La Couronne de Cuivre

Le repas était copieux, goûteux, sans rapport avec les rations que peuvent embarquer des voyageurs prêts à affronter un long périple. On y sentait, distincte, la trace de la cuisine de l'Auberge de la houle. Laquelle se manifestait aussi par une flasque de métal que Tallad et Alaric se firent passer avant de la déposer près d'Albérich pour qu'il pût en profiter... sans réel espoir qu'il le fasse, toutefois.
Le temps était clair, dégagé. Les étoiles brillaient dans le ciel glacé, nimbant de leur lueur diffuse la campagne enneigée, déserte. De lune, pas de trace.
Le feu, cependant, diffusait sa chaleur, sa lumière. Semblait transmettre sa joie aux deux gardes du corps que, pour un peu, on aurait pu les penser en excursion pour leur plaisir...
-Ah, ça fait des lustres que je n'ai plus dormi à la belle étoile ! s'exclama d'ailleurs le colosse, radieux. Tenez, je me croirais presque revenu dans mes jeunes années !
Tallad souriait, lui aussi, adossé au tronc d'un arbre. Chose étonnante : il avait subtilisé la pipe de son comparse et en tirait des ronds de fumée maladroits... mais en passe de s'améliorer.
-Une bonne nuit de sommeil... continuait l'autre. Demain, nous serons frais comme des gardons, et nous pourrons rentrer tranquillement à Luménis...

Albérich ne but pas d’alcool mais s’efforça de se laisser gagner par l’atmosphère détendue du feu de camp. C’était une activité à laquelle il ne s’était jamais adonné. Adolescent, il avait, en de rares occasions, bravé les interdits du temple d’Eredhùn pour aller battre la campagne en compagnie de quelques amis, novices au service de divinités diverses, mais il ne se souvenait pas d’avoir jamais découché en pleine nature. A moins que… Avec les souvenirs, revinrent des pensées assassines, Euryale à quinze ans les invitant à contempler la lune, son sourire enchanteur, sa conviction de future prêtresse, l’enthousiasme franc et séducteur de Thibaut, le rire de Reynald. Il tenta de chasser ces images qui s’imposaient à lui en se frottant le visage d’une main lasse, reporta son attention sur ses compagnons enjoués. Il faisait terriblement froid, hors du cercle chaleureux de leur petite flambée. Un instant, étrange, il songea à Noir Dessein, éternellement solitaire, errant quelque part dans la campagne, peut-être non loin, peut-être, au contraire, à des lieues de là, déjà. Quelle vie était-ce là, à se nourrir de la haine ? Petit à petit, il avait l’impression que s’engourdir, à nouveau, même s’il sentait son cœur pomper à toute vitesse, signe qu’il était une fois de plus à bout de forces.

Allaric et Tallad ne paraissaient pas décidés à mettre un terme à la veillée, comme s'ils y prenaient réellement plaisir. Et puis, sans doute était-il plus tôt qu'il n'y paraissait : avec l'hiver, l'assoupissement d'Albérich, ce dernier aurait eu du mal à en juger. Toujours est-il que ses deux compagnons sortirent des dés, firent quelques parties tout en partageant la pipe.
Enfin, cependant, le sommeil parut le plus fort, et le colosse se leva.
-Bon, et bien, je ne sais pas vous, mais moi, je suis prêt pour une nuit de repos bien méritée ! Le bosquet nous dissimule de la route, nous mettant à l'abri d'éventuels maraudeurs. Les coquillages de Mouette nous protègent de cet affreux Sharite. Et ne les aurions-nous pas qu'il n'oserait jamais s'approcher : il sait qu'il a à faire à trop forte partie ! Que diriez-vous, dès lors, de gagner la tente et de nous abandonner dans les bras du sommeil ?
Tallad acquiesça. Se lava aussitôt.

Cette fois, Albérich demeura bouche bée. Une telle assurance lui semblait complètement surréaliste. Etait-ce une comédie qu’ils jouaient ? En d’autres circonstances, il aurait sans doute été capable de différencier le mensonge de la vérité, de deviner les faux-semblants, mais là, épuisé comme il l’était, à fleur de peau, conscient de verser peu à peu dans une paranoïa qu’il parvenait tout juste à réprimer, il ne parvenait pas à savoir si ce qu’il percevait était réellement ce qui se produisait, ou si c’était simplement l’extrême contraste entre l’humeur de ses acolytes et la sienne qui rendait les choses si étranges.
« Est-ce vraiment prudent… » finit-il par articuler, ne sachant pas réellement s’il espérait être entendu ou ignoré.

Les deux hommes échangèrent un regard. Sourirent.
-Évidement que c'est prudent ! fit Alaric, tranquille. Nous avons été mandatés pour vous protéger : nous ferions-vous courir le moindre risque ? Il va sans dire que non. Nous sommes à l'abri, dissimulés aux improbables personnes qui suivraient la route de nuit. Et le Sharite ne fera rien. Il a peur, c'est un lâche. Bon qu'à envoyer des songes inquiétants, à s'attaquer aux personnes sans défense ou en sous nombre. Il ne risquera pas l'affrontement direct contre des serviteurs de Lathandre dont la lumière éclipse en instant les ténèbres de leur pitoyable déesse. Preuve en est sa fuite, lorsque Tallad est sorti à sa rencontre. Non, nous n'avons rien à craindre. Nous pouvons dormir sur nos deux oreilles.
Il fit un pas, se pencha vers Albérich... et lui serra un instant l'épaule.
-Ayez confiance en nous ! lança-t-il.
Déjà, il s'éloignait, gagnait la tente, tandis que Tallad faisait signe à Albérich de les suivre.

Ils provoquaient le Sharite. Il n’y avait pas d’autre explication. Et Albérich ne pouvait s’empêcher de trouver ça incroyablement dangereux, éminemment stupide. Mais s’ils agissaient de la sorte, c’était sans doute qu’ils savaient qu’il attaquerait, immanquablement, et qu’en prétendant ne pas le craindre, ils espéraient qu’il serait imprudent. Il devait s’en remettre à eux, il n’avait aucun autre choix. La seule chose qui restait entre ses mains était la possibilité de se donner la mort si les événements tournaient mal. C’était à cela, et à rien d’autre, qu’il devait songer. Trouver la force et la détermination à l’instant crucial.
Il suivit placidement les Lathandrites à l’intérieur de la tente, muselant l’inquiétude qui le rongeait, et se dévêtit rapidement, superficiellement, avant de gagner sa couche et de fermer les yeux. Sans la moindre intention de dormir, si son corps le lui permettait.

Il ne lui permit pas, le fauchant par traîtrise, alors qu'il fermait un instant les yeux, pensant bien les rouvrir.
Mais ses paupières ne se relevèrent pas. Ce furent les ténèbres, à nouveau, absolues, glaciales, comme résonnantes d'échos dont la source était inaudible.
Peu à peu, pourtant il y eut des mots. Une voix familière. Un poème.
Ou une comptine d'enfants, plutôt...

Ils étaient trois porteurs de coquillage,
Trois éclaireurs, trois enfants sages.
Un Ours, une Fouine, un Crabe sans âge,

Car sans passé, sans avenir,
Préférant nier, préférant fuir,
Mais peu à peu va se remplir.

Déjà il n'est plus vraiment vide,
Plus tout à fait, pas complètement
Car dessous son teint livide
Le doute se glisse, insidieusement.

Ils étaient trois porteurs de coquillages
Trois éclaireurs, trois enfants sages
Qui s'en allaient sous la tente dormir,
Et sous ses draps, l'un craint le pire.

Qui de l'ours, qui de la fouine,
Sert la déesse qu'il renie ?
Qu'il servira, qu'il a servi ?
Qui l'aura tué avant Matines ?

Ils étaient trois porteurs de coquillages
Trois éclaireurs, trois enfants sages
A Matines, n'en demeurera qu'un.
Du sang des autres se lavera les mains...

Il se redressa sur sa couche, baigné de sueur, un cri coincé au fond de la gorge sans pouvoir en sortir.
Il ouvrit les yeux. La lumière ne vint pas. Ce n'était que ténèbres, noir de poix.
Et au dehors, crissant dans la neige, il entendit des pas.

La tentation de hurler.
De se recroqueviller sur soi-même, de prétendre n’avoir rien entendu, jamais.
Cauchemar.
Comment pouvait-il à ce point savoir ce qu’il avait dans la tête ? Comment pouvait-il deviner, lire les esprits ?
Albérich se sentait nu, vulnérable, condamné.
Creux comme jamais. Perdu. Irrémédiablement.
Sa main droite trouva le manche du couteau, le serra jusqu’à en avoir mal.
Il fallait qu’il trouve la force.
Il dégagea son autre main pour toucher l’épaule de Tallad.
Peu importait qui était qui. Il fallait que ça se termine, d’une manière ou d’une autre. Il avait la conscience aiguë, brusquement, d’errer aux frontières de la folie.

Tallad ne bougea pas. N'esquissa pas le moindre mouvement. Demeura inerte. Vivant, toutefois : Albérich sentait sa chaleur, le rythme régulier de sa respiration.
Vivant... mais désespérément inerte.
Les pas s'étaient rapprochés. Semblaient provenir de l'entrée de la tente.
Puis, tout à coup, il n'y eut plus de doute : quelqu'un soulevait le pan de toile qui en masquait l'entrée.
Toujours pas de lumière. Ni celle des braises, ni celle des étoiles. Le noir, absolu.
Et la voit retentit à ses oreilles. Pas un rêve, cette fois. La réalité.
-Ils ne se réveilleront pas, Aubemestre. Trop confiants, toujours. Trop optimistes. Les Lathandrites dorment du sommeil du juste. Ils ne se réveilleront pas. Jamais.
Le nouveau venu rit doucement.
-Et lâchez ce couteau. Si vous en usez pour vous occire, nous vous ferons revenir. Et la mort de vos compagnons, fidèles au-dela de tout, et pourtant soupçonnés... n'en sera que plus douloureuse.
Le Sharite s'approcha encore. Albérich pouvait entendre son souffle régulier, calme. Paisible.
-Vous avez le choix, Aubemestre. Les tuer de votre main et accepter enfin d'embrasser de votre plein gré la cause de cause de celle qui vous a choisi. Ou me laisser faire, et basculer envers et contre votre consenetment...

La terreur se répandit dans son organisme comme un torrent de flammes que rien n’arrête. Tout son être se contracta, effet d’une voix qu’il reconnaissait, d’un être dont il avait appris à craindre la moindre inflexion, le moindre mouvement. Qui l’avait suivi, s’apprêtait à lui porter le coup fatal, comme prévu depuis des veilles, depuis que le plan maudit des disciples de Shar avait pris forme.
Mais Noir Dessein avait tort, il y avait une possibilité supplémentaire, sans doute risible et vouée à l’échec, mais nécessaire en cet instant où l’alternative était inacceptable.
Il ne voulait pas se venger, mais protéger.
Tout était lié à l’amour, rien à la haine.
Ce n’était pas pour Euryale, ni pour Erwan, ni pour lui. C’était pour les deux clercs lathandrites dont la vie dépendait de lui.
Pas de colère, juste l’urgence.
Alors plutôt que de plier, il serra le poing sur son couteau ridicule et en rassemblant l’énergie que pouvait lui allouer, magnanime, le désespoir, il se jeta sur l’intrus.

Malheureusement, il ne rencontra que le vide. Le Sharite n'était pas aveugle, lui, dans les ténèbres, et parvint à éviter la charge d'un simple pas de côté. Avec un rire doux, il se permit même de poser la main sur l'omoplate d'Albérich, juste sur la marque, et, d'une infime pousser, brisa son équilibre précaire et l'envoya tomber dans l'entrée de la tente, s'emmêler dans le pan de toile qui en masquait l'accès.
-Décidément, vous me décevez, Aubemestre. Comment pouvez-vous être si bête ? Parviendrez-vous même à me tuer que rien ne serait changé ! N'avez-vous donc pas compris ? Vous rejoindrez Shar, tôt ou tard. Et d'autre que moi vous y aideront. Ceux-là même qui nous ont permis de vous capturer... Oh, qu'ils étaient heureux ! Que votre retour les a peinés... Ils n'ont donc pas manqué de m'avertir de votre petite excursion... Et me voilà, fidèle, dévoué. Bien plus que vos deux crétins d'acolytes...
Lesquels ne bougeaient toujours pas, pour autant que pouvait le deviner Albérich. Pas un son, pas un frôlement d'étoffe.

Albérich se redressa tant bien que mal. Qu’avait-il espéré ? Rien évidemment. Il était un piètre combattant, il le savait bien : aucune souplesse, aucune tactique, il n’avait jamais pris de plaisir à la lutte, encore moins à la joute armée. Pourtant Lathandre valorisait ces choses, le corps sain dans l’esprit sain. Quelle importance.
Il se retourna, s’assit sur son séant, à bout de souffle.
Noir Dessein cherchait à le déstabiliser, reprenant les allusions de Calme Péril, l’implication de l’armée luménienne dans ce qui s’était produit. Là encore, tout était possible. Maelwedd n’avait jamais caché son désir de se débarrasser du culte lathandrite, qu’il estimait dangereux, un chancre affaiblissant la cité. Et les pragmatiques s’encombrent rarement de morale quand ils avancent leurs pions. Mais ça n’avait pas de sens. Albérich était déjà hors jeu, s’acharner sur lui n’avait aucun intérêt, sinon, au contraire, pour le convaincre qu’il fallait rester à Luménis pour s’opposer à ce qui y prenait pied.
Mais tout cela était prématuré. S’il ne parvenait pas à retourner la situation, il ne resterait que du sang.
« Je ne rejoindrai jamais Shar… » gronda-t-il finalement. « Vous avez échoué dans la Tour, vous échouerez ici… Deux morts de plus n’y changeront rien. Je suis l’Aubemestre, je reste l’Aubemestre, même sans Lathandre, ça n’a pas d’importance… »

L'autre rit à nouveau.
-Oui, vous êtes l'Aubemestre. De nom, en tout cas. Car, déjà, Marcus se pare de vos oripeaux, s'arroge vos droits et espère bien les conserver. Il a toujours rêvé d'être à votre place. La situation le ravit : preuve en est sa diligence à accepter votre excursion. Et à vous adjoindre, comme par hasard, deux de vos rares soutiens. Les autres, il les expédie sous des prétextes divers aux quatre coins d'Hélonna... Et les remplace par ses propres pions. En rentrant au temple, vous ne trouverez rien. Sinon, peut-être, un peu de ciguë dans votre gruau, un beau matin... A moins qu'un oreiller ne soit plaqué sur votre bouche, votre né, aux petites heures qui précèdent l'aube...
Albérich entendit son adversaire se déplacer légèrement.
-Et vous êtes déjà l'un des nôtres. Ne le sentez-vous pas ? Méfiance. Méfiance, doutes et soupçons. Jour et nuit. Envers tout et tout le monde. Et cela n'ira pas en s'arrangeant. Sauf si vous acceptez votre nature... Auquel cas, vous tirerez les ficelles, ourdirez les complots. Pourrez vous venger de vos ennemis... Moi y compris. Alors, choisirez-vous de demeurer une loque pitoyable, ou vous prendrez-vous enfin en main, serviteur de la nuit ?

Gagner du temps mais gagner du temps pourquoi ? Albérich n’avait aucune idée de ce qui paralysait Alaric et Tallad, probablement un sortilège, et vu l’expérience de Noir Dessein, celui-ci pouvait s’éterniser des heures. Filer précipiterait leur mort. Attaquer n’avait aucun sens, le Sharite était plus grand, plus fort, et voyait clair alors qu’il était plongé dans la nuit. Il devait pouvoir le prendre par surprise… Ou trouver de l’aide dans la nuit.
L’aide de qui ? D’un dieu, peut-être ? Qui espères-tu trouver, en pleine nuit, alors que la seule chose que tu cherches, c’est à tuer ?
« Que Marcus me supplante, je m’en fiche… Qu’il me tue, je m’en fiche aussi… » grommela l’Aubemestre. « Au moins, je serai en paix. »
Vous ne savez rien de ma nature, rien du tout.
« Je ne servirai jamais Shar. » répéta-t-il, comme un mantra fragile.

-Ah non ? Quelle jolie conviction ! Mais vous la servez, à chaque instant... Vous avez semé le trouble à Belles-Vagues. Provoqué la perte de la protectrice du village. Vieille folle qui voulait vous protéger ! Vous allez causer la mort de vos plus loyaux partisans, comme vous avez causé celle de ce pauvre Hector, de cette si douce Euryale... Qui n'a cessé de vous aimer alors même que nous la découpions en petits morceaux. C'était touchant. A en pleurer.. A en vomir.
Ce rire, encore. Joyeux, satisfait.
-Vous serez objet de disputes, pousserez les gens à vous entredéchirer. Et la mort vous sera à jamais refusée. C'est une faveur, croyez-le bien : car seuls les enfers vous y accueilleraient.... Vous n'avez qu'un seul choix, mon Aubemestre : subir... ou accepter.

Alors qu’il avait jusque là réussit à conserver une certaine lucidité sur les événements, Albérich sentit sa résolution s’effriter, la panique revenir tambouriner à sa porte, plus insistante, comme un invité qui exige qu’on le reçoive d’urgence.
Le désespoir qui l’emplit était d’une violence à couper le souffle, et il se sentit défaillir, chaque fibre de son corps succomber à la résignation, à l’évidence : il était sans défenses, sans armes, Alaric et Tallad étaient fichus de toute façon. Et Noir Dessein avait raison, ils avaient été piégé par leur foutu optimisme, cet angélisme délirant, cette naïveté crasse et assassine. C’était à se demander comment il pouvait rester un seul Lathandrite vivant sur Toril.

Protéger son corps. C’était la seule solution. S’il parvenait à perdre son corps, personne, jamais, ne pourrait le ramener. Il ne serait pas à Shar. Cette spirale s’arrêterait. Abandonner Alaric et Tallad, c’était…
Mais tu ne peux rien pour eux, de toute façon. Rien du tout. Assister à leur mise à mort.
Fuir pour l’entraîner derrière moi.

Secoué par son angoisse, Albérich essaya de se redresser pour filer à l’extérieur, bien qu’il fasse toujours aussi sombre, et qu’il n’ait aucune idée d’où aller.

Noir-Dessein éclata de rire, franchement, sans retenue.
-Et le crabe se fait petit lapin... Courrez, donc, fuyez, comme vous l'avez toujours fait. Je vous rejoindrai dès que j'en aurai fini ici...
Albérich avait déjà progressé plus qu'il ne l'aurait cru : par chance, il avait foncé à travers l'ouverture de la tente, s'emmêlant brièvement dans la toile qui en fermait l'entrée sans que celle-ci put le retenir, puis fait une bonne vingtaine de pas dans la neige, avant d'être déséquilibrer par une racine et de s'étaler de tout son long.
Les étoiles. Les braises du feu. Il avait quitté les ténèbres.
Lesquelles s'étendaient derrière lui, globe de nuit impénétrable. D'où ne provenait aucun son.
Mais, tout à coup, la bulle se déchira, vola en lambeaux tandis que naissait en son sein une lumière vive, éblouissante, qui parut illuminer l'univers entier.
Puis ce furent des silhouettes. Des exclamations confuses.
On se battait.

Lorsqu’il réalisa qu’il avait abandonné ses compagnons derrière, qu’il avait fui comme le pleutre que raillait Noir Dessein, Albérich fut traversé par un spasme de honte qui lui aveugla une seconde les sens. Ainsi, c’était ça qu’il était devenu. Un homme qui fuit, qui trahit, qui doute. Noir Dessein avait raison. Il se vouait déjà à Shar, malgré lui, dans cette vaine résistance. Mais le Sharite s’était trompé : les Lathandrites s’étaient levés, se battaient. Comme la lumière envahissait la clairière, elle se fit en l’Aubemestre, ruisselant de ténèbres.
Alaric avait promis de le tuer s’il flanchait. Et peut-être qu’en flanchant, il pouvait les sauver. L’Ours tiendrait sa promesse, la mort viendrait vite, personne ne le ramènerait.
Il suffisait de s’ouvrir un instant… C’était si simple… Toutes ces choses bouillonnaient depuis si longtemps… La haine… L’envie de se venger, de faire souffrir… Le désir de violence…
Albérich se releva, les yeux fixés, meurtriers, sur la silhouette de l’homme qu’il honnissait plus que toute chose en ce monde, et laissa déferler en lui ce qui brûlait de l’étreindre.

L'aubemestre se mit à trembler. De la tête aux pieds. Mais pas de peur, pas de terreur : une tension nouvelle gagnait peu à peu ses muscles, tandis qu'une chaleur brûlante se répandait dans ses entrailles, dans ses muscles, irradiant de la marque qui flétrissait son dos. La tête lui tourna, ses idées furent troublées, au point qu'il perdit de vue, un instant, le combat qui se déroulait sous ses yeux.
Et il eut une impression fugace, fugitive : celle d'être à nouveau habité; Ou, du moins, pénétré. Par une force qui, crut-il dans un instant de clarté, lui rendrait tout son pouvoir.
-Shar est victorieuse ! entendit-il hurler Noir-Dessein, presque en extase. Vous avez perdu ! Il nous rejoint ! Il est en train de passer ! Il sera une arme bien plus puissante que je ne le fus entre les mains de la déesse ! Ma tâche est accomplie !
Il y eut un choc violent. Une lumière vive qui ébranla l'aubemestre, une énergie brûlante, pure, qui explosa et l'envoya tête la première dans la neige marquée de ses empruntes. L'y laissa tremblant. Vide, à nouveau. Epuisé.
Il y eut un cri. Un râle.
Puis ce fut le silence.
-Il est à nous, Aubemestre... fit-une voix, vague, au-delà du bourdonnement qui emplissait tout son être. Il est à nous. Vous êtes libre, désormais.

Pendant un instant, Albérich attendit le coup de grâce. Puis les derniers événements, précipités, commencèrent à reprendre leur place dans son esprit, à gagner en ordre, en sens. Il avait l’impression d’être en mille morceaux, de l’âme à l’os, et le froid pénétrant de l’hiver le saisit, le vent hurla à l’intérieur de son être creux, si creux à nouveau, après ce feu d’artifice. Il avait failli et il avait honte. Mais Alaric et Tallad avaient survécu, et rien d’autre n’avait d’importance.
Péniblement, il se retourna sur le dos, incapable d’en faire plus. La détresse se répandit dans ses entrailles, glaciale, le monde devenait de plus en plus sombre. Il avait la sensation d’avoir été blessé à mort, d’agoniser dans la clairière, alors que ce n’était que le contrecoup progressif des derniers événements. Lorsqu’Alaric entra dans son champ de vision, il devina sa silhouette, brouillée, au travers de ses larmes.
« Alaric… Vous devez vous assurer… Vous m’avez promis… Vous devez être certain que je ne porte rien… » souffla-t-il.

Le clerc ne pipa mot. Il posa sa masse près de lui, dans la neige. Agita les mains, englobant aussitôt Albérich dans une aura qui ne tarda pas à devenir bleutée.
Alors, le colosse sourit et se pencha sur lui.
-Je l'ai fait pour vous faire plaisir, mais... Je savais ce qu'il en serait. Vous êtes toujours des nôtres, aubemestre. Et votre ennemi est hors d'état de nuire.
Il lui toucha l'épaule, la serra un instant.
-Je vais vous aider à vous relever, si vous en êtes d'accord. Puis vous ramener près du feu. Il y a des couvertures et on fera du thé... Ce sera mieux qu'un lit de neige, non ?

Albérich n’avait plus la force de résister à rien, et il accepta l’aide que lui proposait son compagnon, s’appuya sur lui pour gagner le refuge de la lumière. Il garda le regard au sol, trop gêné de ce qui s’était produit, ravagé par la sensation intime d’avoir irrémédiablement fui.
Bien sûr, il ne l’avait pas fait pour préserver sa vie, du moins se l’était-il raconté. Mais qu’en était-il ? Etait-il certain qu’il n’y avait pas eu là pure lâcheté ? Que les motivations auxquelles il se raccrochait étaient réelles ? Et s’il se mentait à lui-même ?
C’était en tout cas ce qui devait apparaître à ses compagnons. Et il comprenait sans peine le mépris qui devait les habiter. Il n’était plus l’Aubemestre depuis bien longtemps. La comédie était terminée.
Il ne chercha pas non plus Noir Dessein du regard. Peu importe ce qu’il était advenu du Sharite. Il lui semblait que son plus grand ennemi résidait en lui-même, et qu’il était toujours tapi dans son ventre.
Tu es en état de choc, songea-t-il.
Le réaliser ne l’en délivrait pas.

Lorsqu'ils gagnèrent le feu, que Tallad était en train de ranimer, Alaric l'aida à s'assoir. Drapa une couverture autour de ses épaules. Puis, après lui avoir adressé un sourire encourageant, se se mit en devoir de préparer du thé. Il ne tarda pas à mettre dans la main de son supérieur une tasse fumante, brûlante. Puis à s'assoir dans la neige, à ses côtés. Il avait toujours l'air fatigué... Mais demeurait serein. Albérich eut la vague impression que, cette fois, ce n'était pas là une pure comédie.
-Vous voyez ? dit-il doucement. Je vous l'avais dit que tout se passerait bien. Evidemment, Marcus nous tancera pour avoir pris ce risque... Mais nous avons réussi à capturer votre ennemi. Plus jamais il ne vous nuira... Peut-être cela vous aidera-t-il à retrouver la paix, peu à peu. Du moins, personne ne viendra plus raviver vos plaies... Instiller du venin dans vos songes.

La sollicitude d’Alaric le frappa comme un soufflet au visage. Il se sentait indigne de tout ce que ces deux hommes avaient donné, jour après jour, pour lui. Il réalisa qu’en dépit de la couverture, il tremblait toujours. Il se brûla les lèvres dans le thé, son regard hanté captivé par les flammes de leur foyer. Il pleurait toujours, presque sans s’en rendre compte, secoué par trop d’émotions concurrentes.
« Je ne mérite pas ce que vous avez fait pour moi… » dit-il à voix basse. « Je ne mérite rien de ça. Chacun d'entre vous en vaut dix comme moi. »

Les deux gardes du corps échangèrent un regard. Alaric sourit, à la fois grave et tranquille.
-Et chacun d'entre nous n'aurait pas survécu, surmonté le dixième de ce que vous avez subi, Aubbemestre. Nous nous serions brisés, serions passés à l'ennemi. Ou nous serions donné la mort pour abréger le calvaire. Vous, vous avez tenu bon. Chancelé, souffert à un point que nous ne pouvons imaginer. Ployé. Mais pas rompu.
Il lui toucha l'épaule, un instant.
-Et pour ce qui s'est passé sous la tente... C'est à nous de nous excuser. Nous avons tendu un piège au Sharite. Nous ne pouvions rien vous en dire, craignant qu'il lise en vous, qu'il découvre le plan et ne vienne pas... Nous vous avons menti, nous avons joué la comédie... Nous vous avons laissé esposé. Vous avez essayé de l'attaquer, pourtant. Puis vous vous êtes écarté... Pour nous protéger. Ni Tallad ni moi n'avons vu là autre chose. C'était presque ce que nous attendions. Tandis que vous lui parliez, son attention était distraite... Elle l'a été totalement quand vous avez quitté la tente. Le Sharite était bien trop occupé à se guasser, à se moquer...
Il soupira, sa voix se fit légèrement plus roque, comme s'il se laissait gagner par l'émotion.
-Nous sommes fiers d'être à votre service, aubemestre. Fiers de vous côtoyer. D'avoir pu, peut-être, vous aider. Et nous ne saurons jamais assez vous en remercier. Ne doutez jamais de cela : vous êtes aimé, et pas seulement par nous. Vous êtes un exemple pour beaucoup. Un exemple et une fierté.

Les paroles d’Alaric touchèrent Albérich au plus profond de lui-même, ébranlant son être amaigri. Il aurait voulu leur dire qu'ils se sous-estimaient, qu'ils auraient peut-être mieux traversé les épreuves que lui. Que mourir aurait peut-être été mille fois préférable à ce qu'il vivait désormais.
« Mais je ne peux plus être celui que vous avez suivi et respecté… Lathandre m’a déserté… ou je l’ai rejeté, je n’en sais rien. Mais je n’ai plus rien en moi qui me donne le droit de prétendre… J’ai survécu au prix de cette déchirure… Je n'ai pas tenu bon, Alaric. Je me suis brisé. J'ai perdu... Je ne peux pas être Aubemestre, je ne sais plus ce qu’est l’aube… Je ne vois plus rien dans la lumière. Juste le reflet de mes souffrances… »
L’aveu était douloureux, il avait pensé quitter le Temple sans rien en dire à personne. Pourtant, à présent, il réalisait qu’ils savaient, probablement, depuis l’instant où il avait franchi les portes. L’aura divine n’était pas quelque chose d’anodin, de discret, quand elle irradiait hors d’un être et qu’on savait la reconnaître. Et s’ils n’en avaient rien su, cela n’avait pas d’importance. Il avait besoin de le dire, de leur dire, de se le dire, pour que les choses soient mises à plat, lui échappent, que la tension de ce qu’il gardait en lui-même se relâche.
« Je me sens si vide. » souffla-t-il.

Le silence, un instant. Lourd, pesant. Mais déjà il se brisait, comme Alaric reprenait la parole avec une infinie douceur. Une infinie conviction, aussi.
-Digne d'occuper votre place, vous me l'avez toujours paru. Et vous me le paraissez aujourd'hui plus encore qu'hier. La dignité ne se résume pas aux pouvoirs, à la foi. Elle émane de l'être, se reflète à travers le passé. Avez-vous conscience de ce que vous êtes pour nous, Albérich ? Un symbole. Le symbole des lendemains possibles, des deuxièmes chances. Votre vie est semblable à celle de Luménis, à celle du Sanctuaire. Ployer, souffrir, mais se relever, toujours, sans jamais être perverti. Vous dites ne plus être celui que nous avons respecté, suivi. Oui : vous êtes plus encore, désormais. Autrefois, vous étiez contesté par certains. Aujourd'hui, tous les prêtres se sont rangés derrière vous. Comme un seul homme. Ils vous aiment, sont prêts à donner leur vie pour vous. Quand vous avez été enlevé... Nous vous avons crus perdu. Nous nous sommes crus perdus. Votre retour a ranimé notre flamme. Vous étiez brisé, certes, mais pas détruit. Et nous croyons tous que vous vous relèverez, tôt ou tard. Nous sommes prêts à attendre.
Il sourit.
-Je comprends que vous vous sentiez vide. Pourtant, je crois que c'est un sentiment trompeur. Vous êtes demeuré bon envers et contre tout. Vous avez connu le doute, la suspicion, sans toutefois y céder. La preuve : vous n'avez pas essayé de nous fausser compagnie, alors que vous ne nous connaissiez que fort peu. Aujourd'hui, vous avez failli basculer. Nous l'avons senti et j'ai bien cru que je devrais vous défoncer le crâne à coup de masse. Mais vous avez failli, seulement. Et cela a détourné l'attention du Sharite, ce qui nous a permis de le terrasser. Mieux : il s'est produit quelque chose. Cela aussi, nous l'avons perçu. Et cet homme de même, a voir la grimace dont il s'est fendu. Il s'est passé quelque chose. Vous n'avez pas été corrompu. Vous avez résisté. Que ce soit de votre propre fait ou de celui d'une intervention extérieure... C'est une nouvelle preuve de votre importance. Une nouvelle preuve que vous n'êtes pas si vide que vous l'imaginez.
Il soupira.
-Mais... La confiance, l'amour que nous vous portons ne doit pas être une entrave, une cage dont vous seriez le prisonnier. Vous êtes libre de choisir votre voie, de choisir votre futur. Il se peut que votre décision peine beaucoup d'entre nous, mais vous ne trouverez personne pour vous la reprocher. Nous la respecterons, ne vous en respecterons pas moins. Vous êtes maître de votre destin.

Le discours du clerc réduisit Albérich au silence. Il se demanda une fois de plus comment il était possible qu’il n’ait jamais réalisé qu’il avait de tels hommes parmi ses coreligionnaires. Il réalisa qu’il l’avait toujours su, mais que ces derniers mois, ces dernières années, il n’avait plus eu l’opportunité d’être un clerc parmi les siens. Les événements puis les responsabilités l’avaient arraché au fonctionnement normal du Temple, le projetant dans une lumière qui lui était méconnue et qui l’avait accaparé. Mais Alaric savait, comme lui, que le principal avait toujours été la foi en une philosophie de vie, la foi en l’homme, en l’avenir, en toutes les bonnes choses de ce monde, plutôt que la soumission aveugle au dogme d’un dieu. Lathandre avait été un principe, peut-être un prétexte. En même temps, Albérich avait eu le sentiment de partager quelque chose avec une altérité que le dépassait.
Tu as été présomptueux, simplement. Présomptueux de penser que tu valais la peine qu’on te regarde plus qu’un autre. Alors que tu n’as même jamais été un bon Lathandrite.
Mais peut-être le vieil ours avait-il raison. Peut-être avait-il pu être un exemple. Atypique, sans doute. Moins flamboyant qu’il n’aurait dû l’être. Mais droit.
Il se demanda si cette incroyable tolérance, cette acceptation totale de ce qu’il était, de ce qu’il traversait, de ses doutes, du néant qu’il le guettait, était l’apanage de quelques uns, de ceux qui s’étaient portés volontaires pour le suivre, ou s’il les trouverait aussi chez Marcus. Peut-être y avait-il moyen de partir sans fuir. De dire au revoir sans dire adieu. D’aller tenter quelque chose, une reconstruction, de donner une chance… La chance de peut-être revenir un jour. Même s’il ne se pensait pas meilleur. Même si Marcus ferait un excellent Aubemestre. Même s’il n’était pas le symbole qu’on avait fait de lui.
Tu es en train d’espérer, réalisa-t-il.
Et il en resta bouche bée, avant qu’une douce chaleur se répande en lui, rassurante, imprévue, qui l’émut profondément. Alaric n’avait peut-être pas conscience de ce qu’il venait de lui offrir, au détour d’une phrase, mais il l’avait touché à un endroit où restait une flamme, vivace, minuscule, à peine perceptible. Mais finalement pas si fragile que ça.

Si Alaric avait remarqué quelque chose de l'émotion de l'aubemestre, il n'en laissait rien paraître. Discret comme de coutume, il n'avait pas appesanti son regard sur lui, n'avait pas guetté ses réactions. Il avait parlé, simplement, dit le fond de sa pensée sans fard, sans vouloir convaincre à tout prix. S'était juste ouvert et en semblait heureux. Il souriait, toujours, sirotant son thé. Tallad, lui, s'était un moment éclipsé, sans doute pour vérifier ce qu'il en était du Sharite. Il revint au moment où son comparse prononçait ses derniers mots... et s'était contenté d'opiner. Simplement mais avec force. Avant de boire à son tour, son visage maigre illuminé par les flammes dansantes du feu. Il souriait, lui aussi. Et ce n'était pas feint.

Sous la voûte étoilée, malgré le froid, Albérich se sentit brusquement mieux qu’il ne l’avait été depuis des veilles. L’apaisement qui l’habitait était pur, réel, pas le fruit d’une plante quelconque ou d’un verre de cordial. Il eut envie d’y goûter. De se réchauffer à cette sensation inespérée, qu’il restait de la vie quelque part dans sa carcasse, qu’il pouvait essayer de la préserver, de la chérir, peut-être de l’aider à grandir. C’était ténu, infime. Il savait qu’il ne retrouverait probablement pas cette étincelle en se levant le lendemain. Mais il tâcherait de s’en souvenir. Et il la devinerait dans le regard d’Alaric ou de Tallad. Il devait s’efforcer de ne pas lâcher la certitude qu’il avait à l’instant, se l’approprier… Il se surprit à sourire, lui aussi, doucement. Un soupçon de sérénité en son sein. Authentique.
Mais la fatigue se faisait impérieuse. Il avait trop brûlé, à tous niveaux, de la terreur à la révélation. Il se sentit dériver, petit à petit, ses paupières papillonnaient, il dodelinait de la tête. Il finit par capituler.
« Je vais aller me coucher… » souffla-t-il en se relevant tant bien que mal.
Il dévisagea les deux clercs et pinça les lèvres.
« Pardonnez-moi de ne pas trouver les mots qui s’imposent, mais… je vous suis immensément reconnaissant pour ce que vous avez fait ces derniers jours. Plus que je ne peux le dire. Vous m’avez donné ce dont j’avais besoin. Merci pour ça. »
Puis il s’esquiva vers la tente encore debout. Peu importe s'il ne s'y trouvait pas de couche : il aurait dormi n'importe où.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Belles-Vagues

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Belles-Vagues

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes