La Couronne de Cuivre

Grmpsh. Bon, il allait falloir réparer ça.

« Elle est plus dangereuse qu'elle en a l'air. Mais elle l'est plus pour les manostiens que pour nous, je crois. »

Elzen n'en dit pas plus ; si la prêtresse avait envie de tenter d'assommer Louve, qu'elle essaye par elle-même. Mais il lui semblait, pour sa part, que c'était une très mauvaise idée. En fait, il ne se sentait pas en danger immédiat : il avait déjà eu, après tout, des compagnons de routes particulièrement dangereux, et il était peu probable que celle-ci, quoi qu'elle cache, le soit davantage encore. Le tout était d'éviter de donner aux individus dangereux une raison d'attaquer ; bien souvent, avec un soupçon de chance et quelques moyens de détourner l'attention, cela suffisait.

Louve le regardait, avec son habituel sourire et ne dit rien. Le soir tomba vite sans que la petite troupe puisse rejoindre l'armée mélandienne. Où était-elle passée ? Pour l'instant, l'obscurité les empêchait de répondre à la question. Ils ne le sauraient que le lendemain. Une tente fut rapidement montée et un feu repoussa bientôt les ombres. Les trois soldats solitaires prirent place autour. La prêtresse sortit de son escarcelle de la viande séchée et du pain noir qu'elle se mit en devoir de mastiquer, sans rien proposer aux autres. Quelques minutes plus tard, elle se leva avant de déclarer.

"Bon, j'ai un petit besoin à faire. Je vous laisse un peu, les amoureux."

Elle partit d'un grand rire et s'éloigna dans le bosquet.

S'il n'y avait pas eu Louve, qui leur avait spontanément parlé de Manostiens et de Mélandiens, Elzen se serait sans doute demandé s'il n'y avait pas eu, dans la grotte, une sorte de portail naturel vers un autre plan. Ou bien, peut-être, un portail de téléportation vers une autre partie de Toril. Quoiqu'il estimait être en mesure de pouvoir reconnaître l'impression que laissait un passage dans un tel portail, en ayant déjà franchi quelques uns, cela lui aurait semblé plus compréhensible que de voir une armée entière se volatiliser si brusquement.

Néanmoins, il y avait un temps pour comprendre, et il y avait un temps pour s'occuper du reste. Ce feu était le bienvenu. Ignorant superbement la remarque de la prêtresse, il sortit de son sac la prise du chasseur.

« Bon. Eh bien, si on s'occupait de faire cuire ça ? »

Louve sans se départir de son sourire secoua la tête et s'approcha de lui. Près, un peu plus près, jusqu'à finalement se trouver contre lui.

"Et si on attendait un peu, tu ne crois pas ? On s'ennuie ici ..."

Sans attendre sa réponse, elle posa ses lèvres sur les siennes et commença à l'embrasser. En un tournemain, elle défit un à un les boutons de sa chemise et commença à s'attaquer à son pantalon. Quelques secondes plus tard, elle éclata de rire et se leva d'un bond.

"Désolée mon grand, mais je crois que tu en sais un peu trop sur moi. Je n'ai pas envie de rejoindre tes copains pour que tu me trahisses. J'ai été contente de t'avoir connu en tout cas."

Et elle s'en fut sans demander son reste.

Une bourrasque de vent glacé lui apporta l'écho d'un rire peut-être éteint depuis longtemps. Non loin du feu, des yeux dorés brillèrent l'espace d'un instant. L'orage claqua au loin apportant fugitivement l'odeur de la pluie. La soirée promettait d'être humide. Un buisson bougea à quelques pas du tieffelin. La prêtresse revint à ce moment là. Visiblement nerveuse, elle regarda autour d'elle.

"Où est-elle ?"

Les yeux dorés revinrent, se rapprochèrent du feu durant quelques instants avant de s'éloigner.

« Partie faire un tour, j'imagine… »

Le tieffelin commençait à être fatigué. Trop de personnes étrangères autour de lui ces derniers temps. Cette prêtresse commençait à lui taper sur les nerfs, et le reste des éclaireurs également. Il avait envie de retrouver les siens, d'être auprès de gens dont la présence ne lui pèserait pas. Que devenait Chance ? Il fallait espérer qu'elle n'ait pas fait de mauvaise rencontre. Sans doute aurait-il mieux fait de rester auprès d'elle.

Silencieusement, il s'occupa de la cuisson de son repas.

La prêtresse s'assit non loin de lui, le regarda préparer son repas.

"Au fait, tu as une famille, des enfants ? Ou simplement une demoiselle qui t'attend ? Parce que cela fait quelque temps que nous sommes coincés ensembles et je ne te connais pas ..."

Elle avait l'air un tantinet pensive, visiblement fatiguée elle aussi.

Génial, voilà qu'une prêtresse voulait faire connaissance, maintenant. Une prêtresse. Il devait y avoir quelque chose qui ne tournait pas rond, dans ce plan.

« J'ai… on peut dire que j'ai les deux, oui. D'une certaine façon. Et séparément. »

Bon, il n'était pas particulièrement sûr que la demoiselle en question l'attendait vraiment. Quant aux enfants, ce n'était pas les siens ; et ils auraient sans doute tellement grandi quand il les retrouverait qu'ils seraient déjà presque adultes. Et peut-être que certains des camarades de son âge en auraient eu à leur tour, des enfants. Il se demandait ce que devenaient tous les autres…

« Et vous ? »

Ça ne fonctionnait pas toujours, mais amener les autres à parler d'eux était parfois une manière efficace d'éviter leurs questions.

La prêtresse soupira.

"D'accord, tu as envie de jouer les mystérieux. A ta guise. C'était juste pour parler un peu. Je suis un peu coincée avec toi ..."

Elle s'interrompit. Le ciel déjà sombre se couvrit d'un imposant amas de nuages. Et tout d'un coup, le vent se leva. Peu à peu se fit entendre le bruit d'une furieuse cavalcade. Le bruit ne venait pas du sol. Mais du ciel.

"Je ne sais pas ce que c'est, mais je serais d'avis qu'on se planque."

La dernière fois qu'Elzen avait abordé ce genre de sujets avec un prêtre, il avait failli y rester. Certes, celle-ci était mélandienne, et sa divinité, quelle qu'elle soit, était sans doute moins hostiles aux rejetons de démons, mais mieux valait tout de même rester prudent.

Elzen n'avait aucune idée de ce qui causait ce soudain bruit, mais là encore, la prudence lui semblait préférable. Largement plus que pour le reste, en fait.

« Oui, c'est aussi mon avis… »

Et, sans demander son reste, le tieffelin entreprit d'étouffer le feu, avant de se dissimuler sous les arbres.

Eùh… quoi ?

Voir galoper des chevaux par en dessous était certainement une expérience déroutante ; même en comparaison de nombreuses autres bizarreries que le tieffelin avait rencontré dans son exil. Qu'est-ce qui clochait, au juste, dans ce monde ?

Il demanderait sans doute quelques précisions sur ce curieux phénomène plus tard à la prêtresse ; pour l'heure, sa priorité était de devenir aussi invisible que possible. Dissimulé à couvert des buissons aussitôt que le feu avait été éteint, et ne bougeant plus Elzen observait le curieux phénomène, croisant intérieurement les doigts pour que son odeur n'attire pas soudainement la meute…

Probable dernier post avant dimanche soir très tard, ou lundi.

La prêtresse devait sentir plus fort que lui car Elzen l'entendit crier quelques secondes plus tard. Puis il la vit passer en sens inverse, à l'envers tenue par la jambe par un des chasseurs. Elle ouvrait des grands yeux épouvantés. Elle aperçut Elzen par hasard et se mit à hurler.

"Qu'est-ce que tu attends. Aides-moi. Tu ne peux pas me laisser comme ça !"

La question était plutôt de savoir ce qu'Elzen pouvait faire, au juste, pour ne pas la laisser comme ça. La prêtresse était beaucoup plus puissante que lui, et la plupart des actions à sa portée ne conduiraient qu'à faire deux victimes au lieu d'une. Ce qui ne l'intéressait pas particulièrement.
Ceci étant, s'il ne faisait rien et qu'elle continuait de crier, ce ne serait guère intéressant pour lui non plus, car elle attirerait l'attention sur lui en un rien de temps…mais peut-être pouvait-il remédier aux deux problèmes d'un coup, en envoyant quelqu'un d'autre que lui répondre aux cris ?

Elzen → Convocation de Monstres I → Faucon fiélon

L'oiseau pourrait charger le chasseur, et peut-être lui faire lâcher prise ; chose que le tieffelin, faute d'ailes, avait peu de chances de réussir. La chute de la prêtresse ne serait sans doute pas agréable, mais cela lui importait peu. Sitôt le sort lancé, et tentant de rester toujours à couvert, le barde prit la précaution de s'éloigner quelque peu et de préparer son arc…

Le faucon prit son envol et piqua droit sur le chasseur maintenant la prêtresse. Le rapace fondit sur lui serres en avant et il dût lâcher la cheville qu'il tenait pour parer son attaque. La prêtresse hurla avant de toucher le sol. Il y eut un crac, bruit caractéristique d'os cassés. Les chasseurs volants repartirent à la poursuite de leur proie invisible et bientôt, disparurent.

La prêtresse gisait immobile sur le dos. Elle avait l'air de souffrir énormément. Ses yeux étaient grands ouverts. Elle se mit bientôt à crier.

"Mes jambes, je ne sens plus mes jambes."

Elle avait sans doute davantage de moyens de soigner que lui ; mais la douleur ne l'aidait sans doute pas à y recourir. Le tieffelin se dit qu'il aurait sans doute été mieux avisé de laisser les chasseurs l'emporter : au moins, il aurait ensuite été tranquille, et aurait pu visiter le coin sans avoir à rechercher cette foutue armée. Mais bon, elle lui avait sauvé la vie, une fois. Désormais, ils seraient quitte.
Sitôt qu'il fut certain que les chasseurs s'étaient éloignés, il s'approcha de la prêtresse.

Elzen → soins légers → prêtresse

C'était à peu près le mieux qu'il pouvait faire : il n'était pas capable de lancer de sort de soin puis puissant, et avait eu trop recours à la magie aujourd'hui pour répéter l'opération. Il fallait espérer que cela lui permettrait de recourir à ses sorts à elle.

« C'était quoi, ces trucs ? »

Regardant la direction dans laquelle les chasseurs s'étaient en allés, il eu la surprise de voir son faucun, toujours là. Cela faisait un bon moment qu'une créature qu'il avait invoqué n'avait pas survécu assez longtemps pour qu'il le remarque.

"Je ne les sens toujours pas, avait-elle dit, je ne vais plus pouvoir marcher. Tu vas m'aider ? Tu ne vas pas me laisser seule ? J'ai froid. Promets-moi que tu ne vas pas me laisser mourir ici."

Elle se rendit alors compte qu'elle pouvait aussi incanter, et ne s'en priva pas. Quelques secondes plus tard, elle bougeait de nouveau les jambes.

"Ce que c'était ? C'est une légende qui circule. La chasse folle qu'ils appellent. Ils sont allés chasser un jour saint et ils ont été punis. Condamnés à chasser éternellement. Mais je ne savais pas que cette histoire était vraie."

Hum. Intéressant, comme légende. Et curieux comme une simple tentative d'enlèvement par une bande de chasseurs volants suivie d'une banale chute de plusieurs mètres de hauteur semblait pouvoir faire oublier à certaines personnes leurs pouvoirs. Le choc, sans doute…

« Et il y a beaucoup d'autres légendes de ce genre, dans le coin ? »

Le danger écarté, Elzen s'efforçait de refaire du feu. Un peu de repos leur serait sans doute nécessaire à tous deux, et la chaleur des flammes serait assurément la bienvenue.

La prêtresse hocha la tête.

"Oui, il y a la légende du chevalier sans tête, celle du carosse maudit, celle des grottes oubliées et puis bien sûr, il y a les légendes sur les déserts, sur les landes pas loin. Je suis pas barde mais j'aimais bien entendre ces histoires pour me faire peur le soir. Et toi, tu connais des histoires ?"

« Quelques unes. Mais pas trop pour cette région-ci. »

C'était son métier, après tout. D'ailleurs, peut-être était-il temps de l'exercer.

« Tiens, notre camarade de tout à l'heure m'en a rappelé une… »

Et, tout en s'occupant du feu, il commença à chanter.

« ♪♫ Écoutez cette histoire, que l'on m'a racontée,
Du fond de ma mémoire, je vais vous la chanter…
♪♫ Elle tient place sous un air qui sans un astre brille,
Au cœur de l'Outreterre, juste au pied de l'aiguille…
♪♫ Quand elle vint au domaine, il était riche et beau,
Les demeures étaient pleines de vie et de marmots…
♪♫ Guettant, calme et muette, aux dernières lueurs,
Pour traquer les pauvrettes, elle mettait tout son cœur…
♪♫ Au temps des transhumances, elle chassait encore mieux,
Se remplissant la panse d'un bon berger ou deux…
♪♫ Mais un jour, de Sigil, des guerriers sont venus,
Amenant des chenils des bêtes aux dents pointues…
♪♫ Elle resta au village, ne s'enfuit pas au loin,
Ce n'était pas bien sage, elle le savait bien,
♪♫ Durant plusieurs veilles, les chiens furent lâchés,
Dans les champs, sous les treilles, ils se sont affrontés,
♪♫ Cette vie admirable, ainsi s'est achevée,
Elle tua, impitoyable, mais fut aussi blessée,
♪♫ Sur leur columbarium, elle a fermé les yeux,
Ce fléaux pour les hommes a été tué par eux…
♪♫ Cette chanson sans gloire, vous racontait la vie,
Vous racontait l'histoire d'une tueuse accomplie… »

HRP : désolé, m'sieur Aufray

La prêtresse l'écouta avec une certaine perplexité. Quand il eut fini, elle croisa les bras.

"Elle est lugubre ta chanson. Mais c'était une garou, tu crois ? Et puis, comment tu sais que c'était une tueuse, tu es devin ou quoi ? Moi, tu vois, comme ça, j'ai l'impression que tu caches quelque chose sous ta capuche mais je ne l'ai pas deviné pour autant ... Enfin ... Tu es bizarre, toi. Moi, je n'avais rien vu."

« J'ai dit qu'elle m'avait fait penser à la chanson, pas qu'elle ressemblait forcément à son héroïne. Mais oui, ça me semble l'hypothèse la plus raisonnable : une fille sans défense tombe sur un groupe de manostiens belliqueux, et un ours-garou – précisément garou – surgirait de nulle part, les tuerait tous, et repartirait sans avoir touché un seul de ses cheveux ? Pour moi, ça ne s'explique que si l'ours-garou, c'était elle. »

À la chaleur et la lumière des flammes, le tieffelin entreprit de réparer les quelques dégâts qu'avaient subi ses habits. Il était fatigué, mais ils ne s'attarderaient sans doute pas au matin ; aussi mieux valait prolonger quelque peu veillée.

« À mon avis, les Manostiens ont dû s'en prendre à elle. Je ne pense pas que des paladins apprécient beaucoup ce genre de créatures. Elle s'est défendue, puis a tenté de rallier le camp d'en face. C'est pourquoi je pense qu'elle n'est pas dangereuse pour nous : nous ne lui avons rien fait, et pouvons l'aider à obtenir vengeance. Enfin, si elle revient parmi nous. »

Chassé à plusieurs reprises par des prêtres ou des paladins, après que sa nature exacte ait été découverte, il était bien placé pour connaître ce genre de sentiments. La vengeance ne l'avait, sur le coup, pas particulièrement intéressé ; mais il savait que plusieurs membres de son clans étaient ainsi devenus des tueurs. Le « fléau des hommes » de la chanson aurait très bien pu décrire l'une de ses anciennes camarades.
Camarades. Oui, on était souvent bien plus fort en meute. Peut-être était-ce ce qui, inexplicablement, lui plaisait dans la fréquentation de l'armée mélandienne : un groupe temporaire, en attendant d'avoir retrouvé les siens.

"Je ne sais pas, dit la prêtresse en se grattant la tête, je ne l'aime pas, elle ne m'inspire pas confiance du tout. Je suis contente qu'elle soit partie. Mais elle est peut-être tapie quelque part à nous regarder, attendant le moment propice pour nous sauter dessus. On ne lui a rien fait, mais peut-être qu'elle veut nous faire quelque chose à nous. Les garoux, ça a vite faim, non ? Tu ne penses pas qu'on devrait partir à sa recherche ?"

« Je pense qu'elle trouvera sûrement plus intéressant à se mettre sous la dent. Enfin, en ce qui me concerne, je n'ai jamais eu la prétention de faire un repas convenable. »

Il y aurait en effet sans doute eu plus à manger sur n'importe quel guerrier mélandien ou manostien que sur quelqu'un d'aussi peu épais qu'Elzen. Bien sûr, il ne savait pas quel était le ressenti personnel de la prêtresse à propos de son poids ; mieux valait peut-être ne pas laisser le sujet en suspend et passer tout de suite à autre chose.

« En tout cas, on a peu de chances de la retrouver si elle ne le veut pas, surtout de nuit. À mon avis, le plus sage que l'on a à faire pour l'instant, c'est de dormir, et de retrouver le reste de l'armée le plus vite possible demain. Ensuite, on avisera. Et d'ailleurs, je tombe de sommeil. »

Le barde bailla et s'étira. Marcher toute la journée n'était pas l'activité la plus fatigante qui soit en elle-même, mais il y avait plus intéressant, et l'ennui augmentait également la fatigue.

"Moi aussi je tombe de sommeil, se plaignit la prêtresse, et j'aimerais bien que tu prennes le premier tour de garde. Parce qu'avec tout ce qui traîne, on ne va pas dormir comme ça. Si ça ne te dérange pas, je vais aller dormir dans la tente."

Elle commença à joindre le geste à la parole. A travers la mince toile de tente, Elzen vit qu'elle commençait à se déshabiller et ne s'en cachait pas. Le tieffelin devrait donc attendre pour dormir.