La Couronne de Cuivre

[Quête : l’invasion des ombres]

Taliesin écoutait avec attention les paroles de Morféa. Si celui-ci escomptait le blesser, il se trompait : les sarcasmes, bien au contraire, le rassuraient. Car ils étaient la preuve que l’ancien bourreau, qui le détestait pourtant d’une manière criante, ne pouvait encore rien tenter contre lui. S’il l’avait pu, nul doute qu’il aurait exécuté le barde sur l’instant, ou bien qu’il l’aurait soumis aux tortures dans lesquelles il était passé maître. Mais non : il se contentait d’insultes. Et cela devait être horriblement frustrant pour lui de contenir une haine qu’ordinairement il laissait s’exprimer sans retenue...

Et s'il pensait tirer quelque satisfaction de ces injures, s’il voulait que Taliesin se récrie, se défende, il en serait pour ses frais. Le barde était décidé à ne faire montre d’aucune agressivité. Il se contenta donc de croiser les bras et de sourire, à la manière d’un parent indulgent devant les bêtises d’un enfant un peu trop turbulent.

Morféa voulait l’utiliser. Et bien soit ! Mais pour cela, il lui faudrait forcément à un moment ou à un autre se découvrir, dévoiler une partie de son plan. Même involontairement, par un mot, une attitude... Après tout, il n’était pas homme à accepter facilement qu'on le prive de ce qu'il désirait...

[Quête : l’invasion des ombres]

Morfea soupira. Il n'avait pas perdu son sourire, mais un hochement de la tête fit comprendre au barde que son attitude n'était pas celle souhaitée. Nullement déstabilisé, il interpela son accolyte d'un claquement de doigts. Aussitôt, le jeune mage se leva, invitant d'un geste de la main, le prisonnier à le suivre. Muré dans son silence, mais quelque peu intrigué, Taliesin suivit alors le jeune garçon. Très vite, le bourreau les rejoint, se portant à la hauteur de son prisonnier. Curieusement, le barde sentait que son attitude agacerait Morfea, et pourtant,celui-ci continuait d'afficher un sourire qui devenait énigmatique pour l'elfe.

- Je vois que je n'obtiendrai pas grand chose de toi aujourd'hui... qu'à cela ne tienne, j'ai une petite surprise pour toi.

Les trois hommes descendirent alors dans les caves du palais qui avaient été aménagés en geoles. Quelques cellules, vides pour la plupart, bordaient un étroit couloir qui menait à une lourde porte de bois vermoulu. Posté à l'entrée, deux gardes s'inclinèrent à l'arrivée du trio.

- Seigneur, la prisonnière est prête... comme vous nous l'avez demandé.

- C'est parfait. Nous pouvons y aller... S'adressant à Taliesin, Après vous très cher.

La porte s'ouvrit alors sur une large salle où brulait un feu bien nourrit au fond d'une cheminée, provoquant une bouffée de chaleur, renforcée, par un autre brasier qui faisait rougir un tas de braises. La stupeur de se retrouver dans un tel endroit passée, Taliesin fut attiré par une vision déformée par la chaleur des flammes. Une jeune fille attachée sur une croix de bois, se débattait dans l'espoir de s'arracher à ses chaînes. S'approchant à l'invitation du maître des lieux, le barde reconnut avec stupeur sa jeune protégée Rhéa. L'angoisse prit alors vite le pas sur la surprise, son regard fila à vive allure sur celui qui était redevenu bourreau, qui semblait jubiler.

- L'heure est venue Taliesin... L'heure est venue de te rendre la monnaie de ta pièce. Tu vas assister à un divertissement qui devrait t'aider à retrouver ta langue...

Le demi-elfe déroula alors une sacoche de cuir dans laquelle était disposée tout un arsenal de couteaux et ustensiles dont l'aspect suffisait à effrayer la jeune fille. Taliesin avait compris. En plus de s'être fait installer un laboratoire, Morfea s'était fait installer une salle de torture... et Rhéa allait étréner ses nouvelles installations. Si le bourreau ne pouvait tuer Taliesin, il comptait bien le faire souffrir par n'importe quel moyen, pour lui faire payer l'affront que représentait la faiblesse qu'il avait eu de se trouver forcer de l'épargner. Le hasard lui avait alors envoyé Rhéa, qu'il avait reconnue ... et désormais, il comptait bien forcer le barde à assister à une longue séance de torture.

[Quête : l’invasion des ombres]

Taliesin fut pris d’un violent vertige. Certes, il s’attendait depuis le début de sa captivité à une telle situation. Mais, les semaines passant, il avait fini par espérer que ses compagnons aient pu s’enfuir, ou du moins trouver une mort rapide. Et voilà que cet espoir était réduit à néant.

Son regard croisa celui de Réa, et ce qu'il y lut le glaça. Il y avait du désespoir, bien sûr ; de la terreur, également. Mais, surtout, une résignation totale. La jeune femme savait qu’elle n’échapperait pas à son terrible destin. Pire encore, elle n’attendait rien du barde, trop consciente qu’il était dans l’incapacité de lui venir en aide. Et en eut-il été autrement qu’elle ne lui aurait quand même rien demandé, tant sa loyauté envers l’homme qui l’avait tiré des griffes des esclavagistes mélandiens était forte.

L’elfe se tourna vers Morféa et, un instant, son visage reflète une haine si pure qu’elle ne manqua pas de décontenancer le bourreau, car il avait cru son prisonnier incapable d’éprouver un sentiment si violent. Mais cela ne dura que le temps d’un clignement d’œil : déjà, le visage du barde avait retrouvé une expression plus neutre.

Taliesin aurait voulu sauter à la gorge du tyran ; il aurait voulu soustraire Réa à sa cruauté. Il aurait voulu… Mais il ne pouvait rien faire. Rien, sinon tenter de rediriger contre lui la colère de Morféa ou, mieux encore, de lui faire à nouveau connaître l’étrange malaise dont il avait déjà par deux fois été victime. Quelque chose en lui suggéra que c’était peut-être là, justement, l’objectif escompté de cettre sinistre mise en scène. Cependant, il n’en avait cure : il ne pouvait rester les bras croisés tandis que l’on réduirait en charpies sanglantes l’une de ses plus fidèles alliées.

Le barde éclata alors d’un rire narquois et, lorsqu’il parla, sa voix était emprunte du mépris le plus cinglant.

-Le voilà donc dans toute sa vérité, le puissant seigneur de Luménis, le grand Morféa devant qui tout le monde courbe l’échine ! Regardez le donc, ce tyran parvenu au faîte de la gloire par d’odieuses manigances ! Tout ce qu’il a obtenu ne lui apporte pas la paix. Et que cherche-t-il à présent ? De nouvelles conquêtes ? De nouveaux trophées pour accroître sa gloire ? Non pas ! Loin des ors et des courtisans, il se terre dans des caves obscures, dans des geôles humides, et se divertit en tourmentant des prisonniers incapables de se défendre ! Combattre des armées adverses ? Affronter des ennemis à sa taille ? Point de cela pour le Seigneur Morféa ! C’est trop risqué… Car la grande vérité, qu’il tente de dissimuler au monde derrière des dehors de despote victorieux, c’est qu’il est un lâche, un pleutre, qui se rassure en faisant souffrir plus petit que lui, tel un enfant cruel arrachant les ailes de malheureux insectes !

Soudain, une image traversa l’esprit du barde. Quelqu’un courrant le long d’un sombre souterrain. Quelqu’un qu’il tentait de rattraper. Et Taliesin éclata à nouveau de rire : sa mémoire venait de lui offrir ce dont il avait besoin. Un souvenir qui, s’il ne lui permettait pas encore d’éclaircir totalement le mystère entourant son sinistre geôlier, lui procurait au moins une occasion de le mettre à mal.

-Et il en a toujours été ainsi, reprit-il de son ton méprisant. Vous avez toujours fui, et vous fuirez éternellement, incapable de trouver le repos, ou d’affronter face à face ce qui vous tourmente ! Cela était déjà le cas, le jour de notre si instructive rencontre, dans ces cryptes… Nous avons combattu, mais vous, vous avez fui ! Abandonnant votre arme, vos compagnons, vous avez couru ventre à terre ! Pour aller où ? Peu importait, du moment que c’était très loin ! Mais vous vous êtes trompé en pensant échapper à ce qui vous effrayait, puisque vous l’emporterez partout avec vous, tant que vous n’aurez pas osé l’affronter ! Mais cela, vous ne le pouvez pas, n’est-ce pas ? Alors notre roitelet plotron se venge, massacre, torture, en essayant d’étouffer sa honte, sa culpabilité… Vous me faites pitié, mon pauvre ami.

[Quête : l’invasion des ombres]

Les paroles du barde sonnaient aux oreilles de son bourreau, comme le son d'une victoire : celle d'avoir touché son prisonnier pour le pousser dans ses retranchement. Et s'il était satisfait de voir son plan pour le pousser à réagir fonctionner, la virulence et le poids des paroles qui venaient d'être prononcées le surprirent ... jusqu'à l'en finalement atteindre. Même s'il savait pertinemment que le barde ne savait pas précisément quel secret il dissimulait, malgré l'apparente précision du souvenir qu'il avait de leur première rencontre, le réquisitoire que l'elfe venait de lui balancer à la face l'avait atteint.

Ordonnant d'un geste de la tête à ses deux gardes de sortir, le demi-elfe toisa d'un regard méprisant l'elfe : le véritable duel psychologique allait peut être commencer là, entre un être qui semblait être naturellement en proie à la folie, et un autre, réputé pour sa sagesse mais que l'accumulation d'épreuves effritait nerveusement chaque jour un peu plus.

- Espèce d'imbécile ! Tu n'as donc rien compris ? Ce jour là, je n'ai pas fuis le combat... Aurais-tu oublié que c'est moi qui ait éliminé cette vermine de vampire alors que vous étiez tous à terre toi et tes camarades....

Le bourreau semblait ne pas avoir finit sa phrase... Quelque chose semblait monter en lui contre laquelle il luttait... pour finalement reprendre d'une voix enragée :

- ET QUE CE LACHE DE FOLKEN ABANDONNAIT SON CORPS, LE LAISSANT AUX GRIFFES DE LA MORT !?

Cognant du poing sur un mur, comme si le fait d'avoir prononcer ce nom tant haï avait été un douloureux avoeu de faiblesse, le bourreau essouflé, poursuivit :

- Pourquoi crois-tu que ne sois pas reparti en guerre contre tous ses chiens de manostiens et leur théocratie répugnante ? que je n'ai pas déja écraser l'élite de lâches qui composent l'armée mélandienne...qui ne sait se battre qu'à quatre hommes bien armés contre un esclave en haillon désarmé ?

De rage, le bourreau se saisit alors du cou de l'elfe de sa main droite... La sensation de ce puissant étau qui se resserrait sur ses os n'étaient pas inconnue au barde, mais cette fois, ce n'était pas le cuir des gants du bourreau qui se refermaient ; c'étaient des doigts métalliques : qui laissaient découvrir un bras qu'il reconnut aussitôt ...

[Quête : l’invasion des ombres]

Taliesin resta totalement coi un court moment. D’abord parce que la poigne de fer – au sens propre – de Morféa l’empêchait de respirer correctement. Ensuite, et surtout, parce que la révélation l’avait frappé de plein fouet. Comme si des sceaux maintenant sa mémoire close avaient été brisés, la scène qui s’était jouée dans les cryptes de Manost défila entièrement dans son esprit. La dernière pièce du puzzle s’était enfin mise en place, et le tableau qui se peignait à présent le pétrifiait d’horreur.

Des sentiments contradictoires se bousculaient dans sa tête : de la culpabilité pour ne pas avoir éclairci plus tôt un mystère qui lui paraissait tout à coup d’une évidence élémentaire. Une certaine joie, pour être parvenu à ses fins, pour avoir poussé Nwalk a lui révéler ce qu’il cherchait à savoir. De la compassion, enfin, pour l’ancien conseiller manostien qui s’était vu privé de son propre corps, qui était désormais possédé par un être démoniaque. Imaginer ce que Folken, si du moins son esprit avait encore accès à une part de conscience, pouvait ressentir face aux méfaits qu’avait perpétré Nwalk le rendait malade. Et le barde savait que, d’une manière ou d’une autre, Folken était toujours présent : c’était lui qui avait un instant émergé, au camp des réfugiés, empêchant le bourreau de le tuer sur le champ. C’était sans doute lui, encore, qui rendait malade le Mélandien, lorsque Taliesin évoquait les souvenirs du passé…

L’elfe repoussa aussi brutalement que possible cette poignante compassion qui l’envahissait, car elle menaçait de le priver de tous moyens. Comment pouvait-il en effet malmener Nwalk s’il voyait encore en lui les traces de l’homme aux côtés duquel il avait combattu ? Folken était peut-être encore là, quelque part. Mais, réduit au rang de spectateur impuissant, il n’était plus aux commandes. Seul demeurait actif le bourreau qui, si le barde n’y prenait pas garde, pouvait retourner sa colère contre la malheureuse Réa… Il devait donc continuer de lui faire face, de le combattre, et espérer l’affaiblir suffisamment pour qu’il renonce, au moins pour un temps, à ses sinistres desseins. S’il y parvenait, et seulement dans ce cas, il pourrait alors réfléchir aux moyens de venir en aide à Folken. Mais pour l’instant…

-Ainsi, vous n’êtes rien d’autre qu’un usurpateur, coassa Taliesin d’une voix étranglée. Usurpateur à Luménis, mais surtout usurpateur d'une enveloppe charnelle… Qu’avez-vous donc en propre, Morféa ? Qu’avez-vous réussi à bâtir depuis que vous vous êtes emparé de ce corps ? D’aucuns diraient beaucoup de choses, mais moi, j’affirme que ce n’est rien du tout. Car cela ne vous satisfait pas, et cela ne vous satisfera jamais. Vous êtes trop conscient de votre situation, de votre vile imposture… Je comprends mieux, à présent, votre propension à martyriser les faibles : la souffrance que vous provoquez chez autrui est la seule création, fugacement tangible, que vous pensez pouvoir vous attribuer. Et pourtant… Ces mains qui apportent douleur et mort ne sont pas les vôtres… Réduit à votre plus simple expression, à un esprit mauvais ruminant de noires pensées, vous n’avez jamais rien fait. J’ai dit que vous me faisiez pitié ? Je réitère mes propos ! Vous pourriez dominer Toril que vous seriez encore malheureux. Vous pouvez me tuer, tuer des milliers d’autres : nous trouverons la paix. Vous, jamais.

[Quête : l’invasion des ombres]

La fureur se lisait toujours dans le regard du Seigneur luménien, mais un nouveau sourire machiavélique vint s'y ajouter, confirmant, si besoin en était, la folie qui habitait le personnage. Gardant son emprise sur le cou du malheureux barde, Morfea rapprocha son visage à quelques centimètres du sien pour lui souffler:

- Mais c'est bien ce qui te trompe mon cher Taliesin... Ce corps m'appartiendra bientôt !

Le dégoût se lisait dans les yeux du barde, ce qui amusait le bourreau. Toisant encore un instant sa proie, il lâcha enfin prise, le jetant à terre, pour poursuivre d'un air plus grave :

- Et Toril ne m'intéresse guère...

En prononçant ces paroles, le demi-elfe semblait se perdre dans de lointains souvenirs, redécouvrant une partie de son passé, qu'il s'était inconsciemment caché, un passé auquel il parvenait pour la première fois depuis longtemps, à repenser sans sombrer dans la folie, et don la plus ancienne bribe ne remontait pourtant qu'à une partie avancée de son adolescence.

Devant la douleur de ces images qui lui revenaient, il serra les poings, pour finalement lâcher :

- Quoi qu'il en soit... De gré, ou de force, tu vas m'aider le barde !

[Quête : l’invasion des ombres]

Un sourire torve éclaira sinistrement les traits de Taliesin.

-Vous aider ? Mais je ne désire que cela, Morféa ! Donnez-moi une épée : il y aura quelques secondes désagréables, je le crains. Mais ce sera vite fini et, ensuite, vous trouverez la paix ! Du moins, je l’espère…

Le barde éclata alors d’un rire mauvais et, à cet instant, il parut aussi dément que son interlocuteur. Puis son expression changea du tout au tout : son visage se fit amical, son regard perçant se plongea dans celui du bourreau, et lorsqu’il parla, son ton était empreint de sollicitude.

-Je crois cependant qu’il existe des solutions… moins radicales. Libérez vos prisonniers, renoncez au pouvoir ! Montrez vous digne de l’espoir que vous avez suscité parmi le peuple ! S’il vous a suivi, c’est qu’il régnait à Luménis une certaine injustice, que ses dirigeants paraissaient corrompus ! Ce qui s’est d’ailleurs confirmé, vu le nombre de dignitaire qui vous ont rallié, alors même que vous aviez trahi la cause des miséreux… Mais il n’est pas trop tard pour changer les choses : si vous mettez un terme immédiat à vos exactions, si vous faites en sorte que la souveraineté revienne aux citoyens de la ville, et non plus à une bande de profiteurs décadents, alors peut-être l’histoire vous jugera-t-elle moins sévèrement et gardera-t-elle l’image d’un homme qui, revenant sur ses erreurs, aura aidé la cité de Lathandre à retrouver son statut d’antan. Celui d’une ville où règne justice et équité ! Reconnaître ses fautes et les réparer, n’est-ce pas là le vrai courage ? Oh, bien sûr, il vous faudra expier : nous pourrions quitter la ville, et, ensemble, vouer nos existences à nous racheter. Car je ne suis pas non plus sans tâches : j’ai également une responsabilité dans ce qui c’est produit, ici comme à Mélandis.

Taliesin s’avança d’un pas, son regard toujours rivé à celui de Nwalk.

-Ne serait-ce point là la plus courageuse des décisions, mon ami ? Après un long labeur, il se peut que vienne un jour où le bien que vous aurez accompli surpassera le mal. Un jour où vous pourrez être fier de vous, à juste titre. Ce jour là, vous n’aurez plus à fuir. Qui sait même si le souvenir de Folken ne pourrait pas cesser de vous hanter ?

Il émanait de ces paroles une telle force, une telle assurance, que personne, pas même le bourreau, ne pouvait y être totalement insensible. Taliesin semblait d’une sincérité absolue, d’une confiance infaillible. Et pourtant, il n’en était rien. Fut un temps où il aurait véritablement essayé de convertir Nwalk, de le faire renoncer à ses projets : aujourd’hui, cette attitude était juste une parade, une comédie. Le barde avait compris de quelle manière le tyran comptait se servir de lui. Il avait également compris qu’il était trop démoniaque pour revenir en arrière. Mais avouer cette compréhension aurait été une erreur. Mieux valait jouer le bon vieux rôle du Prophète Gris, le rôle de celui qui croyait qu’il y avait du bien en chacun et qui essayait de le faire remonter à la surface. Cela lui permettrait de garder l’initiative, de voir venir son adversaire. Cela lui donnerait peut-être une infime chance de déjouer ses plans machiavéliques.

[Quête : l’invasion des ombres]

Morfea grimaça ; comment l'elfe pouvait-il oser lui faire de telles propositions ?

- Je te savais faible Taliesin, mais j'ignorais que tu étais aussi stupide, vraiment ! Comment peut-on croire que placer les faibles au pouvoir peut améliorer les choses ? C'est la dure loi de la nature. Les faibles doivent mourir. Tous ces pauvres n'ont que ce qu'ils méritent après tout... Ils ont choisi leur camps...et donc leur sort.

Ce disant, le regard du bourreau s'emplit d'une lueur qui respirait le vice, le demi-elfe semblait avoir retrouvé confiance en lui.

- Quant à ta responsabilité dans leur sort... effectivement, on peut te considérer comme celui qui les a bercé d'illusions stupides ... tu leur as bourré le crâne d'aneries, et voila le résultat. C'est toi qui n'a pas su tenir ta promesse de les mener à la liberté. Toi et toi seul ! Ceux qui ont choisi de me suivre sont libres... Pour le reste, tu es stupide de croire que Folken pourrait jamais m'abandonner son corps... et quand bien même, la seule idée de sa présence en moi me souille !

Morfea attrapa alors la pierre verte qui lui servait de pendentif, restant l'esprit pensif l'espace d'un instant, avant de replonger son regard méprisant dans les yeux du barde :

- Et d'ailleurs, il est plus que temps que tu me libères de ce poids

[Quête : l’invasion des ombres]

Taliesin ne put retenir un sourire : il ne s’était pas trompé quant aux intentions du bourreau, et celui-ci venait même de lui montrer, sans qu’il soit possible de s’y tromper, l’instrument de ses sombres desseins. Le barde devait réfléchir à un moyen de s’emparer et de détruire l’étrange gemme… Mais pour l’instant, il fallait continuer à monopoliser l’attention de Morféa.

