La Couronne de Cuivre

Le barde ne put réprimer un juron sonore. Jambes nues, revêtu de sa seule tunique et armé de sa seule bûche, le gamin risquait d'être un combattant aussi téméraire que rapidement terrassé. Il n'avait donc pas le choix : plonger à son tour dans la mêlée, essayer d'écoper des morsures destinées à Victor et de mettre les fauves en déroute, sinon de les abattre. Le tout sans user du moindre sortilège : il n'avait décidément pas le temps.
Alors, il bondit aux côtés du petit garçon, lame tendue, et se mit en devoir de frapper leurs assaillants. Priant pour que sa lame touche juste, pour que les gestes autrefois familiers de l'escrime lui reviennent vite, très vite.

Les loups avaient faim, ce qui les rendait particulièrement agressifs, mais aussi moins rapides, moins solides, moins précis. Taliesin trouva ses marques assez rapidement, les mouvements lui revinrent, mais pas suffisamment pour qu'il puisse être partout à la fois. Il affronta donc un loup pendant que Victor s'élevait face à l'autre. Sans doute l'elfe aurait-il aimé pouvoir contrôler ce qu'il advenait de l'enfant, mais il devait puiser dans toute sa concentration pour affronter la bête, et ce ne fut que lorsqu'il eut profondément percé le flanc de l'agresseur qu'il put faire volte-face. Le petit garçon n'avait pas bronché, et pour cause, il était debout, triomphant, la bûche levée au dessus du crâne défoncé du loup, auquel il asséna encore deux coups violents, bien que la bête soit manifestement morte et bien morte.
Il releva sur l'elfe un visage un peu vide, constellé de sang, puis se fendit d'un sourire.

Le barde le dévisagea un instant, abasourdi. Un peu effrayé aussi.
Mais il secoua la tête, s'efforça de retrouver ses esprits.
-Rentre à l'intérieur et mets de l'eau à chauffer, tu veux bien ? On va se débarbouiller, enlever tout ce sang... et je vérifierai que tu n'as rien... Mais d'abord, je dois voir la mule, la pauvre est dans tout ses états.
Il avait parlé d'une voix blanche, comme sonné. Espérait que l'enfant n'y verrait nulle gronderie... Tout en sachant très bien qu'il devrait le tancer. Il avait terrassé le loup sans coup férir, à une vitesse incroyable. Il était peut-être un combattant en herbe très doué... Il se pouvait cependant qu'il ait eu de la chance, simplement. Beaucoup de chance.
Taliesin se détourna, alla examiner l'animal de bât, indemne, et passa quelques instants à l'apaiser, lui parlant doucement, lui flattant l'encolure. Puis il récupéra son épée, en essuya la lame dans la neige et rentra dans la cabane.
-A nous deux... fit-il en refermant soigneusement l'huis derrière lui.

Victor l'attendait au coin du feu, lorgnant la marmite où réchauffait l'eau nécessaire à leurs ablutions. Il était assis, toujours moucheté d'écarlate, les épaules basses et le regard posé sur ses genoux. A son attitude, il était clair qu'il s'attendait à une réprimande salée, mais il regarda l'elfe rentrer sans ouvrir la bouche. Il avait l'air indemne. Il s'était par contre manifestement débarrassé de la bûche sanglante, qui crépitait dans l'âtre, dégageant une odeur doucereuse de viande grillée.

Le barde regarda l'enfant, avec son visage et sa tunique maculés de taches sanglantes. Mais ce fut la vision de la bûche meurtrière qui déclencha tout. Les événements s'étaient déroulés si rapidement qu'il n'avait pas réellement pris conscience de ce qui se jouait. Il s'était réveillé en sursaut, avait ouvert la porte, découvert les loups. Victor avait chargé, lui à sa suite. L'instant d'après, les fauves étaient morts...
C'était là un miracle. Une chance inouïe qu'ils s'en soient sortis sans la moindre morsure.
Une chance d'autant plus grande que l'acte du gamin avait été aussi héroïque que stupide. Il aurait pu leur coûter la vie. A tous les deux.
-Mais par tous les dieux, qu'est-ce qui a bien pu te passer par la tête ? s'exclama-t-il, parvenant à grand peine à maîtriser le flot d'émotions contradictoires qui l'envahissait, tumultueux. Avais-tu complètement perdu la raison, Victor ? Charger des loups affamés, à demi nu, avec une bûche ! Tu te rends compte de ce qui aurait pu arriver ? Bon sang, est-ce que tu as conscience de ce que tu as fait ??

Victor se recroquevilla sur lui-même, rougissant.
" Oui, je crois..." murmura-t-il. " C'était stupide, je sais bien. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je me souviens à peine, en fait... Mais c'est venu... Ça m'a semblé... Je n'ai pas réfléchi... Il y avait ces loups, et j'avais la bûche... Je sais bien que c'était... dangereux."
Il était passé de pivoine à blême.
" Et je ne voulais pas nous mettre en danger, ou bien te désobéir. Simplement... Je ne sais pas... Je suis désolé. Je ne le ferai plus. Je ne sais pas ce qui m'a pris."

La colère reflua quelque peu, remplacée par un sentiment peut-être pire encore. La peur.
Taliesin revit une grotte. Du sang partout. Sur le sol, le visage de l'enfant, sur son corps... Partout.
Il se laissa tomber sur la chaise, mais ne quitta pas Victor des yeux.
Il devait demander. Ne pas laisser ce doute en lui... Il n'en avait pas envie mais devait le faire.
Pour comprendre. Savoir.
Se rassurer, qui sait. Il s'agissait juste, peut-être, de témérité...
-Est-ce que c'était comme avec le lion ? souffla-t-il. Quand tu l'as tué... Puis quand tu l'as dépecé ? Est-ce que c'était pareil, Victor ?

Victor baissa à nouveau les yeux, crispé. A voir sa jeune stature, il était difficile d'imaginer qu'il venait d'assommer un loup, alors un lion... Il s'était bien sûr endurci au fil de la route, mais il n'avait toujours que huit ans, et n'en paraissait pas plus, en dépit de sa maturité parfois surprenante.
" Je... Je ne me souviens pas bien pour le lion. Je me souviens qu'il t'attaquait... puis après, il était mort... Je ne me souviens pas de l'avoir tué." souffla-t-il. " Mais je sais bien que je l'ai fait, mais je ne me souviens pas. Après... Après j'étais comme dans une sorte de... je ne sais pas... comme quand on rêve, tu vois... Je savais ce que je devais faire alors qu'en fait, je ne sais pas ce que j'ai vraiment fait. Puis c'est parti doucement. C'était pas vraiment... Je ne sais pas... Tu étais inconscient... Je... je pense que c'était peut-être la même chose... Mais je ne me souviens pas bien du lion."

Taliesin frissonna malgré lui. Ce n'était pas la réponse qu'il espérait... Mais celle qu'il soupçonnait, malheureusement. Il tourna les yeux vers le feu, vers la bûche sanglante en train de se consumer.
Les images de la grotte revinrent, se superposant à celle d'un Victor dominant un loup au crâne fracassé. Puis c'en fut une autre : un ânon piétinant une gnome ligotée...
Il ferma les yeux. Prit une profonde inspiration.
Une idée lui vint. Peut-être était-ce le moyen d'en savoir plus sur cet étrange phénomène... De déterminer ce qui était en train de se produire. De mettre un nom sur ce qui menaçait de le terrifier.
De toute façon, il ne risquait rien à demander, même s'il doutait d'obtenir une réponse affirmative... Les choses ne se passaient jamais aussi simplement.
-Est-ce... Est-ce que Méli t'a mise en garde contre quelque chose, bonhomme ? Comme elle l'a fait pour moi ? T'é-t-elle parlé... De toi ? De ce qui pouvait t'aider ou te nuire pendant notre voyage ?

Victor haussa les épaules avec une petite grimace.
" Méli... Elle m'a juste dit que... que je devais surveiller ta tendance à baisser les bras... Et elle m'a dit... que j'étais fragmenté. Mais que ce n'était pas grave, parce que plein de gens sont fragmentés. Que ça arrive. Qu'il faut juste apprendre à le gérer. Que ce n'était pas un mal en soi. Qu'elle aussi, elle était fragmentée. Que ça pouvait faire peur, mais que ce n'était pas d'office dangereux."
Il releva les yeux.
" Tu crois qu'elle parlait de ça ? Du fait que j'ai tué un loup avec une bûche ?"

Il acquiesça sans rien dire. En vérité, il était incapable de prononcer le moindre mot.
Ainsi, ce qu'il avait redouté s'était bel et bien produit. Face aux innombrables épreuves qu'il avait traversées, Victor s'était brisé. Ou fragmenté, si l'on préférait l'euphémisme. Il y était toujours question d'éclats...
Quant cela s'était-il produit ? A la mort de ses parents ? Lors de l'enlèvement ? Plus tard, tandis qu'il était aux mains de Gabriel Kanter ? Il n'aurait sans doute jamais la réponse...
Un frisson glacé lui remonta l'échine et ses poings se serrèrent. C'était injuste, cruel...
Mais c'était ainsi. Il ne pouvait rien y faire.
Sinon ravaler sa révolte, sa peur. Faire comme l'avait fait Méli, ne pas dramatiser. Dire que ce n'était pas grave, qu'il fallait apprendre à contrôler la chose...
Il déglutit péniblement. S'arracha un sourire.
-Tu es peut-être devenu ce que l'on appelle un berserker. Quelqu'un qui, au moment du combat, est saisi par une sorte de frénésie, de transe. Qui fait de lui un guerrier extrêmement dangereux... Mais ces guerriers contrôlent généralement leur pouvoir. Ont appris à le faire, du moins. Car ce peut-être dangereux. Dans cet état, on peut charger un ennemi bien plus fort que soi, on oublie la peur... Nous en parlerons aux elfes, si tu veux bien. Peut-être pourront-ils t'aider...
Si c'est bien un berserker que tu es devenu. Pas un fou, un Monstre...
Il grimaça. Chassa la pensée. Sourit à nouveau, pitoyable.
-En attendant, au moindre indice de bataille, je te ligoterai, ça évitera les risques.
Mieux valait le prendre avec humour, n'est-ce pas ? Même s'il n'avait pas la moindre envie de rire...
Etaient-ils tous destinés à sortir de cette aventure l'âme en mille morceaux ?

Victor sembla horrifié à la perspective.
" Tu ne peux pas faire ça ! Si jamais il t'arrivait quelque chose ! Après, je serais ligoté, je ne pourrais rien faire, pas t'aider, et je me ferais massacrer ! Tu ne peux pas faire ça, non ! Je te promets que je ferai attention... Que j'apprendrai ce que tu veux ! Et on demandera aux elfes, oui... Bien sûr. Les elfes savent faire plein de choses, je sais. Mais tu ne peux pas me ligoter !"

Taliesin lui sourit. Un peu plus franchement, cette fois;
-C'était une blague, Victor. Juste une blague. De toute façon, à présent que je sais ce dont tu es capable, je ne vais même plus oser t'approcher. Si d'aventure tu étais amené à croire que je veux te ligoter, ou te donner une fessée pour je ne sais quelle bêtise, tu serais capable d'entrer en transe et de m'assommer avec le premier objet qui te passerait sous la main. Et.. Je ne suis pas très désireux de tenter l'expérience. A vrai dire, je ne vais même plus oser te disputer, maintenant... Tu vas avoir la belle vie...

Mais la boutade du barde ne fit qu'atterrer davantage le petit garçon.
" Je ne ferais jamais une chose pareille." murmura Victor. " Je... Tu crois vraiment que je pourrais..."
Il replia les bras autour de sa carcasse et se mit à trembler.
" C'était... Je ne voulais... Je ne ferais jamais ça... à toi... ou à quelqu'un... N'est-ce pas ? C'était juste... parce que le danger... Je ne sais pas... "
Ses yeux s'emplirent de larmes.
" Tu penses que je pourrais te faire du mal ?" siffla-t-il à voix basse, éperdu.

Espèce d'imbécile... songea l'elfe, furieux contre lui-même.
Il se leva de sa chaise et vint s'installer près de l'enfant, passant sans la moindre hésitation un bras autour de ses épaules tremblantes.
-Excuse-moi, bonhomme. Je plaisantais, mais ce n'était vraiment pas très malin de ma part. C'est quand le danger vient que se déclenche ce genre de chose. Seulement quand le danger vient. Tu n'es dangereux pour personne. Ni pour moi, ni pour les autres. Ce sont juste les méchants qui ont à se méfier, parce que tu es redoutable.
Il soupira, navré par sa propre bêtise.
-Non, tu ne ferais pas de mal aux gens que tu aimes bien, Victor. Je n'ai pas peur de toi, je ne t'aime pas moins parce que nous avons parlé de ça. J'ai juste... De la peine pour toi, et je me sens responsable... Mais il fallait que nous en discutions. Maintenant que je sais, je pourrai essayer de t'aider. Tu apprendras à contrôler ces élans... Et ça te sera utile. Gare à celui qui te cherchera des noises, à l'avenir. Un barbare qui jette des boules de feu, tu me disais, l'autrefois. Je crois que tu es sur la bonne voie...

Victor finit par sécher ses larmes et releva la tête, pour croiser le regard du barde, y quêtant la vérité. Que Taliesin fut sincère ou excellent comédien, l'enfant sembla trouver le réconfort qu'il cherchait dans son expression et poussa un soupir misérable.
" On demandera aux elfes, hein. Et tu me surveilleras. C'est de bonne guerre. Je te surveille, tu me surveilles."
Un maigre sourire illumina son visage strié d'eau salée.
" Et un jour, tu m'apprendras les boules de feu." ajouta-t-il, petite tentative de rependre le dessus.
Il se lova contre l'épaule du barde, cherchant un peu de chaleur pour calmer son angoisse, puis expira avec bruit.
" On pourrait déjeuner..." murmura-t-il. " Mais si on fait du pipeau, la cabane va disparaître..."

Le barde ne relâcha pas son étreinte. Il s'était montré sincère : il n'avait pas peur de Victor. Il avait peur pour lui. Se sentait terriblement responsable de cette fêlure, de ces traumatismes successifs qui avaient amené l'enfant à se briser, à se fragmenter. Et il n'en était que plus décidé à l'aider, quoi qu'il faille faire pour cela.
-Le tout est de procéder par ordre... Dès que tu te sentiras prêt, je propose que nous profitions d'avoir un toit sur notre tête, un bon feu et de l'eau chaude pour nous laver : les peintures de guerre barbares, ce n'est utile que pendant les batailles, et j'ose espérer que nous ne devrons plus en livrer avant longtemps...
Il fit courir un doit léger sur une marque écarlate qui zébrait la joue de l'enfant.
-Ensuite, nous rangerons nos affaires. S'il reste de l'eau chaude, on pourra toujours faire une tisane. Et nous mangerons en marchant, s'il fait trop froid pour rester assis dans la neige...
Il sourit. S'activer, s'occuper pour ne pas penser... Mais ils n'étaient pas pressés. Si le petit garçon avait besoin d'un peu de temps pour se remettre, il n'allait certainement pas le priver de son épaule.
-Que penses-tu de ce programme ? ajouta-t-il doucement.

Victor poussa un léger soupir.
" Ça me semble très bien..." murmura-t-il. " Merci."
Puis il se dégagea doucement de l'étreinte du barde, lui sourit, un peu embarrassé, et retourna vers la marmite où l'eau bouillonnait, désormais. Il grimaça en la retirant du feu, puis sortit une seconde hors de la cabane, rapportant une poignée de neige qu'il jeta dans le récipient. La température étant devenue apparemment plus acceptable, il commença à se laver, calmement, sans succomber à une sorte de frénésie. Si la vue du sang lui était insupportable, il avait pris le parti de faire face à sa situation. Il retira sa tunique mouchetée, frotta ses bras et ses jambes, son visage.
" Tu peux venir, y'a assez d'eau..." finit-il par dire timidement.

Taliesin acquiesça, se dépouilla de la couverture sanglante qui drapait ses épaules et s'en alla prendre du savon. Il se montra moins parcimonieux que le gamin : ils seraient bientôt parmi les elfes et il ne doutait pas de pouvoir s'y procurer tout ce dont ils auraient besoin. D'autant qu'il avait de l'argent : il avait pillé la maison de la sorcière, prenant tout ce qui lui paraissait utile. Et il n'éprouvait pas le moindre remord.
Lorsqu'il rejoignit Victor, la mine timide de ce dernier rendit plus douloureux encore son sentiment de culpabilité. Il s'en voulait d'avoir bêtement plaisanté, d'avoir abordé le sujet. Pourtant, ils l'auraient immanquablement abordé, tôt ou tard. A présent, au moins, ils savaient à quoi s'en tenir.
Même si, à voir la frêle carcasse du petit garçon, son incrédulité était toujours immense face aux exploits qu'il avait accomplis.
-Allez, ne fais pas cette tête là, bonhomme. Huit ans, haut comme trois pommes, fin comme un roseau et déjà capable de terrasser un lion avec un caquelon, un loup avec une bûche. Alors que moi, avec mes inombrables décennies, il m'a fallu une épée... Je suis presque jaloux ! Imagines un peu ce que tu pourras faire, une fois grand. Tu pourras abattre un ogre en le poussant du ddoigt !
Il lui sourit, encourageant.
-Méli a raison : il ne faut pas avoir peur de ce phénomène. Juste apprendre à vivre avec et à le contrôler. Il te sera utile, je n'en doute pas. Il nous sera utile. Alors, plutôt qu'en avoir honte, tu devrais en être fier...

Victor acquiesça, déjà un peu plus vaillant.
" Je verrai. Tu as sans doute raison." fit-il. " Si ça reste utile, alors c'est bien. Mais si ça devient dangereux, alors il faudra qu'on fasse quelque chose. On verra. Je ferai attention d'ici là."
Il sourit.
" En tout cas, avec l'épée, c'est moins cochon. Moi ma tunique est foutue, regarde..."
Il désigna le vêtement ensanglanté.
" Bon, c'était pas ma préférée, elle gratte un peu, surtout quand il fait froid, mais je vais finir par arriver en chausses à Lol... Lorm... Enfin, la ville des elfes, quoi. Ça, ça va certainement impressionner Méli !"

Taliesin lui rendit son sourire avant de le toiser, les sourcils froncés.
-Sans vouloir t'offenser, il y a encore du travail à faire, si tu veux l'impressionner. On pourrait éventuellement te bricoler un pagne et une massue géante, pour renforcer le côté barbare, mais c'est surtout du muscle, qu'il faudrait. Je propose donc de te charger de tous les sacs, ce qui soulagerait la mule... Et je pourrais fouiller ma mémoire pour retrouver les exercices auxquels s'astreignaient certains de mes frères. Renaud, surtout, qui était amoureux d'une certaine Manon et prétendait que seule une stature d'athlète pourrait la séduire. Il faut croire qu'il disait vrai : de tous ses prétendants, c'est bien Renaud qu'a choisi la belle...

Victor lui tira la langue, puis sourit.
" Tu ne parles pas souvent de ta famille d'avant. Je sais que tu as été élevé avec des humains, mais c'était y'a combien de temps ? Tu avais beaucoup de frères ? Vous faisiez quoi ? Et c'était où ?"
Il se tut, grimaça et rougit.
" Enfin, si c'est pas trop difficile pour toi de me dire... Si c'est pas trop triste, ou quoi."

Taliesin, qui était en train de s'escrimer avec une tache de sang particulièrement coriace, haussa les épaules, souriant.
-Oh, ça ne me gêne pas d'en parler. C'était une époque heureuses, je n'en ai que de bons souvenirs... Si je l'ai peu évoquée jusqu'ici, c'est simplement que ça n'est pas venu dan la conversation... Et puis, je dois admettre qu'au final, je n'en sais pas non plus beaucoup sur toi... Il faudra qu'on y remédie.
La tache semblait enfin décidée à partir sous les assauts du savon, et il ne put réprimer un grognement victorieux.
-Mais pour en revenir à ma famille.. Ça ne date pas d'hier : j'ai du la quitter il y a... cent vingt ans, quelque chose comme ça. Mes parents adoptifs étaient forestiers. Ils chassaient, coupaient du bois, ramassaient des plantes... ils avaient six enfants : trois garçons, trois filles. J'ai fait pencher la balance du côté des premiers...
Son sourire se teinta d'un peu de mélancolie, mais il ne s'arrêta pas pour autant.
-Inutile de te dire que notre petite maison était bondée, et qu'on jouait des coudes pour se faire une place autour de la table ou dans les deux grands lits dont nous disposions. Mais c'était chouette : on n'avait pas froid, on ne s'ennuyait jamais... Et jamais on ne m'a fait sentir que je n'étais pas de la famille. Ni mes parents, ni mes frères et sœurs. Pourtant, une bouche supplémentaire à nourrir, ce n'était pas rien. Et, minuscule gamin elfe, je ne pouvais pas me rendre très utile... Mais il m'ont toujours traité comme l'un des leurs. De ça, je leur serai redevable, toujours. Même par delà les siècles.

Victor hocha la tête, avec le sourire. Il avait abandonné tout espoir de récupérer sa tunique, qu'il fit quand même sécher, pour le principe.
" Un peu comme chez les Merlus, en fait. Du bruit et des enfants qui courent partout. Je comprends pourquoi tu es content quand on est chez eux. " dit-il. " Mais tu grandissais pas à la même vitesse, alors ? Y'en a certains qui sont nés après toi et devenus adultes avant ? Ça devait être bizarre..."

Taliesin acquiesça ostensiblement.
-Oh oui, ça faisait bizarre... Et c'était très frustrant, aussi. Mes parents n'ont pas eu d'autre enfant, après mon arrivée. Mais Étienne, le "petit" dernier, était un peu plus jeune que moi, je crois... N'empêche, d'aussi loin que je me souvienne, il a toujours eu une tête de plus que moi. Et ça a empiré lorsque l'adolescence est venue : moi, je restais un gamn chétif alors qu'il se transformait en homme. J'étais jaloux du duvet qui auréolait son manton, de ses muscles, des poils qui lui poussaient un peu partout... Et de son zizi, cela va sans dire. Je n'ai jamais autant désiré grandir vite, et, si je me rappelle bien, il n'y avait pas un soir où je ne priais pas les dieux pour qu'ils me donnent un petit coup de pouce. Ils ne m'ont exaucé que bien plus tard... Enfin, Etienne et les autres n'étaient pas du genre moqueur, me taquinaient rarement. Alors, somme toute, je ne l'ai pas trop mal vécu.

" De son zizi ?" fit Victor avec une grimace d'incrédulité. " Vous êtes bizarres, les elfes."
Il entreprit de s'habiller, puisant dans son sac avec concentration, jusqu'à s'être composé une tenue appropriée.
" En tout cas, je comprends mieux pourquoi tu as toujours des idées quand il s'agit de faire des bêtises... Tu as eu de la chance de grandir comme ça. Ça devait être chouette."
Il se leva et lui sourit.
" On devrait y aller, non ?"

Le barde avait failli lui rétorquer qu'il trouverait la chose moins étrange, d'ici quelques années, mais il s'abstint. Il y avait peut-être là une piste, une esquisse de stratégie : insister sur les désavantages de la race elfique et son étrangeté, au regard des humains, pour diminuer sa passion soudaine...
Pour l'heure, cependant, le môme avait raison. Il fallait se mettre en route : la matinée était sans doute bien avancée.
Il leur fallut une petite demi heure pour déjeuner, ranger toutes leurs affaires, charger la mule et emprunter le chemin qui descendait toujours, sinueux. Ils ne laissèrent derrière eux que les cadavres sanglants, déjà à demi gelés, des deux loups terrassés. Signe de leur passage. Avis aux éventuels chercheurs de noises.

Ils cheminèrent dans un jour piquant et maussade, l'air était chargé de glace bien qu'il n'y eut pratiquement pas de vent. La base des montagnes disparaissait dans la brume, mais les hauteurs étaient épargnées, ce qui était une chance pour les randonneurs : circuler dans la purée de pois aurait été mortel. Cette fois, Victor ouvrait la route et contre toute attente, les petites confidences matinales semblaient l'avoir investi d'une énergie nouvelle. Il chantait à tue-tête, des mélodies traditionnelles dont Taliesin reconnaissait toujours l'air, mais pas toujours les paroles, sujettes à des variations locales. Il avait droit ici au répertoire luménien, qui avait tendance à parler de mer et de lumière plus souvent qu'à son tour.
La piste était toujours enneigée, à peine visible, et les contreforts déserts. Des arbustes tordus peinaient à pousser dans le décor de rocaille, parfois quelques conifères plus élancés se dressaient, victorieux, dans les rares endroits où il y avait suffisamment de terre pour y planter leurs racines.
En cours d'après-midi, un murmure se glissa dans leur environnement sonore, sans qu'ils y prêtent attention. Puis le murmure s'amplifia, et Taliesin comprit qu'ils approchaient du torrent. Il surgit sous leurs yeux un peu plus tard, bouillonnant dans sa ravine, ses eaux pures jaillissant, plus haut, d'une chape de glace éternelle. Là où se dressait le petit pont de pierre qui permettait de le traverser, un ouvrage manifestement elfe, incroyablement raffiné dans cet environnement sauvage, il faisait déjà près de trois mètres de large. La violence de son courant grondant défiait quiconque d'oser le chevaucher. Il devait être glacial. Il s'était creusé un conduit de pierre lisse à flanc de mont, une fine gorge, qui devait le mener droit à la vallée, sans doute après quelques sauts en cascade magnifiques. Taliesin savait, d'après la carte, qu'ils ne retraverseraient plus la rivière d'ici à Loth Ilmaril. Que la forêt était désormais très proche, en dépit de la pente raide qui les séparait du sol. Cette face des Rocheuses s'apparentait à une falaise. Leurs genoux souffriraient, mais plus très longtemps.
Victor s'était approché de l'onde, émerveillé, et il poussa soudain un cri aigu.
" Taliesin ! J'ai vu un poisson ! Il faut qu'on pêche ! S'il te plait ! Qu'on pêche ! Allez !!!"
Il tourna un sourire ravi vers l'elfe.
" On peut camper ici ? Il est tard déjà ! Allez, on peut, dis ?!"

L'elfe observa un instant le paysage. Oui, l'endroit ne manquait pas de charme, et s'il n'offrait guère d'abris naturels, ils disposaient de suffisamment de moyens pour s'en ménager un tout à fait convenable. L'image d'un Victor plongeant dans le torrent à la poursuite d'un poisson qui lui aurait échappé lui traversa bien l'esprit, mais elle le fit surtout sourire : à moins que la prise rétive ne soit un Léviathan, il y avait peu de chance que la frénésie guerrière du gamin se déclenche.
-Allez, vendu, on campe ici ! dit-il en faisant glisser son sac de son épaule. Mais je te préviens : je n'ai pas de quoi bricoler une canne à pêche. Tu vas donc devoir recourir au pipeau. On verra s'il t'exauce...

Victor secoua la tête avec véhémence.
" Pas question ! Le pipeau, c'est pour la cabane de nuit. Je vais pêcher... A la dague ! Ou à la fronde ! Et si je te prends un morceau de ta corde... Je pourrais transformer ton épée en canne à pêche parfaitement acceptable... Mais je vais voir si je trouve pas plutôt un bon bout de bois... On a vu des arbustes, non ? Bon, ils étaient un peu tordus, mais les poissons s'en rendent pas compte, ils voient que l'hameçon... Ah... L'hameçon... Attends voir, je vais sûrement dégoter quelque chose... T'as pas l'esprit de survie, toi, hein ?"
A cet instant, sous le nez des deux compagnons, un superbe poisson, d'au moins deux pieds de long, vint bondir dans le torrent, comme pour les provoquer. Victor poussa un rugissement, saisit sa fronde et se mit à bombarder l'eau de petits cailloux, sans la moindre efficacité.
Ingénieux mais impatient, sans doute.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Re : Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Re : Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 4.