ce qui se passe. Je veux dire... la réaction de Byron... Ou plutôt son peu de réaction."

Tybert acquiesça, les lèvres pincées. Il incanta ensuite et une lumière bleue, bienfaisante, engloba la cheville de la jeune femme avant de se dissiper, la laissant comme neuve.
" Viens. Je vais te faire une tasse de thé." proposa le clerc en faisant signe à Astrée de l'accompagner.
Il lui offrit son bras pour remonter la rue déserte.
" Je ne prétends pas comprendre, moi non plus. Aussi semblables puissions-nous être, nous demeurons différents. Byron était très anxieux en revenant ici et lorsqu'il a perçu la disparition de la harde... Curieusement, cela l'a complètement apaisé. Comme si c'était une sorte de soulagement... Je pense qu'on ne mesure pas, nous autres humains, la force de la magie qui les liait... Peut-être comme celle qui lie les abeilles ou les fourmis, je n'en sais rien... Mais une fois celle-ci éteinte..."
Il secoua la tête, sourit.
" J'essaie d'appliquer une compréhension humaine à quelque chose qui ne peut sans doute même pas être mis dans les mots de notre langue. Peut-être est-ce une sorte de protection, qui les empêche de succomber à leur pierre. A présent, ils sont libres d'aller renforcer la race, ailleurs, alors qu'ils se seraient perdus en consanguinité, ici."

Astrée accepta le bras de Tybert et sa proposition avec reconnaissance. Un thé lui ferait le plus grand bien. Il y avait peut-être besoin d'elle, sur la place, mais ça devrait attendre quelques minutes encore. Elle avait besoin d'un remontant.
" C'est peut-être ça, oui. C'est tellement dur à appréhender pour nous qui sommes humains... Mais moi, ça me désole qu'on n'ait pas réussi à sauver leur harde. Et... Neffen, leur shaman... je j'aimais beaucoup, tu sais. Sa mort est un rude coup pour moi. Et je suis la seule à le pleurer. Pour eux, il n'était pas vraiment un être vivant... et c'est sans doute le cas effectivement. Mais je ressens les choses avec ma perception humaine, ça fausse tout."
Elle n'était pas très sûr que son discours soit cohérent. Trop de fatigue, trop d'émotions. Elle sentit une larme rouler sur sa joue. Ça n'était pas juste, que la harde ait disparu. Et Neffen...
" Et je ne sais pas ce qu'ils vont devenir, soupira-t-elle. Ni ce que vont devenir les centaures de la ville. Eux n'ont jamais connu de harde et un bon nombre en rejettent l'idée. Ils seront probablement juste des sans-harde. Après tout, il y en a d'autres sur Hélonna."
Elle haussa les épaules.

« Je crois justement que la disparition de la pierre, du shaman, de cette essence forte qui liait les centaures sauvages, pourrait permettre la création d’une communauté rassemblant les deux factions… Un peu paradoxalement, peut-être, j’ai l’impression que les centaures domestiques aspirent à davantage de liberté que les centaures sauvages… Je ne suis pas certain qu’il y aurait jamais eu un terrain d’entente entre eux, si la harde était restée ce qu’elle était… et je pense que c’est ce que perçoit Byron, lui aussi… Il les a vus de près, désormais, et il leur a parlé… Assimiler toute cette… altérité… Ce n’était pas vraiment réaliste, si ? Sans heurts, je veux dire. Je n’aime pas les heurts. »

Astrée sourit en entendant la dernière phrase, hochant la tête.
" Tu as raison. Je crois que la plupart des centaures de Montequine n'auraient pas souhaité rejoindre la harde. On n'aurait pas pu les contraindre, je pense... et ça n'aurait sans doute pas été souhaitable. Ils sont trop différents"
Si Neffen avait "réveillé leur âme", comme il disait, est-ce que ça les aurait rendus suffisamment semblables aux autres pour qu'ils soient assimilés ? Ça lui semblait peu probable. Il serait resté en eux un désir de liberté, des relents de leur ancienne vie, une différence, qui en aurait rapidement fait des sans-harde. Ou peut-être pas... Ils ne le sauraient jamais.
" Peut-être que beaucoup seraient partis, tout simplement, et que la harde aurait fait appel à d'autres pour avoir du sang neuf. Mais tu vois, même sans la pierre, je ne suis pas sûre qu'ils parviennent à former une communauté. Leurs modes de vie, leurs aspirations, divergent tellement... Donc je ne sais pas comment tout ça peut évoluer, vers quel type d'organisation... Je ne sais pas ce qui est possible, chez des centaures. Peut-être que tout va éclater..."
Pouvaient-ils, ensemble, malgré leurs divergences, former une harde ? Une harde sans pierre, sans shaman... ça n'était plus vraiment une harde. Alors, un autre type de communauté ? Était-ce possible ? Était-ce souhaitable ? Ça serait un sacré défi... Mais Neffen n'aurait-il pas considéré que c'était contraire à leur nature ? Serait-ce une aberration ? Ou était-ce au contraire une évolution positive ? Elle ne se sentait pas le droit d'en juger. Elle se dit qu'elle aimerait, un jour, parler de tout ça avec la dryade, à défaut d'avoir l'avis de Neffen. Quoiqu'il en soit, il adviendrait ce que le destin déciderait, et elle ne pourrait que l'accompagner...

" Peut-être. Peut-être pas. C'est un peuple belliqueux par nature, malheureusement. Il y aura sans doute des conflits. Cela va dépendre de la manière dont l'ancien chef de harde se positionne. S'il essaie de rétablir la structure de l'ancienne harde, ou s'il accepte d'évoluer avec le changement qui se profile... En cela, Byron va être déterminant. Et j'ai bon espoir que son contact avec Luménis, avec les autres manières possibles d'exister, aide... ou pas. Nous verrons."
Il haussa les épaules avec un sourire tranquille et lui désigna la place principale et le bâtiment dans lequel elle s'était introduite quelques jours plus tôt. Des soldats luméniens patrouillaient devant lui. Quelques centaures et quelques humains se trouvaient également à proximité, parmi lesquels, Mara.

" Nous verrons, oui..."
Astrée sourit à Mara, la saluant d'un signe de tête. La centaure pourrait l'aider, sans doute, à mieux cerner la situation à Montequine. Certains centaures étaient libres et instruits, comme elle, d'autres probablement détruits par l'esclavage. Elle saurait sur qui s'appuyer pour tenter de mettre en place une structure, au moins provisoire. Même si, pour sa part, elle restait dubitative sur leurs chances de réussite.
Mais avant de rejoindre Mara, elle avait tout de même quelques points à éclaircir. Et besoin d'un thé, aussi...
" Et pour en revenir au présent, raconte-moi un peu où en est la situation, ici... et qu'est-ce que Goran fait là ? "

" Et bien... Il a voulu nous accompagner, simplement. Comme tu peux l'imaginer, nous avions besoin de troupes, et les siennes étaient les plus faciles à obtenir. Il a suffi d'un contact pour qu'il nous précède dans les montagnes. Nous nous sommes tous retrouvés de l'autre côté de la muraille, et nous sommes passés grâce à la magie : la mienne et celle du mage de l'université. Les Montequins ne s'y attendaient pas et apparemment, leurs forces vives sont en vadrouille dans la vallée. Bref, nous avons été accueillis par une délégation stupéfaite à laquelle nous avons annoncé la situation... et voilà."

Il faudrait qu'elle songe à remercier Goran pour être intervenu si vite. Elle espérait juste qu'il ne profiterait pas de la situation pour demander un paiement exorbitant à Reynald. Il ne faisait jamais rien gratuitement...
" Et comment ont réagi les montequins ? Je me doute qu'ils ne pouvaient pas résister, puisque effectivement la plupart de ceux qui savent manier une arme sont dans la vallée. Mais... il n'y a pas eu de protestation ? Ils ont obéi aux consignes sans trop rechigner ? Je ne suis pas sûre qu'ils soient tous conscients qu'il s'agit d'esclavagisme, qu'ils réalisent la situation... "

" Et bien... Les gens sont sonnés... mais ils ont globalement réagi dans le calme. Les chefs du conseil ont été arrêtés et menés dans ce bâtiment. Ils sont en train d'être interrogés par les gens venus de Luménis. Le capitaine de Tempéra, notamment. Mais il y avait apparemment un groupe contestataire, un peu clandestin, et ses dirigeants se sont fait connaître. Ils vont servir de relais, je crois, entre la population et les autorités. Quant aux centaures, je pensais qu'ils étaient ici, mais je vois qu'il n'en reste qu'une poignée... J'imagine qu'on a dû les emmener ailleurs. Peut-être davantage pour juguler d'éventuels... comportements plus difficiles à gérer."

" Je vois ça, acquiesça Astrée. Ca ne va pas être simple..."
Elle soupira.
" Les deux ou trois principaux responsables du village sont pourris jusqu'à la moelle. Leur chef et l'herboriste, en tout cas. Mais d'autres sont plus modérés, notamment leur clerc. Je pense qu'il faisait partie du groupe contestataire."
Il y avait aussi, dans ce groupe, l'inconnu qui l'avait dénoncée aux autorités lorsqu'elle tentait de libérer Sheldon. Celui-ci, elle ne risquait pas de l'oublier, et elle n'avait aucune envie de le connaître.
" Mais bref... je fais confiance aux autorités pour débrouiller tout ça. Ca va être nettement plus compliqué concernant les centaures. Ceux qui restent sur la place sont, si je ne m'abuse, les quelques-uns qui n'étaient pas esclaves. Mais les autres, si on les fait passer de l'esclavage à un parquage dans un lieu quelconque en attendant que la situation s'éclaircisse, ils ne vont pas comprendre, ça risque d'être explosif..."
Avec une grimace, elle ajouta.
" Je ne suis pas sûre de pouvoir prendre le temps de boire un thé, finalement... Byron a raison, il faut que j'aille voir de plus près ce qui se passe pour les centaures."

