La Couronne de Cuivre

Le barde acquiesça.
-D'accord. Et tant qu'à faire, j'essaierai de mettre la main sur d'autres documents cruciaux, comme les membres touchant aux vivres et au matériel, ceux listant les objets magiques récupérés dans le tumulus... D'ailleurs, si ça se met, j'irai récupérer quelques-uns d'entre eux : ce sera autant de cordes en moins à leur arc.
Il recula d'un pas.
-Bonne chance et à plus tard !
Et il partit.

Albérich regarda s'éloigner le barde, demeura immobile une seconde, puis reprit ses esprits. Il était encore temps de juguler l'invasion, il fallait y croire. Il décida de gagner la grande salle, et peut-être ensuite la cour, si Hubert ne s'y trouvait pas. Mais avant ça, il voulait rallier Barthélémy et Thibault. Rien qu'à eux trois, ils élimineraient aisément quinze soldats... en espérant que les autres ne se pressent pas de monter vers les étages. Peut-être attendaient-ils Lothar, tout bien considéré... et peut-être ce dernier hésitait-il à se fouler la cheville en tombant d'une fenêtre... Beaucoup d'incertitudes, mais c'était avec elles qu'il devait alimenter la flamme de son espoir...

La petite chambre où dormait le Chautéen comme l'infirmerie située juste à côté étaient totalement désertes : il ne vit aucune trace de lutte mais nota que, dans la première, le lit était défait, signe qu'on y avait reposé.
Il prit alors la direction des quartiers de Thibault. Ce faisant, il passa devant le mur de pierre qu'il avait fait apparaître un peu plus tôt : il était intact mais nul son n'indiquait qu'il retenait encore les mercenaires prisonniers. Ils avaient donc, selon toute vraisemblance, utilisé les fenêtres comme issue.
Enfin, il dut faire face à une nouvelle déception : le Sunite n'était pas chez lui. Cependant, il y avait, peut-être, un signe encourageant : il était évident qu'il ne s'était pas couché ce soir-là...

L'espoir, ce n'était pas toujours imaginer de meilleurs lendemains. L'espoir, c'était parfois s'accrocher à l'instant et surtout — surtout — ne pas réfléchir trop intensément aux retombées potentielles de ses actes. Albérich s'immobilisa dans le couloir. Il avait besoin d'aide, et de l'aide, il n'y en avait pas. C'était comme si tout le monde, l'intégralité du peuple de la forteresse, avait disparu. Il n'y avait pas davantage de mercenaires, non, il était simplement seul, isolé au milieu du désastre, au bord du gouffre, bien trop près de l'effroi.
Il fallait qu'il trouve quelqu'un.
Pendant un moment, il pensa lancer un sort de divination, mais le temps d'incantation était beaucoup trop long vu les circonstances. Il prit une profonde inspiration et frappa à la porte la plus proche. Il avait son message bien en tête : nous sommes attaqués par les Ithiliens. Vous pouvez décider de rester : ils ne vous tueront pas mais vous feront travailler pour eux — asservir était un mot trop dur. Vous pouvez décider de partir : dans ce cas, habillez-vous chaudement, prenez vos armes si vous en avez, ne prenez rien que vous ne pourrez pas transporter facilement, et suivez-moi. Et de chambre en chambre, jusqu'à ce qu'ils soient une quarantaine. Alors seulement, il tenterait une sortie avec un premier groupe.
C'était de la folie.
Ils allaient mourir dans l'hiver, si les mercenaires invisibles ne leur fondaient pas dessus avant qu'ils n'aient atteint la rue.
Mais il n'avait rien d'autre à leur proposer et il lui semblait nécessaire de leur donner le choix de leur destin, comme ils l'avaient voulu en rejoignant la communauté.
Et si leurs maigres troupes prévalaient... Tout le monde en serait quitte pour une promenade nocturne, on avait vu pire activité.

En toquant aux deux portes suivantes, qu'il savait être celles des paladins de Sunie, il n'obtint aucune réponse.
Il ne toqua même pas à la troisième : pour cause, c'était celle de Giovanni.
La quatrième, en revanche, donnait sur la chambre d'Agathe - les membres de l'Académie ne s'étaient guère éloignés les uns des autres même après l'emménagement à la forteresse.
L'institutrice ouvrit quelques instants plus tard. Emmitouflée dans une épaisse robe de chambre, elle avait l'air aussi endormie que de mauvaise humeur.
-Albérich, si en plus de parler boulot pendant les repas, tu te mets à nous tirer du lit pour en parler encore, ça va mal se passer, grommela-t-elle.
Elle le dévisagea et son expression sembla la frapper.
-Il se passe quelque chose de grave, lâcha-t-elle.

En une seconde, tout ce qu'il avait eu l'intention de dire se dissipa.
" Oui, j'en ai bien peur."
Il se reprit.
" Les mercenaires nous ont trahis et ont introduit des Ithiliens dans la forteresse. Je ne sais pas si nous allons pouvoir les repousser. Tu peux décider de rester : je ne crois pas que les Ithiliens vous tueront, mais ils vous feront travailler pour eux. Tu peux décider de fuir... dans ce cas, habille-toi chaudement, prends ce qui est utile et que tu peux porter aisément. Nous devons nous dépêcher de prévenir un maximum de monde et tenter de sortir avant qu'il ne soit trop tard."

Sur le visage de l'enseignante se succédèrent l'incrédulité, la stupéfaction, la peur puis la colère.
Beaucoup de colère.
-C'est là que je regrette de n'avoir pas été plus assidue aux entraînements militaires, parce que j'ai très, très envie d'aller dire deux mots à ces salopards, lâcha-t-elle. Bon, je me prépare, je réveille mes collègues et on prévient un maximum de monde. J'essaierai de ne forcer la main de personne mais en ce qui me concerne, plutôt crever qu'être à nouveau soumise. Mon ancienne directrice m'a vaccinée à vie contre la dictature. En plus, cette peau de vache était adepte d'Oghma.

L'énergie belliqueuse d'Agathe le fit sourire malgré lui. Il n'y avait rien de drôle dans leur situation. Mais cela lui mit un étrange baume au coeur, alors même s'il n'était pas certain que la fuite était encore possible, ou qu'ils pourraient survivre au dehors.
" Je ne crois pas que nous pourrons sortir à plus de trente ou quarante en une fois... Je ne sais pas si la voie est encore libre. Je vais réveiller les voisins. Rejoins-moi dans le couloir dès que possible."
Il laissa l'institutrice se changer et passa à la chambre suivante.

Il tomba sur Rebecca dont la réaction, pour être légèrement moins virulente que celle de sa comparse, n'en fut pas moins globalement identique.
Débuta alors une longue séance de porte à porte : les membres de la Communauté, profitant de l'espace offert par la forteresse, avaient presque tous opté pour des appartements séparés, ce qui n'arrangeait pas leurs affaires, en l'occurrence.
Albérich vit beaucoup de stupéfaction et de peur chez ceux qu'il réveilla. Mais absolument personne ne choisit de rester, de se claquemurer dans ses quartiers : peut-être par refus de la dictature ou par fidélité à leurs idéaux, peut-être parce que suivre le mouvement qui s'initiait était rassurant, simplement, tous optèrent pour le départ.
Ainsi, peu à peu, un groupe se constitua...

***

Gaspard et Hubert commencèrent à entendre les bruits alors qu'ils descendaient le dernier escalier menant au sous sol.
Et ils n'eurent pas a avancer beaucoup plus pour que leur conviction se transforme en certitude.
Ces bruits étaient ceux d'un combat.

" Dépêchons-nous." dit Hubert en joignant le geste à la parole, l'épée déjà hors du fourreau.
Soit les mercenaires étaient tous rassemblés en bas, soit les renforts attendus étaient déjà dans la forteresse. L'un dans l'autre, il fallait agir et deux lames de plus ne seraient certainement pas malvenues. Malheureusement, Lothar connaissait parfaitement les défenses de la communauté, et s'il avait fait venir des alliés, il avait dû les avertir de ce qui les attendait très précisément. Les risques d'être débordés n'étaient pas négligeables.
Le paladin espéra que l'écuyer de Gaspard arriverait à rallier un maximum d'hommes, et au plus vite. L'idée de subir de nouvelles pertes, après tout ce qu'ils avaient déjà enduré, était insupportable.

Comme ils pouvaient s'y attendre, c'est non loin de l'entrée des souterrains que l'affrontement faisait rage.
Suivant l'un des couloirs qui débouchaient sur la salle où se réunissaient les expéditions avant leur départ, les deux hommes ne tardèrent pas à tomber nez à nez avec les belligérants : une petite escouade de gardes commandée par Edgar tentait de bloquer le passage à l'ennemi.
Un ennemi qui n'était pas des mercenaires, mais des soldats en uniforme.
Il ne fallut pas longtemps à Hubert pour reconnaître leurs couleurs...

Des Ithiliens.
Albérich avait joué les oiseaux de mauvaise augure à leur sujet pendant des heures et des heures, et personne ne l'avait pris au sérieux.
Les Oghmans et les Lathandrites n'étaient pas franchement ennemis, mais leurs philosophies étaient contradictoires : les premiers étaient conservateurs, les seconds progressistes. Les Oghmans aimaient les formules éprouvées, les Lathandrites cherchaient le changement, le mieux, l'imprévisible.
Mais les Oghmans n'étaient pas des traîtres. La Vérité était leur credo, leur valeur fondamentale, la base de leur religion. Pour qu'ils se soient glissés ainsi, dans l'ombre, jusqu'à eux pour les piéger, il avait fallu l'intervention de leur prince dément. S'il y avait des clercs dans ce contingent — et il y en aurait certainement, Ithilion était semblable à Manost —, Hubert espérait qu'ils étaient rouges de honte d'avoir ainsi piétiné leur premier principe.
Mais les considérations théologiques n'avaient pas lieu d'être, il fallait se battre.
Le paladin se jeta dans l'affrontement sans tergiverser davantage. Mais il était mortifié d'avoir à se battre contre d'autres êtres humains qui tout imbéciles soient-ils, n'étaient pas fondamentalement mauvais. Tuer n'était pas son activité favorite, aussi tenta-t-il de mettre ses adversaires hors d'état de nuire plutôt que de les éliminer... Ils avaient échoué à les bloquer en sous-sol, cependant... C'était mauvais signe.

Son arrivée galvanisé les gardes qui, Edgar en tête, se battirent avec une bravoure renouvellée.
Mais ils avaient à faire à forte partie : leurs adversaires, eux aussi, étaient des militaires entraînés.
Pire encore, lorsque l'un d'entre eux venait à tomber, mort ou grièvement blessé, il y en avait un autre pour venir prendre sa place...
Si les Ithiliens étaient venus en nombre, il fallait se rendre à l'évidence : le mieux que pouvaient espérer les forces de la Communauté, c'était de gagner un peu de temps, de repousser un peu l'inéluctable...

Ils allaient être débordés.
Hubert ressentit une bouffée de rage pure l'envahir. Il n'avait pas survécu au Seigneur des Tombes, à un diable cornu et à des cannibales pour plier devant une bande de guignols en uniforme. S'il avait eu de l'énergie à gaspiller, il les aurait copieusement insultés. Mais face à des soldats humains, de simples soldats bornés et entraînés, tout son entraînement de paladin devenait inutile. A part galvaniser ses troupes, il ne pouvait rien faire. Il savait qu'il avait une résistance à la fatigue bien plus élevée que la plupart des gens, mais s'il demeurait seul à se battre alors que ses alliés flanchaient, il finirait par succomber, lui aussi...
Mais que pouvaient-ils faire ? Il n'avait aucune idée de ce qui se tramait dans la forteresse derrière eux. Les civils endormis, les mercenaires en maraude... Où étaient ces fichus lanceurs de sorts, par exemple ? Où étaient Albérich et Giovanni ? Où s'était volatilisé Thibault ?
Fallait-il continuer à se battre ? Les Ithiliens n'étaient pas des cannibales, ils ne massacreraient pas des civils. La reddition était peut-être une solution beaucoup plus raisonnable, pour tout le monde. Après tout, leurs adversaires, aussi nombreux soient-ils, étaient en train de subir des pertes, et ils avaient sans doute à coeur de les limiter au maximum...

A voir l'acharnement avec lequel luttaient ses compagnons, il était peu probable que l'idée de se rendre leur vienne à l'esprit. Néanmoins, peut-être s'y résoudraient-ils si Hubert en donnait l'ordre...
Quoi qu'il en soit, aussi vaillants soient-ils, ils devaient peu à peu céder sous la pression ennemie qui ne faiblissait en rien.
Il leur avait fallu à nouveau reculer de quelques pas lorsque le paladin entendit du bruit, dans son dos.
Il ne s'agissait pas d'Ithiliens venus les prendre à revers, toutefois, mais de renforts. Peu nombreux mais frais.
L'écuyer de Gaspard avait accompli sa mission.

Hubert organisa un semblant de relève en ordonnant à la première ligne de laisser passer les nouveaux venus. Ce faisant, il essaya de se positionner au plus près d'Edgar. Converser au coeur de la lutte ne serait pas simple, mais ils n'avaient pas le choix. Il décida de se mettre devant son ami pour le protéger pendant qu'il l'interrogeait.
" Quelle est la situation ? lui demanda-t-il sans le regarder. Tu as pu voir Guillermo ?"

L'ancien sergent, essoufflé mais toujours prêt à en découdre, opina du cuef.
-Oui, mon capitaine. Lui et les autres avaient presque réssi à tuer les Ithiliens présents près de l'entrée des souterrains lorsqu'une nouvelle vague d'ennemis est arrivés. Face au nombre, on a dû se replier dans les couloirs : lui, Mathias, Roland et moi en tenons chacun un.
Il grimaça.
-Je sais pas combien de temps on pourra continuer à le faire mais... on le ferra aussi longtemps qu'on pourra.

" Edgar, replie-toi. Il faut que tu sonnes... je ne sais pas quoi... l'alerte, je suppose... Prends deux hommes avec toi, au cas où vous croisez la route de mercenaires."
Hubert se rendit compte qu'il n'avait pas la moindre idée de quoi suggérer.
" Que les gens... puissent se préparer..."

Edgar en resta bouche bée.
-Me... Me replier, mon capitaine ? Quitter la ligne de front ?
Il prit une profonde inspiration.
-Si c'est un ordre...
Et c'est manifestement la mort dans l'âme qu'il se replia. Nul doute que, dans d'autres circonstances, il aurait protesté davantage.

***

A la tête d'une trentaine de personnes, Albérich avait rallié la grande salle, qu'il trouva déserte. Ils n'avaient croisé personne dans les couloirs, n'avaient entendu aucun bruit inquiétant. Hormis eux, tout le monde semblait encore dormir.
Ensemble, ils franchirent le hall, tout aussi vide.
Mais lorsqu'ils gagnèrent l'extérieur, ils entendirent nettement le son d'arcs que l'on bandait.
Une vois lança "Ils sont des nôtres !'. Après un bref silence, une autre se fit entendre - celle de Renaud, Albérich la reconnut.
-Alors dépêchez-vous d'avancer !

Le Luménien guida le groupe jusqu'aux portes d'enceinte. Ils allaient encore devoir descendre tout le long chemin jusqu'à la ville, dans le froid glacial de la nuit. Il s'immobilisa une fois les portes ouvertes et remit une des torches qu'ils avaient emportées à l'institutrice qui le suivait depuis le début.
" Agathe. Mène les gens jusqu'en bas. Entrez dans la huitième maison sur votre gauche. Restez-y. Soyez discrets et silencieux, dissimulez les torches dès que vous le pouvez. Je vous envoie un second groupe dès que possible. Si jamais..."
Il s'éclaircit la gorge.
" Si jamais personne ne devait vous rejoindre... Ne vous laissez pas mourir en vain. L'infamie qui s'est produite ici ce soir finira par être connue. Quelqu'un viendra à votre secours et punira les Ithiliens comme ils le méritent."

-Un instant !
Renaud était descendu du chemin de ronde au pas de course.
-Il a été décidé d'évacuer la forteresse ?
Il observa Albérich puis le reste du groupe avant de revenir au Luménien.
-Ézéchiel pensait que cela risquait d'arriver. Il est reparti avec les Paludiers et quelques-uns de ses éclaireurs pour traquer les mercennaires mais, au préalable, il a vérifié que les abords des réserves des cuisines étaient sûrs. Depuis, trois des guetteurs font des allers-retours pour stocker des provisions ici. Alors prenez un sac avant de sortir. De surcroit, je vais vous adjointre l'un de mes hommes doté d'une bonne vision dans le noir : cela pourrait s'avérer utile.

Ezéchiel était décidément doté d'un sang froid peu commun, Albérich ne pouvait que s'en féliciter. Mais l'éclaireur estimait donc que l'évacuation était la bonne solution. Il en ressentit un certain soulagement, pas suffisant cependant pour effacer complètement son impression qu'ils évitaient la peste pour embrasser le choléra. Mais puisque Renaud pouvait informer Agathe des dispositions prises par le rôdeur, il était temps pour lui de retourner à l'intérieur.
Il sourit au paladin, serra le bras de l'institutrice, puis s'éloigna à grands pas vers la forteresse, histoire d'aller rassembler un second groupe. Cinq cents personnes en fuite dans une ville en ruines. Il ne fallait surtout pas y penser et continuer à aller de l'avant.

