La Couronne de Cuivre

« Une bonne chose. La claustrophobie aurait été rédhibitoire. »
Alchem cessa là ses bavardages. Rattrapé par toutes ses réflexions, il s’abandonna un peu malgré lui à ces dernières. Sauf imprévu, demain, une patrouille svirfnebeline atteindrait Lameroy. Il pourrait en prendre le commandement si nécessaire, ce qui lui offrirait de nouveaux moyens d’action. Mais avant cela, il y aurait l’opération de la mâtiné avec les nains, Aleka et ses collègues. Après celles-ci, ils devraient en savoir un peu plus au sujet de la menace.

L’aubergiste les avait laissés bavardé mais semblait avoir attendu le bon moment pour intervenir et leur amener leurs repas du soir.

- Alors comme ça, il parait que vous avez fait du remue-ménage du côté des mines, Alchem ? Décidément, je m’étonne que des bardes ne se soient pas encore attaché à tes basques tant il se passe de choses dans ton sillage !

« Un barde ? Par tous les dieux, j’espère pas en attirer un ! Comment ferais-je après pour la discrétion si à chaque coin de tunnel il se met à chanter, et à jouer, et à danser ? Hein, comment, je te le demande ? Et puis je ferais pas un bon héros pour les récits. Je ne fais pas dans le spectaculaire, juste dans l’efficace. Et encore, efficace, en ce moment, c’est très discutable. Sinon oui, il y a eu un peu d’animation dans les mines. Il devrait y en avoir encore plus demain. »

Dotha intervint d’un ton léger en adressant en prime un clin d’œil complice à l’adresse de l’aubergiste :

- Je parie qu’on trouvera bien un écrivain qui acceptera de narrer tous ses exploits. Et au pire, je donnerai quelques anecdotes pour enjoliver si les récits sur les Sunites qu’Alchem fréquente ne sont pas assez sensationnels !

Evidemment, Alruac saisit la perche tendue pour surenchérir :

- Des Sunites vraiment ? Alchem, petit cachotier !

Le gnome des profondeurs poussa un gros soupire bien exagéré.
« Halala, mais qu’ai-je fait de mener Dotha ici ? J’aurais dû le voir venir ! Vous êtes terribles ! Oui, je l’avoue, j’ai aidé les Sunites de la capitale. De toute façon, j’aide tout le monde ! Faut bien que quelqu’un le fasse. Et non, non et non, ils n’ont pas prévu de faire une statue de moi à poil dans leur parc ! D’ailleurs, en parlant de poil, faut quand même que je vous dise que Dalius aimerait bien que je me fasse mordre par un rat-garou afin que j’en ai. Pas un pour rattraper l’autre ! »
Le familier fit le fier. Alchem fit semblant de bouder.

Dotha ne manqua pas de sourire et même de pouffer de rire tandis qu’Alruac saisissait la balle au bond pour aller bien plus loin :

- J’ai toujours su que ce rat était le plus malin des deux : tu ressemblerais un peu moins à un enfant et on te prendrait davantage au sérieux si tu avais une barbe, Alchem ! D’ailleurs, j’ai entendu que certains artisans étaient spécialisés dans les postiches : tu pourrais y songer !

« Ho ! Alruac, tu me donnes presque envie de te couper la barbe pour te montrer qu’on peut très bien vivre sans. La barbe et peut-être même aussi les cheveux. »
« Je voudrais bien te voir avec une perruque, moi ! »
« Toi, je vais te tondre ! » répondit le gnome en employant la langue commune.
« Heu, en fait, tu es très bien comme tu es. »
« Je préfère. »

Dotha joua à nouveau le jeu, sérieusement amusée par la tournure de la conversation :

- Allons Alchem ! Vous n’y pensez pas : Dallius ne serait plus lui-même sans son doux poil lustré ! Et vous non plus ne seriez plus le même si vous vous grimiez en nain d’ailleurs. Finalement, il semble que mère nature nous ait tous fait différents mais dotés de qualités qui nous sont propres.

« De sages paroles Dotha. Alruac ferait bien de s’en inspirer ! »
« Mon doux poil lustré ! Que c’est joliment dit ! »
Dalius fit encore le fier. Alchem parût replonger dans ses songeries pessimistes car son visage, presque souriant, retrouva sa neutralité de façade. Les échanges amusants, c’était bien, mais il ne les prolongeait jamais. Après le repas, il ne serait pas long à aller se coucher. Il tenait à être en forme pour demain.

Dotha avait noté son changement d’humeur mais le reste du repas se déroula malgré tout dans une ambiance légère même si ni Alruac ni elle ne prirent l’initiative de nouvelles plaisanteries. Et, comme l’avait prévu le svirfneblin, ils ne tardèrent pas à regagner leurs chambres respectives. La clerc lui souhaita néanmoins la bonne nuit :

- Reposez-vous Alchem : j’ai l’impression que la journée de demain ne nous réservera que peu de répit. J’ai prévu de me lever à l’aube mais je dois prier pour régénérer mes sorts. Nous nous retrouvons pour le petit déjeuner ?

« Oui. Bonne nuit à vous aussi. »
Effectivement. Demain risquait d’être une journée chargée. Et Alchem aurait été bien incapable de dire comment elle allait tourner. Trop d’inconnu, il n’aimait pas cela. Sa petite voix reprit ses funestes prédictions. Il tâcha de ne pas l’écouter. Après s’être enfermé dans sa chambre, il se dévêtit, pria Baravar et se coucha. Au réveil, il lui faudrait étudier son grimoire, comme d’habitude.

Il eut un peu plus de mal que de coutume à trouver le sommeil mais parvint à se réveiller à l’heure qu’il avait voulue et à étudier son grimoire. Quand il rejoignit la salle commune, Dotha semblait s’y être installée depuis peu devant un petit-déjeuner prévu pour deux. La gnome l’interpela avec un sourire de bonne humeur :

- Bonjour Alchem ! J’ai pris la liberté de commander pour nous deux. Quel est le programme de la matinée ?

« Vous avez bien fait, répondit Alchem en prenant place. Le programme, il est assez simple. Vous allez attendre ici Aleka et ses collègues pendant que je vais voir ce qu’il en est de la préparation de l’opération naine. Vous me rejoindrez tous à l’entrée des mines. »
Il était pressé, cela se voyait à la façon dont il engloutissait son petit déjeuné. Il comptait se rendre au plus vite auprès des officiers nains afin d’avoir les détails sur l’opération. Quand allait-elle précisément avoir lieu ? Avait-on pu lui allouer un groupe ? Si oui, de quoi serait-il composé ? Plus il aurait d’informations, mieux ce serait.

Dotha prit davantage son temps mais Alchem la sentit tout de même assez nerveuse et on le serait à moins avec les ennuis auxquels ils se proposaient de se frotter. De son côté, le svirfneblin put gagner la caserne où régnait une grande agitation alors que les équipes de nuit ayant patrouillé sur le mur extérieur ou vers la mine rentraient prendre du repos et que les premiers groupes les remplaçant faisaient le chemin inverse. Alchem repéra sans peine le même officier que la veille mais il dut patienter quelques instants le temps que le nain délivre des ordres à certains sous-officiers.

- Alchem Murmure, vous arrivez à point nommé, je viens de recevoir des nouvelles des mines…

« Comment se présente la situation ? »
Alchem s’était approché, indifférant d’apparence dans ses habits gris, impatient en réalité. Il lui tardait d’avoir un plan, une marche à suivre, quelque chose de concret dans cette trouble situation. Au point où il en était, il se demandait même si ses difficultés à trouver le repos étaient liées au Despote. Réflexions hasardeuses... L’action était le meilleur des remèdes.

L’officier répondit avec pragmatisme et sans les circonvolutions inutiles tant prisées par les humains :

- Les escouades de la nuit sont parvenues à faire sortir tous les groupes de mineurs qui se sont manifestés. Nous déplorons toutefois une douzaine de victimes et moitié autant de portés disparus parmi les civils. Nous avons en outre sécurisé la moitié de la mine mais pas encore le secteur qui vous intéresse. J’ai pris la liberté de choisir une escouade de mes meilleurs guerriers pour vous assister dans votre enquête. Ils sont à votre disposition dès que vous serez prêt à gagner les mines.

« Je serais prêt sous peu. Ma collègue attend trois prêtres de Lathandre qui nous permettront de faire face plus facilement aux morts-vivants. Si j’en ai l’occasion, je tâcherai de complètement sécuriser le secteur du filon de cristal. Il s’agira alors de le surveiller étroitement. Si la zone est trop dangereuse, je ne resterai sur place que le temps nécessaire à nos examens. Pouvez-vous me donner la composition du groupe ? »

L’officier s’empressa de répondre avec pragmatisme et sans poser davantage de questions sur la stratégie du svirfneblin, signe qu’il s’en remettait à lui pour prendre les bonnes décisions. Dans les mines et dans l’Outreterre, l’autonomie était une des premières qualités qu’on demandait aux chefs d’équipe car les communications avec l'état-major étaient plus que difficiles.

- Vous serez accompagné d’un prêtre de Clangeddin Barbedargent, de deux arbalétriers et de cinq guerriers, tous éprouvés à la vie dans les tunnels profonds.

« Parfait. Je ferai au mieux. Où sont-ils actuellement ? Et y a-t-il autre chose à savoir sur les opérations menées en parallèle ? »
Une fois les réponses obtenues, Alchem pourrait y aller. Il tenait à agir le plus vite possible. Il ne savait pas trop si le temps jouait pour ou contre eux. D’un côté, le Despote pouvait se renforcer, mener ses actions, développer ses plans machiavéliques. De l’autre, le svirfnebelin attendait des renforts d’Ornegemme. Des ce soir, une patrouille devrait être là, lui offrant la possibilité de la réquisitionner. Dès demain, sa mère devrait avoir reçu son message.

L'officier lui indiqua que l'escouade l'attendait déjà à l'entrée de la mine.

- Quant à nos autres actions, elles sont malheureusement limitées : l'essentiel de nos forces est mobilisée dans les deux autres mines et sur les remparts où les attaques n'ont pas décrues. Je dispose cependant d'une soixantaine de nains et de quatre golems sur la mine est : la moitié de ces forces est chargée de défendre les postes de contrôles que nous avons repris, les autres chassent les groupes isolés autour de nos positions. Vous aurez donc la voie libre sur la mi-distance menant à votre objectif puis il faudra vous montrer des plus discrets.

« Très bien. »
Alchem réfléchit encore un instant avant d’ajouter :
« S’il y a du nouveau, j’aimerais être averti. De plus, dès que des svirfnebelins d’Ornegemme se présentent à Lameroy, j’aimerais qu’on me les envoie au Filon Aurifère. Je tiens à leur parler. Les troubles vont peut-être gagner la route commerciale, voir ma cité. Nous ne devons rien laisser au hasard. »
Il salua l’officier, puis se retira. Direction l’entrée de la mine.

L'officier lui assura qu'il serait prévenu au cas où des événements devraient contraindre son groupe à changer de stratégie : une communication magique était en effet prévue toutes les heures avec chaque escouade pour évaluer la situation des forces ennemies et celle des défenseurs. Pour le reste, il allait envoyer un message aux portes pour diriger la patrouille de son peuple vers l'auberge d'Alruac.

Bref, tout se mettait en place et Alchem pouvait donc gagner les abords de la mine l'esprit un peu plus léger. Sur place, l'escouade l'attendait comme prévu mais Dotha, Aleka et les deux autres prêtres n'étaient pas encore arrivés.

Alchem salua son groupe, qu’il ne manqua pas de détailler avec intérêt. Il avait souvent, très souvent collaboré avec des nains, mais les commander directement, presque jamais. Il aurait préféré en cet instant déjà pouvoir compter sur les siens. Non qu’il ne remette en doute l’efficacité des gens face à lui, bien au contraire, mais il ne pouvait être que plus à l’aise avec sous ses ordres des gnomes des profondeur. Tant pis. Comme il l’avait dit à l’officier, il ferait au mieux. Restait à savoir si ce serait assez...
« On part dès que ma collègue et les clercs qui l’accompagneront nous auront rejoint. Ce devrait être rapide. »

Les nains le saluèrent sobrement : il s'agissait de soldats entraînés et tournés vers leur objectif, décidés à suivre les ordres. Tout comme lui. Seules leurs techniques et leurs équipements différents de ce à quoi il avait l'habitude pouvaient éventuellement lui poser des difficultés.

Dotha, Aleka et deux clercs équipés de cottes de mailles et de masses d'armes les rejoignirent moins de dix minutes après les présentations. Alchem nota au passage que les deux collègues d'Aleka étaient humains, tout comme elle. Comme chacun savait ce qu'il avait à faire, le groupe se mit aussitôt en marche mais le svirfneblin pouvait tout de même donner ses consignes alors qu'ils s'engageaient dans la partie sécurisée de la mine.

Il ne s’en priva pas. Profitant de la tranquillité relative accordée par cette première partie du trajet, Alchem exposa la situation et l’objectif visé. Ainsi, il était certain que tout le monde était au courant.
« ... Hier, nous avons affronté une sorte de spectre ombreux ainsi qu’une grande quantité de zombis peaux vertes. Il est probable que le comité d’accueil se soit reconstitué. En vérité, on ignore l’importance des forces adverses. Mais cette liche, le Despote, est un monstre rusé, fourbe, capable de mettre sur notre route bien des obstacles. Bref. Vous savez maintenant à quoi vous en tenir. On tente d’atteindre le filon. La suite va entièrement dépendre de ce qu’on va découvrir là-bas. »

Aucun de ses compagnons ne sembla surpris par ce qu'il venait de révéler, signe que l'information leur avait sans doute déjà été communiquée mais un clin d'œil lui confirma que la manœuvre avait été habile et le positionnait véritablement comme le chef de leur escouade. Ils croisèrent plusieurs postes de contrôle, tous défendu par des nains vigilants puis les postes s'espacèrent et ils furent finalement interpelé par l'un des gardes en faction leur signifiant que les prochains postes n'étaient pas gardé. Ils pénétraient donc dans la zone potentiellement sous le contrôle de leurs ennemis, quels qu'ils soient.

A partir de cet instant, Alchem prit la tête du groupe au sens propre du terme. Il prit même quelques mètres d’avance. Certes, il était le chef, mais il était aussi celui avec les sens les plus aiguisé. A lui de mener, de guider, de repérer et de prévenir. Il sombra dans un complet silence. Capuchon rabattu, sa cape de voyage ondulant dans ses pas, toute son attention était focalisée sur l’avant. L’habitude des profondeurs obligeait, il n’oubliait pas de vérifier ce qui pouvait se trouver au sol, mais aussi en l’air. Trop de monde négligeait le plafond.

Mais jusqu'ici le plafond était trop bas pour que quoique ce soit puisse s'y dissimuler : cela faisait au moins un endroit de moins auquel vraiment faire attention. Le groupe derrière lui avait pris une position visant à protéger davantage les lanceurs de sorts en surnombre. Si des créatures mort-vivantes croisaient leur route, ils constituaient en effet leur meilleur atout après la discrétion.

Alchem reconnut les tunnels empruntés la veille et repéra plusieurs corps laissés à l'abandon : que des zombis pour le moment. Mais des combats avaient eu lieu ici même, soit lors de la retraite des mineurs soit le jour même. Il semblait hasardeux de se risquer à une hypothèse plus fine.

Rien de spécialement alarmant n’ayant été croisé, Alchem poursuivit son trajet sur un rythme égal. Quelques cadavres n’étaient pas de nature à le ralentir, tout du moins si ceux-ci étaient belle et bien mort. Il souffla au groupe de le vérifier en cas de doute. Ce n’était pas le moment d’avoir des ennemis dans le dos. Quoi qu’il en soit, il s’appliquait à faire le même trajet que la veille.

Les morts étaient bien morts et ne représentaient donc plus aucun danger aussi la progression se fit sur un bon rythme pendant une dizaine de minutes encore. C'est le temps qu'il leur fallut pour atteindre un des croisements principaux : un endroit où se trouvaient davantage de corps dont au moins un ou deux de nains. Le chemin vers le filon se poursuivait sur la droite mais un bruit se fit entendre en provenance du couloir de gauche. Un gémissement qui pouvait aussi bien émaner d'un vivant que d'un non-mort.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Lameroy - cité naine ouverte