La Couronne de Cuivre

- Bien sûr que je le veux, s'empressa de répondre Sylvia. Mais je suis si bien dans tes bras... Reste encore un peu. On a le temps. Tout notre temps...
Blottie contre lui, elle le caressait doucement, tendrement. Sensuellement aussi. Prête à éveiller à nouveau ses sens, son appétit charnel. Mais c'était la langueur qui l'emportait après cette nuit brûlante de passion, le bonheur simple d'être lovés dans les bras l'un de l'autre.

Au-dehors, les premiers bruits d'activité matinale se faisaient entendre. Volets qui claquaient, portes qui s'ouvraient, quelques bruits de pas hésitants, sans doute encore somnolents.
- Et... C'est quoi, ce cadeau ? finit par questionner la rôdeuse avec curiosité. Il existe vraiment, alors, ce n'était pas juste un moyen de m'attirer dans tes bras ?
Son ton espiègle prouvait qu'elle était à présent pleinement réveillée, repoussant enfin la langueur qui les avait tous deux envahis.

Kasumi était parfaitement détendu et les tendres caresses lui procuraient du bien-être sans réveiller assez son désir pour qu’il se laisse porter dans une direction sensuelle, charnelle. La nuit, Sylvia plutôt, avait assouvi tous ses désirs pour un moment et il ne cherchait plus qu’à profiter du bonheur simple de ces quelques minutes de calme gagnées sur le jour naissant. Que n’aurait-il donné en cet instant pour écouter la jeune femme et se laisser aller à rêver qu’ils avaient encore tout le temps qu’ils désiraient, qu’aucune obligation du monde extérieur ne viendrait rompre cette période de félicité parfaite ? Déjà les premiers indices d’éveil du campement se faisaient plus pressant, faisaient passer une ombre de nostalgie dans le regard de Kasumi. Mais un coup d’œil à Sylvi suffit à balayer cette sensation. Il lui sourit et répondit d’un ton plein de langueur mais avec une pointe d’interrogation, d’inquiétude peut-être :

- Oui, on a tout notre temps, n’est-ce pas ?

Y avait tant de questions, tant d’interrogations qu’il n’osait pas encore aborder franchement derrière cette question simple. Mais non, il ne voulait pas gâcher le moindre de ses instants aussi reprit-il d’un ton beaucoup plus enjoué :

- Bien entendu que j’ai une surprise pour toi ! J’aurais trouvé d’autres excuses pour t’attirer dans mes bras. J’aurais commencé par vanter ta beauté par exemple… Non, trop évident tant elle est frappante. Non, j’aurais trouvé autre chose. Pour la prochaine fois… Mais on ne plaisante pas avec les cadeaux, c’est un sujet bien trop important. Je me souviens combien de temps tu me faisais la tête à chaque fois que je l’oubliais.

Un sourire et un baiser plus tard en guise d’excuse pour avoir à se lever et le rôdeur s’arracha à l’étreinte de sa compagne pour sortir rapidement un objet de bois en son sac. Il le tenait encore caché dans son dos et s’amusa de lire la curiosité dans le regard pétillant de Sylvia.

- Rhaaa... mais tu fais exprès de faire durer ! Tu n'as pas changé je vois ! Tu adores me rendre folle d'impatience...
Sylvia riait, joyeuse. Elle se leva d'un bond, sans souci de sa nudité, fière peut-être de l'effet qu'elle lisait dans les yeux du rôdeur. Par jeu, elle tenta sans succès de le contourner, puis lui attrapa le bras pour essayer de l'obliger à amener le paquet devant elle. Mais il était bien entendu trop fort pour qu'elle ait la moindre chance d'y parvenir. Aussi décida-t-elle de changer de stratégie. Elle l'enlaça tendrement, et se mit à l'embrasser langoureusement, puis passionnément, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle, laissant errer ses mains le long de son corps, cherchant à éveiller son désir, à embrouiller ses sens... tandis que l'une de ses mains filait adroitement derrière son dos pour tenter de s'emparer du paquet en question.

Le rôdeur protesta faiblement d’une voix rauque tandis que tout son corps exprimait douloureusement que son indignation était parfaitement feinte.

- Hey, ce n’est pas du jeu, tu triches !

Mais comment ne pas se laisser faire, ne pas répondre aux baisers fougueux de Sylvia, ne pas s’extasier devant la beauté sensuelle de son corps souple et élancé, de ses courbes si féminines, si douces et désormais si familières. Il n’était pas dupe de son objectif aussi tenta-t-il de lutter un instant juste pour qu'elle poursuive son jeu amoureux, juste pour le plaisir d’y participer. Alors, quand la jeune femme réussit à s’emparer du cadeau, libérant ainsi ses mains, il prit une douce revanche en les portant rapidement au niveau de ses hanches exposées puis il les laissa glisser partout autour en s’attardant coquinement sur son postérieur sans jamais cesser de l’embrasser. La sentant partagée entre deux désirs, il s’éloigna de ses lèvres pour lui adresser un sourire mutin, joueur, son regard pétillant du plaisir d’une petite victoire. Evidemment, les caresses ne l’avaient pas du tout laissé indifférent mais il brûlait aussi de laisser Sylvia découvrir son cadeau, empressé de connaître sa réaction, un brin angoissé qu’il puisse la décevoir.

Quand la jeune femme put enfin se dégager suffisamment de son étreinte pour ramener sa trouvaille, elle put enfin contempler l’œuvre du rôdeur. Le demi-elfe l’aida à l’appréhender, masquant pour un instant encore le centre de la sculpture d’une ses mains et livrant à son oreille les impressions qui avaient guidé son talent, même avant qu’ils se soient avoué leur amour, qu’ils aient ravivé leur passion réciproque.

L’objet représentait en premier plan un sous-bois typique de la région mêlant plusieurs espèces végétales clairement identifiables pour une rôdeuse aussi versée dans la connaissance de la nature. Mais, au-delà de cet aspect familier, la disposition unique de ces espèces rappela à Sylvia un taillis où elle avait souvent pu se rendre avec Kasumi. Un détail dénotait pourtant, une couleur insolite qui se voyait au travers des feuillages de bois, une couleur qui était pourtant si familière,

- Elle était ma beauté cachée. Ma beauté flamboyante. Ma Sylvia que je n’osais pas regarder, que je ne pouvais pourtant m’empêcher d’admirer en secret.

Alors enfin il retira ses mains pour révéler ce qu’elle était la première à voir. Au travers de ses yeux du passé, de ses souvenirs, rendu aussi fidèlement que possible par le bois aux teintes différentes. Il avait eu de la chance de trouver la couleur qu’il voulait pour les cheveux de la jeune beauté qui se tenait accroupie derrière un buisson, sans doute dans le but de se dissimuler comme tant de fois pendant leurs exercices avec maître Jeremiah.

- Tu essayais de te cacher mais c’était peine perdue, ma douce. Mon cœur savait où te chercher et je m’y fiais déjà alors. Sauf peut-être quand tu m’avais adressé un sourire ou un clin d’œil qui enflammaient mon imagination, quand tu troublais toutes mes pensées d'un simple geste.

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Ouah, trop belle

Sylvia contemplait la petite statuette. Tellement émue qu'elle ne trouvait pas les mots.
- Je ne savais pas, murmura-t-elle. Je ne savais pas... que tu éprouvais quelque chose pour moi à l'époque. Si j'avais deviné, si j'avais osé... Je croyais que tu me taquinais juste.
Elle lui sourit, les yeux embués de larmes. L'émotion...
- Oh, merci... merci, merci, merci... Tu ne peux pas savoir ce que ça me fait...
Et sans plus de cérémonie, elle lui sauta au cou.

Son cœur manqua un battement, puis un second quand le rôdeur observa la force de l’émotion qui étourdissait Sylvia puis il reprit brusquement son rythme en même temps que la respiration qu’il avait retenue jusque-là. Il lui était si simple, si naturel à présent d’avouer ces doux secrets qu’il lui avait tant pesé de conserver pendant une longue période de sa vie, qu’il avait été bien trop timide pour avouer à l’objet de toutes ses pensées de jeune homme. Et pourtant l’émotion n’en était pas moins intense maintenant qu’il avait pu se libérer, la partager, découvrir que son amour était réciproque. Plus de mélancolie pour les années perdues stupidement, pour ses choix qui les avait séparés, les avaient empêchés de se retrouver jusqu’à aujourd’hui. Non, tout cela était bien désuet, dérisoire désormais. L’émotion de leurs retrouvailles masquait tout. Elle s’était exprimée par tant de passion cette nuit mais Kasumi découvrait à présent qu’il y avait d’autres façons aussi puissantes d’exprimer son amour. De susciter une émotion si belle qu’elle lui en nouait la gorge. Quand Sylvia se jeta avec tant de spontanéité contre lui, la vague de sensations fut telle qu’il sentit une larme de joie couler le long de sa joue. Puis d’autres encore dans un torrent qu’il ne cherchait plus à contenir, libéré en même temps que toutes les inhibitions qu’il s’était patiemment forgées pour masquer ses sentiments. A ses propres yeux surtout. Il s’ouvrait maintenant tout entier à l’amour qu’il n’avait jamais su contenir tout à fait et il avait tellement peur de le voir s’envoler à nouveau qu’il s’y raccrocha à toute force, enserrant Sylvia entre ses bras dans une étreinte ferme mais pleine de tendresse. Il s’abandonna dans l'union, la symbiose de leurs deux corps enlacés, de leurs deux âmes mises à nues. L’instant formait un équilibre parfait et saisissant entre le désir puissant que ce corps chaud contre le sien suffisait à réveiller encore et toujours et la tentation tout aussi séduisante de profiter simplement de l’instant partagé, de le prolonger pendant des heures, des jours, des années. Mais le soleil qui s’immisçait maintenant presque jusqu’à eux signifiait que ces deux possibilités leur étaient refusées, qu’il fallait y mettre fin. Que la nuit était finie, que le jour réclamait leur retour aux considérations d’un monde extérieur qui paraissait tellement étranger à leur bulle de bonheur pur. La mission, le voyage, le retour chez lui ensuite allait les éloigner, les séparer. Sans doute juste temporairement, quelques jours, quelques semaines. Mais cette idée lui était tellement insupportable que le demi-elfe ne put contenir un sanglot, de nouvelles larmes. Il laissa ses mains trouver celles de Sylvia pour laisser leurs doigts s’entremêler, pour gagner juste assez de force pour exprimer sa douleur, ses craintes :

- Comme je t’aime… Comme il m’est difficile de m’éloigner de toi ne serait-ce qu’un jour, qu’une heure, qu’une minute… Je crois que je pourrais en mourir de chagrin. Et pourtant il le faut… Mon père a besoin de moi.

Uniquement son père ? Non, il était certain que Sylvia non plus n'était pas dupe : il y avait tant de choses, tant de personnes avec lesquelles se mettre en règle encore. Une en particulier. Une qui le renvoyait à sa terrible culpabilité, à sa faute, à sa division. Et pourtant l’amour qu’il partageait avec Sylvia aurait dû suffire à reléguer au passé cette loyauté qu’il avait bafouée. Son autre amour qu'il avait occulté pour vivre le présent, rêver de l'avenir. Mais le rôdeur savait que ces questions cruelles et difficiles qu’il avait repoussées, qu’il repoussait encore à toute force devraient trouver des réponses, une conclusion. Sans quoi il ne pourrait jamais retrouver son unité, vivre pleinement sa félicité.

Il vit l'expression de Sylvia s'altérer devant ses larmes. Doucement, tendrement, la rôdeuse l'enserra dans ses bras, sans un mot, cherchant simplement à soulager sa peine, à lui mettre un peu de baume au coeur. A le soutenir.
- Je vais t'accompagner là-bas, annonça-t-elle subitement, sur un coup de tête, énonçant simplement l'idée qui venait de lui traverser l'esprit. Je connais les lieux mieux que toi, j'y suis allée déjà, et on ne sera jamais trop nombreux pour affronter les périls des marais...
Elle s'interrompit soudain, le regarda, un grand point d'interrogation au fond des yeux.
- Enfin... sauf si tu ne veux pas bien sûr. Je me doute... que tu as besoin d'être seul, de réfléchir... je t'ai peut-être un peu forcé la main, hier... je devrais en éprouver du remord, mais j'attendais ça depuis si longtemps, tu ne peux pas savoir ! Alors... C'est comme tu veux, bien sûr, tu peux y aller seul... mais te laisser déjà alors que je viens de te retrouver... C'est tellement dur...

Trop dur… Oh oui, cela l’était également pour lui. Mais avait-il le droit de mettre Sylvia en danger, de l’arracher à son monde ? De l’entraîner à sa suite alors même qu’il n’avait pas résolu les mille dilemmes la concernant, les concernant. Qu’il lui restait des décisions à prendre, des choix terribles à faire. Avait-il la moindre chance de faire un choix objectif alors que tout son être lui hurlait que demander à la rôdeuse de l’accompagner était tout ce qu’il désirait. Et les raisons ne manquaient pas : lorsqu’il avait déjà été confronté à ce choix, il avait pris une décision calamiteuse en contradiction avec lui-même et il en mesurait aujourd’hui les conséquences. Et tout avait changé depuis. Depuis, il avait appris à réaliser que le jeune-homme stupide qui s’était enfui avait eu l’intention de se faire du mal à lui-même pour se détourner de sa peine. Une nouvelle barrière insoupçonnée céda brusquement en lui en mesurant les interrogations de Sylvia, la crainte qu’il l’abandonne encore, même après ce qu’ils venaient de partager, des perspectives sans limites que cela leur ouvrait. Alors, il chassa sans peine la tristesse, la mélancolie en se laissant entraîner par le courant d’espoir. Il en avait assez de lutter contre lui, de se raccrocher à ses doutes, à sa raison, à ses limites. Il n’en avait plus la force, plus maintenant. Pas maintenant. Alors, une nouvelle fois, il se mit en accord avec ses aspirations les plus naturelles et répliqua d’une voix douce mais fermement décidée :

- C’est tout ce que je voulais mais j’ai toujours eu besoin que tu me le montres. Je veux dire, autant pour ce qu’il est advenu hier soir que ce que tu me proposes maintenant. Bien entendu que je veux que tu m’accompagnes. Comment pourrait-il en être autrement ? Je ne suis pas obligé de réfléchir seul… Mais est-ce bien raisonnable ? J’ai foi en toi mais j’ai tellement peur que tu te mettes en danger à cause de moi. Si jamais il t’arrivait malheur…

Chassant cette pensée atroce, trop déprimante, il reprit d’un ton bien plus joyeux pour la chasser avec un sourire amusé et complice :

- Et puis, tu ne m’as pas forcé la main hier… Enfin, juste un peu, peut-être : il faut dire que tu te débrouilles divinement bien pour m’influencer, pour me montrer ce que tu désires, pour me pousser bien au-delà de mes limites. J'ai juste une condition sur laquelle je ne reviendrai pas si tu dois m'accompagner dans ces marais...

- Laquelle ? s'exclama Sylvia, les yeux brillants. On n'y lisait que de la joie et de l'impatience, nulle crainte. Les dernières phrases du rôdeur avaient chassé ses craintes, les ombres de son regard, et c'est confiante qu'elle attendait sa réponse. Confiante, et peut-être un brin perplexe.
mais avant de le laisser répondre, elle ne put s'empêcher de déposer un nouveau baiser sur ses lèvres, passionné... peut-être pour le dissuader de changer d'avis? Ou tout simplement pour rattraper les années perdues...

Le rôdeur laissa le baiser se prolonger, le goûtant, le savourant sans retenue, laissant la curiosité de Sylvia se manifester pour y mettre fin. Une fin temporaire qui la rendait bien moins amère. La lueur amusée dans le regard du demi-elfe reprit alors ses droits, gâchant l’effet faussement grave qu’il chercha à donner à ses premières paroles :

- Cela me désole de te le demander… Ce sera très difficile à supporter pour moi si tu l’acceptes… Mais c’est nécessaire, il faut que je me montre raisonnable. Sans cela, je ne pourrai jamais parvenir à me concentrer sur la tâche qui nous attend. Alors voilà… Puisque tu as décidé de me suivre, je dois… nous…

Il fit une pause pour s’approcher de son oreille pour lui souffler le reste de sa pensée :

- Nous allons devoir renfiler une tenue qui choquera un peu moins nos compagnons. Dans quelques instants du moins… Rien ne presse encore…

La jeune femme sentit alors les mains de son amant qui se placèrent dans le creux de ses reins avant de glisser en une caresse qui effleura à peine sa peau nue jusqu’à ses cuisses. La prise se raffermit alors juste assez pour la guider jusqu’à lui, contre lui. Le souffle du demi-elfe se fit plus rauque qu’il ne l’aurait voulu quand il ajouta :

- … A moins que tu aies faim. Tu dois être affamée, non ?

Mais déjà il prenait l’initiative de démentir la perspective d’une nourriture par trop terrestre. Les mains la soutinrent solidement tandis qu’il se plaçait doucement entre ses jambes, tandis qu’il la soulevait souplement tout en continuant de l’attirer au plus près de lui en l’encourageant à prendre appui sur ses épaules, sur son dos. Alors qu’il invitait Sylvia à resserrer sa propre étreinte, il se coula en elle, déjà au comble de l’excitation, délivrant - en un premier râle de plaisir qu’il espérait partagé - son intention d'aller bien plus loin encore. Juste une fois avant que le temps n'achève de les rattraper.

- Oooh...
Il sentit le corps de la rôdeuse se cambrer, un hoquet de plaisir lui échappa, et ses mains se crispèrent sur la première chose qu'elles trouvèrent : ses cheveux, qu'elles empoignèrent avec fougue sans se soucier de lui faire mal. Elle ne maîtrisait plus rien, ne cherchait même plus à diriger ses gestes, elle ne faisait que s'abandonner à ceux de son amant, le regard extasié, presque affolé parfois devant l'intensité des sensations qu'il savait éveiller en elle. Son souffle désordonné, ses gémissements, trahissaient mieux que des mots ce qu'elle ressentait.
Lorsqu'enfin il la laissa s'apaiser, son corps moite contre le sien, elle ouvrait des yeux à la fois émerveillés et incrédules.
- Comment tu fais...? Comment tu fais pour savoir si bien me rendre folle de désir, de plaisir ? Je... je n'ai jamais connu ça avant... Oh, Kasumi, c'est tellement fort, tellement merveilleux...
Elle sourit, enfin, reprenant doucement le contrôle de ses sens.
- Et si on restait là ? On pourrait passer toute la journée à s'aimer, et toute la nuit encore... Et demain aussi...
Elle rit, joyeuse, avant de se reprendre et de conclure d'un ton grave.
- Je sais, ce n'est pas possible... Mais je jure qu'à notre retour, lorsqu'on aura sauvé ton père, Je ne te laisserai pas une minute de répit !
Et elle ponctua cette dernière phrase d'un nouveau baiser passionné.

Cette étreinte les avait tous deux mené au comble d’un plaisir partagé, sans retenue, sans plus aucun calcul, y consacrant toute la force de leur désir pour l’épuiser, l’apaiser, le mettre en sommeil. Car ils savaient l’un et l’autre que ce serait la dernière concession qu’ils pouvaient s’accorder, se consacrer l’un à l’autre. Malgré tout ce qu’ils avaient déjà partagé, Kasumi se sentit rougir des paroles de Sylvia. Elle parvenait encore à l’affoler par de simples mots, plus encore maintenant qu’il en mesurait toute la signification sans arrière-pensées. Comme les siennes quand il répondit dans un souffle :

- C’est toi qui est merveilleuse. C’est une façon de te le montrer. Comme j’ai hâte que nous soyons de retour, ensemble ! Mais plus tôt nous nous mettrons en route, plus tôt nous pourrons revenir éprouver tes bonnes résolutions.

Sur un dernier soupir contrit et désolé il se sépara d’elle, commençant à réunir leurs vêtements dispersés dans la petite cabane, comme autant de symboles de leur abandon total de la veille.

Sylvia ne se leva pas immédiatement, préférant l'observer tandis qu'il se déplaçait d'un vêtement à l'autre, le regard mutin. Elle ne le quittait pas des yeux, cherchant peut-être malicieusement à le mettre mal à l'aise. Ou à le provoquer.
Mais il n'eût pas le temps de décrypter les intentions de sa compagne. Quelques coups se firent entendre à la porte, suivis de la voix joyeuse d'un Tilmandil qu'il devinait hilare.
- Bon, les amoureux, vous comptez sortir un jour ? Non, parce qu'il faut le dire, si vous voulez repousser l'expédition....

Kasumi avait procédé lentement, défroissant délicatement les effets appartenant à la rôdeuse, tout à fait conscient du regard de sa compagne et ne se gênant pas du tout pour entrer dans son jeu. Son attitude changea toutefois drastiquement quand on frappa à la porte et que la voix de son demi-frère se fit entendre, goguenarde. Il se hâta alors d’apporter ses vêtements à Sylvia puis d’enfiler précipitamment les siens, les joues en feu. Puis, il se rendit compte de combien la situation devait paraître cocasse et prit conscience des remarques probablement très inspirées qu’il allait devoir bientôt endurer pendant des heures. Croisant alors le regard de Sylvia, il ne put s’empêcher de rire de bon cœur tout en l’observant en train de se rhabiller.

- Je crois qu’on n’a pas fini d’en entendre parler. Tu crois qu’il nous croirait si on tentait de lui faire croire que nous sommes juste partis en reconnaissance ? Ou que la vaisselle nous a pris un peu plus de temps que prévu ? Non pas que je cherche à dissimuler notre amour, ne va pas croire ça… Mais je crois que Tilmandil va être assez pénible…

Sylvia se rhabilla rapidement, quoique moins précipitamment que lui. Et rit de bon coeur à ses suggestions.
- Ne t'en fais pas, il s'y fera... Et puis c'est surtout toi qui va devoir le supporter, c'est ton demi-frère. Je te parie qu'avec moi il sera parfaitement galant et aimable, sans une seule allusion déplacée !
Ce fut elle qui alla ouvrir -n'était-elle pas chez elle ?-, découvrant sur le seuil le jeune barde qui affichait un sourire beaucoup trop large. Eärundra, quant à elle, n'était pas visible.
- Bien dormi ? Bon, excuse-moi Kasumi, je crois que ce n'est pas tout à fait le bon terme...
Son ton était parfaitement innocent.
- Et puis l'essentiel est que vous soyez réveillés... Même avec des cernes sous les yeux ! J'espère que vous avez déjeuné ? C'est pas qu'on vous attend mais... presque !

Le rôdeur était en train de réunir les sacs et se mit à bafouiller, ne contrôlant que très partiellement la couleur de ses joues. Après une profonde inspiration, il vint se placer aux côtés de Sylvia et tendit son paquetage à son demi-frère, arborant l’attitude la plus neutre possible. Plutôt que de laisser l’initiative de la conversation à Tilmandil, il se lança dans une tentative bien dérisoire et éphémère de diversion :

- On n’avait pas très faim après le repas un peu trop copieux d’hier soir. Et puis, il reste quelques biscuits pour la route donc nous serons tout à fait prêts dans un instant… Juste le temps d’apporter la dernière touche au paquetage de Sylvia. D’ici là, tu peux me raconter… Tu as l’air d’avoir passé une bonne soirée tout compte fait… Et dire que tu semblais anxieux de l’accueil de ton public hier… et où se trouvent donc Eärundra et Léo ?

Evidemment, le bâillement à demi étouffé qui ponctua son petit discours et le fait que le demi-elfe n’osait pas tout à fait regarder le barde en face par crainte d’y lire son expression ne plaidaient guère en sa faveur. Oh que la journée promettait d’être difficile ! Mais il y ferait face. Il se sentait prêt à faire face à n’importe quoi après cette merveilleuse nuit. Et puis il ne serait pas seul à l’affronter, non ?

Tilmandil affichait un sourire narquois. Mais il se plia de bonnes grâces à la tentative de diversion de Kasumi. A sa manière...
- Eärundra ? Oh, je crois qu'elle est terriblement vexée, tu avais promis de lui garder une place pour le spectacle... Et comme elle est arrivée un peu en retard, elle s'est retrouvée au dernier rang du coup... Elle a dit qu'elle nous attendait près de la rivière.
Le tout dit d'un ton parfaitement neutre et innocent... tandis que Sylvia décochait au rôdeur un regard mi-interrogatif, mi-amusé... et quand même plutôt jaloux.
- Et mon spectacle s'est bien passé, oui, j'ai eu un succès fou auprès des plus jeunes de tes ex-camarades... Bon, quand j'ai vu que tu ne revenais pas, je me suis demandé où j'allais passé la nuit, mais il a suffit que je pose la question pour qu'une foule de personne me proposent de m'héberger. je pense qu'ils escomptaient un petit spectacle-bonus gratuit, mais j'avais déjà tout donné... Alors, j'ai accepté l'offre de Gwenaël... Et supporté Amish. Bah, elle est pas si mal, cette petite. Bon, Joris regrettait que tu ne sois pas avec moi, mais je pense qu'il a deviné. son père aussi d'ailleurs. Tout le monde, en fait... Attends-toi à des regards curieux, intéressés, attendris, moqueur... mais ne compte pas pouvoir garder le secret un seul instant !

Le rôdeur s’était attendu à subir les conséquences de sa défection mais les paroles de Tilmandil – les unes après les autres – le firent blêmir. Qu’il était doué pour frapper innocemment là où cela avait le plus d’effet. Certes, le rôdeur s’était parfaitement attendu à essuyer des reproches pour avoir manqué le spectacle de son demi-frère mais de là à avoir vexé Eärundra, Joris, Gwenaël… Et qu’avait-il dit à propos d’Amish ? Et de tout le village qui plus est ? Oh dieux, pourquoi avait-il déjà les idées aussi embrouillées de fatigue ? Il tenta de protester mais d’un ton qu’il jugea lui-même un peu plus las qu’ironique :

- Bah, tant que Léo n’a pas une dent contre moi, tout va bien je suppose. Et je suis prêt à parier que tu n’as rien fait pour amplifier les rumeurs, on peut compter sur toi pour ce qui est de garder des secrets, non ?

Puis, il s’approcha de Sylvia et lui saisit discrètement la main pour désamorcer la pique concernant la druidesse. Au moins pensait-il pouvoir se défendre sur ce plan… Il l’espérait en tous cas. Du moins si ce maudit barde cessait de s’en mêler à sa façon…

- Avez-vous déjà récupéré le matériel et les herbes médicinales ? Si ce n’est pas le cas, nous ferions mieux d’y aller sans tarder pendant que Sylvia termine ses préparatifs. Est-ce que tu aurais besoin que je récupère quelque chose pour toi ?

Cette dernière question s’adressant à la rôdeuse était posée avec un ton plein de tendresse mais il s’abstint au dernier moment d’ajouter le « ma douce » qui lui brûlait les lèvres. Mieux valait garder profil bas pendant un petit moment en présence de Tilmandil.

- Je vais me débrouiller...
- On s'est débrouillés...
Les deux phrases, jaillissant exactement en même temps, furent du plus bel effet comique, arrachant un sourire à leurs auteurs respectifs. Tilmandil se reprit le premier, achevant :
- Je veux dire... on a tout préparé, tu ne pensais quand même pas qu'on allait rester les bras croisés à attendre que Môssieur daigne émerger ? Tu te rends compte de l'heure ? Enfin, quand je dis "on"... Heureusement qu'on a une druidesse expérimentée avec nous, elle s'est chargée de tout, herbes, onguents, provisions... nan parce que s'il faut compter sur les rôdeurs, pfiou ! On est encore là demain ! Mais ça prouve qu'elle n'est quand même pas si vexée que ça. Et donc, elle nous attend avec Léo à la rivière, on a même fait un essai pour le faire monter à bord... et bien si tu veux mon avis il vaut mieux éviter, mais on n'aura pas forcément le choix !
Sylvia, qui avait patiemment attendu que le barde lui cède la parole, se contenta d'un :
- Ne t'inquiète pas, je vais me débrouiller, j'ai tout ce qu'il faut par ici. Donne-moi juste une dizaine de minutes...

Le rôdeur haussa un sourcil, puis fronça les deux durant la longue diatribe de son demi-frère. Alors, tandis que Sylvia proposait de préparer son équipement, il s’autorisa une réponse qu’il allait sans doute payer très cher tôt ou tard :

- Ah, ces bardes qui monopolisent la parole ! Heureusement que nous autres rôdeurs sommes toujours prêts à partir en moins de quinze minutes. Nous t’attendons dehors si tu veux bien, Sylvia. Puis nous irons ensemble voir si je risque ma peau ce matin.

Il aurait pu proposer d’aller directement à la rivière pour y retrouver Eärundra mais il préférait laisser l’opportunité à Tilmandil de laisser un peu libre cours à sa curiosité tant qu’il était seul avec lui pour subir une partie de ses allusions.

Et Tilmandil, bien sûr, ne se priva pas de le bombarder de questions et d'allusions...
- Alors ? C'était comment ? Non, mais je plaisante, je ne veux pas les détails, hein, je veux pas savoir combien de fois ni dans quelles positions... ! Bon, je sais déjà qu'elle a un corps parfait, qu'elle fait l'amour divinement bien... ben oui, c'est évident, sinon vous ne seriez pas encore au lit à cette heure-ci !
Il rit joyeusement. Heureusement que personne ne semblait devoir les entendre : les autres occupants du campement vaquaient à leurs occupations, trop loin pour surprendre leur conversation, sans leur jeter guère plus qu'un regard vaguement curieux.
- Bon, j'arrête ou tu vas devenir plus rouge qu'un humain... Est-ce qu'elle a apprécié ton cadeau, au moins ? Que je n'ai toujours pas vu, je te ferais remarquer au passage... mais avoue, je parie que c'est ce cadeau qui l'a jetée dans tes bras ! Les femmes adorent les artistes en tout genre... Mais tout de même, tu m'épates. Après toutes tes réflexions, l'autre jour, sur... je ne sais plus, l'honneur, le sens des responsabilités, le devoir, la fidélité... Allez, ne fais pas cette tête ! Je t'assure qu'il vaut mieux savoir suivre son coeur et son instinct, plutôt que de devenir aussi raide qu'un paladin avec son manche à balais dans le c... bon, tu vois ce que je veux dire. En tout cas tu m'as l'air épanoui... et elle aussi !

L’envie de frapper le barde ne passa certainement pas loin de se concrétiser à plusieurs reprises alors qu’il discourait avec une telle familiarité de sujets aussi crus. Mais le rôdeur se contint, bien conscient malgré tout qu’il l’avait bien cherché, qu’il n’avait rien à dire pour sa défense, bienheureux que le barde ait attendu qu’ils soient seuls pour livrer ce genre de réflexions. La remarque sur son serment bafoué le fit néanmoins tiquer, assombrissant encore son humeur, plutôt par culpabilité que par colère cette fois. Oui, il avait jeté aux orties les principes bien arrêtés qu’il avait défendu avec tant de sincérité alors même qu’il n’avait jamais vraiment eu à les éprouver. Oui, la situation pouvait prêter à sourire si l’on prenait le recul nécessaire. Mais le pouvait-il ? Il préférait plutôt reléguer ces interrogations tout au fond de son esprit et s’y intéresser plus tard, quand il aurait pris toute la mesure de ses décisions. Pour l’heure il rejoignait les conclusions du barde, étrangement, mais pour des raisons bien différentes. Un peu aigri tout de même, il répondit un peu plus sèchement qu’il ne l’aurait souhaité :

- Si c’est ta façon de te venger de la déception que je t’ai causée en ratant ton spectacle d’hier, je l’accepte. Je te dois toutes mes excuses. Et je regrette sincèrement de ne pas avoir pu t’y admirer comme un frère l’aurait fait. Mais s’il te plait, arrête de tout tourner en dérision. Ce qui se passe entre Sylvia et moi ne regarde que nous deux. Y compris ce cadeau qu’elle avait mille fois mérité.

- Hey, je ne voulais pas te vexer... Juste dédramatiser les choses...
Tilmandil paraissait sincèrement contrit.
- Tu avais l'air tellement... je ne sais pas... mal à l'aise, peut-être, quand je suis entré. Il n'y a pas de quoi, vraiment. Je suis heureux que tu aies pu retrouver cette jeune femme que tu sembles aimer, content que tu aies osé laisser tes sentiments s'exprimer. Puisque Corellon t'a ramené ici, peut-être était-ce pour te faire redécouvrir tout cela... Ce que je veux dire, c'est que je n'ai rien à te reprocher, absolument rien, de quel droit le ferais-je ? J'ai juste voulu plaisanter, tu sais, pour te faire savoir que je trouvais ça chouette au fond... désolé d'avoir été maladroit...

L’attitude de Kasumi changea du tout au tout quand il prit conscience de la contrition apparemment sincère du barde. Tilmandil n’avait pas cherché à le vexer, juste peut être le taquiner un peu, ce qui semblait être son état d’esprit naturel. Il en avait d’ailleurs le droit après avoir subi sans broncher ses propres provocations pendant le trajet. Le demi-elfe se frotta donc les yeux et se passa une main sur le visage avant de lui adresser un sourire en coin et de lui répondre d’un ton léger mais assez bas pour que leur conversation reste discrète :

- Désolé d’avoir réagi aussi vivement. C’est juste que tout ça est très nouveau pour moi et j’ai tendance à m’emporter un peu facilement quand je n’ai pas fermé un œil de la nuit… Nous avions beaucoup de souvenirs à évoquer.

A nouveau, les yeux de Tilmandil pétillèrent.
- Des souvenirs... Hum... Admettons.
Puis il se rembrunit, craignant sans doute d'avoir à nouveau vexé son demi-frère, et ajouta plus sérieusement.
- Je vois bien que tout ça te perturbe. Que ce n'est peut-être pas seulement le manque de sommeil... mais ce que je peux te dire, en tant que grand frère -oui je te rappelle que j'ai pas mal de décennies de plus que toi-... c'est qu'il faut savoir suivre ton destin, faire confiance à ce que la vie t'apporte. Suivre ton coeur aussi... Bon, je suis désolé, on dirait que je te donne un cours de morale, je te jure que ce n'est pas ça du tout... Mais vraiment, profite de la vie. Elle est si courte pour ceux de ta race...
Il grimaça.
- Argh, je n'ai jamais été aussi embrouillé dans ce que je dis. Un comble pour un barde. Ca doit être l'émotion.
A nouveau, il souriait, et asséna une grande tape sur l'épaule du rôdeur.
- Et... tu ne m'as toujours pas dit ce que représente ton oeuvre d'art qui a su conquérir son coeur ?

Les nouvelles remarques de Tilmandil le laissèrent d’abord quelque peu songeur mais il ne se vexa pas. Loin de là en fait puisqu’il s’autorisa même un sourire en réponse à celui de son demi-frère.

- Non, je crois en fait que ce qui me perturbe c’est que tout me semble tellement naturel, que je devrais éprouver bien plus de remords, que cela ne ressemble pas à l’image que je m’étais faite de moi, de mon couple aussi. Tout serait différent s’il ne s’agissait pas de Sylvia… Elle a toujours eu une place très spéciale, unique dans mon cœur. Je n’osais pas me l’avouer jusque-là. A croire que j’ai grandi, d’une certaine manière. Mais peut-être pas tout à fait assez encore… J'ai un peu peur de ce qui ressortira de tout ça.

Puis, après un nouvel instant songeur, il ajouta d’un ton plein de mystère teintée d’un peu de fierté peut-être :

- Le cadeau n’a rien à voir dans tout cela. Si ce n’est qu’il a pu m’ouvrir les yeux hier. Je n’ai vraiment compris ce qu’il représentait que ce matin, juste avant de le lui offrir.

- Attends... Qu'est-ce que tu essaies de me dire par là ? Que tu sculptes sans savoir ce que tu fais ? Tu ne regardes pas tes doigts et tu leur laisse faire ce qu'ils veulent ? C'est de la magie à ce niveau ! Ou alors, tu es comme les bardes, ce n'est qu'une fois l’œuvre achevée qu'elle prend tout son sens, lorsqu'on la joue... dans ton cas lorsque tu l'offres...
Tilmandil sourit.
- Et bien, je ne te savais pas poète, petit frère. Ca doit être de famille, finalement, non ? Tu es sûr que tu n'es pas barde quelque part au fond de toi ? Un barde qui fait chanter le bois, en quelque sorte... Oui, ça sonne pas mal... il faut que j'intègre ça dans ma chanson. Mais je ne sais pas encore comment y intégrer ta douce Sylvia, il faut que j'y réfléchisse...

Le rôdeur se laissa aller à rire franchement cette fois. Il arborait maintenant une mine joyeuse, plus en accord avec la félicité qui l’avait porté toute la nuit et ce matin. Il réalisa que ce n’est qu’en l’absence de Sylvia qu’il avait commencé à s’interroger et jeta machinalement un œil en direction de la cabane, comme s’il espérait l’apercevoir et puiser de la force dans cette vision.

- Je ne suis ni magicien ni barde. Poète… Peut-être juste un peu sans doute. Comme tout le monde. Le bois a ses propres contraintes et j’ai toujours dû choisir le morceau qui s’accordait le plus avec mon idée générale. Après, pour les détails, je dois composer avec la matière disponible. Et je n’ai pas toujours d’idée précise de ce que cela donnera avant d’avoir achevé mon œuvre. Pour celle-ci en particulier, j’ai sculpté un souvenir de Sylvia qui m’avait le plus marqué, un des plus vivaces. Mais je n’ai compris qu’en le terminant combien je l’admirais déjà à l’époque où j’étais un stupide adolescent trop timide. Et ce sentiment n’a jamais décru, bien au contraire. Je crois qu’elle l’a mieux compris que moi, avant moi.

Son ton s’était à nouveau fait grave aussi s’empressa-t-il d’ajouter plus légèrement :

- Mais sinon, j’espère que tu ne parles pas d’une chanson que tu aurais composée pour le spectacle d’hier… Une chanson que je serais susceptible d’entendre ce soir pour l’avoir manquée lors de ta représentation. Tu sais, j’avais vraiment l’intention de venir y assister. Je m’en faisais même une joie. Mais les choses ont un peu échappé à mon contrôle… Tu n’es pas obligé de parler de ça dans ta chanson, quand même ?

Tilmandil rit.
- C'est bien tout le sel des histoires, ces moments où l'imprévu vient bouleverser les plans bien établi, où le héros perd le contrôle... Et, si tu veux savoir de quoi parlaient mes chansons hier, il te faudra demander à mes auditeurs ! Moi j'ai déjà tout oublié, mentit le barde avec aplomb. Il y avait une histoire de souterrain dans un désert et de tapis volant... Mais je ne sais plus, c'est devenu bien flou dans ma mémoire...
Un bruit sourd de chaise déplacée se fit entendre dans la cabane, et quelques instant après, Sylvia sortait à son tour, ses longs cheveux roux soigneusement nattés, un sac bien rempli sur ses épaules.
- Je n'ai pas été trop longue j'espère ?
Elle avait un large sourire aux lèvres, plus radieux que le rôdeur ne lui avait jamais vu dans ses années de jeunesse. Et c'est à lui qu'il était destiné.

Kasumi commença à répondre à son demi-frère, conscient qu’il cherchait à le faire tourner en bourrique :

- Jamais je ne vais oser les interroger. De toute façon, ils ne rendraient pas justice à ton talent et ils ne vont certainement pas se priver d’allusions qui me mettront mal à l’aise quand j’irai leur parler. Ah mais attends, j’ai bien compris où tu voulais en venir : tu tiens à ce que Sylvia soit là pour entendre elle aussi, juste pour voir combien je peux être gêné ! Tu es…

Il s’interrompit au milieu de sa phrase quand il aperçut Sylvia, plus resplendissante, plus radieuse que jamais alors que la lumière du soleil la lui révélait dans toute sa grâce. Subjugué par son sourire, par sa coiffure, par le simple fait qu’elle soit là pour l’accompagner, comme autrefois, il ne fut pas conscient de penser à voix haute, juste assez pour que seul Tilmandil ait pu surprendre ses paroles :

- Dieux ce qu’elle est belle…

Il lui rendait un sourire sans doute béat sans plus aucune conscience de Tilmandil à ses côtés, ou du village, n’ayant d’yeux que pour elle quand il lui répondit spontanément :

- Oh non, tu es parfaite, comme d’habitude ! Il rougit et ajouta plus posément : Tu voudras peut-être prévenir ton oncle que tu nous accompagnes ?

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines