La Couronne de Cuivre

" Nous reviendrons." fit Valaellyn, conciliante.
Mathieu haussa les épaules et s'esquiva vers les étages.
" C'est toi qui en décideras de toute façon. C'est ta quête. Nous ferons ce que tu penseras le mieux." ajouta la prêtresse en posant une main amicale sur son bras.
Elle se fendit ensuite d'un sourire.
" Je n'ai aucune idée de ce que je suis supposée mettre dans mon sac... Mais j'imagine que des potions de soins et de quoi nous réchauffer ne sera pas de trop..."
Elle fila à son tour.

L'elfe soupira. Départ définitif ou non, il fallait qu'il dise au-revoir à Victor, et... l'échange promettait d'être difficile. Difficile et houleux...
Mais c'était un passage obligé, et il était las de tergiverser. Alors, sans perdre plus de temps, il gagna sa chambre pour y rassembler ses armes et les quelques affaires qu'il emporterait. Parmi elles, la fameuse besantine achetée à Loth Imarhil, et dont il n'avait encore jamais ouvert le paquet... C'était une bonne occasion de le faire, et il ne s'en priva pas, histoire de vérifier qu'il bénéficierait d'une protection convenable au cours de leur expédition.

Si ce n'était pas exactement une armure de la qualité de ses mailles perdues, la besantine que lui avait fournie la forgeronne de Loth Imharil était néanmoins de meilleure facture que ce qu'il aurait pu se procurer dans la majeure partie des armureries du pays, à n'en pas douter. Elle ferait son office, tant qu'il ne se retrouvait pas dans une mêlée à quinze combattants aguerris. Quand bien même, il y avait fort à parier que même une protection elfique n'aurait pas suffi dans ce type de circonstances. Au dehors, il pleuvait à torrents, ce qui augurait d'un parcours difficile, d'autant qu'à sa connaissance, ils ne disposaient que d'un seul cheval. Le seul avantage était qu'il n'aurait pas à chercher Victor bien loin : on entendait gloussements et cavalcades dans les étages, les mille fracas d'une ribambelle de mômes vivant leurs aventures personnelles, peut-être plus passionnantes que les tribulations réelles qui promettaient de s'accumuler sur la route du barde, dans les jours à venir.

Tout en se disant qu'il lui faudrait sans doute recourir à nouveau à sa bonne vieille monture magique - sort puissant, évidemment, mais il n'aurait probablement pas besoin d'en lancer d'autres dans la journée -, Taliesin se mit en devoir de faire le tri dans ses possessions. Ce ne fut pas bien difficile : il ne garda que le strict minimum, l'armure, deux couvertures, une corde... La majeure partie de ses frusques, il les laissa dans la chambre, y compris les plus ostentatoires : que serait venu faire un dandy dans pareilles contrées champêtres ?
Son sac bouclé, il quitta la chambre et se mit en quête de Victor... ou de l'un ou l'autre de ses nombreux camarades de jeu susceptible de lui indiquer où il se trouvait.

Taliesin n'eut aucun mal à mettre la main sur Victor : il avait installé son camp dans une pièce inoccupée, trois portes plus loin, et préparait des plans de bataille avec ses alliés du jour : Benoît et Jehan. Lorsqu'il apprit que Taliesin désirait lui parler, il envoya Benoît réclamer une trêve auprès de leurs adversaires dont la forteresse était sise au grenier. Alors seulement il daigna quitter son poste et rejoindre l'elfe dans sa chambre, mais on le sentait un peu impatient de retourner en découdre.

Songeant que c'était sans doute là une aubaine, Taliesin décida d'en jouer et d'aller droit au but.
-Rassurez-vous, général, mon rapport sera bref, fit-il, roide, mimant le garde-à-vous. Comme vous le savez, notre éclaireur est tout juste rentré d'expédition : il a trouvé le camp ennemi occupé. Valaellyn et moi-même allons donc l'accompagner pour une nouvelle phase de reconnaissance visant à soudoyer quelque adversaire pour obtenir de lui les informations nécessaires à la suite de notre campagne.

Victor fronça les sourcils.
" Là tout de suite maintenant ?" demanda-t-il, interloqué. " Mais..."
Il sembla hésiter une seconde, une grimace sur les traits.
" Vous n'avez pas besoin de moi ? Je veux dire... Je pourrais vous accompagner. Je suis certain que je pourrais me faufiler, je ne sais pas... Tu es certain que vous n'avez pas besoin de moi ?"

L'elfe lui sourit. Les choses se passaient mieux qu'il ne l'avait imaginé.
-Oh, je suis certain que tu saurais te faufiler... Mais nous sommes déjà une bonne équipe : Mathieu pour l'infiltration, l'observation et la surveillance, Valaellyn et moi pour tenter de tirer, mine de rien, les vers du nez aux serviteurs de la maisonnée... Il ne te resterait pas grand chose à faire, et tu t'ennuierais ferme. Je crois donc que tu peux rester ici sans états d'âme !

Victor acquiesça, pensif.
" Très bien, soldat. Mais j'attends votre rapport." finit-il par annoncer. " Ne tentez rien d'inconsidéré et consignez tout ce que vous observez. Nous définirons notre stratégie ensuite."
Il sourit, puis étreignit brièvement l'elfe.
" Mais pas de bêtises, hein."

Taliesin lui ébouriffa les cheveux.
-Ne te fais pas de souci pour ça : nous serons très prudents, et plutôt deux fois qu'une.
Une idée lui traversa l'esprit.
-Dis... Est-ce que tu penses que je peux t'emprunter le pipeau ? Il pourrait nous être utile... "La princesse et le troubadour", ça serait parfait pour séduire les jeunes servantes et les amener à tout nous confier...

" Je l'ai laissé dans mes affaires." dit Victor en l'entraînant hors de la chambre.
Il le guida quelques portes plus loin, jusqu'à la pièce qu'il occupait avec les quatre plus jeunes Merlus. Le capharnaüm environnant était des plus impressionnants, signe que la pauvre Mathilde et son père ne pouvaient faire face à l'ensemble des défis que constituait la maisonnée, mais Victor n'hésita pas un seul instant : il enjamba deux piles de vêtements, grimpa sur une chaise et atteignit un lit superposé sur lequel il se hissa. Deux secondes plus tard, il tendait le pipeau à Taliesin.
" N'en profite pas trop, hein..."

Le barde se fendit d'un large sourire.
-Je vais me gêner ! Mon plan, c'est de séduire une armée de damoiselles puis de les envoyer courir sus aux Kanter...
Il empocha le pipeau, recula d'un pas.
-Allez, je te laisse à tes propres stratégies. Soyez miséricordieux avec les vaincus, quand vous aurez triomphé !
Puis, sans plus rien ajouter, comme s'il partait pour une simple promenade, il se dirigea vers sa chambre afin d'y récupérer armes et bagages, procédant à un petit inventaire mental pour vérifier que rien ne manquait. Il avait même embarqué le crayon de maquillage noir : on ne savait jamais...
Enfin, il redescendit au rez-de-chaussée, prêt à attendre tranquillement les autres au coin du feu.

Valaellyn l'avait précédé. Elle avait abandonné sa robe cléricale au profit d'une tenue de cuir qui n'aurait pas dépareillé sur une aventurière des broussailles. Cela lui donnait un air un peu sauvage, renforcé par ses traits elfiques très marqués et ses cheveux relevés en chignon à l'arrière de sa tête. En apercevant Taliesin, elle sourit.
" Mathieu a dû s'endormir dans son baquet. Il ne devrait plus tarder." annonça-t-elle.

-Oh, il a bien le droit de prendre son temps : nous ne sommes pas si pressés...
Il prit place sur l'un des bancs, non loin de l'âtre où crépitait une joyeuse flambée, puis tira sa pipe et l'alluma.
-J'ai parlé à Victor : chose étonnante, ça s'est très bien passé. Il faut dire qu'il avait hâte de retourner jouer avec les autres. Il a bien demandé s'il ne pourrait pas nous être utile... sans beaucoup insister, toutefois.

" Tant mieux. C'est chose rassurante de voir qu'en dépit des écueils, il demeure un enfant. La compagnie de ses pairs ne peut que lui être bénéfique." murmura Valaellyn en effectuant un nouvel inventaire de son sac, l'oeil avisé. " J'espère qu'il se montrera aussi compréhensif au moment du grand départ... et qu'il n'aura pas convaincu la moitié des Merlus de l'accompagner à la recherche de Galathée."

Taliesin demeura silencieux, puis éclata soudain de rire comme des images farfelues s'imposaient à lui.
-Tu imagines la tête de Kanter s'il nous voyait tous débarquer ? fit-il, contrôlant peu à peu son hilarité. Il serait tellement terrifié, nous croirait tellement fous qu'il capitulerait sur l'heure !
Il se fit plus sérieux.
-Non, mais... Sans doute que cette première séparation en douceur et son dénouement heureux, je l'espère, lui montreront que rester en arrière n'es pas si dur, qu'il ne sera pas seul. Il sera peut-être convaincu que nous reviendrons sains et saufs, avec Galatéhe, cette fois, et préférera demeurer tranquillement ici...

" Espérons-le, espérons-le..." fit Valaellyn avec un petit sourire.
Elle semblait cependant peu convaincue.
" Enfin, j'imagine que cela dépend d'où se trouve Galathée..."
La porte s'ouvrit enfin sur Mathieu, à nouveau paré pour le départ.
" J'ose espérer que vous nous avez concocté un casse-croûte, bande de fainéants !" s'exclama le rôdeur en les découvrant installés au coin du feu.

Le barde, un instant penaud, finit cependant par sourire et par lever les mains en signe de défense.
-Tu sais bien que les elfes, être éthérés, se nourrissent d'air pur, s'abreuvent de la rosée du matin, se reposent en rêvant ! Un casse-croûte, c'est par trop prosaïque. Manger, par trop indigne de nos palais délicats ! Préparer quelque chose ne m'a donc pas effleuré l'esprit, je dois bien l'admettre, mais la cause n'en est pas la fainéantise, non ! Juste... heu... les particularités raciales, voilà !

Mathieu leva les yeux au plafond puis se dirigea vers la cuisine, tandis que Valaellyn se redressait.
" Je vais préparer Tempérance." murmura-t-elle.
Puis elle chargea son sac sur son épaule et prit la direction de la sortie. Au dehors, il pleuvait toujours, et la couleur du ciel semblait indiquer qu'il en serait encore ainsi pendant un bon bout de temps.

Rien moins qu'enchanté par le temps, et peu désireux de l'affronter immédiatement alors qu'il pouvait l'éviter - sa monture apparaîtrait harnachée et sellée -, Taliesin rejoignit le rôdeur en cuisine pour lui prêter main forte : de l'air pur et de la rosée ? Fadaises ! Il ne tiendrait pas une journée, à ce régime là, et comptait bien mettre son grain de sel dans la préparation de leur casse-croûte... Il était loin de posséder le talent de Borgporkneil et de ses cuistots, mais il avait une certaine habitude en la matière... et des goûts bien arrêtés.

La cuisine était bien achalandée pour une fin d'hiver et les deux hommes parvinrent à préparer quelque chose qui soit à la fois consistant et goûteux. Mathieu remplit aussi deux flasques d'alcool, radical contre les refroidissements et emporta du thé. Taliesin constata que, comme Galathée, il chargeait son sac avec l'expérience de quelqu'un qui s'apprête non seulement à marcher sur la route, mais aussi à courir dans les champs ou grimper dans un arbre.
Une fois ces matières culinaires réglées, ils purent regagner la salle à manger puis diriger leurs pas vers l'extérieur et le chant de la pluie.
" C'est l'printemps !" annonça Mathieu, ironique, lorsqu'ils s'élancèrent vers l'écurie.
Ils y retrouvèrent Valaellyn et Guillhem, qui l'aidait à sangler la jument.

Constatant que les préparatifs étaient bien avancés, et ne désirant pas passer pour le lambin retardataire, Taliesin s'écarta de quelques pas et procéda à une incantation familière

Taliesin --> Coursier fantôme

Il demeura ensuite auprès de l'équine apparition, lui flattant distraitement l'encolure. Il se doutait que les adieux entre Guilhem et le couple seraient brefs, sans effusions, mais il ne désirait pas s'imposer, les importuner.

Mais Guillhem ne semblait pas particulièrement désireux de se répandre en adieux, pas plus qu'il ne paraissait considérer que Taliesin ait à être mis à l'écart de quoi que ce soit.
" Voilà un sortilège des plus utiles..." s'exclama Mathieu en contemplant le coursier magique. " Il a un petit nom, cet animal ?"
Valaellyn se hissait déjà en selle et le rôdeur vint la rejoindre. Tempérance ne broncha pas, soufflant tout juste l'air froid par ses naseaux.
" Bonne route." dit Guillhem. " Je vous attends avec une fricassée de lapin."
" Ça ne tient pas très longtemps, une fricassée de lapins." remarqua Mathieu.
" Un bon incitant pour que vous ne vous attardiez pas."

-Oh, ce n'est pas vraiment dans nos intentions... fit Taliesin. Mais je crois que la perspective d'un bon repas chaud nous fera tenir le coup, durant les longues heures de guet...
Il se jucha sur son cheval, à son tour, puis, se tournant vers Mathieu, il haussa les épaules.
-Non, pas de petit nom... Je n'y ai jamais songé, à franchement parler. Sans doute parce que... parce que je ne sais pas si c'est le même à chaque fois. Peut-être aussi que je ne me remets pas encore vraiment de la perte de mon ancienne monture...
Il eut une brève pensée pour la jument grise, fidèle compagne de route disparue au cœur du chaos mélandien...

" En tout cas, ce n'est pas un vrai cheval." fit Mathieu en frémissant. " Et je n'ai pas tellement envie de savoir ce que c'est..."
Il serra les jambes et envoya Tempérance sous l'averse. Malgré leurs capuchons, ses deux cavaliers ruisselèrent bientôt et Valaellyn éternua.
" Ça commence bien. Heureusement, nous serons à couvert une bonne partie du trajet." fit Mathieu d'une voix forte, pour braver le crépitement de l'eau.
Puis, d'un claquement de langue, il donna le signal du départ et la jument prit le petit galop, remontant la piste détrempée. Guillhem, derrière eux, les gratifia d'un dernier salut avant de refermer la porte de la grange.

-Mais non, ne te vexes pas ! fit Taliesin, amusé, en flattant l'encolure de son coursier. Je suis sûr qu'il disait ça pour rire et qu'il t'adore, en réalité.
Puis il lança le cheval au trousses de Tempérance, la tête rentrée dans les épaules, regrettant déjà la chaleur de l'âtre. Mais la dernière fois qu'il avait enfourché semblable monture, c'était l'hiver, il neigeait, Mélégorn, Victor et lui n'avaient ni vêtements chauds, ni couvertures... Alors, ce n'était pas une petite pluie printanière qui allait lui miner le moral !

La petite averse en question avait bien l'intention de faire ses preuves et comme si les pensées de Taliesin l'avaient vexée, elle redoubla d'ardeur. Heureusement, les cavaliers quittèrent bientôt la route principale pour emprunter un chemin forestier. Ils durent ralentir, troquant leur agréable petit galop contre un trot rapide relativement inconfortable mais bien plus efficace compte-tenu du terrain. Mathieu semblait savoir où ils allaient et il les guida à travers bois, pendant près d'une heure, avant de les ramener sur une nouvelle route. Autour d'eux, la campagne luménienne frissonnait sous l'ondée, plus brune que verte. De retour sur un sol relativement régulier, ils reprirent le galop et filèrent dans la boue, soulevant mille mouchetures qui ne tardèrent pas à décorer leurs atours. Le soir tomba, insidieux, grisant soudain le paysage. Mathieu ralentit puis repassa au pas.
"Fernell n'est plus très loin... Il serait sans doute bon de définir notre angle d'approche..."

Taliesin se rapprocha, plaçant sa monture tout près de celle de ses compagnons.
-Je voix trois possibilités principales... fit-il. Soit nous allons crânement nous installer à l'auberge du village, s'il y en a une, avant d'entreprendre nos opérations de surveillance - quitte à inventer une raison plausible quant à notre présence -, soit nous allons directement camper dans la forêt qui entoure le domaine. Nous y gagnerions en discussion... mais susciterions plus de questions si nous débarquons ensuite à l'auberge, sur les traces de quelque serviteur. Soit, enfin, nous divons nos forces entre bois et auberge, auquel cas il faut convenir d'un moyen pour communiquer...

" Débarquer ensemble à l'auberge ne servirait à rien." commença Mathieu. " Un rôdeur seul n'attire pas l'attention. Deux elfes ensemble moins qu'un trio... Mais nous n'avons aucune certitude quant aux habitudes des serviteurs de Kanter..."
Il secoua la tête.
" J'ai pensé que nous pourrions aussi nous introduire dans leur maison et y chercher des informations... Peut-être... consignent-ils... D'accord, c'est ridicule."
Il haussa les épaules.

-Ce n'est pas ridicule ! protesta le barde. Ce n'est pas impossible qu'ils conservent des preuves, des indices qui pourraient nous être utiles... Et si ce n'est pas le cas, nous introduire chez eux, discrètement, pourrait nous permettre de surprendre des conversations, de savoir, peut-être, s'ils sont inquiets, s'ils s'attendent à ma venue...
Il sourit.
-Nous n'avons qu'à aller camper dans la forêt quelques temps. Nous verrons si certains serviteurs se rendent au village... Et s'ils demeurent tous calfeutrés au manoir, et bien... Nous investirons la place ! Je peux me rendre invisible, j'imagine que ton écureuil peut se faufiler sans être vu et te donner des informations... Nous sommes loin d'être sans ressoruces.

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