-L’une des choses qui nous différencie, mon ami, c’est que j’assume mes fautes, tandis que vous les rejetez sur les autres. Si la révolte des esclaves, à Mélandis, n’a pu aboutir, c’est en partie à cause de votre lâcheté. Si vous aviez rejoint plus tôt nos rangs, nous aurions pu gagner et prendre le pouvoir. Vous auriez eu alors tout loisir de m’évincer… Mais non, vous avez attendu le dernier moment, et été obligé de fuir avec nous. Quelle gloire ! Et si vous n’étiez pas intervenu pour mettre en branle vos sinistres machinations, les réfugiés auraient trouvé à Luménis une vie tranquille et apaisée…Vous prétendez aussi que ceux qui vous suivent sont libres ? Si c’est cela la liberté, la compromission, la veule soumission, je préfère la servitude qui est la mienne. Elle est de loin plus honorable. Et enfin.. Si les pauvres ont choisi leur pauvreté, si les faibles ont choisi leur faiblesse… Alors vous aussi, vous avez choisi ! Vous avez choisi de n’être qu’un esprit usurpant un corps, usurpant le pouvoir ! Vous avez choisi d’être une chose pitoyable et abjecte, reculant devant la difficulté, s’effondrant face à l’épreuve, tombant à genoux comme une loque devant ses vieux démons ! Quelle splendeur que le seigneur Morféa rendant tripes et boyaux devant un malheureux prisonnier. Ah ça, vous pouvez être fier de vous ! Folken, à quoi qu’il soit réduit aujourd’hui, est et demeurera toujours mille fois plus digne de louanges que vous !

C’était là pure provocation. C’était dangereux : Taliesin ne savait que trop bien à quelles extrémités la fureur pouvait conduire l’ancien bourreau. Mais il fallait absolument le détourner de ses projets, le mettre à mal. Parvenir à provoquer chez lui un nouveau malaise serait une excellente façon de repousser à plus tard l’échéance qui semblait horriblement proche.

[Quête : l’invasion des ombres]

Morfea sentait que le barde cherchait à le provoquer ouvertement, et il eut bien du mal à se contenir jusqu'à cette dernière phrase qu'il ponctua lui-même par un éclat de voix sarcastique :

- HA ! Folken... digne de louanges... Je pensais que tu le connaissais mieux que ça. Cet homme a causé la destruction du royaume de son père, provoqué la perte du peuple de sa mère, n'a pas hésité à trahir les siens pour sa propre satisfaction, il est la cause d'un véritable génocide... un lâche ! rien de plus. Voila ce qu'il est.

Sa phrase à peine finie, le bourreau écarquilla alors les yeux, puis, laissant tomber à terre son pendentif, se prit la tête entre les mains, poussant un long râle enragé. Observant la scène, l'apprenti se précipita alors sur la pierre verte que son maître venait de laisser tomber pour s'en saisir, incanta un sort qui provoqua l'apparition d'une sorte d'aura verte autour de la pierre et s'adressa alors au demi-elfe d'un ton rassurant :

- Je suis prêt Maître !

- Pas tout de suite Matzig !

Le seigneur noir luménien semblait avoir toute les peines du monde à parler. Il était visiblement essouflé mais restait parfaitement conscient. Son regard déterminé se tourna alors vers le barde.

- Maudit barde, sourrit-il, je vais te tuer

Dégainant sa dague, Morfea se jeta alors sur le barde en titubant, visiblement pas en pleine possession de ses moyens. Sa dague en l'air, il buta enfin sur Taliesin, qui, instinctivement bloqua le poing hésitant de son agresseur de ses deux mains. En position de force, le seigneur luménien offrait une force de pression supérieure à celle du barde affaibli, qui voyait petit à petit la lame se rapprocher de sa poirine. De nouveau, la mort sembla lui tendre les bras pour un départ vers l'autre monde, immédiat... à moins qu'un désormais traditionnel rebondissement, un sursaut de conscience de Folken ne vint de nouveau le sauver.

[Quête : l’invasion des ombres]

Le barde sentait les muscles tendus de ses bras commencer à trembler : encore quelques secondes, et ses forces l’abandonneraient. Un instant, une pensée folle lui traversa l’esprit, et il fut à deux doigts de non plus repousser le poing armée du bourreau, mais de le tirer vers lui, afin de mettre un terme au cauchemar qu’il vivait depuis des semaines. La mort lui apporterait la paix… et empêcherait surtout Morféa de se servir de lui.

Mais au lieu de cela, Taliesin cessa brutalement toute résistance et plongea de côté. Nwalk, surpris, bascula en avant. Sa dague vint s'enfoncer profondément le flanc du barde qui n’avait pu s’esquiver assez vite.

Poussant un grognement, la vue assombrie par l’explosion de douleur qui lui déchirait le côté, Taliesin bondit sur l’apprenti mage qu’il percuta de plein fouet. Celui-ci, les doigts toujours crispés sur la gemme verte, alla rouler au sol, à l’image de son maître : en effet Morféa, qui n’était pas parvenu à retrouver son équilibre après que Taliesin se fut soudainement escamoté, gisait à présent à plat ventre sur les dalles de pierre de la salle.

Le barde, haletant, demeura un instant immobile, parcourant la pièce des yeux. Le sang coulait en torrent de sa plaie, imbibant sa chemise et son pantalon : la souffrance était telle qu’elle lui embrumait l’esprit, l’empêchant presque de réfléchir. Pourtant, il devait agir au plus vite, saisir cet infime moment de liberté qu’il s’était procuré.

La gemme. C’était sa seule chance. S’enfuir était hors de question, avec les gardes qui attendaient de l’autre côté de la porte. Tuer Morféa également : le temps qu’il s’empare de l’un des couteaux contenus dans la sacoche de cuir déposée à quelques pas, le bourreau se serait relevé. Non. Il devait s’emparer de la pierre, et la jeter dans l’un des brasiers qui rougeoyaient, rendant l’atmosphère caniculaire. Il serait probablement exécuté juste après : mais cela n’avait guère d’importance, car il aurait annihilé un méfait dont il préférait ne pas imaginer les conséquences.

Dans un nouveau grognement de souffrance, Taliesin se jeta sur Matzig et tenta de lui arracher la pierre verte.

[Quête : l’invasion des ombres]

Se jetant sur le jeune mage, Taliesin le força à exécuter un nouveau roulé-boulé durant lequel Matzig perdit peu à peu prise sur la gemme jusqu'à ce que, dans un élan de rage, sentant la douleur décupler ses forces, l'elfe finisse par lui arracher entièrement d'un geste brusque.

Le barde qui avait pris le dessus, dans un effort surhumain, transcendé par la douleur et la colère, se releva alors en titubant, échappant à une tentative de croche-pied de Matzig, pour buter contre l'un récipients où flambaient des braises destinées à rendre les instruments de tortures plus impressionants. Taliesin tenait à peine debout, mais ses deux adversaires étaient encore à terre. Morfea se relevait avec peine et Matzig, allongé sur le dos, grimaçait en observant la gemme de son maître dans les mains de son ennemi.

De nouveau debout, Morfea s'epousseta brièvement avant de lancer au barde un de ses sourires malfaisants dont il avait le secret.

- Taliesin, taliesin... Que crois-tu pouvoir faire avec ça ?

Profitant de la pause que son maître venait d'instaurer par le dialogue, Matzig se releva à son tour. Puis, fixant le barde d'un regard noir, se mit en position de combat, prêt à bondir dessus à la moindre occasion.

- Tu es seul, salement amoché, et tu ne sais pas te servir de ça. Tu sais, tu t'éviterais bien des souffrances si tu nous rendais ça tout de suite... ce que tu fais ne sert à rien.