-Attendez !
Renaud le rejoignit à grands pas.
-C'est bien beau d'agir chacun de votre côté sans me dire grand chose, mais jpar conséquent, je suis bien en peine de répondre quand l'un ou l'autre membre du Conseil se présente et me demande des nouvelles de ses collègues... Ainsi, auriez-vous au moins l'obligence de me donner une idée de l'endroit où vous vous rndez ?

Albérich secoua la tête, comme s'il sortait d'un songe.
" Pardon. Vous avez raison."
Il expira.
" Je vais retourner prévenir d'autres colons de la situation... Je ne sais pas quelle situation, à vrai dire... Bref, ceux qui le désirent, je les envoie vers la ville. Si certains préfèrent rester... Je ne vais imposer à personne d'aller se perdre dans l'hiver, sans promesse de rien."
Il soupira.
" Hormis Ezéchiel... Vous avez vu quelqu'un ?"

Le paladin acquiesça.
-C'est Hubert qui m'a demandé de prendre le commandement sur les murs et de surveiller la cour. Avec Roland, Guillermo et quatre gardes, il entendait traquer les mercenaires. A l'origine, Thibault était avec nous, mais il lui a demandé d'aller chercher des renforts : vous, Giovanni, Étienne ou encore Ezecheil. Cependant, ce dernier ne l'avait pas croisé quand nous nous sommes parlé pour la dernière fois.

" J'étais avec Giovanni. Nous n'avons pas vu Thibault... Il doit être allé chercher Etienne."
Il frissonna. Où était Etienne ? Il espérait que Thibault n'avait pas pris de risques... Si jamais le Sunite était prisonnier, jamais il ne parviendrait à le laisser en arrière. Mais Ezéchiel se chargeait des mercenaires avec les Paludiers. Il fallait espérer qu'ils aient un certain doigté dans la libération des otages. Il fallait, de son côté, qu'il persévère dans ce qu'il avait commencé, sans se soucier de la petite voix en lui-même qui se moquait de cette initiative désespérée.
" Je vais continuer à procéder à l'évacuation..."

-Très bien. Pour ma part, je continue à monter la garde ici, même si...
Il se tut subitement.
Une longue sonnerie de cor venait de retentir au cœur de la forteresse.
Elle fut bientôt suivie d'une autre, d'une tonalité différente et provenant d'un autre point du bâtiment.

" Ils sont entrés..." souffla le Luménien.
Les civils devaient avoir été arrachés à leur sommeil. Bientôt ce serait la panique.
" J'y retourne... Couvrez les fuyards, si vous le pouvez..."
Puis, sans attendre, il courut vers l'intérieur.

-Hein ?! Mais ça n'est pas là le rôle d'un paladin ! s'exclama Renaud, scandalisé. Un paladin se doit d'être en première ligne, pas à l'arrière garde !
Et il continua à vitupérer tandis que le Luménien ralliait la forteresse à grandes enjambées.
Si le hall et la salle commune étaient encore déserts, ils n'allaient sans doute pas le rester très longtemps : Albérich entendait déjà des exclamations et des appels provenir des étages...

***

Au sous sol, le combat faisait toujours rage.
Aux côtés d'Hubert, Gaspard et les gardes de la Communauté luttaient pied à pied.
Déjà trois d'entre eux étaient tombés. Morts, blessés, impossible à dire.
Ils avaient dû sensiblement reculer mais tenaient encore bon.
Pour combien de temps ? Là était la question...

Les cors avaient retenti. L'alerte avait été donnée. C'était pour Hubert à la fois un soulagement et la source d'une infinie tristesse.
Face à la déferlante ennemie, il fallait qu'il accepte ce que cela signifiait, que la forteresse allait tomber, qu'ils allaient être fait prisonniers, ou pire, que la communauté avait vécu ses dernières heures. Battre en retraite, sans rien pour bloquer la progression de l'assaillant, n'avait pas de sens. Il pouvait juste espérer qu'ils protégeaient la fuite de quelqu'un d'autre, derrière. Tout en combattant, instinctivement, il ne pouvait s'empêcher de se demander s'ils n'avaient pas compromis quelque chose en résistant en vain, s'ils n'auraient pas dû capituler sous conditions, obtenir des garanties en échange d'une reddition non-violente. C'était trop tard, à présent, et tout ce sang versé ne rendrait certainement pas les Ithiliens miséricordieux lorsqu'ils auraient mis la main sur les colons.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue