La Couronne de Cuivre

Une nouvelle théière ne tarda effectivement pas à être prête et elles purent discrètement regagner le salon et y surprendre leurs deux invités se regardant un peu en chiens de faïence. L’atmosphère était plutôt lourde d’autant qu’elle était silencieuse. Malo se tourna brusquement vers Amélie et Angèle en se réjouissant de ce qu’elles amènent une nouvelle tournée de thé. Mais il était évident pour tout le monde que c’est bien leur retour et non la boisson qui étaient attendus avec une certaine expectative. De son côté, Dimitri se montra un peu plus boudeur, apostrophant directement la paladine :

- Tu souhaitais peut-être me donner quelques consignes particulières pour le temps où tu seras absente ?

Angèle hocha la tête. L'attitude boudeuse de Dimitri la mettait assez mal à l'aise et elle en espérait presque qu'il s'en aille vite. A son retour, ils faudrait qu'ils parlent et très sérieusement. Comme deux amis qu'ils avaient toujours été.

"Oui ... D'abord, si tu croises Séraphine, dis-lui qu'elle peut toujours venir faire le ménage"

Dimitri comprendrait sûrement de qui elle voulait parler, même si elle avait employé le prénom féminisé. Les hommes n'avaient pas l'habitude de briquer les maisons. Cela aurait paru suspect.

"Et puis, si je ne me suis pas revenue d'ici disons deux mois, ou que je ne t'ai pas fait parvenir de mes nouvelles ... Préviens mon frère, tu veux bien ? Non, préviens plutôt Sambre et Doyle. Ah oui, et veille sur Louison. Elle doit être tendue à cause de ses soeurs et on ne peut pas vraiment compter sur Hugo. Et toi, prends soin de toi, d'accord ?"

De boudeuse, l'expression de Dimitri s'était progressivement adoucie mais son regard reflétait l'angoisse à mesure qu'il réalisait en son for intérieur qu'Angèle était effectivement sur le départ. Alors, quand elle eut finit d'énumérer ses instructions, il osa un pauvre sourire sans vraiment parvenir à soutenir son regard puis déclara d'un ton affable et amical :

- Très bien. J'espère que tu seras revenue d'ici là tout de même... Deux mois, ça fait long. Enfin, prends soin de toi aussi, Angèle. Et merci pour le thé aussi. Je crois... Je crois que je devrais rentrer. Alors, au revoir... Je n'aime pas éterniser les adieux, tu me connais ! Et bonne chance à vous aussi, Malo. J'espère que vous retrouverez votre passé.

Déjà, il faisait mine de se lever, visiblement mal à l'aise.

Si elle ne le retint pas, elle le raccompagna cependant à la porte.

"Si tu veux aussi veiller sur Meridith. Aux dernières nouvelles, elle est toujours chez sa mère mais on ne sait jamais. J'ai peur qu'Eric ne cherche à revenir ..."

En son for intérieur, elle avait toujours espéré pour que son amie quitte son mari pour trouver refuge dans les bras de Dimitri. Ce qui aurait grandement arrangé tout le monde. Elle savait que le jeune prêtre ne laissait pas Merri indifférente.

"Tu pourrais lui proposer de sortir pour lui changer les idées."

Mais l'ambiance ne tarda pas à redevenir légère et même bon enfant, faisant oublier les inquiétudes à propos de Dimitri ou même le petit jeu anodin auquel son amie semblait s'adonner. De plus, le reste des préparatifs ne les occupa guère et les sacs furent bientôt prêts à l'exception des vivres frais dont ils pourraient avoir besoin en route évidemment. Les trois futurs compagnons de voyages devisèrent joyeusement de sujets légers mais l'après-midi toucha finalement à son terme et le moment était bien choisi pour que Malo rentre se reposer au temple.

- J'imagine que vous allez être occupées demain ? Avec le départ et tout ça, non ?

Il avait tenté d'adopter un ton détaché mais il semblait tout de même anxieux.

Le départ de Dimitri l'avait aidée à se détendre et elle s'en voulait de se constat là. La journée touchait à son terme et le départ approchait à grand pas. Elle commençait à se sentir anxieuse. Cette nuit, il faudrait qu'elle dorme pour qu'elle économiser ses forces. Pour la nuit suivante, elle voyait se profiler l'insomnie. Malo aussi semblait anxieux, plutôt de devoir rester seul le lendemain. Elle réfléchit un peu avant de lui dire.

"Passez nous voir si vous le voulez. Nous ne bougerons pas d'ici. Les préparatifs seront presque bouclés mais je nous vois mal courir de partout en ville."

Ainsi, ils pourraient stresser tous les trois.

L'invitation le fit sourire mais il se défendit toutefois :

- C'est vraiment très gentil : je ne voudrais pas vous envahir mais il est vrai que je n'aurais moi même pas grand chose à régler au temple alors je passerai peut-être prendre le thé dans l'après-midi. Je connais bien le chemin et je me sens bien plus vaillant grâce à vos efforts : je vais tenter de rentrer seul si cela ne vous dérange pas : il est temps que je m'habitue à ne plus dépendre des bons soins, même de personnes de cœur telles que vous.

Angèle acquiesça tout en essayant vainement de ne pas rougir au compliment.

"Je suis contente de vous voir vous rétablir. Vous semblez effectivement faire d'énormes progrès. Mais ce n'est pas grâce à moi ... Vous avez l'air d'avoir énormément de potentiel qui ne demande qu'à être retrouvé. Nous vous attendons demain pour prendre le thé."

Elle lui sourit.

"En attendant, prenez soin de vous."

- Et prenez soin de vous également, Angèle. Je vous dis donc à demain et vous souhaite une bonne soirée !

Malo parut sur le point d'ajouter encore quelque chose mais il se contenta d'un bref sourire avant de définitivement prendre congé, laissant la paladine et sa jeune pensionnaire sur le palier du Clos des Roses.

- N'est-il pas charmant ! s'amusa de noter cette dernière avant d'entraîner son aînée dans le salon. La soirée ne faisait effectivement que débuter mais en cette saison le soleil se couchait plus vite. Si elles voulaient encore profiter du jardin avant qu'il ne fasse trop sombre ou trop frais, il faudrait se décider vite. D'un autre côté, rester emmitouflées à l'intérieur avait aussi son charme avec ce voyage sur les routes qui s'annonçait.

"Charmant, charmant ... Vous allez bien vite, jeune fille !", s'amusa-t-elle en refermant la porte.

C'était le moment où jamais de poser la question. Sinon, elle n'oserait jamais.

"D'ailleurs, qu'est-ce qu'il te demandait quand j'avais le dos tourné ?"

Elle souriait encore même si elle voulait savoir.

Amélie prit aussitôt une expression espiègle en rétorquant avec amusement :

- Tiens donc ! Alors comme ça tu nous espionnais ! Et c'est curieux que tu associes les deux idées : qu'il puisse être charmant et qu'il fasse des mystères, j'entends !

La jeune femme ajouta toutefois d'un ton plus neutre :

- Mais rassure-toi, il ne me demandait pas des choses trop personnelles ! Lui aussi est curieux, c'est tout...

Cette fois, elle rougit jusqu'aux oreilles pour le coup. Elle tenta de se défendre.

"Non, je ne vous espionnais pas. C'est vous qui n'êtes pas très discrets."

Elle sourit amusée.

"Qu'est ce qu'il voulait savoir ?"

Amélie la dévisagea mais ne parvint à garder son sérieux que l'espace de quelques courtes secondes avant d'être prise d'in fou rire irrépressible :

- Jamais je ne trahirai le secret ! Il faudra que tu trouves le courage de le lui demander ! Oui, ma grande !

Et de se cacher immédiatement derrière un fauteuil comme si elle s'attendait à moitié à être poursuivie par une paladine revancharde.

Angèle ne la poursuivit pas. Elle se laissa tomber sur une des bergères à coté d'elle.

"D'accord ... Mais dans ce cas, je ne raconterai plus rien du tout non plus."

Elle avait envie de rire.

"C'est vraiment, vraiment dommage ..."

- Quoi ?!

La réaction de surprise outrée prêtait à sourire mais il semblait que l'argument avait fait mouche bien qu'Amélie cherche aussitôt à brouiller les pistes :

- Tu ne pourrais pas t'en empêcher ! Je sais que tu brûles de tout me raconter !

Elle parut hésiter avant de se livrer davantage, peut-être plus qu'elle n'aurait voulu, le charme de la paladine agissant :

- Bon, il demandait si l'une et l'autre connaissions beaucoup de monde en ville mais j'ai su lire entre les lignes : ses questions visaient à savoir s'il y avait beaucoup d'autres Dimitri ! Il ne la pas dit mais je suis certaine qu'il s'inquiétait que tu puisses avoir d'autres prétendants !

Et pourtant, une lueur dans le regard d'Amélie laissait planait un doute : était-elle sérieuse ?

Amélie plaisantait-elle ou non ? Elle se méfiait un peu. Elle commençait à connaître la jeune barde et son caractère fantasque. D'autres Dimitri en ville ? Elle espérait bien que non et surtout que Malo n'en était pas un potentiel.

"D'accord ... Bon ... Tu as le droit de me poser une question, celle que tu veux. Je répondrai ... peut-être. En échange, tu me dis ce qu'il a vraiment dit."

C'était indéniablement une preuve de confiance vis à vis d'Amélie. C'était un tantinet risqué mais elle savait qu'elle n'en abuserait pas.

Les fossettes d'Amélie la mettaient en valeur quand elle souriait ainsi mais son expression se fit tout de même songeuse quand elle déclara :

- Au risque de t'étonner, je ne suis pas une incorrigible curieuse : je sais que tu me raconteras ce que tu souhaites partager au moment voulu. Te presser de questions seraient contreproductifs avec toi, je commence à bien te cerner ! Mais, pour preuve de ma bonne volonté, pour pas que tu penses que je cherche juste à esquiver la question, Malo voulait juste savoir depuis quand nous nous connaissions, toi et moi. C'est quelqu'un de courtois ! Bon, il a demandé deux ou trois autres petites choses mais celles-ci sont secrètes !

A nouveau cette air espiègle indéchiffrable qui faisait douter de ses propres certitudes. Cette fille était retorse et elle savait parfaitement en user !

Angèle approuva, songeuse. Peu de gens arrivaient à la cerner - faute de se dévoiler, sans doute - et Amélie qu'elle ne connaissait que depuis très peu de temps semblait y parvenir mieux que les autres. Elles étaient devenues complices. Et curieusement, cela ne l'embêtait pas plus que cela. Elle dit assez émue.

"Merci ..."

Elle ne savait pas vraiment quoi dire d'autre. Elle était touchée par sa délicatesse et son espièglerie. Elle regretta que la mère et la fille n'aient pas pu se connaître d'avantage. Elles se seraient vraisemblablement bien entendues.

Amélie sentit l'émotion que portait ce mot si simple et son sourire se fit radieux. Consciente que montrer ses sentiments mettait mal à l'aise Angèle, elle changea cependant bien vite de sujet :

- Bon, le thé c'est bel et bon mais ça ne nourrit pas durablement ! Et je te défends d'affirmer le contraire ! Donc ça ne te dérangera pas si je vais voir dans la réserve ce qu'il nous reste pour le dîner ? Il faut privilégier les légumes et les aliments frais bien sûr : il ne s'agirait pas que ça se gâte si nous mettons un peu plus de temps que prévu.

Angèle sourit.

"Les bocaux sont une excellente façon de conserver les produits frais donc on peut attendre pour les manger. Par contre, le thé ne se conserve pas aussi bien, c'est un véritable drame. Tu vois, laisser ces feuilles séchées seraient une véritable hérésie. Si tu veux, je peux me sacrifier pendant que tu fais main basse sur l'un des bocaux."

Elle laissa planer un léger silence avant de reprendre.

"Je plaisantais, je commence à avoir un peu faim."

Amélie fit semblant de s'offusquer mais sans se départir de son sourire :

- J'espère bien que tu plaisantes ! Les feuilles sèches se conservent très bien ! Je viens de la campagne, n'oublies pas ! Mais donc je vais nous préparer un bon petit repas chaud. On ne sait pas si on en aura souvent l'occasion alors profitons-en !

Vraisemblablement, quand il s'agissait de se nourrir convenablement, la barde savait faire feu de tout bois, au sens littéral. Avant que la paladine n'ait pu protester, la jeune femme disparaissait déjà en cuisine en fredonnant gaiement une ritournelle de son pays. La paladine put reconnaître - avec horreur sans doute - une mélodie qui lui rappela aussitôt des souvenir presque enfouis mais pourtant soudain très vivaces.

Amélie la surprit en se retournant brusquement mais elle même ne semblait pas autrement étonnée de la trouver là et lui mit d'office deux assiettes et des couverts dans les mains en lui adressant un sourire simple et complice. C'était comme si elle s'était parfaitement adaptée à leur vie à deux et trouvait cette cohabitation comme étant déjà parfaitement naturelle.

- C'est bientôt prêt mais défense d'espionner ma recette ! J'ai des ingrédients et des techniques ancestrales secrètes !

Ce que l'on pouvait dire, c'est qu'Amélie avait plusieurs racines. Une mère et un père ainsi que deux autres parents. Beaucoup de personnes qui l'aimaient en somme. Elle espéra qu'elle puisse retrouver son père à défaut de Morgan. Peut-être n'était-il même pas au courant de sa naissance. Vive comme elle l'était, la jeune barde l'avait sûrement supposé. Mais elle restait toujours positive. Peut-être était-ce cela qui la rendait si attachante. Elle-même commençait à prendre leur cohabitation comme allant de soi. Comme si, au bout du compte, Amélie avait toujours été là.

Elle lui sourit et alla mettre la table comme demandé.

"Si tu as besoin d'aide, je fais un excellent marmiton."

Amélie répondit avec amusement :

- Une belle tentative Angèle ! Mais non, tu n’auras pas l’occasion de percer mes secrets culinaires ! Même Marvin n’y est jamais parvenu malgré ses talents d’alchimiste. Et en plus, c’est presque prêt. Mais puisque tu te proposes, tu n’aurais pas une bonne bouteille de vin blanc par hasard ? Un festin sans un verre de vin, c’est un peu triste pour une Cojumite !

"Voyons, si je me souviens bien, Morgan conservait un excellent petit vin luménien à la cave. Je dois encore pouvoir trouver une bouteille ou deux."

Il lui était difficile de s'imaginer qu'elle ne serait pas là pour le boire. Dans tous les cas, elle trinquerait à sa santé, sans rien dire. Elle descendit rapidement les marches et remonta aussi rapidement avec deux bouteilles. Elle présenta son trophée à son amie.

"Et voila."