La Couronne de Cuivre

" Je n'ai jamais pensé à ça, tiens ! Saboteur en Terre Melandienne ! s'exclama Kerun avec le sourire. C'est vrai que... Non, attends. Je ne peux plus être promu. Pour monter plus haut, je devrais détrôner Nora Felden, et honnêtement... être le chef, c'est se farcir la paperasse, et la paperasse, c'est pas mon truc."
Le pont trembla tout entier et Taliesin eut la certitude qu'il venait d'apercevoir une nouvelle lézarde dans le sol un peu plus loin devant eux. Sous l'arche, un juron sonore retentit et ils devinèrent qu'un bateau avait heurté une des piles.
" Honnêtement, Belenn mon ami, je crois qu'ils n'ont nul besoin de mon aide pour faire écrouler ce pont... Promets-moi que nous rentrerons par une autre route..."
Ils arrivaient cependant au terme de leur traversée et enfin dans la petite ville de Rivenalis.

HRP : Bon, je sais, techniquement on n'est plus sur la rivière, mais si je crée encore un nouveau sujet, je vais avoir des ennuis...

Quittant les rues boueuses de Rivenalis, Taliesin, Kerun et leur nouvelle compagne de voyage cheminèrent sous le soleil déclinant. Ils mangèrent en selle puis reprirent une allure plus soutenue, histoire de mettre un maximum de distance entre eux et le bourg. Le Luménien paraissait persuadé que Dame Béryl éventerait leurs secrets rapidement et s'il ne savait pas à qui elle les vendrait, il n'avait pas envie de le savoir. Il était aussi sensible à l'humeur de Taliesin et il évita de parler, se contentant de se glisser dans son sillage. La petite elfe ne desserra pas les lèvres, de son côté.

Lorsque la nuit commença à tomber, le barde s'arracha à ses moroses pensées et se mit à scruter les environs en quête d'un endroit où établir leur bivouac. Dans l'idéal, il faudrait un lieu assez écarté de la route et assez discret pour que d'éventuels poursuivants n'aient pas l'idée de le fouiller sitôt qu'ils l'auraient aperçu. La recherche promettait donc d'être assez longue mais... ils avaient tout leur temps. En effet, leurs chevaux ayant pu se reposer, ils seraient en mesure de les transporter sur encore plusieurs lieues avant qu'une halte ne devienne véritablement nécessaire.

Le bois était encore assez touffu pour offrir un couvert acceptable, mais ce serait sans doute la dernière nuit avant qu'ils ne débouchent en plaine. Taliesin finit par trouver un site approprié dans un repli de terrain, où un rocher gigantesque offrait un semblant d'abri. Ils pourraient allumer un feu sans craindre d'être aperçus depuis la route et s'il pleuvait, ce qui ne semblait pas impossible compte tenu de la couleur du ciel, ils seraient protégés. Un ruisseau coulait non loin, cheminant vaillamment vers la Houleuse. L'eau était sale mais en la faisait bouillir, ils obtiendraient probablement quelque chose de buvable.
Kerun démonta puis, comme la jeune fille ne bougeait pas, il la souleva pour la poser à terre. Elle demeura immobile tandis qu'il dessellait les chevaux et les menait vers un tapis d'herbe.

Convaincu qu'Esther veillait sur l'adolescente et doutant fort que celle-ci ait des velléités de fuite, Taliesin ne lui prêta guère d'attention, s'activant plutôt à rassembler du bois pour le feu. Il n'avait rien contre elle, loin s'en fallait ; il n'avait pas non plus l'intention de se montrer désagréable. Simplement, il entendait garder ses distances. Peut-être souffrait-elle déjà de la Feuille Pourrie. Peut-être serait-elle trop faible pour survivre à la traversée du désert. Bref : pour un grand nombre de raisons, les chances que la gamine s'en tire en voyageant à leurs côtés étaient plus que minces et cela suffisait pour que le barde refuse de s'attacher à elle. Il avait déjà perdu trop de compagnons, enduré trop de deuils, sans compter qu'il devrait surveiller Kerun et éprouverait une horrible culpabilité s'il lui arrivait quelque malheur. Par conséquent, nul besoin d'ouvrir une nouvelle faille dans sa cuirasse déjà bien mal en point. Il serait donc gentil avec la jeune elfe, gentil mais... distant. D'ailleurs, c'était au Luménien d'endosser la responsabilité de ce sauvetage. Pas à lui..

La jeune elfe semblait incapable de prendre la moindre initiative et Kerun dut s'y reprendre à deux fois avant qu'elle ne s'asseye près du feu. Elle ne montra aucun désir de s'atteler à la cuisine, demeurant statique, le regard perdu dans les flammes et le Luménien étouffa un soupir avant d'installer leurs couches. Taliesin, comme de coutume, était préposé à l'intendance. Comme ils ne s'étaient pas ravitaillés à Rivenalis, ils durent improviser avec les moyens du bord, mais il leur restait encore des victuailles prises aux esclavagistes et ils se contentèrent d'un repas frugal, tandis que le ciel s'obscurcissait. Leur nouvelle compagne ne mangea absolument rien, tout juste accepta-t-elle un peu d'eau, avant de retourner à son immobilité presque surnaturelle.
L'agent se garda bien d'échanger avec Taliesin sur le sujet. Une fois sustenté, il conduisit l'adolescente à l'endroit qu'il lui avait préparé puis se coucha peu après, non sans avoir envoyé Esther se percher au sommet du rocher protecteur, d'où elle avait une vue parfaite sur la nuit.

Le barde ne fut pas long, lui non plus, à s'enrouler dans ses couvertures. Mais le sommeil sembla d'abord vouloir le fuir, comme le soir précédent : ses pensées se bousculaient par trop violemment sous son crâne, tournant autour de l'acte irréfléchi - quoique charitable - de Kerun, des conséquences que cela aurait pour la suite de leur voyage, autour dudit voyage, aussi, qui serait rien moins qu'agréable... Toutefois, l'elfe n'eut pas à endurer deux nuits blanches consécutives. Au bout d'un long moment, il finit par sombrer, gagnant des contrées de cauchemar où se succédaient les scènes horribles, lesquelles se déroulaient sous ses yeux sans qu'il puisse rien faire pour les empêcher.

Il ne fut cependant arraché à ses songes chaotiques par un cri. Au début, il l'intégra aux images torturées qui le hantaient, puis il émergea, à mi-chemin entre veille et sommeil, et identifia les causes de son réveil. Kerun était en train de repousser la jeune elfe qui s'était glissée dans sa couche, complètement nue.
" Non ! Mais qu'est-ce que vous faites, bon sang !" s'exclama-t-il en se levant, manifestement pris au dépourvu par cet assaut subit.
La jeune elfe paraissait tout aussi surprise par la réaction du Luménien. Ce dernier attrapa une couverture qu'il lui lança sans oser s'approcher.
" Je vous en prie, recouchez-vous..." souffla-t-il ensuite moins fort, jetant un oeil embarrassé vers Taliesin.

Ne sachant s'il était amusé, choqué, déprimé ou simplement furieux qu'on l'ait arraché à son sommeil si péniblement conquis, l'elfe se redressa sur un coude.
-Elle croit que tu l'as achetée pour ça. Et tout le monde pensera la même chose quand ils vous verront, sois prévenu. Mais le plus important, c'est que tu aies une petite discussion avec elle. Et que tu sois patient, parce qu'elle va avoir du mal à te croire.
Et de se rallonger, se demandant s'il allait replonger dans ses cauchemars ou être condamné à une nouvelle nuit blanche.

" Je voudrais bien, mais j'ai l'impression qu'elle ne comprend rien !" répondit le Luménien, contrarié.
Il ne dérangea cependant pas davantage le barde et celui-ci put reprendre le cours de sa nuit. Le sommeil l'emporta immédiatement, car les cauchemars n'en avaient pas terminé avec lui.
Il passa les heures suivantes, des jours même, peut-être des années, à traverser des charniers et des ruines fumantes, à sentir des mains l'agripper pour mieux glisser et sombrer dans l'oubli, à entendre des pleurs, des cris, des suppliques, à tomber à genoux, à s'écorcher la peau et l'âme... Tout était fumée, sang et mort, la nuit entière était chargée de désespoir, et il pouvait le sentir au plus profond de ses tripes. A certains moments, il réalisait qu'il ne s'agissait que d'un rêve, mais à d'autres, il l'oubliait. La souffrance et la terreur semblaient éternelles. Il n'y avait aucune solution, aucune issue, seulement la résignation.
Puis le voile se déchira et il fut réveillé par l'odeur du petit déjeuner, presque obscène au regard de ce qu'il avait traversé.
Mais qui s'effilocha si vite qu'il n'en conserva rien sinon une vague impression de malaise.
Kerun attisait le feu, la petite elfe était assise un peu plus loin, la peau tellement blanche qu'elle en avait l'air bleue. A voir sa mine, le Luménien n'avait pas dû beaucoup dormir et son expression était tellement neutre qu'elle en parut forcée.

Décidément, l'initiative de Kerun se révélait peut-être encore plus rapidement catastrophe qu'il ne l'avait imaginé. Quoi qu'il s'en soit, Taliesin s'abstint de tout commentaire, se contentant de remercier l'agent secret pour les préparatifs et d'avaler sa portion de petit-déjeuner. Si l'adolescente refusait toujours de manger, il serait sans doute obligé d'intervenir. Mais il espérait qu'il n'aurait pas à le faire, qu'il n'aurait pas à s'impliquer, à s'investir...

Mais la gamine ne fit pas mine de s'approcher et quand Kerun lui glissa un bol entre les doigts, elle se contenta de le regarder d'un air vaguement dégoûté. L'agent luménien ne dit rien, ne la força à rien, ne lui expliqua rien. Son visage était impassible, peut-être résigné. Il alla ensuite vers les chevaux qu'il commença à harnacher en silence.

Et voilà, on y était ! Soit il n'intervenait pas et la gamine mourrait d'inanition, soit il intervenait et, ce faisant, risquait de voir voler en éclats toutes ses bonnes résolutions. Entre deux maux, choisissez le moindre ! Et il savait lequel c'était.
Jetant un regard assassin au Luménien, Taliesin se leva et s'approcha de l'adolescente. Il s'arrêta cependant à un bon mètre d'elle et s'agenouilla, afin de ne pas la dominer. Puis il lui adressa un sourire qu'il espérait rassurant.
-Me comprenez-vous, mademoiselle ? demanda-t-il d'un ton très doux.
Il lui poserait la même question dans toutes les langues qu'il maîtrisait, dans tous les dialectes dont il connaissait au moins quelques bribes. En commençant par ceux employés par les elfes, évidemment. Et il ne s'arrêterait que quand il aurait obtenu une réponse. Ou, au moins, un signe. Car si elle refusait de lui parler, et à moins d'être une comédienne hors paire, elle ne pourrait manquer de réagir lorsqu'il emploierait le bon idiome...

La jeune fille réagit presque aussitôt à l'elfique, mais son expression resta interdite, comme si elle reconnaissait les inflexions de la langue sans en comprendre le sens. En l'observant de plus près, Taliesin put déterminer qu'elle était probablement une elfe des étoiles, une race très rare et qu'il n'avait jamais rencontrée encore aussi loin de Féérune. Mais ce peuple n'avait pas d'idiome particulier, tout juste parlait-il parfois l'Aglarondan, ce qu'il tenta également, sans plus de succès. Elle demeura immobile, le bol sur les genoux, à le regarder de ses grands yeux bleu pâle.

