La Couronne de Cuivre

Le rôdeur ne fut pas moins surpris de retrouver la jeune femme en ces circonstances parfaitement inattendues. Il cligna plusieurs fois des yeux pour s’en remettre. Il fut pourtant le premier à se remettre du choc :

- Tu devrais voir ta tête ! On croirait que tu as vu un fantôme. Remarque, ça aurait pu être vrai. Après tout ce temps, se retrouver dans une écurie !

Kasumi arbora un sourire radieux qu’il espérait avenant et posa des yeux amusés de la situation sur la jeune femme. Celle-ci paraissait éprouvée et son reagrd reflétait une certaine gravité.

La manière décontractée avec laquelle Kasumi prit son apparition détendit immédiatement Galathée, qui grimaça.
« Les fantômes font moins peur. » grommela-t-elle. « Mais je plaisante. Et je me doutais que nous finirions par nous croiser. Je suis rentrée en ville il y a seulement quelques jours. »
Elle déposa son seau et glissa le parchemin à sa ceinture.
« Tu peux y aller, Glen. La jument de Flèche-Sombre a besoin d’être étrillée et l’escadre de Martha sort dans l’après-midi. »
Le gamin opina du chef et s’esquiva. Galathée alla jusqu’au rôdeur, hésita une seconde, puis l’étreignit brièvement, une seconde, et sourit.
« En chair et en os. Je devais vérifier. »

Kasumi rendit son étreinte hésitante à la jeune femme avec simplicité. Malgré les mois sans nouvelles ou presque, les deux rôdeurs connaissaient tous deux la nature de leur relation. Une simple et saine amitié sans ambiguïté.

D’un regard il sembla jauger l’apparence de Galathée et s’en tint pour tout commentaire à une moue dubitative. Il évita tout simplement d’aborder les évènements depuis leur dernière rencontre. Il n’avait pas particulièrement envie de revenir sur sa convalescence et semblait comprendre instinctivement que c’était le cas pour Galathée aussi à sa façon. Au lieu d’aborder ces sujets embarrassants, il se concentra sur l’instant présent, retrouvant son ironie coutumière :

- A en juger par ta tenue, et c’est sans offense que je dis ça, soit tu travailles ici soit tu as volé son costume de *tous* les jours à un paysan. Peut être pourras-tu me renseigner sur la personne qui a la charge des oiseaux de proies du Fort ?

Galathée baissa les yeux sur ses frusques, interdite, puis haussa les épaules.
« Je crois que je travaille ici. » dit-elle finalement. « Hum. Les oiseaux de proie sont gardés par Félix, un gnome sympathique mais peu prêteur… Il a donné un petit nom à chacun des volatiles et fête leurs anniversaires. Si tu veux lui en emprunter un, il va falloir te montrer persuasif. »
Elle sourit, jeta un œil à son seau, à l’hongre de Kasumi, puis à son cavalier.
« Tu le trouveras dans la petite dépendance juste à côté des écuries. Il soigne ses pigeons, pour l’heure. Et chasse le rat. »

Kasumi s’écarta vivement, manifestant ainsi une appréhension feinte et exagérée face à l’eau qui aurait pu doucher sa bonne humeur. Il passa à la hauteur de la Galathée en la gratifiant d’un sourire amical.

- Merci pour ces renseignements ! Puisque tu travailles ici et que je dors au fort ces derniers temps, j’espère ne pas avoir à attendre aussi longtemps avant de te revoir. S’il s’agit d’un seul rat, je pense pouvoir proposer à Félix un défi de taille. J’espère que le petit Victor va bien, acheva-t-il alors qu’il s’apprêtait à suivre les indications de la rôdeuse en ressortant des écuries.

« Victor va très bien. » répondit Galathée. « Je gage que tu le croiseras dans ces travées tôt ou tard. Mais tu verras, il est un peu douillet des choses de la vie et de la mort. »
Puis elle le salua d’un geste, et s’en retourna à son labeur.

L’appentis voisin des écuries était en fait un pigeonnier circulaire, qui bruissait des roucoulements de mille et un volatiles ventrus. Des poules circulaient aussi dans la courette qui l’encerclait, et lorsqu’il entra dans le cabanon, Kasumi découvrit les nids de tous ces oiseaux.
« Attention aux fientes, si vous restez. » lança une voix gaillarde, quelque part sur la gauche, parmi la multitude d’emplumés qui dévisageaient le nouvel arrivé de leurs yeux ronds.

Kasumi tourna ou plutôt baissa son regard vers la personne qui l’interpelait si obligeamment. Les volatiles, pour leur part, n’accordait que peu d’intérêt pour cet étrange intrus bipède, trop grand pour être une proie et manifestement dépourvu de graines. Un pigeon plus entreprenant vint pourtant se poser sur la main tendue du rôdeur.

- Je ne juge pas sur les apparences mais vous devez être maître Félix si j’en crois mes sources et mes observations. Je m’appelle Kasumi et je pense que vous pourriez peut être m’aider. Ou plutôt certains de vos protégés pourraient me rendre un service.

« Vous en avez déjà pris une sur l’épaule, mon ami. » répondit le gnome. « Et je suis bien celui que vous cherchez. Sortons avant que vous ne soyez, comme moi, plus qu’une vaste cible pour ces petits rigolos. »
Félix en profita pour se faufiler jusqu’au rôdeur, et sans cérémonie, il le poussa vers la sortie. C’est seulement lorsqu’il eut regagné l’air libre que Kasumi put réaliser que le gnome avait vu juste : il portait une élégante tache blanche et verdâtre sur la veste, et la fraîcheur de l’air automnal lui fit prendre conscience de la puanteur qui régnait, une seconde plus tôt, dans le pigeonnier.
Félix, lui, était un gnome déjà âgé, vêtu d’une manteau qui le recouvrait presqu’entièrement, ne libérant qu’un nez pointu sur lequel trônait une petite paire de lunettes. Il était couvert de déjections. D’un coup sec, il retira son capuchon, sa veste puis ses gants, et les jeta au sol.
« Désolé, mon ami. Les pigeons sont cruels. Vous disiez ? »

Le rôdeur se contenta d’une moue explicite en constatant la tâche de fiente maculant sa tunique. Elle en avait connu d’autres et des pires. Evacuant ce désagrément de son esprit, Kasumi repartit avec entrain :

- Les risques du métier, n’est-ce pas ? Autant aborder ma requête et vous jugerez sur pièce : je m’efforce de rendre un certain équilibre au bosquet qui a vu le jour sur les quais. Il est actuellement infesté de rats et j’ai pensé que quelques prédateurs pourraient provisoirement les dissuader de tout coloniser. Peut être certains de vos protégés pourraient en faire leur terrain de chasse ?

Le gnome parut embarrassé et se gratta le crâne, qu’il avait largement dégarni.
« Hum. Je ne me verrais pas trop vous confier de bonnes bêtes. Faut les entraîner dur, si je les laisse chasser comme s’ils étaient sauvages, je ne sais plus en tirer le meilleur… et j’ai besoin du meilleur. Par contre… »
Son regard s’éclaira.
« Je pourrais vous refiler quelques estropiés. Un vieillard qui a bien servi, aussi. Deux faucons pèlerins, un crécerelle, un vieux hibou. Bon, ça ne vous fait pas de reproducteurs, mais c’est un début. Qu’en pensez-vous ? »

Les yeux de Kasumi s’écarquillèrent de surprise. Il ne s’était pas attendu à une proposition aussi généreuse surtout après que Galathée ait décrit le gnome comme gardant jalousement ses protégés. Les yeux pétillants de bonne humeur, le rôdeur tendit sa main au petit personnage.

- C’est une offre très généreuse et je prendrais grand soin à ce que les animaux que vous me confierez y trouvent leur compte. Ils ne manqueront ni d’eau ni de nourriture, et peut être trouveront-ils une seconde jeunesse en tant que gardien d’un lieu consacré à la dame des bois. Peut être accepterez-vous de me montrer vos autres oiseaux pendant que nous discutons d'une juste compensation pour ce service ? Si toutefois ils se gardent de décorer mes vêtements pendant les transactions.

Le gnome rit.
« La volière est au dernier étage de la tour sud-ouest. Si vous avez de l’énergie… »
Voyant que son compagnon n’en manquait pas, l’oiselier lui montra le chemin et ils gagnèrent ensemble la forteresse.
« Quant à une juste rétribution… » fit Félix alors qu’ils grimpaient. « Il ne saurait en être question. Ces oiseaux sont inutiles, pour moi. Juste des becs à nourrir et si j’étais un peu plus sérieux, je les aurais déjà tués. Dans mon métier, la sentimentalité est une mauvaise chose. Dans tous les métiers liés à ce Fort, en fait. Vous me retirez une épine du pied en leur offrant une dernière chance. »
Après une ascension interminable, ils atteignirent enfin le sommet de la tour. Le gnome trottina jusqu’à une porte de bois qu’il ouvrit à l’aide d’une grosse clef, puis invita son visiteur à pénétrer dans une antichambre grillagée. Derrière les croisillons de fer, une trentaine de rapaces reposaient dans un espace aménagé spécialement pour eux, chacun posé sur son perchoir, et ils tournèrent leurs yeux perçants vers les nouveaux arrivés.
« Voilà mes enfants. » fit le gnome en déverrouillant la grille et en entrant, Kasumi sur les talons, dans la volière.
Un aigle massif en profita pour voleter jusqu'à l'épaule de son maître, ce qui le déséquilibra grandement, sans qu'il en perde pourtant le sourire.

Quête : Maux croisés

Thémis se mordit la lèvre :

- Je sais qu’elle a atteint le sanctuaire sans encombre, donc elle doit être dans les taudis. Mais après…

Ils continuèrent à marcher en silence, la jeune fille reprit la parole, dans son ton on pouvait y déceler un léger tremblement :

- Nous avons beaucoup avancé dans l’enquête et nous avons des suspects. Ils peuvent être à l’origine de la disparition de Mahaut.

Soudain un sourir menaçante apparut sur son visage :

- Si nos recherches son défectueuses, nous iront leur rendre une petite visite. Et si ils ont vraiment tentés quelques choses, je ne les pardonnerais pas.

Kasumi observa les oiseaux en silence, les laissant s’habituer à sa présence. Puis, au bout d’un moment il s’approcha des perchoirs pour détailler certains spécimens de plus près. Il y en avait de toutes sortes et d’âges variant d’un jeune oisillon à peine sorti du nid au vieux rapaces aux plumes gâtées. La plupart étaient dans la force de l’âge et avaient les sens alertes propres aux animaux en bonne santé.

Le rôdeur repéra rapidement quatre oiseaux visiblement affaiblis : un vieil hibou dont certaines plumes avaient disparues et qui peinait à se déplacer sur son perchoir, un faucon crécerelle dont une aile était légèrement crispées et pliées autour d’une blessure sur laquelle les plumes n’avaient pas repoussées et deux faucons pèlerins dont l’un avait perdu un œil et l’autre une serre à la patte gauche.

Le demi-elfe ne pensait pas que ces handicaps les empêcheraient de garder une certaine efficacité contre la colonie de rats du Bosquet, en tous cas, ils y trouveraient un abri qu’ils agrémenteraient de leur seule présence. Peut être cela encouragerait-il d’autres oiseaux à venir y nicher ?

Kasumi remercia une nouvelle fois le gnome de sa générosité avant de s’approcher des quatre estropiés pour se faire connaître d’eux. Un lien, même ténu, les aideraient à s’approprier le domaine du rôdeur.

Une fois les présentations faites, le rôdeur eut un peu de mal à se faire comprendre des faucons mais le hibou se montra placide et accepta de se percher sur son bras.

- Je pense que j’aurais plus de succès en les transportant un par un et en les laissant s’accoutumer à leur nouvel habitat. Cela ne vous dérange pas de garder les autres jusqu’à demain matin ?

***

Quête : Maux croisés

Furvan, Hagen et Thémis prirent la direction des Taudis après avoir emprunté des chevaux rapides aux écuries. Ils pourraient ainsi couvrirent plus de terrain si les recherches s’éternisaient et rattraper une partie du temps perdu.

Sur les conseils de Hagen, ils retournèrent tout d’abord prendre des nouvelles à la Chapelle d’Ilmater. Mahaut s’y serait sans doute rendue à présent ou au moins aurait laissé des nouvelles à l’intention de Thémis. Si cette piste s’avérait infructueuse, il serait alors temps de ratisser le quartier en commençant par le trajet théorique emprunté par la garde et le prêtre Basilius.