Et c'était pourtant vrai, seul dans son état, Taliesin ne réussirait jamais à sortir avec la pierre et encore moins à l'utiliser... une idée vint alors illuminer son esprit embrouillé : la détruire. Le brasier sous les yeux, le barde défia du regard son bourreau, puis plaça la pierre de sa main droite au dessus du feu, tout en tachant de limiter le flot de sang qui s'échappait de son ventre à l'aide de son autre main.

Comprenant alors ce que s'apprêtait à faire son prisonnier, Morfea bondit pour tenter de l'en empêcher, en vain. Au premier pas du seigneur luménien, Taliesin lâcha la gemme qui s'affaissa dès lors au milieu des braises. Enragé à la vue de cette scène, Matzig incanta rapidement un sort de projectiles magiques qui finirent d'achever le barde et l'envoyèrent valser jusqu'au pied de la croix de bois sur laquelle Rhéa, en larmes était attachée. Dans la panique, Morfea se jeta contre la coupelle où flambaient les braises afin d'en deverser tout le contenu sur le sol. Complètement déséquilibré par sa course effreinée, le bourreau s'étala alors à son tour au beau milieu des braises, poussant un hurlement de douleur jusqu'à en perdre momentanément connaissance.

Seul Matzig avait réussi à se sortir de cette situation sain et sauf. Observant la scène un instant pour déterminer quelle était dès lors la chose à faire, le jeune mage fut interrompu dans sa torpeur par l'entrée des deux gardes restés à la porte, que le bruit avaient interpelé.

- Seigneur ? Tout va bien ?

Sur l'injonction du jeune apprenti, les deux soldats accoururent alors pour tirer leur seigneur du lit de braises dans lequel il s'était étalé, pendant que le premier reprenait possession de la gemme. Assisté par les deux gardes qui lui firent immédiatement ingurgiter une potion de soins, le demi-elfe semblait reprendre ses esprits ; mais quand ses yeux verts croisèrent ceux du jeune mage, ce dernier comprit alors que dans sa perte de connaissance, Morfea avait également perdu le contrôle du corps qu'il empruntait. Tout se précipita alors. Saisissant la pierre brulante, Matzig, lança alors l'incantation qu'il avait appris avec Morfea afin d'enfermer l'âme de Folken définitivement dans la gemme. Comprenant ce qui l'attendait, le demi-elfe, dans un geste désespéré, essaya d'attraper les deux gardes par le cou afin de s'en servir comme bouclier, quand une décharge d'énergie sortit de la gemme, hapant une âme pour l'enfermer en son sein.

Une nouvelle scène de chaos se dessinait à nouveau sous les yeux du jeune apprenti. Les deux gardes étaient couchés l'un sur l'autre alors, que le demi-elfe gisait un peu plus loin. La gemme brillait d'une faible lueur. C'est alors qu'une quinte de toux vint perturber le silence ambiant. Les yeux injectés de sang du bourreau se rouvrirent alors... Le corps en partie brûlé, il se redressa :

- Libre...enfin ! Je suis libre !

Quête : L'invasion des ombres.

Taliesin gisait, inerte, au milieu d’une marre de sang qui allait s’élargissant. Son teint était cireux, ses membres étendus en des angles bizarres : à le voir ainsi, on l’aurait sans peine cru mort.
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Pourtant, il entrouvrit une paupière et, un bref instant, un vif éclat illumina son oeil. Morféa hurlait. Avait-il réussi ? Avait-il détruit la pierre ?
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Non. Les hurlements n’étaient point ceux du désespoir, mais ceux du triomphe. Le bourreau célébrait sa victoire. Il riait comme un dément…
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Un frisson parcourut tout le corps du barde agonisant. Ainsi, il avait échoué, malgré ses ultimes efforts. Mais avait-il vraiment espéré qu’il en fut autrement ? Rien de ce qu’il avait entrepris n’avait jamais connu une fin heureuse. Cela s’était toujours terminé par un désastre, par un bain de sang…
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Cette fois-ci, cependant, c’était différent. Car c’était son propre sang qui était répandu sur les dalles inégales de la salle, se frayant un chemin tortueux dans les interstices entre les pierres… En même temps que le sang s’écoulait, la vie l’abandonnait. Bientôt, il ne serait plus qu’une carcasse exsangue… Bientôt, son âme trouverait enfin la paix auprès de ceux qui l’avaient précédés dans l’au-delà, souvent par sa faute.
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Plus de remords, plus de tourments. Rien que le néant et l’oubli…
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Le barde exhala un profond soupir. Son oeil se fit vitreux. Sa main droite, celle qui avait tenu la gemme maudite au dessus du brasier, se crispa en un poing si serré que les phalanges blanchirent. Puis elle se détendit..
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[font=&quot]Taliesin ne bougea plus.[/font]

Morfea éxultait. Enfin il se sentait complètement libre. Ces années de souffrances, d'angoisses, d'impression d'être enfermé, cloîtré dans une enveloppe serrée... enfin le calvaire prenait fin. Le demi-elfe riait. Fort. Son rire sarcastique se propagea dans les étroits couloirs des sous-sols du palais, sous les yeux éplorés de Rhéa, qui avait assisté à la scène.

Les deux gardes, à terre, se regardèrent, l'air un instant hagard. Ayant assisté à la scène au premier rang, les deux hommes semblaient avoir du mal à retrouver leurs esprits. Et il était vrai que pour les non-avertis, la scène avait de quoi paraître totalement irréelle. Et c'est donc avec la seule conscience que quelque chose qui échappait à leur logique, à leur connaissance, venait d'avoir lieu qu'ils se relevèrent, s'époussetant, visiblement perdus et ne sachant pas quoi faire.

C'est alors que le jeune apprenti de Morfea s'approcha, lui tendant la pierre.

- Maître ? Que fait-on de ceci ... et du barde ?

Le Seigneur luménien se saisit de la pierre, l'observant avec satisfaction, il répondit :

- Je garde la pierre, débarrassez-vous de cette vermine.

De nouveau les deux gardes se regardèrent, hésitant, quand leur supérieur qui s'apprêtait à regagner ses appartements, fit volte face pour s'approcher de Rhéa :

- Ah ! J'oubliais. Le juge Kanter m'a soumis un très important problème. A sa demande j'ai levé l'interdiction de l'esclavage à Luménis. Veuillez lui apporter cette jeune fille en gage de cadeaux... On dit de cet homme qu'il aime la bonne chair... il sera sans aucun doute sensible à ce cadeau... Autant entretenir les bonnes relations avec nos alliés.

Esquissant un sourire, l'elfe explosa de rire.

- Ma pauvre Rhéa... Tout ça pour ça... voila où t'as mené ta fidélité envers ce faible de taliesin...à la case départ...quelle ironie n'est-ce pas ?

se retournant vers les deux soldats:

- Emmenez la.

Le premier garde fit alors signe au second de s'occuper de la fille puis se dirigea vers le corps inanimé du barde, gisant dans une marre de sang. Posant sa main sur son cou, afin d'en déceler le poul, il signifia à l'assistance d'un bref geste de la tête son décès. Tout à sa joie d'avoir enfin réussi à s'affranchir de l'âme de Folken, Morfea quitta enfin la sale non sans jeter un oeil satisfait à la dépouille du barde que son garde recouvrit bientôt d'un linge de toile.

Après avoir regagné ses appartements, son apprenti sur les talons, Morfea attrapa une bouteille de vin qu'il versa sèchement dans un verre. D'un pas tranquille, goûtant à cette nouvelle sensation de liberté, le demi-elfe sortit sur un balcon qui donnait sur le quartier nord, dans lequel régnait un calme des plus lourds. Portant la coupe à ses lèvres, le demi-elfe félicita son apprenti :

- Je dois de féliciter Matzig, tu as su agir comme il le fallait, au moment où il le fallait. Approche.

S'inclinant, le jeune mage, s'approcha alors, l'air fier, attendant la récompense promise, quand le bourreau, l'attrapant par l'épaule prononça ces quelques mots à son oreille

- Tu as été très brave... tu m'as fidèlement servi... Malheureusement, je ne peux me permettre de garder à mes côtés quelqu'un qui connaisse ces secrets et qui sache se servir de la pierre... Adieu

Et sur ces mots, le bourreau envoya valser son apprenti qui fit alors une chute de plusieurs étages avant de s'écraser dans un bruit sourd sur le parvi du palais que traversait le soldat emportant le corps de Taliesin, sans doute à destination d'un charnier.

[Quête : l’invasion des ombres]
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C’est un Ethelkin quelque peu tendu qui descendit de son carrosse. Il traversa la cour d’un pas rapide et gravit les marches du porche sans un regard pour les gardes ou leur salut empressé. IL ne prêta pas davantage attention aux serviteurs dans les couloirs qui s’écartaient vivement pour le laisser passer, et il fallut que le héraut debout devant les portes de la salle du trône lui barre la route pour qu’il consente à lui parler.
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-Le seigneur Morféa est-il ici ? demanda-t-il.
-Oui. Dois-je annoncer votre excellence ?
-Faites donc.
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Le héraut entrouvrit l’un des battants de la double porte et se glissa à l’intérieur. Il reparut quelques instants plus tard.
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-Sa seigneurie va vous recevoir.
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Sans un mot, Ethelkin pénétra dans la vaste salle. La cour s’y tenait au grand complet, foule murmurante de courtisans en grande tenue. Nwalk était assis sur l’antique trône de Luménis, entouré d’une poignée d’hommes à la mine sinistre. Eux étaient parfaitement silencieux, mais ils ne quittèrent pas des yeux le capitaine du port tandis que celui-ci traversait l’immense pièce, ce qui le mit encore plus mal à l’aise. Il savait qu’il n’avait rien à attendre de bon de la part de ses vautours.
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Parvenu au pied du trône, Ethelkin se prosterna devant son maître et annonça d’une voix qu’il espérait ferme et assurer. <!--[if !supportEmptyParas]-->
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-Monseigneur, je viens vous faire mon rapport sur la situation dans les quartiers ouest.

Nwalk ne répondit rien. Il n’en avait nul besoin : que le capitaine vienne le trouver à l’improviste signifiait que quelque chose ne tournait pas rond. Il se contenta donc de congédier d’un geste de la main les courtisans qui se dispersèrent en hâte. En quelques instants, la salle était vide, à l’exception d’Ethelkin, du Seigneur Noir et de ses conseillers. Le capitaine du port aurait préféré un tête à tête : Malheureusement, ce n’était pas lui qui dictait les règles.
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-Le commerce se porte au mieux, commença-t-il lorsque Nwalk l’eut invité d’un nouveau geste à prendre la parole. Les arrivées de navires en provenance d’Hélonna ont reprit leur rythme habituel, et nous commençons à voir reparaître des bâtiments de Dorrandin. Je gage que tout reviendra à la normal d’ici peu.
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Nwalk acquiesça. Ethelkin rassembla son courage et poursuivit :
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-Nous avons cependant eu quelques problèmes de sécurité. Globalement, la situation est excellente, mais nous avons subi quatre attaques regrettables cette semaine. Deux ont eu lieu près des entrepôts : rien de bien méchant, seulement quelques esclaves en fuite que nous rattraperons sous peu. Les deux autres, par contre, ont pris pour cible des hommes de la garde, et elles m’ont paru suffisamment graves pour que je vienne personnellement vous en informer…Hum… Nous avons perdu dix soldats, dont une patrouille complète au cours de la nuit.
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Morféa demeura parfaitement silencieux, et Ethelkin sentit les battements de son cœur s’accélérer. Il se força cependant à continuer : plus vite il en aurait fini, mieux ce serait, quelle que soit l’issue de cet entretien.
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-J’ai bien évidemment donné des ordres pour que cela ne se reproduise pas. Les patrouilles sont renforcées, de même que les effectifs stationnés à la prison et sur les quais militaires. Si une nouvelle attaque à lieu, les fautifs en seront pour leurs frais. Je pense qu’il s’agit de… résistants. Des imbéciles qui refusent de voir la réalité en face. Mais nous leur ferons regretter payer leur félonie, soyez en certain !
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Cilence, toujours. Le capitaine du port scruta un instant le visage de son maître, mais ne put rien y déceler. Il prit donc une profonde inspiration et poursuivit :
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-Je me dois cependant de vous faire part d’une rumeur qui court parmi les habitants du port… C’est une absurdité, bien sûr… Mais… Ils prétendent que le Prophète Gris serait revenu des Enfers où votre Seigneurie l’avait envoyé. Ce... revenant... voudrait lever une armée et… hum… mener à bien sa vengeance. Ce sont des contes de bonne femme, bien entendu, des chimères colportées par des éléments séditieux… Je veillerais néanmoins à ce qu’elle ne se propage pas : elle ne fait qu’entretenir les espoirs de vos sujets les moins loyaux, et ceux-ci doivent apprendre que nul ne pourra jamais contester votre autorité sans en payer le prix fort.
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Voilà, c’était dit. Il avait fait son devoir. Restait à attendre la réaction du Seigneur Noir. Laquelle promettait d’être rien moins qu’agréable. Ethelkin eut un regard en coin pour les conseillers qui le dévisageaient : il aurait tant aimé être à leur place ! Bien sûr, il occupait un poste prestigieux… Mais être sur le terrain impliquait de faire face à certaines difficultés malvenues, difficultés que connaissaient rarement les éminences grises. Et qui risquaient de lui valoir de sérieux ennuis.

[Quête : l’invasion des ombres]
Morfea tapait nerveusement de son index sur l'accoudoir de son trône. Le rapport d'Ethelkin fini, il laissa peser un silence des plus lourds pour ce dernier, permettant aux conseillers de deviser à voix basse sur le sort qui allait être réservé à un incapable de cette sorte.
Puis, après un soupir profond, il prit enfin la parole calmement. Il avait bien conscience qu'il était temps de reprendre les choses en main. Il sentait bien que sa quête pour prendre possession entièrement de son corps et se débarrasser de Taliesin lui avait pris un temps considérable, et que cela lui avait coûté de son autorité sur la ville. Et la nouvelle annonçant le retour d'entre les morts du barde, même si elle était évidemment infondé, ne lui faisait pas, mais alors pas du tout plaisir.

Autant l'annonce de la perte de 10 hommes pouvait le mettre en colère après le capitaine et le pousser à lui faire passer un sale quart d'heure mais sans plus... autant cette rumeur... le faisait littéralement sortir de ses gonds... après ce que ce dernier lui avait fait endurer... comment, par delà la mort, pouvait il continuer à venir le narguer. Les ahuris qui faisaient courrir ce bruit en seraient effectivement pour leurs frais. Il n'y eut alors pas un mot plus haut que l'autre, mais les paroles que prononcèrent le seigneur noir luménien renfermaient une rage qui fit taire les murmures auprès de ses conseillers :

- Ethelkin, prépare tes hommes, jje veux tout le monde sans exception ! Je rassemble ma garde d'élite... et faire vivre à ce quartier les heures les plus énibles qu'il n'ait jamais connu ... pour l'exemple.

Sur ses paroles qui n'auguraient rien de bon pour qui n'était pas soldat de sa seigneurerie au sein du quartier du port, Morfea se leva, et d'une claque en pleine joue, invita le capitaine de sa garde sur le quartier du port à se dépêcher d'exécuter ses ordres.

Quittant la salle, l'ancien bourreau ajouta :

- Et n'oublie pas les torches...

Pour une fois, il n'avait pas explosé. Depuis quelques jours, Morfea semblait plus en paix avec lui-même, mais celà ne l'empêchait pas d'éprouver une haine sans pareil envers ceux qui osaient de nouveau se dresser face à lui, osant faire ressuciter le spectre de son ancien ennemi Taliesin. Et c'était sans doute plus encore pour cela que pour avoir osé défier son autorité qu'il décida de raser toute forme de vie n'étant pas à son service dans ce quartier.

[Quête : l’invasion des ombres]
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</o>Ethelkin demeura droit comme un i tandis que Morféa quittait la salle du trône. Son stoïcisme apparent n’avait d’égal que la fureur qui l’habitait. Il fulminait littéralement : non pas tant à cause de la gifle – si Nwalk avait voulu le blesser physiquement, il l’aurait probablement laissé sur le carreau – que de l’humiliation que celle-ci lui avait causée. Il n’avait qu’à observer les conseiller du Seigneur Noir pour percevoir leur jubilation : elle se lisait dans leurs yeux, dans le sourire narquois que la plupart d’entre eux affichait, dans leur maintien précieux… Le capitaine du Port enrageait à les voir ainsi se gausser de sa mésaventure, et il devait faire effort pour ne pas tirer son épée et occire sur le champ ces insupportables vautours.

Il devait cependant attendre. Un jour viendrait où Nwalk, reconnaissant l’aide que lui apportait son serviteur zélé, le nommerait à une place plus haute encore. Il aurait alors tout le loisir d’exercer sa vengeance. Mais, pour l’heure, il devait s’empresser d’obéir aux ordres : il n’aurait pas trop de toute la nuit et de la matinée du lendemain pour vider les casernes du Port et rassembler ses forces.
<o></o>
La perspective de la mission à venir lui apporta un certain réconfort : au moins pourrait-il passer ses nerfs sur les marauds stupides qui colportaient des rumeurs plus stupides encore et s’ingéniaient à saper l’autorité de Nwalk. C’était à eux qu’il devait cette pénible entrevue, à eux qu’il devait son humiliation. Ces mécréants allaient payer, pour sûr.

<!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--> <!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[if !supportEmptyParas]--><!--[endif]--> <!--[endif]--> [font=&quot]Lorsque Nwalk eut disparu, Ethelkin se retourna d’un bloc et quitta à son tour la pièce, l’esprit déjà bourdonnant de moult idées concernant les sévices qu’il allait pouvoir faire subir aux habitants rétifs des quartiers ouest. On allait voir si après cela ils oseraient encore causer du grabuge. Probablement que non, pour la bonne et simple raison que la zone risquait d’être bientôt étrangement sous-peuplée...[/font]

[Quête : l’invasion des ombres]

HRP : Une dizaine de jours plus tard...

Sous la conduite de Folken, Dorian, Dubnium, Kasumi, Ravestha, Thémis, Iulvatar et le reste du petit groupe rassemblé à la Capitainerie du Port émergea dans une ruelle déserte du Quartier Nord. Leur périple dans les égouts s’était déroulé sans anicroches : ils étaient bien tombés à l’improviste sur un groupe de Morféens mais, plus nombreux et préparés à toute éventualité, les Résistants en étaient venus à bout sans subir de pertes. Et à présent, ils se tenaient immobiles, plus proches que jamais de leur objectif. Il leur suffirait de tourner au coin, là bas, et le Palais Présidentiel leur ferait face.

Un soldat envoyé en éclaireur ne tarda d’ailleurs guère à revenir faire le rapport de ses observations.

-Toutes les portes sont closes. Et gardées. Par des Rouges. En dehors de ça, personne en vue.

C’était une bonne nouvelle : cela signifiait que la résistance avait été en mesure de lancer sa contre offensive, au moment où les Morféens avaient lancé leur sortie en bordure du quartier gouvernemental, et que ces derniers avaient dû faire chercher des renforts pour repousser cette attaque imprévue. Autant de mauvaises rencontres en moins pour le commando.

Il n’en était pas pour autant tiré d’affaire. Vaincre les Rouges postés en sentinelle, franchir les portes barrées, trouver Nwalk et son conseil ne serait pas à proprement parler une promenade de santé…

[Quête : l’invasion des ombres]

Aussitôt sorti des égouts, Kasumi ne perdit pas un instant de plus à détailler ses compagnons. Il avait eu tout le temps du trajet pour les observer. Du reste, il avait déjà accompagné Ravestha et Iluvatar lors de la désespérée bataille des quais puis s’était battu aux côtés de Dorrian lors de l’incursion du quartier pauvre. Parmi les autres, deux retinrent particulièrement son attention : un étrange gnome s’était joint au groupe ainsi qu’une femme qui, malgré son jeune âge, maniait son arme avec habileté et expérience.

Le rôdeur essuya les lames de ses épées avant de les remettre au fourreau. Il détacha de son épaule la toile cirée qui avait protégé son arc pendant le trajet humide et étriqué des boyaux de la cité. Testant la tension de la corde, à plusieurs reprises, il se dirigea à pas lent vers le coin de la rue pour observer par lui-même le rassemblement de gardes postés devant les portes du Palais tout en prenant grand soin à ne pas faire de mouvement révélateur de sa présence. Peut-être y avait-il une entrée moins gardée que les portes principales mais jeter un œil ici ne serait pas de trop…

[Quête : l’invasion des ombres]

Accroupi dos à un mur, Folken réfléchit un instant au moyen le plus approprié d'entrer dans le palais. Lors de son départ du camps Morféen, il avait pris le temps d'en faire le tour et d'en noter les différents accès.Qu'importe celui qu'ils choisiraient, ils auraient à livrer bataille pour entrer et à le faire rapidement avant que l'alerte ne soit donnée dans tout le quartier. Laissant le soin à chacun d'observer les alentours, le demi-elfe prit alors la parole.

- Messieurs, c'est ici que nos ennuis commencent. Morfea est un incorrigible paranoïaque. Chaque porte est gardée... et l'accès au cœur du palais doit l'être également par une bonne troupe de gardes d'élite. Notre homme sait s'entourer. Pour pénétrer dans le palais, je suggère de prendre une entrée discrète... Il y en a une sur le côté ouest du palais, une entrée de service qui devait servir aux cuisines et que Morfea utilise aussi pour ses bourreaux... il a réaménagé une partie du sous-sol en geôles avec sale de torture. Il y a fort à parier que cette zone doit être désaffectée par rapport à l'entrée centrale. Sauf mauvaise surprise, nous n'y trouverons que le bourreau. quelques serviteurs et les prisonniers... Je ne sais pas s'il y aura des soldats... mais s'il y en aura, ils seront toujours moins nombreux que devant et derrière cette porte.

Folken se tût un instant pour s'assurer que personne n'avait de question puis se leva guidant la petite troupe à travers un itinéraire des plus rallongés mais choisi avec précaution pour éviter au maximum de se faire repérer par les gardes en faction autour du palais et les rares patrouilles circulant dans le secteur. Après de longues minutes d'une marche furtive et stressante, le commando se présenta face au côté ouest du palais. D'un signe de la main, le manostien désigna l'entrée à ses compagnons. La porte n'était gardée que par deux soldats...

- Voila, nous y sommes... Maintenant, il faut neutraliser les deux gardes... sans effusion de sang , histoire de ne pas attirer l'attention. Quelqu'un aurait-il une idée à proposer ?

[Quête : l’invasion des ombres]

Le rôdeur évalua ses chances de tirer deux flèches assez rapidement dans la trachée de ses adversaires pour qu’aucun ne puisse donner l’alerte. C’était du domaine du possible mais pas sans grand risque. Sa vision s’accoutumait bien à l’obscurité mais il devrait alors se rapprocher encore pour éviter toute approximation. Rien ne garantissait qu’un tel déplacement ne le fasse pas repérer par quelque patrouille ou guetteur placé sur les toits.

C’est Lune, en s’agitant dans son sac qui lui donna une idée. Il s’exprima à voix basse pour n’être entendu que de ses seuls compagnons :

- Peut être mon hermine détournera suffisamment leur attention pour que l’un d’entre vous s’approche dans le dos de ces gardes. Ils ne penseront pas à une attaque venant d’un si petit animal. Pour ma part, je peux en abattre un avant qu’il puisse crier mais pas deux.
Qu’en dites-vous ?

[Quête : l'invasion des ombres]


Thémis émergea des égouts avec toute la troupe. Le trajet s’était déroulé sans encombre mais elle avait été sans cesse à l’affût du moindre bruit.
Elle fit quelque pas, méfiante, dans la sombre ruelle. Les dômes du palais présidentiel se dressaient devant eux, inquiétants.
Elle se retourna face aux hommes, chacun semblait s’être plongé dans un profond mutisme. Elle ne connaissait personne et même si elle savait que cela était impossible, elle avait secrètement espéré apercevoir le visage de son frère dans les rangs de ses compagnons...
Enfin quelqu’un parla, un soldat lui souffla dans l’oreille son nom : Folken.
Ils se déplacèrent et arrivèrent du coté ouest du château. La porte était gardée par deux soldats.
Il fallait s’en débarrasser discrètement, et pour évitter tout problème si Kasumi rattait ses coups, des volontaires devraient se faufillent derrière les sentinelles.
Elle sourit et s’avença :
- je veux bien me charger de l'autre, si vous me le permettez.

[Quête: l'invasion des ombres]

Thémis acquiesça et entreprit d'apprêter sa mise pour ressembler le plus possible à une esclave. Mais elle devait avouer que cette idée ne l’avait pas vraiment enchantée.
Son armure, une fois retirée, laissait voir ses vêtements usés par les voyages et les combats récemment menés. Elle camoufla son fourreau du mieux qu’elle put.
Enfin elle était prête et elle espéra que le résultat serait suffisamment convaincant pour laisser croire à sa nouvelle identité. De toute façon elle serait fixée dans un instant.
Thémis regarda Kasumi, il hocha la tête, c’était le moment.
Elle s’avança d’un pas tranquille jusqu'aux gardes, son cœur battait à tout rompre.
Quand elle fut à leur hauteur elle les accosta, et espéra que le léger tremblement de sa voix passerait inaperçu.

- Bien le bonjour messieurs ! Je suis la pour aider en cuisine, parait que y’a beaucoup de besogne…

[Quête : l’invasion des ombres]

Kasumi avait acquiescé silencieusement au choix qui s’était porté sur la jeune humaine. D’un regard à son familier, il lui transmit ce qu’il attendait de lui. La petite hermine se précipita vers les fourrés pour s’approcher tout en passant inaperçu.

Pendant que la jeune femme et l’animal se dirigeaient vers la porte du palais, il choisit deux longues flèches dans son carquois. Les plumes de chouette, fermes et souples, formant l’empennage étaient bien ajustées : elles ne feraient pas le moindre bruit en filant vers leur but. Il planta le premier trait dans le sol à ses pieds et encocha le second. Puis, lentement et sans à-coups, il ramena l’empennage vers son oreille tout en orientant la pointe vers le cou du premier garde. Progressivement, la flèche et le cou ne firent qu’un dans son esprit. Le temps se figea jusqu’au moment du signal…

Puis, tout se précipita, l’hermine jaillit des fourrées et passa entre les deux gardes juste après que la bretteuse s’était adressée aux Morféens. Kasumi effaça le trait de son esprit à l’instant où il le laissa filer vers sa cible. Il avait déjà la seconde flèche en main et s’apprêtait à tirer à nouveau.

[Quête : l’invasion des ombres]

Ravestha restait impassible, ses lames encore rouges de leur rencontre avec les hommes de Morféa. Il avait suivi le groupe sans dire mot. Il avait régné une ambiance pesante pendant le trajet, aussi bien due au fait que le risque de tomber sur des ennemis était omniprésent, mais aussi parce que chacun avait pris conscience de l'enjeu de la mission, et de la nécessité de la mener à bien. Des responsabilités qui souderaient sans doute encore d'avantage un groupe déjà bien concerné par le destin de Luménis.

Il n'avait rien eu à ajouter à la stratégie exposée par Kasumi, aussi se contenta-t-il de garder le silence, tout à sa concentration. Le plus dur commençait, d'autant plus que beaucoup parmi eux - lui le premier - n'étaient pas des habitués de la discrétion. Il se contentait donc désormais d'attendre, espérant que le plan fonctionnerait jusqu'au bout. Car si la précision du trait envoyé par le rôdeur le rassura, ses yeux se tournèrent vers Thémis qui n'avait dès lors plus qu'une fraction de seconde pour se décider à agir, sans quoi le deuxième garde ne manquerait pas de lâcher un cri d'alarme.

[Quête : l'invasion des ombres]

Il n'en eut fort heureusement pas l'occasion. A peine la flèche de Kasumi atteignait-t-elle son but que Thémis brandissait son épée et en frappait le deuxième Garde Rouge, dans l'infime interstice séparant la cuirasse du casque. Le col transpercé de part en part, le soldat s'effondra, mort avant même de s'étaler sur les pavés. Sa chute et celle de son tout aussi infortuné compagnon s'accompagna d'un bruit de métal qui parut retentir aux membres du commando comme un insoutenable vacarme. La voie était cependant libre : si des gardes avaient perçu le tintamarre, ils étaient encore hors de vue. Mais, avec un peu de chance, le bref assaut serait passé totalement inaperçu.