Devant l'échec flagrant des paroles, Taliesin fut tenté de recourir aux gestes. Mais pourquoi aurait-il plus de succès que Kerun qui, à n'en pas douter, avait dû longuement essayer cette méthode ? Bien sûr, puisque l'adolescente réagissait aux sons, puisque les elfes des étoiles, pour autant qu'il sache, étaient particulièrement sensibles à la beauté, il existait une autre solution : la musique. Toutefois, n'était-ce pas prendre un énorme risque que de dévoiler qu'il était barde ? Si, indéniablement. Pourtant, que faire d'autre ? Renoncer et laisser mourir la gamine ? L'agent secret en serait profondément, terriblement ébranlé. Et lui aussi, aussi distant qu'il veuille se montrer. De surcroît, une fois à Melandis, elle serait cantonnée aux locaux de la Réunion et ne pourrait donc les trahir. D'ici là, il leur suffirait de la surveiller étroitement, même s'il la voyait mal les dénoncer...
Après quelques instants de réflexion, Taliesin soupira et incanta rapidement.

[color=#FFFFF66]Taliesin --> Convocation d'instrument[/color]

La harpe entre les mains, il pinça quelques cordes, pensif, puis se lança. Il interpréta un vieux chant elfique à la mélodie douce et aux accents emprunts d'un optimisme délicat. Pas un chant de fête, non ; juste une paisible ballade parlant des jours meilleurs qui succéderaient aux épreuves. L'adolescente ne comprendrait pas les mots, naturellement. Mais peut-être serait-elle touchée par l'air qu'émettait l'instrument, par le timbre de sa voix, par les émotions positives qu'il tentait de distiller.

Quand il en eut fini, la forêt sembla soudain bien silencieuse, comme si tout être vivant, comme si la brise, même, s'était arrêté pour l'écouter. La petite elfe avait les yeux humides et elle inclina la tête, puis une ombre de sourire se dessina sur ses lèvres, et elle se mit à manger. Derrière lui, Taliesin entendit Kerun relâcher sa respiration. Les gestes de la gamine étaient lents, mal assurés, ses mains semblaient fragiles, comme si elles étaient faites de porcelaine, impression renforcée par son teint presque nacré. Elle ne releva pas les yeux.
" Merci..." dit le Luménien à mi-voix.

Taliesin lui sourit spontanément. En effet, il n'était pas mécontent de cette première victoire, laquelle, de surcroît, n'était pas sans le toucher quelque peu. Et c'est d'ailleurs afin de lutter contre cette dangereuse émotion, afin de rendre l'atmosphère moins poignante qu'il se permit de taquiner l'agent secret.
-Tu sais quoi ? souffla-t-il. A la première occasion, j'achète un autre esclave. Un petit gosse déluré incapable de tenir en place. Tu sais, le genre qu'il faut aller chercher en haut des arbres, au fond des grottes, au milieu des rivières... Le genre qui joue benoîtement au ballon avec un nid de guêpes et qui se rue joyeusement à la rencontre d'un chariot lancé à pleine vitesse. Et ce sera à toi de veiller sur lui.

Kerun eut un sourire penaud.
" J'imagine que je l'aurais bien mérité." fit-il avec une grimace.
Puis, toujours embarrassé, il poussa un bref soupir.
" Tu ne connaîtrais pas une chanson qui la convaincrait de se laver, par hasard ? Elle dégage une odeur vraiment terrible et je l'ai juste sous le nez toute la journée..."

Le barde le dévisagea un instant, incrédule.
-Je crois fondamental de ne pas brûler les étapes, parce que nous avons seulement remporté une petite bataille, non la guerre, loin s'en faut. finit-il par répondre. Cette gamine est traumatisée et elle a dû oublier qu'il existe des êtres bienveillants, en ce bas-monde. Si elle l'a jamais su... Nous devons donc agir avec patience, prudence et, surtout, ne pas trop lui en demander. Il faut l'apprivoiser, gagner ça confiance... Ça va prendre du temps.
Il sourit.
-Bref, il faut que tu t'habitues à son odeur. Envisage ça comme une initiation, comme un avant-goût très atténué de l'atmosphère des bas-fonds mélandiens !

Kerun acquiesça.
" C'est de bonne guerre." commenta-t-il, avant de jeter un dernier regard sur la jeune fille, et de retourner à ses préparatifs.
Quelques minutes plus tard, ils étaient prêts à reprendre leur route. Kerun hissa la petite elfe sur son cheval, comme la veille, monta derrière elle, et ils regagnèrent la piste. La matinée se déroula sans incidents notables. Le paysage s'aérait peu à peu, les arbres se raréfiaient, et leur bivouac de la nuit serait probablement un peu plus complexe à organiser que d'ordinaire. Ils croisèrent d'autres voyageurs : un cavalier seul, filant ventre à terre, qui les força à se ranger sur le bord de la route un moment, une caravane de plus de cinquante mules, encadrées par vingt gardes à la mine revêche qu'on aurait dit sortis du même moule, un groupe de bateleurs, des bûcherons, un vieux fou à moitié nu invectivant le ciel... Puis, à la mi-journée, ils entrèrent au petit trot dans un bourg d'une trentaine de bâtisses.

Taliesin se tourna vers Kerun.
-Que fait-on ? s'enquit-il.[color=#FFFFF66] On ne s'arrête pas pour continuer à mettre le plus de distance possible entre nous et Rivenalis ? Ou bien fait-on une halte pour se procurer du ravitaillement ?[/color]
Spontanément, il penchait pour la première option. Sans doute parce qu'il craignait que, témoin d'une nouvelle scène révoltante, l'agent secret ne puisse s'empêcher d'intervenir. Mais c'était une peur quelque peu irrationnelle : les difficultés rencontrées avec l'adolescente avaient dû le faire réfléchir, et des scènes révoltantes, il y en aurait partout où ils iraient.

" A ta guise... Je peux chasser ce soir, ça me changera les idées, dit le Luménien avec un haussement d'épaules. J'espère que nous trouverons un couvert acceptable, cela dit... Et peut-être un ruisseau, qui sait..."
Il prit une profonde inspiration et parut sur le point de se sentir mal, puis leva les yeux au ciel et reprit le petit galop. Le hameau disparut comme il était apparu et ils continuèrent leur route. Quand le soleil commença à décliner, ils marchaient à un pas lent depuis un certain temps : le terrain s'était fait accidenté et les chevaux s'étaient fatigués plus rapidement que de coutume. Ils commençaient sans doute aussi à ressentir la longueur de leur périple : habitués à cheminer aux côtés de lourds chariots, ils n'étaient pas accoutumés au train plus rapide que Kerun et Taliesin leur imposaient. Autour d'eux, les arbres étaient épars, les plaines immenses, quelques amas rocheux semblaient pouvoir leur offrir un abri, mais il leur faudrait quitter la route et s'en écarter quelque peu. Il y avait aussi quelques fermes isolées, ça et là, entourées de champs encore boueux.

L'elfe suggéra l'un des amas rocheux. Certes, ils constituaient les abris les plus évidents, mais comme ils ne manquaient pas dans les parages, il faudrait un énorme coup de déveine pour que d'éventuels poursuivants tombent d'emblée sur le bon. De surcroît, demander l'hospitalité dans une ferme serait terriblement risqué, sans compter le peu de chances de réussite d'une telle démarche. Bref, à moins que l'agent secret n'y voie un inconvénient, ils se cacheraient, comme la veille, derrière un rempart de pierre.

Ils en trouvèrent un à leur goût assez rapidement, ensemble de quatre grandes pierres qui formaient un arc de cercle presque clos. Une fois les chevaux entravés, Kerun prit son arbalète.
" Je vais nous trouver quelque chose... Désolé de... te laisser avec elle... Je fais vite."
Puis il jeta un regard sur la jeune femme qu'il avait posée, d'autorité à nouveau, sur une ancienne souche d'arbre et s'esquiva dans les hautes herbes.

-Il n'y a vraiment aucun souci puisque, d'ici peu, je pourrai te rendre la pareille ! avait-il lancé, d'un ton espiègle, avant que son compagnon de route ne s'éloigne.
Une fois les chevaux pansés, ce qui ne lui prit guère de temps, Taliesin dut songer à une tache plus fastidieuse : rassembler du combustible pour le feu. Or, comme leur refuge n'en contenait guère, il allait devoir en sortir.
-Je reviens tout de suite, annonça-t-il, rassurant, à l'adolescente. Je vais juste chercher du bois.
Accompagnant ses paroles d'un sourire, lequel aurait peut-être une chance d'être compris, il s'apprêta à quitter la formation rocheuse, l'observant toutefois afin de s'assurer qu'elle ne contenait aucun danger pour la jeune elfe. Il n'irait pas bien loin, de toute façon, se contentant de ramassant les branches mortes arrachées aux arbres et jonchant le sol dans les environs immédiats. De surcroît, il garderait en permanence l'oreille tendue et l'œil rivé sur la brèche dans l'arc de cercle, seule entrée - et sortie - de leur refuge. Et, bien évidemment, il conserverait ses armes avec lui.

Il y avait peu de bois car peu d'arbres, Taliesin dut donc s'aventurer relativement loin avant de trouver un trio de vieux chênes qui distribuaient généreusement leurs branches. Esther était restée en arrière, perchée sur les rochers, et de temps en temps, il se retournait pour vérifier qu'elle n'avait pas bougé, tache brune de plus en plus petite sur le gris de la pierre. Quand il revint, chargé de son fardeau, la jeune elfe n'avait pas bougé d'un pouce, le regard fixe et la bouche pincée. Kerun n'était pas encore revenu mais la fouine semblait tranquille, signe qu'il n'y avait rien d'inquiétant dans cette absence. Il était clair que leur feu serait maigre, ce soir-là, mais le ciel semblait décidé à leur laisser un court répit.

-Heureusement qu'on a des couvertures, parce qu'il ne faudra guère compter sur les flammes pour nous réchauffer, dit-il à l'adolescente en laissant choir son modeste fagot.
Bien sûr, elle ne saisirait pas le sens des mots. Mais Taliesin partait du principe que lui parler normalement et surtout gentiment ne pouvait qu'être positif : après tout, elle ne devait être habituée qu'aux beuglements péremptoires des cruels esclavagistes. Si tant est qu'ils aient daigné lui adresser la parole.
Il s'afféra ensuite à préparer le feu, délimitant le foyer, rassemblant des brindilles, séparant les grosses branches des plus petites. Lorsque ce fut chose faite, il s'installa non loin de la jeune elfe, le dos contre les rochers. Tirer quelques bouffées de tabac n'aurait pas été de refus, évidemment... Dommage.
-Et bien, plus qu'à attendre le ravitaillement, annonça-t-il, tranquille.

Kerun revint peu après, avec deux faisans dodus. Il entreprit presque aussitôt de les plumer et de les vider, ce qui arracha une grimace, explicite, à la petite elfe. Elle se détourna avec une vigueur qui laissa le Luménien stupéfait. Il céda cependant aussitôt et emmena le fruit de sa chasse hors du cercle de pierres, où Esther le rejoignit, probablement intéressée par les abats. Dès qu'il fut parti, la gamine reprit sa position initiale, figée et indifférente, les yeux perdus dans le vide.

-Faut pas lui en vouloir, dit Taliesin à l'adolescente. C'est quelqu'un de très gentil mais, parfois, il manque cruellement de prévenance... Enfin, n'ayez crainte : je veillerai à ce qu'il ne prépare plus le repas sous vos yeux.
En matière de préparatifs, lui-même attendrait encore quelques minutes avant d'allumer le feu.

Kerun reparut peu après, ses deux faisans nus empalés sur des branches. Il les cala dans le feu, jetant des regards inquiets vers la jeune fille. Mais elle ne manifesta plus le moindre signe de dégoût, ni de vie, d'ailleurs. Mais quand il lui présenta de la nourriture, elle refusa de manger, comme la veille. Il n'insista pas et s'écarta rapidement. Il avait l'air fatigué et le silence s'installa autour de leur feu fragile, dont les flammes déclinèrent rapidement.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Les méandres de la Houleuse