" Ça m'étonnerait qu'on ait parqué les centaures... Je veux dire... Nous sommes quand même arrivés avec l'idée inverse..."
Il haussa les épaules.
" Je vais aller jeter un coup d'oeil à l'intérieur. Si tu as besoin de moi, de soins, d'une tisane... C'est sans doute là que tu me trouveras. Je te laisse aller parler aux centaures."

" Je vais au moins aller discuter avec Mara, là-bas. C'est la seule centaure de la ville que je connaisse. Elle pourra me dire comment la situation évolue, et où sont les autres. S'il n'y a rien d'urgent, je te rejoins dans un moment pour un thé, ça me fera du bien..."
Avec un sourire d'excuse, elle s'éloigna en direction de la centaure. Une pause aurait certainement été plus raisonnable, mais d'un autre côté, s'occuper l'esprit en s'activant ainsi lui évitait de se perdre dans des pensées moroses en songeant à Neffen, à Sheldon, à l'avenir sans harde.
Elle s'approcha de Mara, s'efforçant de sourire malgré sa tristesse.
" Bonjour Mara, ça fait plaisir de vous croiser. Je vois que les luméniens ont pris les choses en main... "

La centaure sourit.
" Heureuse journée, en effet. Les Luméniens sont arrivés, comme nous l'espérions, et une nouvelle ère s'ouvre pour nous. Bien sûr, les temps à venir seront sûrement incertains... mais nous sommes confiants. Les gens que nous avons rencontrés ont l'air prêts à nous écouter... à tenir compte de ce que nous voulons pour le futur... Je ne connais pas le jour, mais il sera sûrement célébré par nos générations futures."

" Sans doute, répondit Astrée en lui rendant son sourire. Et j'en suis heureuse pour vous."
Pour les centaures de Montequine, la situation tournait au mieux. Elle devait se réjouir pour eux, ne pas ressasser sa peine. Facile à dire.
" Les jours à venir risquent d'être un peu... décousus, je pense. Il va y avoir des tas de choses à décider, à organiser, pour préparer l'avenir. Il va falloir déterminer ce que vous voulez en faire, tous, aussi bien ceux de la harde que ceux de Montequine ... et d'ailleurs, où sont les autres ?"

"Ils sont descendus dans les prés à l'extérieur. Ce n'est pas facile pour tout le monde, ce changement brutal. Certains d'entre nous encadrent les autres. Quelques uns des sauvages capturés sont partis, je crois. Il reste encore des centaures enfermés : les Luméniens sont en train de ratisser le village pour libérer les derniers. Ils ont peur que certains Montequins préfèrent tuer leurs esclaves plutôt que de devoir rendre des comptes... Nous devons rester vigilants, tous, mais je crois que c'est mieux si nous restons momentanément à l'écart. Il y a des soldats humains avec nous. Le temps que nous organisions un semblant de service de sécurité entre nous. Nous ne voulons pas d'actes violents, de vengeance, ce serait contre-productif."

La rôdeuse hocha la tête.
" Oui, c'est ce qu'il faut faire. Organiser un service de sécurité. Encore faut-il qu'il soit accepté et respecté par tous. Vous êtes nombreux, il faut éviter que les choses tournent mal, ça serait une catastrophe. Mais je vois que vous avez les choses bien en main, finalement... Byron semblait s'en inquiéter, il m'avait demandé d'aller y jeter un oeil, pour vérifier que les choses se passaient en douceur. Byron, c'est le centaure qui accompagnait les luméniens. Le messager de sa harde. Vous avez peut-être eu l'occasion de faire connaissance ?"
Pour elle qui avait tendance à considérer ses cousins de la harde comme des sauvages primitifs, Byron devait lui en donner une toute autre image.

Mara acquiesça.
" Il est passé rapidement, mais il n'a parlé... qu'aux hommes. Je ne m'en formalise pas, ne vous en faites pas."
Elle haussa les épaules et sourit.
" Pour le reste... Nous verrons bien comment les choses s'organisent. J'espère qu'une partie des humains pourront rester avec nous... qu'ils ne seront pas tous traités de la même manière... mais j'imagine que c'est trop tôt pour le dire..."

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine