La Couronne de Cuivre

Reynald jetait des regards vers le jeune musicien avec des hésitations, puis il finit par sourire à Astrée et se lever pour aller s'asseoir à côté du flûtiste. Il lui parla alors en aparté.
" Il est de coutume de payer un barde, après sa performance. La vôtre était tout à fait enchanteresse. J'aimerais vous récompenser pour cette offrande. Si vous l'acceptez, vous pourriez sortir avec moi dans quelques minutes... J'ai une amie qui attend dehors et elle pourrait remédier à ce qui... vous obscurcit le regard."

Le jeune homme rougit, un peu mal à l'aise.
" Je... ne sais pas... Vous croyez vraiment... qu'on peut me guérir ? Vous savez, ça ne me gêne pas tant que ça, j'y suis habitué. Et puis... je ne suis pas sûr de mériter un quelconque paiement. Vous m'appelez barde, mais je n'en suis pas un. Je ne peux pas lire la musique... ni rien d'autre. Et encore moins lancer de sorts... "
Mais il y avait indéniablement de l'espoir dans ses yeux bleus.

Astrée les observait à la dérobée, devinant sans peine le contenu de la discussion. Elle se souvenait que le Sorlyn avait parlé de guérir un homme mal-voyant, des veilles auparavant. Elle se demandait juste s'il le pouvait, avec une main en moins. Mais plutôt que de s'appesantir là-dessus, elle s'efforça, puisque Reynald était occupé, de discuter de son mieux avec leurs hôtes, ce qui lui demandait un certain effort... Elle accepta même un peu d'eau-de-vie, qu'elle faillit bien recracher tant elle était forte.

" La magie divine peut guérir ce dont vous souffrez... répondit Reynald d'une voix douce. Cela vous permettra, justement, d'apprendre à lire la musique, et je gage que vous composerez plus aisément. Ce n'est pas grand chose, vraiment, et ça me ferait plaisir."
Il croisa les bras.
" Après, un véritable barde... n'est que très rarement sédentaire. Je pense qu'embrasser ce genre de carrière est une décision qui ne se prend pas à la légère, même sous le coup d'une rencontre opportune... Faites l'expérience de votre nouvelle vision du monde... et si vous entendez l'appel de la muse... Venez donc à Eredhun, au Temple de Milil. Rien que le voyage sera déjà un bon test de votre résolution."

" Erhedun... C'est moins loin que Luménis, mais... Je ne sais pas. Jusque-là, je n'ai jamais voyagé, je ne pouvais pas. Et ma mère avait besoin d'un bras costaud à la maison. Et... Vous avez raison, il faut que je prenne le temps de réfléchir."
Il se rembrunit.
" Mais je ne veux pas m'emballer avant d'être sûr que la magie divine puisse vraiment me guérir. Après, si c'est bien le cas... je finirai sûrement par faire le voyage, au moins pour venir vous remercier ! Et je crois que je vais aimer apprendre à lire... la musique, et les lettres aussi. Enfin, si je trouve quelqu'un pour m'apprendre à mon âge. Ça doit être plus difficile."
Le vieux Lucien qui écoutait, l'air de rien, la conversation, afficha un sourire réjoui.
Astrée, de son côté, évoquait le problème des loups avec Matthieu, un peu plus à l'aise sur ce sujet qui la concernait davantage.

" Ne vous inquiétez pas. Allons trouver Aleka, elle va s'occuper de vous et ce sera déjà un premier pas... Ensuite, vous avez le temps d'aviser... Vous êtes très jeune et déjà très doué. Vous ne devez pas brûler les étapes."
Il se leva.
" Allez, venez."
Il se tourna vers le reste du groupe.
" Nous prenons congé un moment, surtout gardez-moi de la poire !"
Puis il ouvrit la porte et attendit que Joshua l'accompagne dans la nuit.

Astrée les regarda sortir, un peu interloquée. Elle brûlait d'envie de les accompagner, et dut se faire violence pour afficher un air presque tranquille. Il avait dit qu'il revenait, il n'allait tout de même pas partir sans lui dire au revoir... Il en était capable, sûrement. Ça aurait été très mal poli de sa part de planter là le reste du groupe, elle le comprenait bien. Mais rester assise lui coûtait terriblement. Peut-être... qu'elle devrait trouver un prétexte pour le suivre ? Mais c'était trop tard, il était sorti.

Joshua, quant à lui, hésita un bref instant, sourit d'un air d'excuse à leurs hôtes, et suivit le Sorlyn avec, tout de même, un brin d'anxiété dans le regard.
" Est-ce que... ça fait mal ? Quand on soigne les yeux ?" demanda-t-il une fois dehors.

" Non, répondit le prêtre. Ça ne fait pas mal."
Il savait qu'Aleka l'aurait suivi au village, discrète mais disponible, aussi ne fut-il pas surpris de la voir apparaître au détour du chemin.
" Un souci ?" demanda-t-elle en s'approchant.
Reynald sourit à Joshua puis alla s'entretenir brièvement avec sa collègue. Ils revinrent ensuite côte à côte et la prêtresse incanta. Elle devait avoir dix ans de plus que son protégé, pas davantage. Au terme du sortilège, une lumière dorée et violette enserra un instant le visage du jeune homme avant de se dissiper. Si tout s'était déroulé comme prévu, il devait désormais voir parfaitement.

Joshua cligna des yeux, l'air absolument stupéfait... et ébloui. La lumière, pourtant, n'était pas forte : le soleil venait de se coucher.
" Ouah, ça fait drôle... Je ne vais plus oser sortir au soleil ! "
Il ferma les yeux puis les rouvrit lentement, un sourire rêveur aux lèvres.
" C'est merveilleux... Il parait que j'y voyais, avant, mais je ne me souvenais plus..."
Il secoua la tête, revenant à la réalité, et, d'un geste un peu maladroit, étreignit brièvement Aneka, puis faillit en faire autant avec Reynald mais n'osa pas, se contentant de lui serrer le bras en bafouillant.
" Merci... C'est incroyable... J'oublierai jamais... Je sais pas comment... Si je peux faire quoi que ce soit pour vous remercier... Ou... Vous êtes sûrs que vous voulez pas rester un peu ?... Au moins, entrez boire quelque chose !, proposa-t-il en se tournant vers Aneka.

La prêtresse secoua la tête et lui sourit.
" En réalité, je ne suis pas là."
Elle se tourna vers Reynald.
" Tu as une idée du temps qu'il te faut encore ?
— Un peu. Je serai bientôt là."
Il fit signe à Joshua de le précéder à l'intérieur. Aleka, de son côté, retourna à la nuit.

Joshua ouvrit machinalement la porte, obéissant à l'injonction du Sorlyn, puis se retourna, perplexe, vers l'endroit où Aleka venait de disparaitre. Il brûlait de questionner Reynald, c'était évident. Mais il était submergé par l'émotion de sa guérison, incapable de trouver les mots, l'esprit trop préoccupé par toutes ces sensations nouvelles.
Reynald, par l’entrebâillement, vit l'expression surprise et inexplicablement soulagée d'Astrée, qui s'était instantanément tournée vers l'ouverture. Imitée d'ailleurs par les autres convives.
" Ah, vous r'voilà... Et ben c'était temps ! Matthieu allait vous siffler votre verre !
- Moi ? Non mais sûrement !
- Je confirme !
- Traitresse !"

Joshua était entré et alla s'asseoir à sa place, sans un mot, l'air un peu sonné. Il regarda d'un oeil émerveillé la flûte qu'il avait laissée sur la table.
" Josh... Ça va ?"
Il sourit, secoua la tête, parut réaliser qu'il devait annoncer la chose.
" Oui, ça va. Enfin... Je... je suis guéri... Je vois clair..."
Un silence stupéfait accueillit ses paroles, tandis qu'il désignait Reynald du menton.
" Il m'a... enfin... sa collègue, dehors... Elle m'a soignée..."
La fin de sa phrase fut un peu étouffée par un brouhaha d'exclamations, reflétant la joie, la perplexité -quelle collègue ?-, l'incrédulité -Matthieu tint à observer ses yeux à la lumière d'une bougie-, la gratitude et l'émerveillement.

Astrée, elle, sachant déjà à quoi s'attendre, les laissa à leur joie et se rapprocha du Sorlyn -avant qu'il se retrouve au centre de l'attention,ce qui ne saurait tarder.
" J'en était sûre... C'est chouette que tu aies pu l'aider. Mais ta collègue... Aleka, c'est ça ? Elle était juste à côté ?"

" Elle musarde. Les Milites font ça. Aleka est une prêtresse du temple, elle sort peu... Pour elle, c'est l'occasion de s'imprégner d'une belle nuit, tranquille... C'est inspirant, en soi, et les Milites ont toujours besoin d'inspiration."
Il sourit.
" Pour le reste, c'est peu de chose à notre échelle, et pour ce jeune homme, c'est la transformation de tout un univers. Donc... ça en valait la peine, oui."

" Oui..."
Elle secoua la tête.
" J'aimerais bien savoir faire ça un jour... mais je ne sais pas si c'est dans les capacités d'un druide, ce genre de soin. On peut faire tellement de choses que les clercs ne font pas... du genre se transformer en aigle ou en loup... je suppose qu'inversement, il y a des tas de choses que vous savez faire et nous non."
Ils n'eurent pas le temps de débattre du sujet. Des appels à l'étage au-dessus leur apprirent que le brouhaha avait réveillé les enfants, et Joshua, saisissant l'occasion pour fuir un moment la salle, se porta immédiatement volontaire pour aller les endormir, tandis que Léna, d'un grand chuuut, tentait de ramener le calme chez les adultes.

Lucien en profita pour se rapprocher du Sorlyn et lui serrer le bras en le remerciant avec effusion.
" J'lui donne pas deux mois avant de se sentir pousser des ailes..., fit-il remarquer.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Il voulait être barde quand il était p'tit, avant sa maladie... Il a dû oublier, mais ça lui r'viendra, j'parie. Surtout maintenant qu'sa mère a moins besoin de lui...
- Ah mais... il peut pas être barde et rester là ?
- Je ne crois pas... Un barde, ça bouge... Ou peut-être si on ouvre une auberge ?
- En tout cas, c'est vraiment formidable, ce que vous avez fait là, conclut Léna en se tournant vers Reynald.
- C'est Tymora qui vous a envoyé !
- Ou p'têt plutôt Milil, en l'occurrence..."
Reynald dut affronter une nouvelle vague de remerciement, puis se vit offrir un verre d'eau de vie de poire et un autre de mirabelle, ainsi qu'une nouvelle part de tarte, et une invitation à rester autant qu'il voulait... tout comme son amie d'ailleurs. Astrée s'était mise un peu à l'écart, discrète, le laissant affronter seul toute cette reconnaissance méritée. Il était un habitué de ce genre de choses, bien plus qu'elle.

Reynald accepta les félicitations en les minimisant, arguant que c'était normal, un plaisir, qu'il n'avait personnellement rien fait, que n'importe qui d'autre aurait agi de la sorte. Il semblait tranquille et détendu, leur expliqua que non, Aleka ne viendrait pas, complimenta le fabricant de la poire, et de la mirabelle, sourit et plaisanta, manifestement dans son élément naturel.
Mais l'heure tournait et Astrée devina, à certains signes, qu'il ne tarderait plus à s'en aller...

Elle savait qu'il devait partir, bien sûr. Et la soirée avait été plutôt agréable, même si, comme toujours, elle était restée un peu en retrait, laissant Joshua et Reynald au centre de l'attention. Mais maintenant qu'elle touchait à la fin, elle se surprenait à redevenir un peu mélancolique, à se dire qu'elle ne connaîtrait plus le plaisir de passer une soirée en sa compagnie, ni celui de voyager ensemble, seuls ou avec Tybert. Bien sûr, cela faisait trois mois que tout était fini, mais le revoir avait ravivé des souvenirs si agréables, si nostalgiques... Elle songea à l'auberge de Maedron, à leur première fois, et sentit son coeur se serrer. Peut-être qu'il aurait mieux valu qu'il ne vienne pas, comme il le disait tout à l'heure ? Mais non, c'était absurde : elle savait que cette mélancolie ne durerait pas, que dans quelques jours ne demeurerait que le plaisir de l'avoir revu, et le soulagement de savoir qu'il ne lui gardait pas de rancune.

Elle se rapprocha de lui alors qu'il refusait un dernier verre.
" Il se fait tard, je suppose que tu vas partir... Et..."
Il y avait tant de chose qu'elle aurait voulu lui dire, tant de mots futiles et inutiles, dont la nuit ne suffirait pas à venir à bout et qu'il savait déjà, certainement. Elle pinça les lèvres, hésita.
" Me présenteras-tu Aleka ? Je suis curieuse de la connaître..., questionna-t-elle d'un ton détaché. Heu, enfin... c'est par pure curiosité... Si elle ne veut pas c'est pas grave !"
C'était juste un prétexte pour l'accompagner jusqu'au dernier instant, pour avoir quelques instants de tête à tête avant que la milite ne les rejoigne. Même si les mots se bousculaient trop dans sa tête, pour le moment, pour qu'elle parvienne à savoir ce qu'elle voulait réellement lui dire.

" Si tu veux." dit Reynald, avec un léger haussement d'épaules.
Il prit le temps de saluer et remercier la petite assemblée. Joshua n'était pas encore redescendu, mais il leur transmit ses bons voeux le concernant, et leur rappela qu'il était le bienvenu au Temple de Milil à Eredhun, s'il avait besoin d'un coup de pouce.
Puis il suivit Astrée à l'extérieur.
" Je ne suis pas certain d'avoir rendu service à cette communauté. Ils avaient un musicien doué parmi eux, et il va leur échapper... Mais bon, à l'échelle du barde, et de l'art, c'est un mieux."

Ils entendirent des pas précipités et Joshua sortit à son tour : il tenait à saluer le Sorlyn, à le remercier encore, et lui promit de passer à Erhedun. Il avait repris contenance, semblait s'habituer déjà à son nouvel état, et ses yeux brillaient de joie.
Il les laissa néanmoins très vite pour se diriger néanmoins vers la porte voisine, pressé d'annoncer la bonne nouvelle à sa mère qui vivait apparemment là avec lui.

Astrée attendit qu'il soit éloigné pour répondre.
" La communauté se remettra de la perte d'un musicien, ils n'en ont pas vraiment besoin, et il reviendra sûrement les voir. L'essentiel est que tu as rendu ses yeux à Joshua... et c'est formidable !"
Ils avancèrent de quelques pas vers la sortie du village. Il faisait sombre, désormais, le ciel était couvert. Mais ils y voyaient encore assez pour mettre un pied devant l'autre.
Tant de choses à dire... mais à quoi bon, au fond ? Elle se sentait la gorge nouée.
" Reynald... Je voulais te remercier... d'être venu..., murmura-t-elle finalement d'une voix rauque. Il faut que tu saches... que je suis heureuse de te connaître... et aussi... de tout ce qu'on a vécu ensemble... même si tu me manque un peu. Je n'oublierai jamais..."

Reynald s'arrêta, la regarda un moment, à courts de mots, puis l'étreignit chastement.
" Je n'oublierai pas, moi non plus." dit-il simplement.
Il n'ajouta rien, sans doute conscient que rien n'aurait pu arranger les choses.

Elle ferma les yeux en posant la tête contre son épaule, cherchant à puiser du réconfort dans cette étreinte trop brève. Elle sentait des larmes rouler sur ses joues, silencieuses, et aurait voulu se blottir contre lui indéfiniment. Mais ça n'était pas possible.
" Je crois que je t'aime encore, avoua-t-elle avec un soupir. Un peu. Mais t'en fais pas, ça finira bien par passer, avec le temps..."
Elle s'obligea à se détacher de lui, les yeux humides, et esquissa bravement un sourire.
" Et... malgré ce qu'on disait tout à l'heure... j'espère quand même qu'on n'attendra pas dix ans pour se croiser à nouveau."
Puis son sourire s'effaça, alors que ses yeux tombaient sur sa main absente. Elle réalisa qu'elle avait finalement une bonne raison de parler à Aleka.

Reynald lui serra doucement la main.
" Sans doute que non." dit-il avec un léger sourire, un peu penaud.
Il ne chercha pas à l'étreindre à nouveau, préféra à garder ses distances, manifestement indécis quant à la conduite à tenir. Ils circulèrent entre les maisons puis débouchèrent hors du village. Après quelques minutes, une silhouette se détacha d'un arbre et Aleka vint à leur rencontre. Agée d'une cinquantaine d'années, elle avait le sourire aisé et salua poliment Astrée. Elle ne fit aucun commentaire sur l'expression de son visage.

Astrée se moquait éperdument que quiconque voie les traces des larmes sur son visage. L'émotion était trop forte, et elle n'était pas en état de se soucier de ce genre de considération. Elle s'efforça de passer outre le noeud qui lui serrait la gorge pour la saluer, un peu timidement, avec à peine un brin de curiosité pour cette femme qui avait été -et était encore un peu, peut-être- le mentor de Reynald.
Son regard alla de l'un à l'autre, s'arrêta un bref instant sur la main absente, et elle se tourna résolument vers la milite.
" Je voulais vous proposer... Reynald a laissé entendre que ça coûtera très cher, de guérir sa main... Et comme c'est, quelque part, ma faute... enfin, ma responsabilité... ce serait normal que je contribue à payer ce qui est nécessaire. Je ne sais pas combien il faut, mais j'ai des économies, cinq cent ou six cent pièces d'or... et je n'en ai pas besoin, de toute façon."
Elle savait que Reynald aurait refusé si elle lui avait directement proposé. Peut-être Aleka accepterait-elle plus facilement. Et elle se devait de le proposer, de toute façon. Il était sous sa responsabilité à ce moment-là, elle avait été trop confiante, négligente, inconsciente peut-être. Elle n'avait pas oublié ce que Neffen lui avait dit. C'était sa faute.

" Il n'en est pas question, intervint Reynald. Absolument pas question."
Aleka eut une grimace, les regarda l'un, puis l'autre, mais ne dit rien. Reynald prit Astrée par le bras et l'entraîna à l'écart.
" Non, Astrée. Tu ne me dois rien. Certainement pas ce genre de choses. Je ne veux pas en entendre parler."

" Je m'en doutais un peu, rétorqua-t-elle, c'est pour ça que je voulais le dire directement à ta collègue... Mais... bref..."
Elle secoua la tête. Elle avait beau vouloir afficher autant de calme et d'assurance que possible, elle se sentit rougir d'oser ainsi le contredire, et eut peine à trouver ses mots pour se justifier.
" Ce n'est pas une question... de te devoir quelque chose. C'est juste qu'indirectement, j'ai une part de responsabilité. J'ai mal évalué les risques. Même si j'avais fait tout ce que je pouvais pour te mettre à l'abri et que Beshaba s'en est mêlée. Je sais que si j'étais restée, ce ne serait pas arrivé... Et donc ça me semble normal de te proposer de contribuer à réparer. Juste... par honnêteté, si on peut dire... Mais... je ne voulais pas te vexer...", conclut-elle, un peu penaude.

" Je comprends, mais je n'en veux pas, répéta le clerc. Je suis touché, même. Mais dans le fond, ce n'est pas le problème. Je récupérerai ma main quand je la récupère. Cela viendra, je le sais. Pour le reste... Laisse, à présent. Nous nous sommes dit ce que nous avions à nous dire. Pour un Milite, c'est bien plus crucial, bien plus important. Je voudrais que cela te convienne, à toi aussi."
Son regard s'adoucit.
" Est-ce possible ?"

" Oui... "
Elle hésita. Puis sourit.
" Mais à une condition... Et même deux. La première, c'est que tu me tiennes au courant quand tu auras récupéré ta main, pour que je sois rassurée... Sinon je suis capable d'aller prendre de tes nouvelles chaque hiver à ton temple à Erhedun ! menaça-t-elle d'un ton léger, avant d'ajouter, plus gravement : la seconde, c'est... que tu promettes de ne pas hésiter une seconde si un jour tu as besoin de me demander un service ou une aide quelconque. En mémoire de tout le bonheur qu'on a partagé... et... de tout ce que notre rencontre a changé dans ma vie... tu pourras compter sur moi. Et je serai toujours heureuse de te revoir."
Elle aurait préféré ne pas sentir à nouveau cette boule dans sa gorge. Mais c'était inévitable.

" J'accepte ces deux conditions, dit Reynald avec un léger sourire. Mais je voudrais aussi en ajouter une."
Son expression se fit plus grave, là aussi.
" Ne regarde pas en arrière. Va de l'avant, libère ton coeur, et... ne sois pas nostalgique. Ce que nous avons partagé, nous l'avons partagé, personne ne nous le prendra jamais. Mais c'est le futur qui t'attend. Un futur de druide, bien sûr... mais aussi un futur de femme. Tu vas trouver ce dont tu as besoin, et ce ne sera pas moi. Nous nous sommes aimés mais... nous étions trop différents. Nos voies divergent. Nos corps pourraient se retrouver, mais ce serait un mensonge. Je ne serai jamais ce que tu vaux. Et ce que tu veux, malgré ce que tu crois probablement encore un rien."

Elle mit quelques instants à répondre. Toujours cette boule dans sa gorge.
" Ne t'inquiète pas pour moi, finit-elle par articuler. Je suis déjà repartie de l'avant, et j'ai retrouvé un certain équilibre, même si te revoir a réveillé beaucoup d'émotions..."
Avait-il conscience du charme que recelaient ses yeux clairs quand il la fixait ainsi ? Il était trop beau, trop... flamboyant. Trop différent, oui. Et surtout trop bien pour elle. Elle l'avait toujours su, au fond.
" Ma vocation de druide remplit plutôt bien ma vie, en ce moment,, poursuivit-elle avec un léger haussement d'épaules, et ça me va très bien comme ça... Et pour le reste... Il y a longtemps que j'ai renoncé à avoir une quelconque emprise sur les élans de mon coeur. Je verrai bien ce que la vie me réserve... ou pas. Vraiment, il ne faut pas t'en faire."
A vrai dire, elle n'était pas pressée de souffrir à nouveau. Une part d'elle avait plutôt envie de se tenir aussi loin que possible de tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à une amourette. L'autre part... et bien, malgré ses recommandations, l'autre part garderait sans doute quelque temps encore, enfouie au fond d'elle, la nostalgie de cette passion si forte. Parce qu'elle ne s'était jamais sentie aussi vivante, et que ça avait été merveilleux. Et c'est probablement là-dedans qu'elle puiserait un jour l'audace de recommencer à aimer.... mais pas avant longtemps, du moins elle l'espérait.

Reynald l'observa un instant, manifestement incertain, avant de pousser un bref soupir et d'acquiescer.
" Je m'en tiendrai à tes paroles, dit-il. Et il est temps pour moi de partir."
Il jeta un coup d'oeil vers Aleka, restée à l'écart, puis posa la main sur l'épaule d'Astrée.
" Je ne suis toujours pas certain que j'aurais dû venir. Mais là aussi, je vais te faire confiance. Prends soin de toi. Et bonne route sur ta voie nouvelle..."

Elle sourit.
" Merci. Et... merci d'être venu. Vraiment, je suis heureuse qu'on ait fait la paix, et que les choses soient dites clairement... et de savoir tu n'es plus en colère contre moi, surtout. C'était important."
Bien sûr, apprendre les conséquences de son manque de prudence était culpabilisant. C'était un accident, qu'elle ne pouvait pas prévoir, mais elle aurait dû pourtant... Mais ça n'était pas le moment d'y songer. Il allait partir, et elle détestait les adieux. Surtout avec lui. Il lui avait manqué, il lui manquerait encore. Mais ça passerait rapidement, cette fois-ci. Sa vie était bien remplie désormais, et tout ça... c'était le passé, il avait raison. Il fallait juste qu'elle prenne le temps d'en faire le deuil.

Pour échapper à l'émotion qui lui nouait la gorge, et surtout parce que l'affection sincère qu'elle ressentait pour lui avait trop besoin de s'extérioriser, elle l'étreignit quelques instants, de toutes ses forces. Et frôla sa joue d'un léger baiser purement amical avant de le relâcher, avec un sourire encore un peu tendu sur le visage.
" Au revoir Reynald... Donne le bonjour à Tybert... Et donne-moi des nouvelles, aussi. Et surtout, prend soin de toi, toi aussi. Même si ça me semble un peu contraire à tes habitudes...", ajouta-t-elle d'un ton plus léger, son sourire s'élargissant sur un clin d'oeil.

Il l'embrassa sur le front avant de la relâcher.
" Je m'y efforcerai, répondit-il. Autant qu'un Milite peut se le permettre. Mais Tybert veille sur moi."
Il fit un pas en arrière, vers Aleka.
" Bonne route à toi. Nous nous reverrons."

" J'y compte bien ! répliqua-t-elle avec un sourire. Et rentre bien..."
Oui, ils se reverraient. Elle pouvait toujours passer le voir un hiver à Erhedun, si elle en avait envie. Elle oserait, maintenant qu'il avait fait le premier pas... Mais pas trop tôt. Il était plus sage d'attendre d'avoir réellement fait son deuil, et que leur aventure ne soit plus qu'un heureux souvenir.

Elle le regarda s'éloigner avec un noeud dans l'estomac, et un mélange de sentiments confus dans le coeur. Mélange de tendresse, d'affection, de vagues regrets, d'attirance. C'était formidable de l'avoir revu, mais difficile en même temps. Elle l'aimait encore... un peu... mais ça passerait, inévitablement, avec le temps.

Bien décidée pas laisser paraître de ce qui lui serrait le coeur, elle s'obligea à garder le sourire, jusqu'au bout.

HRP : merci de cette petite parenthèse Gal ! C'était chouette ! Pis j'l'aime bien ton p'tit Sorlyn !

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Vers les sommets au nord des Pics des Orcs