Félix parut satisfait du premier contact entre ses protégés et le rôdeur, son visage se fendant d’un sourire.
« Il n’y a pas de problèmes. Vous me trouverez au pigeonnier ou ici en haut, si vous me cherchez. Dans mon lit si vous êtes trop matinal ou trop tardif. Je me couche et me lève avec le soleil, comme la plupart des oiseaux. »
Il rit puis posa une main affectueuse sur la tête du vieux hibou.
« Gandalf est une bonne bête. Un peu sérieux, mais efficace. Avec des ressources insoupçonnées. Un auxiliaire de nuit qui me manquera. »

Kasumi emporta Gandalf hors de la volière sans que celui-ci fit mine de se rebiffer. A dire vrai, il somnolait et prenait la chose avec beaucoup de distance. Il tourna cependant son regard vers le gnome en lui manifestant beaucoup d’intérêt et une lueur brilla un bref moment dans son regard avant qu’il ne retourne à sa somnolence diurne. Avant de regagner l’escalier, le rôdeur remercia à nouveau le maître de la volière :

- Il va de soi que vous êtes toujours le bienvenu au Bosquet où vous pourrez rendre visite à Gandalf si vos pensionnaires vous en laissent le loisir. Vous perdez sa compagnie mais vous y gagnez un ami redevable.

Après une chaleureuse poignée de main et quelques conseils sur la façon de prendre soin de ces oiseaux et de leurs habitudes, le rôdeur quitta le fort pour amener son protégé vers le Bosquet où il élirait domicile.

Lorsque Kasumi regagna le Fort, le ciel était chargé de nuages lourds et le tonnerre grondait, nimbant la campagne alentours de lueurs orageuses. Pour l’heure, Luménis était encore au sec, mais plus pour longtemps. Le réfectoire du fort bourdonnait des habituelles conversations, lesquelles tournaient, pour la plupart, sur le sort des malheureux gardes qui étaient affectés aux patrouilles cette nuit-là. Le rôdeur opta pour le mess où il croisa quelques officiers, Darren Flèche-Sombre passa en coup de vent prendre des nouvelles de son programme des jours à venir, puis s’éclipsa. L’atmosphère était tranquille mais on sentait que chacun était heureux d’avoir l’opportunité de se calfeutrer à l’abri des murs inébranlables de la citadelle.
Kasumi ne s’éternisa pas non plus dans la pièce chaleureuse et gagna son propre lit, accueillant et confortable. Il s’endormit au doux son de la pluie, peu troublé par les roulements d’un ciel en colère.

Gandalf s’était montré calme et Kasumi avait patiemment attendu qu’il s’éveille dans son nouvel environnement. Il n’avait eu aucun mal à se trouver un abri douillet entre les fourches d’un grand pin. A la plus grande joie du rôdeur, une fois la nuit tombée, le vieil hibou avait prit son envol en quête de proies.

Une heure à observer le balai du rapace nocturne avait suffit à convaincre le demi-elfe qu’il se plairait au bosquet. Le rôdeur ne s’était pas départi de sa bonne humeur durant toute la soirée. Savoir Galathée de retour et des oiseaux confiés à sa protection le réjouissait. Le bosquet allait bientôt rayonner de vie et le rôdeur ne se sentait plus aussi seul qu’à son réveil.

Il se leva le lendemain d’une bonne nuit de sommeil sans rêve pour se diriger vers le réfectoire pour aborder une nouvelle journée par un solide petit déjeuner avant sa séance d’entraînement du matin. Décidément, ses journées s'étaient bien rôdées.

L’humeur au petit déjeuner était morose, sans doute parce que la plupart des gardes avaient mal dormi. L’orage avait claqué au-dessus de Lumenis pendant toute la nuit, privant de nombre d’entre eux d’heures de sommeil salvatrices. Les équipes de nuit étaient rentrées trempées et malades, ayant pataugé dans l’eau aux heures les plus froides. On parlait de débuts d’inondations, de rues transformées en rivières. Les égouts avaient refoulé et certains hommes se préparaient à aller déboucher les canaux souterrains.
Flèche-Sombre et le général Maelwedd devisaient en périphérie de la salle, accompagnés par une jeune femme, manifestement d’ascendance partiellement elfique, que Kasumi n’avait jamais rencontrée.
« Entraînement, aujourd’hui ? » dit alors une demoiselle tout en prenant en face de Kasumi, bientôt rejointe par deux de ses collègues gardes.

Kasumi rendit un sourire à la fois amusé à la jeune femme.

- Un entraînement ? Par ce temps ? Vous voulez attraper la mort ! Mais puisque vous le demandez avec tant d’insistance, je n’ai pas le cœur de vous le refuser. Rendez-vous à la cave de la tour ouest avec votre équipement. Une séance en intérieur nous évitera d’avoir les pieds mouillés ce matin.

Le demi-elfe avait prévu de faire travailler ses gardes de ce matin à la maîtrise du combat en aveugle, un exercice déjà pratiqué dans les séances précédentes mais il avait rajouté quelques défis pour corser l’affaire. L’exercice consistait à franchir un parcours d’obstacles un bandeau sur les yeux après l’avoir visualisé. Le parcours se terminait par une passe d’arme convenue à l’avance avec un opposant voyant. L’exercice avait pour but de contrôler ses mouvements et à acquérir des automatismes dans l’anticipation d’un assaut.

L’attitude des gardes évolua avec le temps. Au début, Kasumi les trouva peu motivés, à quelques exceptions, qui semblaient au contraire fébriles et par là maladroites, mais au fur et à mesure de la matinée, à l’abri du ciel, ils retrouvèrent leur enthousiasme coutumier et leurs réflexes. Il y eut bien évidemment des chutes et des bleus, au corps et à l’amour propre, mais au total, le rôdeur put s’estimer satisfait des performances de son équipe du matin, laquelle le remercia chaleureusement avant de remonter prendre son déjeuner.

Kasumi avait une nouvelle fois observé les soldats pendant les exercices qu’il leur proposait. Une fois de plus, certains ne comprenaient pas de prime abord, l’objectif ou l’utilité de certains d’entre eux. Mais les gardes étaient disciplinés et se livraient aux épreuves sans rechigner et y prenait même goût quand, après des efforts vains, ils parvenaient à se libérer du carcan de l’habitude et à appréhender le combat ou l’observation d’une nouvelle manière.

A la fin de son programme et quand il se fut assuré que les ecchymoses reçues n’avait rien de grave, le rôdeur prit congé des soldats et leur permit d’aller se restaurer et se reposer. Le demi-elfe commençait à prendre goût à ce petit rituel et se demandait si on lui proposerait de rester dans la garde après la fête de la Lune. Ce n’était pas une perspective déplaisante même si elle supposait moins de possibilités de quitter la ville.

Lorsque Kasumi gagna le mess pour se restaurer à son tour, il y trouva quelques têtes familières en grande conversation : Vera Gellagen, l’officier de cavalerie, ainsi que l’intendant du Fort et d’autres gradés qui le saluèrent d’un geste de la tête, avant de reprendre leur conversation.
« Tous les mages du guerre, j’ai entendu dire. » disait Vera. « Et deux escouades complètes de gardes d’élite. »
« C’est quand même incroyable que nous soyons si mal informés. » intervint un demi-elfe déjà âgé, au plastron rutilant.
« Flèche-Sombre a promis une réunion ce soir. Je pense que nous devons lui faire confiance. S’ils ne disent rien, c’est qu’il n’y a rien à dire. » fit l’intendant.
« Peut-être que non. N’empêche, le silence ne favorise que la rumeur. » fit Vera.
« Nous nous emballons pour rien. Peut-être les conseillers ont-ils simplement eu envie de renforcer la sécurité. Je veux dire… un garde du corps chacun, c’est très maigre. Aucun d’entre eux n’est un combattant expérimenté. Moi je pense qu’il était temps qu’ils réalisent que leur attitude était un petit peu… légère. Un chef d’état doit savoir se protéger et anticiper les menaces. » lâcha un homme relativement jeune, en uniforme bleu ciel.
Son commentaire s’attira un certain nombre de hochements de tête. Apparemment, l’assemblée était d’accord.
« N’empêche, c’est subi… Je n’aime pas ça. » ajouta Vera.

Kasumi ne put s’empêcher d’écouter la conversation qui, il le soupçonnait, portait sur le service de sécurité mobilisé à l’occasion de la Fête de la Lune toute proche. Des rumeurs avaient donc percé et le rôdeur ne pensait pas devoir trahir de secret en se joignant aux débats :

- Vous parliez de la soirée qui aura lieu dans quatre jours ? Je me demande ce qu’aura exactement prévu Flèche-Sombre. Vous pensez à des troubles ? Une menace précise ? La présence des mages sera appréciable pour nous garder des illusions ou des attaques profanes.

« Nous n’avons pas beaucoup d’informations, en réalité. Ainsi vous pensez que ce serait simplement pour la Fête de la Lune ? Pourtant… ça avait presque l’air d’une décision de dernière minute… Enfin. J’imagine que nous en saurons plus ce soir. » fit Vera, songeuse.
« Ça n’est pas lié, c’est lié au cadavre de la nuit, j’en suis certain. » murmura un chevalier rubicond.
« Je n’en sais rien, ça paraît quand même un peu énorme… Ce n’était qu’un garde. »
« C’est quand même singulier… »

Un garde ? Un cadavre ? Kasumi était perdu et perplexe. Le rôdeur tourna un regard surpris vers le chevalier et s’adressa avec lui avec l’empressement de la curiosité :

- Un cadavre dîtes-vous ? Je n’en ai pas entendu parler mais il faut dire que je ne suis pas souvent en contact avec des sources d’information potentielles. Vous pourriez m’en dire plus ?

« Oui, un petit gars… je n’ai pas vu le corps, mais ils l’ont ramené au milieu de la nuit. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé exactement. Mais il m’a semblé que tout a commencé à ce moment-là... »
« Je pense que tu extrapoles, Jasper. » fit l’intendant.
« Peut-être mais… Certains disent que c’était un homme de Felden. »
Soudain, des cris retentirent dans la cour et dans les couloirs et les officiers se précipitèrent à la fenêtre. Un premier garde sortit du réfectoire, se planta dans la cour et vomit sur ses bottes. Un second le suivit et l’imita, puis un autre, un autre encore, et bientôt ils étaient une trentaine sur l’esplanade. Tous n’étaient pas malades, mais ils semblaient pour le moins choqués.
« Bon sang qu’est-ce qui se passe… » s’exclama l’intendant, et il courut vers l’escalier, bientôt suivi par Véra.
« Soupe pas fraîche, on dirait… » fit le jeune homme en uniforme bleu, hilare.

Kasumi fut alarmé une seconde, croyant que le Fort subissait une attaque. Il n’était guère impressionnable mais cette histoire de cadavre de garde l’avait alarmé. Son premier mouvement fut donc de se précipiter vers l’origine des troubles, l’épée au clair et les sens en alerte, prêt à parer à toute éventualité. Il ne fut guère convaincu par l’hypothèse d’un mets frelaté. Se pouvait-il que les gardes fussent empoisonnés ? Le demi-elfe craignait le pire et était sur les nerfs lorsqu’il rejoignit Véra et s'approcha d'un garde blême :

- Sommes-nous menacés ?

« Un pied ! » glapit le garde. « Ils ont mis un pied ! »
Vera se tourna vers Kasumi avec une grimace.
« On a trouvé un pied dans la soupe. » fit-elle. « C’est juste mental, ils sont dégoûtés. Des petites natures. »
« Un beau pied, cela dit. » dit un officier ventru en riant.
« Dans ma soupe ! C’est une honte ! Quand j’aurai attrapé le responsable ! » s’exclama l’intendant avec colère.

Kasumi fut à la fois révulsé et surpris que l’on ose ainsi s’attaquer d’une si étrange façon à la garde au sein même du Fort. Il était évident qu’au-delà de l’aspect démoralisant de cette manifestation, on cherchait à lancer un avertissement. Mais à qui et pourquoi ? Et surtout qui avait pu se permettre une telle audace ?

Le demi-elfe se félicita de n’avoir pas encore entamé son repas. Il prit les devants, peu soucieux des convenances :

- Il faut immédiatement faire inspecter les réserves et les cuisines. Mais c’est peut être là le but recherché par cette manœuvre et l’on cherche à détourner notre attention, il faut donner l’ordre à tous d’être vigilants. Quelqu’un a-t-il fait prévenir Darren ?

Prenant soudain conscience qu’on l’observait, il se rendit compte que les officiers présents l’avait laissé parler. Il rosit et s’excusa auprès d’eux pour avoir chercher à donner des ordres alors qu’ils étaient mieux placés pour le faire.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Grand Fort

Re : Le Grand Fort

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Quête : Un désir de crépuscule

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