La Couronne de Cuivre

-Voilà pourquoi les dieux ont créé les femmes, lança Elwen d'un ton faussement sentencieux, le doigt levé comme si elle lui faisait la leçon. Pour être la raison des hommes quand celle-ci leur fait défaut, pour penser à leur place quand ce sont les instincts qui, chez eux, prennent le dessus ! Car, si la témérité suicidaire et l'emportement sont proverbiaux chez les mâles, a-t-on jamais entendu parler d'une femme perdant son sang froid, sa lucidité, sa rationalité, même dans les pires circonstances ?
Son visage s'illumina d'un nouveau sourire.
-Je plaisante, évidemment. Tu verrais certaines de mes sœurs au cœur de la bataille... Et moi-même, je ne suis pas forcément épargnés par les élans guerriers ! Je crois qu'en d'autres terres, on nous qualifierait de "garçons manqués". Quoi qu'il vaut mieux éviter d'utiliser ce terme ici...

" Moi je croyais que les femmes étaient justement émotives, susceptibles de perdre leur sang-froid en un instant, effrayées, ou pour se crêper le chignon sur des sujets triviaux." dit Arthur. " Je pensais que le sang-froid, la maîtrise, étaient l'apanage des hommes, justement."
Il fit la grimace, espérant qu'Elwen y verrait l'humour de ses paroles.
" Mais je te demanderai ton avis, chaque fois que je veux entreprendre quelque chose. Tu seras ma sagesse de compagnie !"

Elle éclata de rire.
-Voyez-vous ça... Et après, quand tu auras accompli moult exploits, tu pourras dire "Je n'y suis pour rien. On m'a bien conseillé, voilà tout". C'est là ton projet secret, n'est-ce pas ? Histoire, encore une fois, de ne pas assumer tes qualités ? Et bien laisse-moi te détromper, très cher : tes décisions, tu devras les prendre toi-même ! Et tu verras qu'elles se révèleront bonnes. Au mieux, je me fendrai d'un avis, si d'aventure je te sens par trop téméraire...
Elle se fit plus sérieuse.
-Mais je pense que tu auras aussi des avis à me donner. En effet, il n'est pas impossible que, dans certaines situations ou... face à certaines personne, je perde en partie mon sang froid, collant pour quelques instants aux affreux stéréotypes sur les femmes. Quoi que pas tout à fait quand même : je pense que je risque d'être plus violente que larmoyante !

Arthur aurait voulu rebondir aussitôt par une boutade, mais il n'était que trop conscient de ce à quoi la jeune femme faisait référence : ils auraient à combattre ces elfes qui les avaient trahies. Leurs maris, leurs frères, leurs pères, leurs enfants. Le paladin les devinait aussi dangereux que leurs anciennes compagnes. Mais plus que ça, il redoutait l'instant où les deux moitiés de la tribu se trouveraient face à face. La haine était rarement bonne conseillère, et seuls les guerriers berserkers étaient capables de canaliser leur colère pour en faire une force positive dans le feu de la bataille. Le déchirement entre les elfes risquait de les mettre en mauvaise posture, aussi réelle soit la détermination des amazones. D'autant que le Luménien craignait que les velléités de vengeance ne soient pas aussi uniformes qu'on aurait pu le croire, le craindre ou l'espérer.
" Je m'efforcerai d'être de bons conseils, dans ce cas. Même si je doute que nous puissions vraiment deviser au coeur des combats."

-Dieux merci, il n'y aura pas que les combats ! Il y aura les veillées d'armes et les conseils de guerre, auparavant. Puis le repos de la guerrière - et du guerrier - ensuite. Sans parler de nouvelles réunions, de nouvelles veillées... De quoi palabrer tout notre saoul ! Et décompresser, aussi. Enfin, je l'espère. Même s'il n'y a pas de raisons que les choses tournent mal...
Elle déposa la dernière feuille sur le tas : tout en parlant, ils avaient terminé le tri.
-Encore paré pour de l'herboristerie et des travaux d'apothicaire ? Ou préfères-tu aller t'étendre un moment ?

" Je crois que si ça ne te dérange pas... Je ferais bien une petite sieste. On ne peut pas dire que tu m'aies éreinté ce matin et j'ai passé une bonne nuit mais j'avais beaucoup de sommeil de retard. Je ne compte pas dormir longtemps... pas même vraiment m'endormir mais juste m'allonger un peu... Après je serai de nouveau d'attaque pour t'aider... ou te préparer un petit en-cas, si tu as envie d'être servie... Comme tu préféreras."

-Nous verrons cela en temps utile. Pour l'heure, dans mon immense générosité, je t'autorise à aller t'étendre, et je vais pousser la bienveillance jusqu'à t'offrir mon lit. Uses-en à ta guise, et reviens-moi quand tu seras reposé !
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire espiègle.
-Je n'aurais rien contre une petite sieste, moi non plus, mais je crains fort que, si je t'accompagnes, tu voies là quelque nouvelle tentative pour attenter à ta pudeur...

Arthur hésita une seconde.
" Si tu veux, je peux m'allonger ici, comme cette nuit, ça ne me gêne pas. Je ne compte pas vraiment dormir, de toute façon, je ne voudrais pas te priver de ton lit, ça m'embarrasserait beaucoup..."
Voyant qu'Elwen le dévisageait avec un sourire ironique, il se sentit rougir.
" Sinon, heu... C'est sûr que le lit est large. Je peux te faire confiance, bien sûr. Je me ferai petit... et je ne dirai rien."

Elle parut hésiter.
-Une chose est certaine : je ne te laisserai plus le maigre grabat que tu as occupé cette nuit. Tu mérites un bon lit ! Ensuite... Et bien... Je crains que, si je t'accompagne, tu ne parviennes même pas à te reposer, tant tu redouteras mes avances et mes gestes déplacés ! Or, je ne veux pas t'empêcher de refaire tes forces...

En vérité, Arthur craignait bien plus ses propres maladresses que la moindre avance qu'aurait pu lui faire Elwen. Bien que la jeune elfe soit prévenante et amicale, il ne voyait pas pourquoi elle aurait tenté quoi que ce soit en dehors d'une volonté vengeresse de le contraindre. Or, ce n'était plus à l'ordre du jour. De plus, il devinait que la plaie ouverte par la trahison de son époux devait encore être vive.
" Je méditerai..." offrit-il, tout en étant plus ou moins certain d'en être incapable. " Tu ne me dérangeras pas."

Elle se leva.
-Et bien, c'est décidé : nous irons nous reposer de concert.
Son sourire n'avait pas disparu, bien au contraire.
-Et la perspective de te voir méditer n'est pas pour rien dans ma décision finale. Les guerriers divins ont la réputation d'avoir une foi inébranlable. Etant amatrice de défis, je me demande si je pourrais parvenir à te détourner de ton recueillement... Mais je n'en ferai rien, évidemment ! Enfin, probablement pas...

Arthur ne se permit pas de précéder Elwen dans sa propre chambre et attendit que la jeune femme ait choisi son côté pour aller précautionneusement s'asseoir de l'autre et se déchausser. Il réalisa que comme l'avait deviné l'elfe, il était tendu comme la corde d'un arc au moment fatidique. Il demeura assis quelques secondes et prit de profondes inspirations pour se détendre, espérant que l'amazone les mettrait sur le compte de la méditation. Ensuite, il s'allongea, doucement. Méditer couché, c'était une grande première. En général, cela s'effectuait davantage sur les rotules, dans une atmosphère confinée, poussiéreuse ou glaciale. Il ferma les yeux et tenta de faire abstraction de ce qui se trouvait juste à côté de lui. Mais il avait l'impression d'être énorme et de prendre toute la place, il avait la sensation qu'au moindre mouvement il heurterait la jeune femme, il avait aussi la certitude que tôt ou tard, son corps le trahirait d'une manière ou d'une autre. Aussi demeura-t-il le plus immobile possible, loin de toute méditation, de toute détente aussi.

Mais il ne frôla pas Elwen. Et celle-ci finit par lui murmurer, d'une voix douce.
-Tu sais, tu n'es pas obligé de rester recroquevillé au bord du lit. Il y a de la place, assez pour que chacun d'entre nous prenne ses aises et ne gêne pas l'autre. Ceci dit, si ma présence te trouble à ce point, je peux aller finir ma préparation... Comme je te le disais, je serais mortifiée si je venais à te priver de ta sieste bien méritée...

Arthur poussa un soupir qui finit en léger gémissement.
" Je vais m'habituer." dit-il. " Je n'ai jamais... partagé de lit avec personne."
Ce n'était pas vraiment un aveu : il avait été bien plus direct quelques heures plus tôt.
" Bien sûr, en campagne, nous dormons tous côte à côte, mais il s'agit davantage de trouver un petit coin de prairie moins bosselé... ou d'aplatir de la paille qui gratte..."
Son discours n'avait pas grand intérêt, mais il avait l'avantage de détourner ses pensées de l'endroit où il se trouvait. Il se détendait peu à peu, insidieusement, et il finit par basculer sur le dos. Il espéra une demi-seconde qu'il ne défoncerait pas le lit délicat de l'elfe, puis soupira à nouveau, d'aise, cette fois.
" C'est plus confortable que la paillasse. Si j'avais su..."

Elle rit doucement, sans la moindre once de moquerie.
-Si tu avais su, tu serais demeuré sur la paillasse. Quoi que j'ai pu dire. Tu es du genre têtu, parfois... Mais je suis heureuse d'avoir pu te convaincre. Tu seras mieux, ici...
Elle s'interrompit et soupira.
-Dommage que les choses ne se soient pas décantées plus tôt. Car cette nuit, je n'aurai plus le plaisir de t'avoir sous mon toit. Je gage que tu rejoindras tes compagnons...

Arthur ne répondit pas tout de suite. Il n'était pas certain de comprendre exactement ce qu'Elwen sous-entendait. Il n'était pas non plus complètement certain de savoir ce qu'il disait. Il se sentait bien. Un peu tendu. Mais bien quand même.
" J'imagine que ceux d'entre nous qui ont réussi l'épreuve seront conduits aux quartiers des invités..." fit-il. " Si vous avez quelque chose du genre... Je ne suis pas très impatient non plus... "
Il se tourna vers la jeune femme et ouvrit les yeux.
" Tu pourrais dire à ta cheftaine que je n'ai pas été suffisamment obéissant et que je dois faire des heures supplémentaires."
Il vira, évidemment, à l'écarlate au moment où il saisit le sens de ses propres paroles.

-L'idée est diablement tentante... murmura-t-elle. Mais je m'en garderai bien : non pas que t'avoir pour moi toute seule de longs jours encore soit une perspective désagréable, loin s'en faut, mais je m'en voudrais de ternir ta réputation alors que tu as réussi l'épreuve haut la main. Et puis, ce qui me donne un peu d'espoir, c'est que nous n'avons pas de quartiers pour les invités. Parce qu'en règle générale, nous n'avons jamais d'invités. J'imagine qu'on aménagera un peu mieux la cabane où vous avez été conduits, ou qu'on vous en trouvera une plus spacieuse, plus aérée, mieux meublée... Mais rien ne vaudra ma chambre ou mon lit : adorant dormir, je leur porte toujours un soin tout particulier...

Arthur sourit et croisa le regard de la jeune femme. Il se détourna rapidement.
" Nous nous retrouverons plus tard, quand il faudra passer aux choses sérieuses."
Il avait peine à croire qu'il avait osé suggérer à une jeune femme de l'inviter à demeurer chez elle. Alors que la veille au soir, Elwen l'avait accusé de se laisser guider par ses pulsions. Qu'était-il en train de faire ? Un paladin de Lathandre ! Tenté par... par... Pauvre Elwen. Elle le pensait différent, mais l'était-il vraiment ?
Il passa une main un peu tremblante sur son visage. Il ne savait pas bien où il en était, en vérité. Par moments, la jeune elfe lui apparaissait comme une compagne d'aventure pareille à ses comparses de la commanderie, une camarade enjouée et amicale, une personne de confiance, enfin. Mais à d'autres, quelque chose se troublait. Quelque chose, mais quoi ? Il n'était pas certain de savoir. Tout allait si vite. Moins d'une journée plus tôt, elle le toisait avec brutalité, le sommant de se plier à sa volonté. A présent, ils devisaient sur son lit, sans retenue. Tout allait trop vite. Il sentit quelque chose se contracter dans son ventre et un instant, il fut secoué par un petit spasme nerveux. Il frissonna. Il eut peur. Puis il eut envie de la toucher, du bout des doigts, juste une seconde, pour s'assurer qu'elle était toujours bien là. Il n'en fit rien. Il sourit à nouveau, bon gré, mal gré.
" Mais nous n'y sommes pas encore."

Elle acquiesça, puis croisa les bras sous sa tête et regarda le plafond.
-Oui, nous n'y sommes pas encore. Les jours à venir seront emplis de conseils, de préparatifs... Je ne sais pas combien de temps nous avons avant le grand départ. Parfois, j'espère que ce sera peu, car j'aimerais que tout soit enfin réglé. Parfois, je prie pour que ce soit beaucoup parce que je ne sais ce qui sortira de toute cette affaire, même si j'aspire à une fin heureuse. Quoi qu'il en soit, bref ou long, le temps qui nous sépare de la bataille à venir passera vite, très vite. Peut-être trop.

" Espérons que nos stratèges sauront le mettre à profit. Ensuite, nous ferons de notre mieux... Mais je n'ose pas imaginer ce qui se produirait si nous n'étions pas vainqueurs..."
Il demeura silencieux un instant, conscient du voile qui venait de se poser sur la conversation.
" Cela dit, nous ne risquons rien. Je dois massacrer des ennemis et défaire les mages déments : c'est toi qui l'as prédit. Et tu seras mon barde et ma conscience, histoire que mes prouesses ne soient jamais oubliées !"

Elle éclata de rire, une nouvelle fois.
-Voilà un programme qui m'agrée... Quand à devenir barde et prophétesse, pourquoi pas ? J'ai failli opter pour cette voie. Enfin, pour la première. Mais j'ai finalement renoncé : j'avais par trop tendance à composer mes propres chants, plutôt que de reprendre sans cesse ceux de nos tradition. Le problème pourrait néanmoins être réglé : en effet,, les événements que nous nous apprêtons à vivre sont de nature à devenir légendaires... Et ce serait une première de voir un humain se hisser, par ses exploits, parmi les héros de notre panthéon !

Arthur demeura souriant, fixant l'entrelacs de branches qui servait de plafond à la cabane.
" Je suis certain que la tradition orale ne retiendra que les hauts faits d'Elwen la Subtile, flèche vive et fille de panthère. Une première génération se souviendra de moi, un humain anonyme. La seconde fera de moi un elfe. La troisième me dira femme. La quatrième me métamorphosera en compagnon fidèle... Singe, mangouste, perroquet, lézard, que sais-je. Mais Elwen la Subtile demeurera dans les coeurs et les esprits. On t'érigera une jolie statue de bois, au coeur d'un arbre encore vivant. Les gens viendront déposer des offrandes de fleurs sauvages et de fruits mûrs, pour appeler sur eux ta bienveillance... Tu feras ça bien."

-Tu rêves, mon vieux ! s'exclama-t-elle, joyeuse. Un barde ne se met jamais en scène dans les chansons qu'il compose : ce serait trop orgueilleux. Je ne ferai donc aucune ombre à tes exploits ! Ici, on gardera le souvenir du jeune paladin qui nous réconcilia avec la gente masculine après avoir triomphé du Mal absolu. Et chez toi... Vos conteurs te présenteront comme Arthur, le presque écuyer devenu roi sur une ile lointaine peuplée de fées ; devenu, à Luménis, le fondateur d'un ordre de chevalerie nouveau peuplé d'illustres figures et lancé dans une quête à nulle autre pareille ; et l'on prétendra qu'au jour de ta mort, les fées seront venues te chercher pour t'emmener vivre à jamais en ce paradis perdu... On ajoutera la marque du destin, peut-être liée à la découverte d'un artefact magique à toi seul destiné... Une épée plantée dans la pierre, par exemple. Très mythologique, ça.

Le jeune homme rit à son tour.
" Tu racontes vraiment n'importe quoi, Elwen, permets-moi de te le dire. " dit-il finalement. " J'espère que ton humour ne cache que de l'humour, car je m'en voudrais de te décevoir. Cela dit, tu ne pourras pas me reprocher quoi que ce soit... Je pourrai dire... C'est la fantaisie féminine, ce besoin d'embellir la réalité, je l'avais prévenue, pourtant !"
Il se tourna à nouveau vers elle.
" En fait, je comprends, tu es un peu dépitée. Il y avait deux elfes, dans le groupe, et deux guerriers aguerris. Et tu es tombée sur... le petit paladin qui n'a toujours pas de poils au menton. Une fois dans le feu de l'action, il suffira d'une flèche maladroite pour m'envoyer de vie à trépas, et tu pourras ensuite raconter à tes amies quel potentiel j'avais, sans que personne ne puisse mettre en doute ta parole !"

-As-tu déjà oublié tout ce que je t'ai dit ? murmura-t-elle sur le ton de doux reproche qu'elle avait déjà employé. D'abord, c'est moi qui t'ai choisi : entre tous, tu étais le seul à qui j'avais envie de faire passer l'épreuve. Les elfes... Il y avait le loufoque, et le renfrogné qui essayait de couper ses liens ; les guerriers... On ne peut plus bravaches. Non, décidément, il n'y a que toi a avoir retenu mon attention. Ensuite, pour ce qui est du poil au menton... Crois-tu que cela ait une importance, pour les elfes ? Tu es plus barbu que tous nos mâles réunis ! Et enfin... Je ne te laisserai pas mourir, désolé. Tu as encore maint exploits à accomplir. Et si un héros trépassé avant d'avoir pu briller de mille feux est susceptible d'être le sujet d'une bonne chanson triste sur les destins brisés alors qu'ils étaient à peine esquissés, les épopées pleines de rebondissements et de faits d'armes gardent tout de même, et de loin, la faveur du public.

" Quelle pression !" dit le paladin." Moi qui espérais pouvoir rentrer discrètement à Luménis et y finir paladin ermite, contemplatif et casanier, me voilà sommé de faire une carrière éclatante ! Si j'avais su... J'aurais prétendu être bibliothécaire, ou quelque chose du genre..."
Il ferma les yeux.
" Je ne suis pas du type belliqueux. Je suis du genre qui va chercher un chaton perché dans un arbre pour une petite vieille inquiète ou qui aide des villageois à construire une palissade autour de leur hameau pour tenir les loups à l'écart... Les fracas de la guerre..."
Il soupira.
" Je ne me déroberai pas, bien sûr, je ne dis pas ça pour ça, mais... Je ne crois pas que j'y aspire vraiment. Bien sûr, ce qui doit être fait, doit être fait, et défaire les forces obscures est une mission en laquelle je crois."

Elle le regarda avec intensité, puis hocha lentement la tête.
-En fait, tu ferais réellement un excellent roi... Tu as le cœur bon, et si tu as embrassé une carrière militaire, c'est pour être utile, pas pour cet amour de la guerre qu'on rencontre chez tant d'hommes... Je crois que ce sont des gens comme toi qui font vraiment avancer les choses, pour peu qu'on leur en laisse la latitude, pour peu qu'on leur fasse confiance...
Elle sourit.
-C'est un immense honneur de vous avoir rencontré, Votre Majesté.

Arthur secoua la tête, rougissant.
" Elwen, tu me surestimes... Je n'ai l'étoffe de rien du tout." dit-il. " Je n'ai pas de grandes idées, sur rien. Je suis juste... heureux de pouvoir donner un coup de main à mon échelle... Mais je n'ai pas envie de gravir cette échelle. Je n'aspire pas à avoir des responsabilités ou à diriger qui que ce soit. J'aime... j'aime côtoyer des gens que j'estime et me couler dans leur ombre. Ça me suffit amplement."
Il grimaça.
" J'ai l'air de me défiler, je suppose... Mais nous n'avons pas tous besoin de nous élever pour être heureux et utiles, si ?"
Il scruta l'expression de la jeune femme.
" De toute façon, on ne fait plus dans le roi, sur Hélonna."

-Bah, les choses peuvent vite changer... Et puis, en toute honnêteté, je crois que les personnes les plus aptes à gouverner, à diriger, sont justement celles qui n'aspirent ni au pouvoir, ni au commandement, mais désirent simplement aider les autres. Cela fait des dirigeants justes, que ne dévore pas l'ambition, l'envie de gloire ou de postérité... Evidemment, ce manque d'ambition les empêche souvent d'occuper la place qu'ils méritent : les intrigants leur dament le pion. Mais, parfois, le Destin veille à ce que les choses soient justes...
Elle lui toucha la main.
-En tout cas, non, il n'est pas besoin de s'élever pour être heureux. Ni pour être utile. Et je ne vois pas tes propos comme une tentative pour te défiler. Ils confirment juste tout le bien que je pense de toi.

Le compliment d'Elwen laissa à nouveau Arthur mal à l'aise. Il avait toujours du mal à comprendre ce que la jeune femme pouvait voir en lui. Ce n'était pas complètement désagréable, mais il avait à moitié l'impression qu'elle se leurrait, ou qu'elle se jouait de lui, d'autant que sa candeur demeurait déstabilisante. Personne ne lui avait jamais fait ce genre de remarques, à bien y réfléchir. Ses supérieurs à la commanderie étaient soutenants, bien sûr. Mais ce n'était pas la même chose... Elwen avait son âge, enfin pas vraiment mais en quelque sorte, c'était une jeune fille... Il frissonna, troublé. Un moment, il faillit le lui dire, simplement : tu me troubles, je ne comprends pas. Mais il se retint. C'était inapproprié.
" Mon père est l'un des dirigeants de Luménis. Je ne sais pas bien ce qui le motive exactement. Pas la gloire personnelle... Ni le pouvoir... Je crois... qu'il est simplement persuadé, intimement persuadé... de savoir ce qui est bon pour la ville et ses habitants... et d'être la meilleure personne pour faire en sorte que cela se produise..."
Prononçant ces mots, il fronça les sourcils.
" Il m'a moi, comme fils unique. N'est-ce pas ironique ?"

La Couronne de Cuivre

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