La Couronne de Cuivre

Il ne s'était pas attendu à une telle réaction, avait songé à s'esquiver sans effusions, pour ne pas rendre le moment plus difficile encore. Mais c'était hors de question, à présent... Il se voyait mal repousser Victor, surtout avec l'émotion qui le gagnait à son tour.
Alors, il s'assit sur son lit, prit le petit garçon dans ses bras et le serra contre lui. Comme souvent, trop souvent à son goût, il se retrouva à cours de mots. Pourtant, cela n'avait pas vraiment d'importance, en l'instant : il doutait que Victor soit en état de l'écouter. Il se contenta donc de l'étreindre avec force, de lui caresser les cheveux et de lui tapoter le dos, espérant que ses gestes affectueux mais un peu gauches compenseraient son silence.

Le silence et la simple expression de leur affection mutuelle parut le plus efficace des baumes car Victor s'apaisa peu à peu, sa respiration se calma, son corps se détendit, et il demeura appuyé contre Taliesin, reniflant de temps en temps, tandis que l'elfe le serrait. Les minutes passèrent, aveugles. Puis, doucement, l'enfant se dégagea, marcha jusqu'à son sac sans se retourner, le prit et le chargea sur son épaule.
" C'est la toute dernière fois qu'on est séparés, la toute toute dernière." grommela-t-il à mi-voix, les yeux toujours baissés, avant de gagner le couloir.

C'était une chance que Victor ne l'ait pas regardé, n'ait pas attendu de réponse avant de sortir. Ainsi, il n'avait pu voir l'embarras d'un Taliesin bien incapable de le cacher.
Pauvre gosse... songea-t-il.
Il préférait ne pas imaginer sa réaction lorsqu'il lui annoncerait la vérité. Se demandait s'il aurait la force de la lui dire... Ou même, simplement, de faire ce qu'il avait en tête.
Mais ce n'était pas le moment d'y penser. Une étape à la fois. D'abord, gagner Luménis.
L'elfe se releva, ceignit son épée neuve, enfila son manteau puis se chargea de son propre paquetage avant de quitter à son tour la chambre, essayant de se composer une mine sereine.

Emeraude les attendait en bas et si elle perçut leur trouble, elle décida de ne pas lui offrir de nouvel espace. Elle s'était elle-même habillée pour sortir, un balluchon sur l'épaule, et sourit chaleureusement à Taliesin lorsqu'il parut.
" Vous allez sortir par la porte principale. Inventez-vous une raison plausible d'être venu rendre visite au fort. Un vol, une inquiétude pour votre sécurité, n'importe quoi. Victor et moi sortirons par derrière."
" Dylan !"
" Dylan, tu as raison, pardon."
Elle lui ébouriffa les cheveux.
" Prenez vers l'ouest et vous trouverez le Poulain dans la rue principale, en face d'un arbre, le seul de Rohan. Faites attention aux cavaliers, ils n'ont généralement pas beaucoup de respect pour les piétons."

-Merci pour vos conseils... répondit-il, se parant peu à peu des mimiques et des attitudes dont il ne devrait pas se départir au cours des jours suivants. Je ferai bien attention : nous autres elfes sommes courtois et policés même à cheval, mais vos cités et vos congénères sont tellement, hum, imprévisibles... Enfin, les autorités locales m'ont assuré que je devrais pouvoir gagner la capitale sans encombres. J'ose espérer ne pas me tromper en me fiant à elles.
Il adressa un sourire à Victor, un geste de la main à la vieille femme, puis tourna les talons. Inutile de prolonger les adieux.
Les au revoir...
-A demain soir ! lança-t-il avant de s'éloigner. Sans se retourner.

Victor ne dit rien, mais Emeraude le salua, et l'elfe put quitter le Fort. Il faisait déjà sombre au dehors, mais le ciel était dégagé, même si l'air était glacial. Son regard accoutumé à la pénombre n'eut aucun mal à discerner les environs, le portail sinistre de la petite citadelle, puis les rues de Rohan, terre battue humide, serpentant entre des habitations sommaires, de torchis ou de pierre. Il y avait des cavaliers dans les allées, mais bien moins qu'en pleine journée. Les flaques et le crottin de cheval semblaient autrement plus dangereuses.

D'une humeur maussade en parfaite adéquation avec l'atmosphère ambiante et, surtout, avec les dehors renfrognés qu'il se donnait à dessein, Taliesin quitta le fort et prit vers l'ouest, comme on le lui avait indiqué. Marchant d'un pas circonspect, longeant étroitement les façades pour éviter autant que faire se peut la boue et les flaques diverses, il préparait le discours qu'il devrait servir au cas où on lui poserait des questions. Il venait d'une ville elfe de la Lorien, allait visiter, pour affaires, quelques-uns de ses congénères expatriés à Luménis, avait fait un crochet par le Fort pour s'assurer que les routes étaient plus sûres que ce que prétendaient les rumeurs... Autant de mots encore et encore répétés mentalement, jusqu'à ce qu'ils deviennent naturels, presque réflexes. Il était assez bon comédien pour improviser, pour se passer de telles répétitions, mais... Se concentrer là-dessus l'empêchait de penser au reste.
Et il ne fallait surtout pas qu'il pense au reste.
Quatre ou cinq jours... Il pourrait survivre, tout de même ! Non ?
Si. S'il n'y avait que ça.
Quatre ou cinq jours avant la suite. C'était là le problème, malheureusement.

Il trouva sans peine l'auberge que lui avait renseignée Emeraude. C'était un bel établissement placé un peu en retrait du front de route, derrière son unique arbre, un tilleul encore nu sur les branches duquel croassaient quelques corneilles de sinistre allure. C'était peut-être, à l'exception du fort, la bâtisse la plus solide du bourg : de pierre blanche et noire, elle présentait une curieuse façade à damiers au promeneur. Son enseigne, représentant un poulain bondissant, surplombait un large porche et une porte élégante. Sur le côté, une arche menait probablement aux écuries. Difficile à dire, vu l'odeur équine omniprésente.
Lorsque l'elfe pénétra dans l'auberge, il se retrouva à mille lieues des endroits qu'il avait fréquentés ces derniers jours. Le Poulain d'Airain était véritablement une petite hostellerie huppée, et un serviteur tiré à quatre épingles vint à sa rencontre avant même qu'il ne puisse pénétrer dans la salle à manger.
" Messire, que puis-je pour votre service ?" s'enquit-il, joignant une courbette étudiée à sa diction parfaite.

Le barde, qui observait les lieux d'un air blasé - exercice difficile, compte tenu du contraste saisissant entre ce décor et ceux dans lesquels il avait évolué précédemment - se tourna vers l'homme avec l'air de qui a envie de répondre "Ce que je veux, vous le savez parfaitement, non ?"
-Une chambre pour cette nuit, répondit-il cependant, poli mais distant. Et un repas, évidemment.

" Bien sûr, messire." répondit l'homme avec déférence, sans prendre ombrage de la froideur de son interlocuteur.
Il l'invita d'un geste poli à le suivre vers la salle à manger, dont les effluves et conversations feutrées parvenaient jusqu'à Taliesin, mais bifurqua sur la gauche juste avant d'y arriver, introduisant l'elfe dans une petite pièce où se trouvait le comptoir de l'hostellerie. Derrière celui-ci, une jeune femme élégante le salua courtoisement.
" Bienvenue au Poulain d'Airain, messire. Désirez-vous une chambre avec vue sur la route ou sur les jardins ? Il nous reste également des suites avec bains privés."

Bien que sa décision fût déjà prise, le barde mima l'hésitation.
-Une chambre devrait convenir pour une nuit, dit-il finalement. Côté jardin : j'aspire à un peu de tranquillité.
Il avait beau jouer les seigneurs en vadrouille, il ne valait mieux pas attirer l'attention en se montrant par trop dispendieux. Ses finances ne le lui permettaient d'ailleurs pas... Mais si on s'interrogeait d'aventure sur la modestie de son choix, et bien, on pouvait toujours lui avoir dérobé sa route à Edhoras.

