La Couronne de Cuivre

Le temps de l'incantation, une deuxième pierre descendait au-dessus de la tête de l'homme.

Mais quelle pierre ! une pierre chargée de la haine d'une minuscule chauve-souris, qui avait parfaitement compris au ton et aux gestes du geôlier que l'admirable et délicat Silmandel avait été insulté. Le caillou tranchant n'avait pas été laissé tomber, mais envoyé avec toute la petite force d'une pipistrelle rageuse.

Eldurvellir était sorti précautionneusement de sa cachette. Après avoir fourragé dans ses poches, il avait remis la main sur une dague de jet oubliée. Il s'agissait juste de ne pas la gâcher... Il attendit de voir le résultat du sort lancé par Silmandel. Et il faudrait surveiller les imprudences d'Asmodeus... Si le geôlier se retournait sur lui, agir vite serait leur seul espoir.

Que non ! pensa brusquement le mage. Clémentine a fait preuve de son efficacité à maintes reprises, elle saura protéger Asmodeus. Il vaut mieux que je protège Tiamandis.

[Quête : De flamme et d'os]

La nouvelle déclaration d'Asmodeus maintint les captifs dans un immobilisme parfois hésitant, tandis qu'elle arracha au colosse un sourire mauvais. Sourire qui s'élargit face à la tirade bravache de Silmandel, avant de se transformer en grimace lorsque son sortilège le percuta et le fit légèrement - très légèrement - vaciller. Quant au projectile lancé par Tiamandis, s'il ne lui causa guère de douleur, il parut achever de le plonger dans une folle fureur. Déjà, le geôlier faisait un pas en direction de l'ensorceleur, son fouet brandi... puis s'immobilisait brusquement. Clémentine était apparue derrière lui et l'avait gratifié d'un violent coup d'épée dans le dos. A nouveau, il vacilla, mais ne s'écroula point. Au contraire, il pivota avec une vivacité déconcertante, arrachant l'arme des mains de la jeune fille et la gratifiant d'un formidable coup de poing qui l'envoya baller au sol.
-Je te reconnais ! rugit-il. T'es la p'tite pute qui nous a faussé compagnie en abandonnant son frangin derrière elle... Mais t'inquiète pas, poupée, on l'a bichonné. Oh oui, sacrément bichonné, même ! Et tu reviens pile au bon moment pour assister à la grande fête qu'on lui a préparée...
Il se fendit d'un rire débordant de malveillance et leva son fouet pour l'abattre sur la malheureuse qui peinait à se relever.

Asmodeus se devait d’agir, immédiatement, ou tout serait perdu. Si Clémentine tombait, plus personne ne pourrait contenir ce colosse, pas même sa piètre armée d’esclave moins qu’à moitié sous son contrôle. Il utilisa donc l’un de ses derniers sortilèges, sacrifiant la possibilité d’une protection pour fuir le désastre :

Asmodeus ->Injonction « Lâche »->Gêolier

Cela ne leur permettrait pas de remporter la victoire mais peut-être Clémentine aurait-elle ainsi le temps de se relever et de distraire encore un peu le colosse pendant que Silmandel continuait de la bombarder de ses sorts.

Quête : de flamme et d’os

Mais en quoi était fait ce monstre pour afficher une telle robustesse ? A vrai dire, Silmandel n’eut guère le temps de se le demander. Clémentine était en fâcheuse posture. L’intervention d’Asmodeus allait peut-être offrir une poignée de secondes de répits mais il n’était plus temps d’économiser les maigres ressources magiques qui restaient.

« Ho, il me tourne le dos ! Quelle impolitesse, je ne peux le tolérer ! Aux grands mots les grands remèdes ! »

Silmandel --> Rayon ardent --> Brute au fouet

Cette fois, l’elfe sortait l’artillerie lourde ou, tout du moins, son artillerie lourde. Désormais, il avait épuisé ses sorts les plus puissants et il était prêt à enchaîner sans attendre sur une autre attaque magique. Il ne laisserait plus à la brute le temps de s’en prendre à la jeune femme. Ha, ça, non !

Eldurvellir s'était figé, un courant de haine intense autant que minuscule traversant son esprit. Diantre ! Tiamandis était quasi-amoureuse de Silmandel, pensa t-il. La pipistrelle avait eu la même réaction que si lui-même avait été insulté.

Mais son étonnement fut bref, l'enchaînement des attaques et l'apparente invincibilité du gardien requirent tout son attention.

Il fallait qu'il attende le moment propice pour viser et envoyer sa dernière lame. Il espéra que Clémentine reste assez valide, malgré le formidable coup de poing reçu, pour boire une potion.

[Quête : De flamme et d'os]

Lorsqu'Asmodeus lança son sortilège, la prise du geôlier sur son arme se desserra sensiblement. Mais il avait un esprit fort et sans doute ne l'aurait-il pas lâchée si, au même moment, le rayon enflammé de Silmandel ne l'avait frappé de plein fouet. Grâce à cette heureuse combinaison, le fouet tomba au sol et le colosse, grièvement touché cette fois, tituba dangereusement. C'est alors que Clémentine, rassemblant ses forces, se jeta dans ses jambes, achevant de le déséquilibrer. Puis, après avoir récupéré son épée, elle porta à leur ennemi trois coups furieux. Pas très propre, pas très élégant, mais fort efficace : il semblait mort, pour le coup. Quant aux prisonniers, ils observaient le spectacle, incrédules, les yeux écarquillés.

Quête : de flamme et d’os

Silmandel était déjà en train d’esquisser les premiers gestes de sa future incantation quand il constata qu’il n’était plus nécessaire d’agir. Clémentine avait terminé le travail. Alors, il baissa la main et s’avança :

« Un sacré morceau, celui-là. Ça va ? »

Il se baissa pour récupérer les clés.

« Votre frère est en vie. Il ne reste plus qu’à le trouver. »

L’ensorceleur était proche d’atteindre son but. Sauver Alexandre...

Asmodeus était un peu plus méfiant, refusant de croire sans vérifier que le colosse était bel et bien mort cette fois. Il s’approcha de sa carcasse et s’arrêta à quelques pas de lui. Il ne voulait pas gâcher leurs maigres ressources aussi se tourna-t-il vers les esclaves fraîchement libérés :

- Vous êtes libres mais Asmodeus vous demande de brûler cette carcasse.

Une fois le colosse incinéré, il aurait peu de chance de se relever d’entre les morts et leur causer encore du tracas pendant qu’ils allaient libérer le frère de Clémentine et les derniers captifs.

Eldurvellir eut beaucoup de mal à ne pas hurler sa joie face à la prouesse de Clémentine.

Son intérêt fut éveillé par les paroles d'Asmodeus ; il serait certes intéressant de voir quelle allait être la réaction des esclaves : allaient-ils lui obéir, ou s'apitoyer de la mort de l'homme qui les contraignait à ces rudes travaux ? Allaient-ils chercher à le venger ? Parfois la sujétion menait à d'étranges actes, la manipulation mentale pouvant profondément altérer le bon sens des gens qui en étaient victimes.

Un frémissement rageur lui fit lever la tête : Tiamandis, crachante de haine et d'excitation, avait fait tomber toute sa théorie de petits cailloux et attaquait maintenant le corps inanimé de l'homme de ses petites dents pointues.

[Quête : De flamme et d'os]

La plupart des captifs jetaient des regards appuyés au cadavre - car c'en était bien un -, des regards où se mêlaient soulagement, joie, effroi, incrédulité... Trois ou quatre d'entre eux commencèrent à faire quelques pas hésitants dans sa direction : même trépassé, le geôlier continuait à les terrifier. Nul doute, cependant, qu'ils finiraient par exécuter la demande d'Asmodeus. Qu'adviendrait-il ensuite ? S'enfuiraient-ils tous en courant ? Attendraient-ils d'autres consignes ? Souhaiteraient-ils, simplement, rester à proximité de leur libérateurs ? Impossible à dire.
-Ça va, répondit pour sa part Clémentine, d'une voix mal assurée. Pas très fringante mais opérationnelle, je crois...
Elle essuya rapidement - et un peu maladroitement - sa lame avant de la remettre au fourreau.
-Mon frère doit être dans les geôles, reprit-elle. Allons-y sans tarder. Si les goules ont déjà été massacrées, il ne faudra pas longtemps avant que des cultistes reviennent par ici...

Asmodeus avisa les esclaves et, après un instant de réflexion, il s’adressa à nouveau à eux :

- Asmodeus vous conseille de ne pas quitter immédiatement cet endroit. Vous serez plus en sécurité si vous repartez en même temps que lui. Asmodeus doit libérer vos compagnons avant cela alors restez là quelques minutes encore et venez l’avertir si quelque-chose se passe.

Sans laisser l’un d’eux contester sa parole, l’élu divin fit signe à Clémentine qu’il était prêt. Il y aurait bien quelques anciens esclaves pour lui obéir et ils pourraient faire office de diversion si cela s’avérait nécessaire. De son point de vue, il leur avait laissé une chance de retrouver leur liberté, à eux de leur renvoyer le même service. Et s’ils devaient mourir dans l’opération, ce serait une perte acceptable et au moins auraient-ils prouvés leur utilité.

Quête : de flamme et d’os

« Ce serait bête de partir en laissant cette statue intacte. Asmodeus, demandez-leurs de la détruire. Le culte en sera ravi et moi aussi ! » fit joyeusement Silmandel.

Quelle idée d’adorer des démons ? N’y avait-il pas assez de dieux obscurs comme ça sans aller chercher aux enfers ? On pouvait se le demander mais déjà l’elfe se dirigeait, clés en main, vers la porte désignée plus tôt et entreprit de la déverrouiller. Le plus dur semblait être derrière eux. A présent, c’était l’instant de vérité. Il avait l’intention de laisser passer Clémentine. C’était son frère après tout. Et qui, mieux que elle, pouvait s’adresser aux prisonniers ? Bien sûr, si elle n’était pas en état de le faire, l’ensorceleur s’en chargerait.

Eldurvellir regarda la statue, songeur.

- Messire Silmandel, pas tout de suite... Le feu nécessite apparemment d'être entretenu... J'aimerais savoir ce qu'il advient de la statue une fois que le feu n'est plus alimenté... Curiosité d'homme de science...

Le mage trouvait que la statue n'était pas laide. Certes elle représentait un être de haine et de terreur, mais si l'art en était brut, une étrange beauté en émanait. Il ressortit crayon et carnet et commença à la dessiner.

La vengeance de Tiamandis, dont les petits cris rageurs l'agaçaient, lui fit cesser son croquis. Il alla vers le corps et reprit la petite bête, la calma enfin en la caressant avec sa tendresse habituelle.

Ce faisant, il réfléchissait à l'éventuel moyen d'emporter la statue. Ce serait une belle réclame pour ma boutique, songeait-il.

Asmodeus fit preuve d'une fermeté que ses compagnons d'aventure ne lui connaissait pas jusque-là. Cependant, tout dans son ton comme dans son attitude laissait à penser qu'il ne jouait pas quelque nouvelle comédie :

- Cette chose doit être détruite. Mais dès qu'il sera temps de partir. Elle profane ce temple mais elle est dangereuse. Asmodeus le sent.

[Quête : De flamme et d'os]

Mais Eldurvellir dut se rendre à l'évidence : la statue était trop grande et trop lourde pour qu'il puisse l'emmener avec lui. Même s'il parvenait à convaincre ses compagnons ou les prisonniers de la porter, ce qui était pour le moins peu probable, ils ne parviendraient jamais à lui faire franchir certains des endroits exigus par lesquels ils étaient passés, à l'aller. Cependant, était-ce une si mauvaise chose ? Les adeptes des démons étaient pourchassés par tout Toril et même à Mélandis, toute maléfique que soit cette cité. Ne pas arborer une telle horreur dans sa future boutique éviterait donc peut-être de sérieux ennuis au mage...

***

Clémentine avait suivi Sillmandel cahin-caha : manifestement, elle n'était pas sortie indemne de l'affrontement. Une fois la lourde porte déverrouillée, elle la franchit, l'ensorceleur sur ses talons. Ils pénétrèrent ainsi dans une vaste sale qui puait la paille pourrie et les immondices. Elle était quasiment déserte : si les "récalcitrants" dont avait parlé la jeune fille n'avaient pas amendé leur conduite, il était probable que les cultistes les aient éliminés... Quoi qu'il en soit, il n'y avait là qu'un enfant, pieds et poings enchaînés au mur, apparemment inconscient. Il portait une robe blanche bien trop grande pour lui, brodée de fils d'argent et ornée de joyaux, dont le plastron était décoré d'un curieux symbole constitué d'une multitude de petites Pierres de Lune étincelantes : il représentait deux yeux de femme entourés de sept étoiles. Pour compléter le tout, le front du gamin était ceint d'une couronne d'argent incrustée de pierres similaires, bien que plus grosses. Même si elle aurait mérité un bon nettoyage, la tenue devait valoir une vraie petite fortune... Comment s'expliquer, dès lors, qu'on en ait affublé un simple captif ?
D'abord abasourdie, Clémentine se dirigea rapidement vers son frère.
-Il est vivant, annonça-t-elle d'un ton soulagé. Ils l'ont assommé ou endormi mais... Il est vivant.

Quête : de flamme et d’os

En entendant la réplique d’Asmodeus, si sérieuse, si pleine de conviction, Silmandel s’immobilisa un instant sur le seuil de la prison. Il se retourna à demi, observa son compagnon, un peu surpris, et ne dit rien. Car il n’avait rien à redire. Il était de son avis. Que la statue brûle maintenant ou plus tard, peu lui importait, tant qu’elle brûle.

Sur cette pensée, l’elfe entra dans la geôle. Clémentine l’avait devancé. Son frère était là, seul, enchaîné, inerte et vêtu curieusement. Qu’il soit encore en vie ne l’étonna pas.

« Il voulait le sacrifier », dit-il, autant pour lui que pour la jeune femme.

Les paroles de la brute au fouet ne laissait guère de doute. Ils étaient arrivés juste à temps. L’ensorceleur, désormais à côté du garçon, l’observa lui et son riche costume. Ce dernier devait valoir une petite fortune, de quoi constituer un substantiel bonus à cette aventure. Tout en cherchant à ouvrir les entraves avec les clés du colosse, Silmandel essaya de savoir si les signes de la robe lui rappelaient quelque chose.

Asmodeus s'était approché à son tour, laissant Silmandel se débrouiller avec les clés. Apparemment, il n'y avait pas l'embarras du choix en ce qui concernait les prisonniers spéciaux. Ce n'était pas forcément une mauvaise chose de son point de vue même si pouvoir compter sur davantage de "récalcitrants" auraient pu s'avérer utile. Il n'était pas aussi catégorique que l'elfe sur la signification de la tenue portée par Alex. Mais il préféra taire sa méfiance tant qu'il n'aurait pas pu juger du comportement du garçon une fois qu'il aurait repris conscience.

- Clémentine, vous devriez le réveiller. Eldurvellir, vous avez peut-être une potion utile pour ce genre de situations ? Et il faudra aussi lui trouver une tenue moins voyante. Celle-ci risque d'attirer les indésirables comme des mouches.

Sans un mot, Eldurvellir s'était précipité vers Clémentine, une potion de soins à la main. A la vue du garçon mal en point, il lui en tendit une deuxième. Puis il considéra l'accoutrement du petit avec intérêt.

- Il est vêtu pour une destination bien précise : celle du sacrifice. Nous arrivons à temps !

Non que le sort du frère de Clémentine intéressât le mage, mais il lui apprenait une chose sur la secte ; elle pratiquait les sacrifices humains. Eldurvellir eut la grâce de frémir avant de sortir son petit carnet et de prendre les notes idoines.

Quel gâchis ! pensait-il. Autant abandonner la statue à son triste destin, la cruauté de la secte rend ce fait inévitable.

Il sourit à Asmodeus.

- Au final, vous avez raison. La destruction de la secte passe par la destruction de son idole. Dommage... C'est de l'art brut. De brute aussi...

Eldurvellir se permit un petit rire. Tiamandis émit le même genre de son, dans une version assez inquiétante.

[Quête : De Flamme et d'os]

Juste au moment où Silmandel trouvait les bonnes clefs et libérait l'enfant de ses entraves, un souvenir lui revint à l'esprit. Au cours de ses aventures, il avait déjà vu un signe identique ou, au moins, très similaire : il s'agissait du symbole de la déesse Séluné.
-Je ne crois pas qu'il soit blessé... disait alors Clémentine. Il paraît juste endormi. Je vais donc essayer de le réveiller normalement, pour ne pas gaspiller inutilement une potion qui pourrait se révéler cruciale par la suite. Moi, en revanche, quelques soins ne seront pas de trop...
Après avoir remercié Eldurvellir et bu l'une des deux potions qu'il lui avait remises, elle se mit a secouer doucement l'épaule de son frère, lequel finit par marmonner quelque chose. Il était manifestement en train de reprendre conscience.

Asmodeus se méfiait. D'aucuns ayant appris à le connaître pourraient affirmer que c'était là son état naturel de toute façon mais l'élu divin comprenait intuitivement que quelque-chose clochait dans ce tableau. Le geôlier avait laissé à penser à Clémentine que l'on avait torturé son frère mais la forme endormi de celui-ci et sa mise luxueuse démentaient de mauvais traitements. Bien sûr, la brute avait peut-être menti en cherchant à la blesser mais Asmodeus se méfiait. Ce n'était pas normal de laisser un enfant dans une cellule d'isolement et de le choyer. Les petits esclaves ne l'étaient pas, il était bien placé pour le savoir. Et bien placé il le demeura, en retrait de ses compagnons, pour ne pas être en première ligne si sa méfiance se révélait tout à coup justifiée.

Quête : de flamme et d’os

Séluné ? Faisait-il erreur ? Les symboles divins, ce n’était pas le domaine de prédilection de Silmandel. Lui, il s’intéressait surtout aux mystères en tous genres, qu’il s’agisse de monstres étranges, d’énigmes profanes et autres lieux de légendes propre à stimuler son imaginaire débridée. Mais Séluné était quand même une déesse largement connue. Et c’était une déesse bienveillante qui n’avait strictement rien à voir avec les démons. Trouver son blason ici, au beau milieu du repaire d’une secte satanique, c’était un peu comme croiser une nymphe dans un village d’orcs.

L’elfe termina d’ouvrir les entraves du garçon puis rangea le trousseau de clés dans sa poche. Alexandre revenait à lui, tout allait pour le mieux. Mais pourquoi diable portait-il cette tenue ? Il jeta un regard intrigué à Clémentine et lui demanda :

« N’est-ce pas là le signe de Séluné ? »

- Non, pas Séluné... Pas une divinité liée au Bien...

En son for intérieur, Eldurvellir songeait que les dieux dits "bons" étaient d'une part fortement coupés de la réalité, d'autre part que leurs adeptes étaient absolument insupportables. Mais il garda pour lui ces pensées.

- Je maintiens que le garçon était destiné à un sacrifice... Ou alors ce n'est pas votre frère, Clémentine, mais quelqu'un qui lui ressemble...

Un petit rire surgit inopinément de la gorge du mage.

- Mais je suis bien sûr que si cela était le cas, vous l'auriez parfaitement senti.

Eldurvellir approcha de l'enfant et lui massa les tempes d'une façon particulière.

- Ceci devrait l'aider à se réveiller.

Tiamandis en profita pour faire une petite crise de jalousie et tenta de mordiller Alexandre. Le mage la prit et la posa sans façons sur le poignet de Silmandel.

- Permettez, messire Silmandel, je ne tiens pas à ce qu'elle mordille ce garçon.

[Quête : De flamme et d'os]

-Oui, il me semble que c'est le symbole de Séluné. En tout cas, il y ressemble fort, avait dit la jeune fille.
Lorsqu'Eldurvellir posa les mains sur son petit frère, elle fit une grimace et aurait sans doute protesté si l'enfant n'avait alors ouvert les yeux. L'instant suivant, il les écarquillait.
-Clé... Clémentine ?
-Oui, c'est moi. C'est bien moi.
Elle le serra doucement dans ses bras, en proie à une vive émotion qu'elle parvint cependant à contenir.
-On va partir d'ici, Alex. Tu penses pouvoir marcher ?
-Je... Je crois.
-D'accord. Alors allons-y. Nous aurons le temps de discuter plus tard.

Quête : de flamme et d’os

Silmandel, un instant distrait par le familier du magicien, se redressa. L’expression pensive de son visage laissa la place à une mine déterminée. Les questions viendraient plus tard. Pour l’instant, il fallait déserter les lieux au plus vite avant de se retrouver avec une bande de démonistes furieux sur le dos.

« J’ai dans mon sac une tenue un peu plus passe-partout qui devrait aller à votre frère, Clémentine. Je la lui passerai quand on sera hors du repaire. Maintenant, en route ! Essayons de partir par où on est venu. »

La tenue en question, la jeune femme la connaissait puisqu’elle l’avait vu sur l’elfe lorsque celui-ci avait la taille d’un enfant. C’était une robe de novice vert pomme.

« Allez, toi, retourne sur ton maître », fit l’ensorceleur en renvoyant la chauve-souris à Eldurvellir.

Sur ce, il prit la direction de la sortie, non sans surveiller si Alexandre parvenait à marcher. Si ce n’était pas le cas, quelqu’un devrait l’aider. Dans tout ça, l’aventurier avait oublié la statue de démon.

Asmodeus était satisfait qu'il ne faille pas désigner l'un d'entre eux pour porter le gamin. Ils iraient d'autant plus vite et serait plus mobiles pour louvoyer entre les hordes de cultistes ou de non morts qui tenteraient de les empêcher de retourner à l'air libre. L'élu divin comptait maintenant sur les quelques esclaves fraîchement libérés pour faire diversion au besoin. Il retourna dans la salle principale et entreprit de déterminer si certains étaient susceptibles de lui obéir. Si oui, il commencerait par leur demander de brûler l'horreur qui profanait cet endroit. Avec la libération de leurs prisonniers et la mort d'une partie de leurs gardes et de leur geôlier, ce serait un nouveau coup porté à cette secte immonde et sacrilège.

Eldurvellir avait suivi Asmodeus, curieux de voir s'il parviendrait à persuader les esclaves de brûler la statue. Il estimait qu'il serait plus intéressant de monter les esclaves fraîchement libérés contre leurs anciens maîtres afin de retarder d'éventuelles attaques à l'encontre de leur groupe, mais la réaction des adeptes face à leur idole brûlée pouvait également avoir un effet psychologique dévastateur.

- Puissiez-vous réussir, messire Asmodeus, murmura t-il.

Un bruit caractéristique lui fit lever les yeux. Tiamandis venait de le rejoindre. Elle voleta quelques secondes au-dessus de sa tête, puis se posa sur son épaule.

La pipistrelle semblait irradier de bonheur. Le petit interlude sur le poignet de Silmandel avait été un bonheur sans nom. Une si délicate créature, selon ses critères de petit chiroptère, avec quelque chose d'étrange et d'indéfinissable ! et elle avait eu l'insigne privilège de toucher ce délicieux personnage ! Tiamandis émettait de petits couinements satisfaits, racontant à sa manière son petit bonheur à son maître.

Enfin Eldurvellir retourna son intérêt vers Asmodeus.

[Quête : De flamme et d'os]

Quoique les effets du sortilège d'Asmodeus se soient dissipés, les captifs semblaient toujours bien disposés à son égard comme à celui des autres membres du groupe : ils les avaient libérés de la secte, après tout. Aussi ne se firent-ils pas prier pour envoyer la statue rejoindre le geôlier dans le brasier. Tandis qu'ils déployaient maints efforts pour parvenir à leurs fins, Silmandel, Clémentine et Alexandre se rapprochèrent de leurs compagnons, le garçon ayant pris soin de retrousser le bas de sa robe : sinon, à cause de sa trop grande taille, elle aurait traîné par terre et entravé sa progression.
L'odieuse idole s'embrasa sitôt que les flammes la léchèrent. Alors, brusquement, un vent violent, chaud et à l'odeur de souffre balaya la salle, en même temps que retentissait un cri assourdissant, grave, rauque, menaçant. Les captifs se recroquevillèrent, mais il était probable qu'ils ne tarderaient pas à prendre leurs jambes à leur cou...

Asmodeus avait craint ce dénouement : c’était même la raison principale pour laquelle il avait remis la destruction de l’idole sacrilège à cet instant. Il fallait que ce lieu soit purifié de cette chose pour que son maître puisse y regagner sa suprématie et y impose son calme immortel. L’élu divin aurait aimé consacrer quelques instants à examiner les statues abîmées pour déterminer si cet endroit avait un jour été consacré à son dieu mais l’urgence était maintenant ailleurs :

- Asmodeus suggère de déguerpir sans tarder.

Quête : de flamme et d’os

« Vous avez raison. Laissons ce démon piquer sa crise tout seul ! En avant et vous autres, avec nous ! Vite, vite ! »

Silmandel s’était adressé à tout le monde, y compris les ex-esclaves. La dernière fois qu’il avait vu un démon, ou crut voir un démon, c’était quelques jours plus tôt, au moment de la destruction de l’orbe sombre. L’ensorceleur avait du courage à revendre, mais là, il se sentait poussé en avant par sa crainte. Il serrait fort sa rapière, arme dérisoire si jamais un monstre infernal venait leur rendre visite. Même si cela ne se produisait pas, il était à coup sûr certain que tous les cultistes allaient rappliquer. Non, vraiment, il ne fallait pas trainer. Il tourna la tête vers Clémentine et son frère, vérifia qu’il suivaient bien, et prit la direction du couloir par lequel ils étaient arrivés.

Oui, ce couloir était probablement le mieux : ses embûches en étaient connues, songea Eldurvellir, mais cependant...

Il reprit à voix haute :

- Ne craignez-vous pas que les morts-vivants nous attendent quelque part plus avant dans ce couloir, messire Silmandel ?

Il se tourna vers les ex-esclaves.

- Oui, venez avec nous, plus nous serons nombreux, plus nous saurons nous défendre efficacement.

Et plus notre groupe aura des chances de s'en sortir, en vous mettant devant nous comme boucliers vivants, termina t-il en pensée.

Eldurvellr sortit un lien de cuir d'une de ses poches, rejoignit en quelques enjambées le jeune Alexandre.

- Attends, je vais arranger quelque chose.

Il plaça le lien de cuir autour de la taille de l'enfant, serra légèrement et remonta quelques pouces de tissu au-dessus de la ceinture improvisée, ce qui eut pour effet de ne plus faire traîner la longue robe au sol. Le vêtement arrivait désormais à hauteur de mollets.

- Voilà. Peu élégant, mais tu ne seras pas gêné dans ta marche... Et cela libère tes mains.

Le mage se surprit à donner une bourrade affectueuse au petit garçon.

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