La jeune fille se fendit d'un sourire agréable et se tourna vers son tableau de clefs, d'où elle décrocha une clef portant le chiffre 9.
" Nous aurons le plaisir de vous accueillir dans la Chambre aux Lys, messire. Nous avons tenté de la meubler et de la décorer selon les goûts de vos pairs. Bien sûr, nous ne pouvons imaginer approcher la magnificence dont fait preuve votre race, mais nous espérons que vous vous y sentirez à votre aise." déclara-t-elle. " Voulez-vous dîner dans votre chambre ou en salle ? Voulez-vous prendre un bain avant votre repas ? Quels sont vos désirs en la matière ?"

-Un bain, oui.
Il n'était pas vraiment sale, mais s'il débarquait tout juste d'une journée de voyage, la chose paraîtrait plus cohérente. D'autant que les elfes étaient réputés très tatillons en la matière.
-Et je dînerai en salle. Ce n'est pas que j'en ai réellement envie, mais je dois y rencontrer mon cocher, pour demain.
Il s'exprimait toujours sans chaleur, veillant cependant à montrer la politesse dont devait savoir faire preuve en toute circonstance quelqu'un du rang qu'il affichait. Là encore, une telle attitude lui était étrangère, et ne lui plaisait guère; Il allait pourtant falloir qu'il s'habitue.

" Très bien, messire. L'eau sera montée dans quelques minutes, le temps que vous puissiez vous débarrasser." dit-elle en le saluant d'un léger signe de la tête.
Un nouvel homme en livrée surgit d'une alcôve voisine et se chargea des bagages de l'elfe, avant de l'entraîner vers un escalier qui partait juste en face de la petite pièce. En gravissant les marches, Taliesin put constater que les tenanciers du Poulain d'Airain avaient veillé au moindre détail : tapis et tapisseries chassaient les frimas de l'hiver, déployant leurs riches couleurs et des objets d'art, sculptures, tableaux, vases ornés, décoraient les couloirs. Des fleurs fraîches (d'où pouvaient-elles donc venir ?) emplissaient des vasques sur les appuis de fenêtre, diffusant un parfum capiteux qui faisait oublier les odeurs d'écurie. Le porteur mena l'elfe jusqu'à une porte en bois clair gravée de motifs floraux et le précéda dans la chambre. La pièce était à l'image du reste de l'auberge : somptueuse. Un grand lit à baldaquins drapé de blanc et de vert trônait au milieu de la pièce, et quelques meubles sculptés avec soin lui promettaient un séjour agréable : un grand fauteuil face à un âtre crépitant, des tapis moelleux, un petit bureau, une chaise, une penderie gigantesque. Après avoir déposé le sac du barde sur le sol, le porteur alla déployer un petit paravent peint de lys immaculés sur fond de jardin verdoyant, et tira un grand baquet d'un cagibi voisin, qu'il installa près du lit.
" Avez-vous une préférence pour votre assistante ?" demanda le serviteur avant de sortir.

L'elfe fronça un sourcil. Il n'avait pas songé à ça... Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus séjourné dans un tel établissement, et venait à en oublier les us et coutumes.
Mais peu importe : recourir aux services d'une assistante était hors de question. Et pas seulement à cause du maquillage dont il était paré et qui pouvait souffrir quelque peu du bain...
-Je vous remercie, mais, sans présumer en rien des qualités de ces personnes, je crois que je vais me débrouiller seul..
Son refus pouvait passer pour un manque de considération - ou d'intérêt - pour la gente humaine. Mais, après tout, cela renforcerait sa couverture...

Le serviteur parut légèrement surpris, mais il avait sans doute appris à ne pas s'offusquer des petites excentricités des clients, et il s'inclina avant de sortir.
La jeune fille de la réception n'avait pas menti en parlant de quelques minutes... Il n'avait pas eu le temps de fermer la porte que l'on apportait les seaux d'eau fumante. Avant que Taliesin n'ait pu ouvrir la bouche, son baquet était plein d'eau brûlante, on avait déposé des serviettes aux couleurs de sa chambre sur un tabouret élégant ainsi qu'un panier contenant savon et éponge. Il avait eu le temps d'entrapercevoir la jeune fille qui aurait dû l'aider dans ses ablutions, accorte et interdite, avant qu'elle ne fasse la moue et s'esquive sur le pas des porteurs d'eau. Enfin, il se retrouva seul dans sa chambre, avec son bain parfumé, et la porte close.

Songeant aux ragots qui n'allaient pas manquer de circuler en coulisses à propos de cet "incident", se disant cependant que c'était un moindre mal, Taliesin entreprit de se laver. Cela lui faisait une étrange impression de se retrouver entouré d'un tel luxe, alors que Victor devait séjourner dans une auberge banale, que Galathée...
Il frémit, Se concentra sur ses ablutions.
Ce n'était là qu'une couverture. Il n'y prenait pas le moindre plaisir, n'en éprouvait que de la culpabilité...
Une fois propre - il avait mis assez de temps à se récurer pour qu'on ne doute pas de son intransigeance en la matière, il se sécha, se rhabilla et, après avoir vérifié l'état de sa mise dans le grand miroir ouvragé dont bénéficiait la chambre, il s'attarda à vérifier les traits de crayon noir qui acéraient son visage. Rassuré sur ce point, il prit une profonde inspiration, s'arma de courage - et d'une mine renfrognée - puis entreprit de gagner la salle à manger.

Un serviteur l'attendait au bas de l'escalier et le guida dans la salle à manger, une vaste pièce éclairée de grands chandeliers argentés, dans laquelle étaient dressées une vingtaine de tables rondes, couvertes de nappes et de vaisselle immaculée. A la grande surprise de l'elfe, plus des trois-quarts étaient occupées. Les clients mangeaient dans une ambiance feutrée, conversations murmurées et rires discrets, qui, une fois encore, semblait hors cadre dans une ville rugueuse comme Rohan. La plupart des convives étaient des humains, mais Taliesin remarqua un couple d'elfes de la lune et au moins un gnome, non loin de l'endroit où on le conduisit.
La table jouissait d'une relative tranquillité, dans un coin de la pièce, protégée des regards par une statue en pied d'une dame (peut-être une déesse) dans le plus simple appareil.
Le serviteur lui tira une chaise, puis récita la carte à mi-voix : poissons, chapons, faisans, gigues ou civets, tout ce dont on pouvait rêver en cette saison était possible.

Toujours un peu dérouté de se retrouver dans un tel cadre, l'elfe s'y déplaça cependant avec l'indifférence d'un habitué et, après avoir entendu l'énumération des mets disponibles, opta pour du saumon et moult légumes de saison. Quant à la boisson, il arrêta son choix sur un cru des plus délicats. Cela l'aiderait sans doute à se détendre. A s'endormir, peut-être... Et puis, à franchement parler, il n'était pas mécontent de changer un peu de la cuisine rustique du fort où il avait séjourné... Quitte à devoir jouer les seigneur, et à culpabiliser ferme pour cela, autant joindre l'utile à l'agréable, dans une certaine mesure...
Il veilla cependant à rester concentré sur sa table, à ne jeter aucun regard autour de lui, à afficher une expression suffisamment sévère pour dissuader d'éventuels interlocuteurs. Il se méfiait surtout des deux elfes : tromper des humains serait assez aisé, mais eux...

Le sommelier vint lui apporter la bouteille de vin qu'il avait sélectionnée. Un serveur reparut et déposa deux assiettes sur la table, avant de s'esquiver. La première, posée devant le barde, contenait quatre petits entremets odorants, que le barde identifia comme des petites tranches de pain grillées sur lesquelles on avait dressé ici des champignons des bois, là un peu de civet de marcassin, plus loin des endives caramélisées, enfin un mélange d'épices et de crustacés qu'il n'était pas certain de reconnaître. La seconde assiette, posée à sa droite, était un peu plus mystérieuse. On y avait disposé des pétales de rose, six pour être exact, un rouge, un rose, un bleu, un noir, un couleur d'or et un vert, en cercle, avec un petit bol vide au centre.

Même si cela commençait à dater, Taliesin avait fréquenté nombre d'hostelleries huppées. C'était pourtant la première fois qu'il découvrait semblable chose, laquelle le laissait totalement perplexe. Il choisit donc d'ignorer purement et simplement cette spécialité locale : c'était mieux que de commettre un impair. Et puis, pour peu que le sire Courtetige effectue son premier voyage dans les contrées humaines, son attitude s'expliquerait d'elle-même et ne susciterait guère de curiosité. Ce genre de personnage préférait naturellement cacher son désarroi...
Il se rabattit donc sur les entremets, commençant à grignoter celui recouvert de champignons des bois et, ce faisant, se demanda, pensée étrange, si les elfes dégageaient réellement cette odeur, où si Victor avait simplement voulu le taquiner.

Le serveur surgit à l'instant exact où Taliesin terminait le dernier des petits canapés. S'ils étaient fins, ils n'égalaient pas ce dont on les avait régalés au Rendez-Vous des Moins que Rien. L'elfe fut promptement débarrassé et à nouveau livré seul à lui-même. L'assiette de pétales n'avait pas bougé. Le saumon arriva peu après, sur son lit de poireaux, choux, pommes de terre et navets coupés en dés. Le serveur l'avertit que le cocher viendrait le voir, s'il cela l'agréait, dès qu'il aurait terminé son repas.

L'elfe dit qu'il voulait effectivement discuter avec le cocher puis, le serviteur parti, s'attaqua au plat de résistance. Il se prit à regretter amèrement l'auberge de Borgporkniel : pas seulement pour la nourriture, mais aussi pour la convivialité et la chaleur qui habitaient le lieu, plus simple, certes, mais autrement plus convivial. A ces yeux, du moins. Mais il n'avait jamais été grand amateur de luxe... Et puis, peut-être le Poulain d'airain ne lui aurait-il pas paru si froid, s'il n'y avait pas séjourné seul.
Après s'être entretenu avec le dénommé Adelin, il gagnerait sa chambre sans tarder et se mettrait au lit, en souhaitant que le sommeil ne se déroberait pas. Puis ce serait le voyage... Il espérait que ses compagnons de route ne seraient pas nombreux. Et, surtout, surtout, pas curieux au point de faire fi de ses allures revêches...

Et les choses s'enchaînèrent comme Taliesin l'avait projeté. Adelin se révéla un homme humble et cérémonieux qui se confondit en excuses : un nain ferait partie du voyage. Mais il serait placé à l'autre bout du coche, et il ne fallait pas s'inquiéter des odeurs, c'était un seigneur très distingué. Ensuite, l'elfe put monter se coucher et personne ne l'importuna pendant la nuit : s'il eut du mal à trouver le sommeil, ce ne fut pas dû aux bruits du voisinage.
A l'aube, on lui servit le petit déjeuner, raffiné à défaut d'être vraiment nourrissant, dans sa chambre. Ensuite, il fut déjà temps d'embarquer à bord du coche. C'était un véhicule large et confortable, en bois roux laqué, tiré par six chevaux mi-lourds, tous gris pommelés. A l'intérieur, les sièges étaient placés en quinconce, de manière à ce que les quatre voyageurs puissent étendre leurs jambes. Il y avait aussi moyen de tirer des tentures entre les sièges de sorte qu'on pouvait voyager parfaitement isolé de ses voisins. Le nain annoncé par Adelin avait pris place contre la porte gauche, un couple d'humains dans la fleur de l'âge occupait les deux sièges centraux, qui faisaient face à l'arrière, et il restait le siège contre la porte droite pour l'elfe.

Taliesin hésita à tirer les tentures : ç'aurait été le moyen idéal pour s'isoler, pour ne pas avoir à craindre les regards de ses compagnons de route et, par conséquent, de ne pas avoir à jouer la comédie. Malheureusement, il craignait d'attirer l'attention, en le faisant, voir de vexer les autres passagers qui, eux, ne l'avaient pas encore fait. Ils auraient pu en jaser, le soir, lors de l'étape... Il se contenta donc de les saluer, poli mais distant, puis de reporter toute son attention sur ce qu'il pouvait voir du monde extérieur.
Il espérait qu'il pourrait s'endormir. Gardait bon espoir, au regard de la nuit affreuse qu'il venait de passée. Il s'était tourné et retourné dans son lit, animé d'émotions contradictoires, souffrant d'être à nouveau seul. Il se demandait où était Victor. Se demandait où était Galathée... S'était raccroché à l'idée que les choses avanceraient, une fois à Luménis. Que les retrouvailles définitives n'avaient jamais été aussi proches.
Un réconfort bien incertain : il n'avait aucun moyen de savoir comment se déroulerait l'avenir. savait qu'il devrait affronter la solitude, à nouveau. Peut-être pour longtemps.
Il s'y raccrocha pourtant avec force alors que le coche se mettait en route. Il devait faire face, tenir bon. Il n'avait pas le choix...

Les jours suivants furent marqués du sceau de l'attente et de l'ennui, bien que l'elfe ne trouva pas matière à s'inquiéter davantage. Comme l'avait annoncé Emeraude, le coche plus modeste qu'elle empruntait avec Victor suivait le même itinéraire et faisait étape dans les mêmes auberges miteuses sur la route.
Dans le carrosse luxueux, le silence régnait en maître : aucun des voyageurs ne semblait avoir envie d'échanger le moindre mot avec ses compagnons. Les saluts s'échangeaient de légers signes du menton, rien de plus. Le nain feignait de ne pas voir l'elfe, les humains gardaient leurs regards l'un vers l'autre et se murmuraient des paroles inaudibles au creux de l'oreille. Le soir, ils arrivaient toujours les premiers à l'étape, recevaient bon accueil, les meilleures chambres et les meilleurs plats. Deux autres coches suivaient le même parcours et parvenaient plus tard à l'auberge, se partageant ce qu'il restait.
Le premier soir fut peut-être le plus difficile. Malgré le soulagement ressenti à se retrouver, le fait de ne pas pouvoir s'approcher et se parler parut ébranler Victor. En le voyant de loin, en spectateur, Taliesin ne put qu'être frappé par son aspect juvénile, son visage maigre, son regard un peu hanté et évidemment la tache de peau cicatricielle qui lui mangeait la joue droite, de la tempe à la gorge, pour disparaître sous sa chemise, dans les replis de son corps.
Ensuite, ils se fondirent dans une certaine routine d'indifférence réciproque. Malgré sa mine sinistre, Victor semblait en bonne santé et Emeraude le couvait comme l'aurait fait une véritable grand-mère.
La route continuait à serpenter vers Luménis et bientôt, ils quittèrent la Trouée pour gagner la campagneproche de la capitale.

Le commandant relut le message une fois encore. Chaque fois lui donnait un peu plus envie de le froisser, de le déchirer et de simplement l'ignorer. Mais il n'en ferait rien évidemment. Le ton du général Maelwedd était trop péremptoire pour qu'il s'agisse d'une nouvelle manœuvre idiote destinée à amuser les officiers supérieurs. Quand bien même le message ne l'annonçait pas, le commandant était suffisamment bien placé pour comprendre à quoi on destinait ses troupes. Mais l'ordre n'en était pas moins une cause de soucis sans fin. Le brigandage ne diminuait que peu malgré les efforts consentis par ses patrouilleurs au cours des derniers mois. Le territoire était trop vaste pour ses éclaireurs, les brigands devenaient plus hardis chaque jour. Mais plutôt que de lui apporter les renforts dont il désespérait depuis des semaines, on le sommait de renoncer à ses combattants les plus aguerris. Plusieurs compagnies étaient concernées : il allait falloir réduire les fréquences des patrouilles et les temps de repos de ses hommes comme de ses bêtes dont il avait déjà tant exigé. Et inutile de réclamer de l'aide aux autres places fortes, à Edhoras comme aux postes avancés moins conséquents et plus isolés. Le même effort allait sans doute leur être réclamé. Un homme sur sept, un cheval sur cinq. Et peut être davantage encore. Plusieurs compagnies entières de sa place forte devaient être envoyés avec leurs chevaux de remonte à Luménis sous trois jours et devaient progresser à marche forcée.

La guerre se préparait. Loin de la Trouée des Chevaux et de ses brigands. Là-bas, en Dorrandin.

HRP :à tout hasard, je poste ici... bon, je sais pas si c'est utile, si tu comptes nous faire passer tout droit en un seul post tu peux déplacer !

Quête : Equité

Astrée marqua un arrêt. Ou plus exactement, elle fit appel à toute sa diplomatie pour convaincre Prince de s'arrêter un instant : depuis son aventure de la nuit précédente, dans le bosquet, l'étalon avait encore gagné en caractère : s'étant désormais auto-promus héros, il ne se voyait guère de raison d'obéir à sa maîtresse. Il avait toujours été indépendant voire frondeur, et cela n'arrangeait guère son caractère.

La rôdeuse observa la petite cité qui s'étalait devant elle Elle ne lui avait accordé qu'un vague coup d'oeil la dernière fois, trop préoccupée par ses problèmes de santé et par la mission à laquelle elle venait de participer. Comparée à Luménis, la petite ville fortifiée faisait pâle figure, mais elle était déjà plus qu'un simple petit village. Elle y trouverait de quoi se ravitailler à nouveau : elle avait bien entamé ses provisions depuis le pont des Trois Sires. Et vu l'heure, elle n'aurait pas besoin de loger à l'auberge, évitant ainsi celle du Cheval qui aurait ravivé des souvenirs.

Elle mit sa monture au pas -ce qui nécessita à nouveau des trésors de diplomatie-, et se dirigea plus lentement vers la porte Océane. Il était peu probable que les entrées soient contrôlés dans une si petite ville, d'autant que la garde avait sans doute réduit son effectif à cause de la guerre. Mais à tout hasard, elle préférait ne pas se faire remarquer comme à Tournebride.

Quête : Equité

On la laissa effectivement entrer dans la ville sans lui adresser davantage qu'un regard distrait. Les Dragons de Rohan demeuraient visibles et vigilants, mais Astrée ne s'était pas suffisamment intéressée à eux lors de son précédent passage pour savoir s'ils étaient moins nombreux que d'ordinaire. Les rues boueuses étaient très encombrées et certains passages tellement étroits que les cavaliers se pressaient les uns contre les autres. Curieusement, Prince semblait prendre ce bain de foule avec philosophie, jouant avec son mors tandis qu'il était heurté, parfois sans douceur, par un équipage venant en sens inverse. Comme souvent dans la Trouée, les hommes à pied étaient invisibles : on prenait son cheval même pour aller chez le voisin, ou alors on sortait à l'aube, au crépuscule, la nuit, pour éviter les équidés. Astrée ne tarda pas à remarquer qu'on la dévisageait. Des hommes à l'allure rude, moustaches hirsutes et peau tannée, sous des casques de cuir ou de fer, simples caravaniers, mercenaires, convoyeurs de bétail, des yeux sombres et des yeux clairs, glissaient sur elle, parfois plus insistants, parfois furtifs. Et ce n'était pas un effet de son imagination...

Quête : Equité

Astrée se sentait mal à l'aise. Tous ces regards qui se posaient sur elle ravivaient des sensations qu'elle aurait préféré laisser profondément enfouies en elle. Cela faisait près d'un an que les regards des hommes l'indisposaient, elle savait très bien d'où venait son malaise et faisait généralement en sorte d'éviter ce qui pouvait le réveiller. Elle n'avait qu'une envie, faire demi-tour, repartir dans la campagne et éviter soigneusement tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une ville. Mais cela signifiait faire un gros détour, et puis tôt ou tard il lui faudrait se ravitailler un peu...

Elle avait beau fouiller dans sa mémoire, elle n'avait pas souvenir d'avoir ressenti cela lors de son passage précédent. Mais elle avait alors tant d'autres soucis en tête. Et puis, elle était accompagnée de Kasumi... C'était peut-être cela qui clochait : leurs traditions interdisaient-elles aux femmes de circuler seule ? Ou même de monter à cheval ? Ou alors, peut-être que quelque chose dans sa tenue, ou chez sa monture, leur paraissait incorrect ? Elle chercha du regard, furtivement, d'autres femmes : n'y avait-il donc que des hommes dans ces rues ?
Quoiqu'il en soit, elle ne comptait pas s'attarder ici. Elle n'avait que quelques courses à faire, et ensuite elle se hâterait de prendre le large. Veillant à garder les yeux baissés pour éviter de croiser ces regards qui la gênaient tant, elle se dirigea vers les quelques commerces de la bourgade. Peut-être y croiserait-elle des femmes...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Rohan

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