La Couronne de Cuivre

Victor sauta sur ses pieds avant même que Taliesin n'ait terminé sa phrase et s'enfuit dans les bois.
" Bravo, dit Baptiste, pensif. C'était très efficace. Un rien contre-productif, mais très efficace..."
Les chèvres, de leur côté, semblaient n'avoir aucune intention de prendre de pause, à part deux d'entre elles qui s'étaient couchées pour ruminer.

L'elfe sourit.
-Oh, ne t'en fais pas : il va revenir. La faim nous le ramènera en moins de deux !
Et il entreprit de déballer leurs victuailles.
Lui-même était affamé.

Comme la veille, il y avait de la nourriture en abondance, des fruits, de la viande froide, du pain et du fromage.
" Tu as déjà vu des cerises aussi énormes ? Et aussi goûteuses ? C'est vraiment... une vallée fertile." remarqua-t-il.
Victor avait ramené Titus, ils s'assirent dans l'herbe désormais aplatie de la clairière. Le faune semblait intéressé par la ruine, même s'il ne posa aucune question.
" Par quoi est-ce qu'on va commencer ? demanda Baptiste ensuite. On va dessiner les lieux ? Ou chercher des inscriptions ?"

-D'abord, il faudra finir d'enlever le lierre des murs. Ensuite... Oui, faire un croquis d'ensemble serait une excellente idée, et je crains que la tâche ne t'incombe : tu dessines déjà mieux que moi ! Pour le reste, et bien... Nous verrons. Il y a des alcôves à examiner, peut-être des inscriptions et des scultpures aussi, si elles ne sont pas trop érodées par le temps...

" Je pourrais déjà commencer le dessin, au moins de l'ensemble... avec un peu la topographie des lieux..."
Il eut un sourire embarrassé.
" Je me sens un peu... fatigué, je dois dire... Mais ça ira mieux après une sieste...
— On doit encore travailler cet après-midi ?"

Il poussa un soupir spectaculaire.
-Mais déblayer une ruine millénaire, ça n'est pas du travail ! C'est... du pur bonheur !
Il sourit.
-Honnêtement, avec votre concours, on pourrait quasiment boucler aujourd'hui. Mais comme vous m'avez déjà beaucoup aidé durant toute la matinée, je ne vous forcerai à rien : si vous préférez aller vous amuser, vous le pourrez.

" Moi je vais t'aider, dit Baptiste, s'attirant une grimace de Victor.
— Et moi aussi ! s'exclama une voix avec enthousiasme.
— Cordélia !"
Victor était sur ses pieds et il se rua vers la jeune femme qui venait d'arriver dans la clairière.
" Salut les jeunes et les immortels ! Comment ça va ?"
Elle avait l'air pareille à elle-même, pleine d'énergie, peut-être un peu plus soignée que durant leur périple.

-Très bien et toi ?
Il lui sourit;
-Si tu n'as pas mangé, il y a largement de quoi te sustenter. Et même si tu as déjà mangé... Viens donc t'installer pour te remettre de ta longue marche !

" On n'est pas si loin de Champsdor, tu sais." dit-elle en s'asseyant dans l'herbe.
Elle accepta un morceau de pain et du fromage, ainsi qu'une carotte.
" D'un bon pas, ça fait une heure et demi, je dirais... C'est pas la mort pour une jeune femme pleine d'entrain comme moi."
Elle se tourna vers la ruine.
" Alors, quelles nouvelles ? C'est ça, la trouvaille ? Notre tour de mage avait plus d'allure."

Il croisa les bras.
-Cordélia, c'est elfique, donc c'est forcément merveilleux. S'agirait-il de trois pauvres cailloux empilés que ce serait quand même merveilleux.
Son sourire revint.
-Apparemment, il n'y a pas de souterrains, donc..; Je pense qu'il sera surtout question de relever des inscriptions. Et à part ça, tout va bien de notre côté, nous sommes confortablement installés chez Mona, que tu as rencontrée hier... Et de ton côté ? J'ai cru comprendre que tu avais trouvé du travail ?

" Oh, c'est rien qu'un petit bazar, escorter une personne d'ici à là... Ça va me prendre la journée, demain."
Elle haussa les épaules.
" Comment tu peux être sûr que c'est elfique ? On voit rien du tout... Juste du lierre."

-Et bien justement : s'il y a de la verdure, c'est que c'est elfique, non ?
Il avait prononcé la phrase sur un ton des plus sérieux.
-En réalité, d'après la pierre utilisée, qui n'a pas du tout été extraite dans la région et qui est très reconnaissable, d'après les observations faites par le fils de Mona et les notes rassemblées par mon commanditaire, il n'y a guère de doute sur la nature elfique des ruines. Il s'agirait même d'un ancien observatoire, selon toute vraisemblance.

" Si tu le dis, je ne suis pas spécialiste, moi..."
Elle se leva, s'approcha du lierre, et l'écarta pour révéler la pierre bleue.
" Hum... On dirait presqu'une pierre semi-précieuse... comme de la turquoise... Bigre. Il ne faudrait pas que ça s'ébruite, tu aurais des pillards dans tes ruines en deux temps trois mouvements."

-Elles ne sont pas à moi ! Mais c'est bien pour ça que nous gardons le secret. Et que nous n'avons pas nettoyé l'extérieur. Mais si tu vas voir à l'intérieur... Tu pourras constater que nous avons déjà un peu avancé.
De fait, le plus pénible était déjà derrière eux. Enfin... Normalement.

Cordélia franchit donc l'enceinte à l'endroit où le mur avait pratiquement disparu.
" Ha ! Vous avez engagé des comparses, je vois !" s'exclama-t-elle.
Puis elle resta silencieuse un moment.
" Magnifique... Ce n'est pas de la turquoise, cela dit... On dirait plutôt... Hum... de l'aigue-marine... Mais de cette taille ? Incroyable. Taliesin, cette ruine à elle-seule doit valoir une somme absolument démesurée..."

Il grimaça.
-Hum, tu commences à me faire peur... Du coup, je me demande si je n'aurais pas intérêt à prévenir les autorités locales, à savoir les occupants de l'abbaye. Bon, j'imagine qu'il doit y avoir une législation interdisant sur toute l'île le saccage des monuments historiques mais... Tout le monde n'est sans doute pas au courant. Et ce serait un gâchis qu'on détruise tout cela juste pour en obtenir de l'argent...

" Je ne ferais pas ça, à ta place. Il faudrait d'abord s'assurer de pouvoir prouver l'importance du monument... Si à l'époque dont il date, tout le monde construisait sa maison en gemmes... et bien ils te la démantibuleront, crois-moi."
Elle secoua la tête.
" Tire-s'en tout ce que tu peux d'abord, et puis préviens les gens, mais pas avant."

Il se tourna vers les enfants.
-Les gars, dites merci à Cordélia : elle m'a tellement fait flipper que nous allons désormais camper ici jour et nuit et ce, pour toute la veille à venir.
Le seul point qui le rassurait, c'était que les habitants de la vallée n'utilisaient pas d'argent...

" Ah non ! s'exclama Victor.
— Titus va être content, lui, railla Baptiste.
— Je crois pas que ça sert à grand chose de camper ici, note. Tu feras quoi, s'ils débarquent ? Tu es sur leurs terres."
Elle haussa les épaules.
" Après, je peux me tromper. C'est peut-être juste une sorte de silex bleu. Mais ça revient au même, je suppose."

-D'un autre côté, ils ont des accords avec les elfes : peut-être ceux-ci stipulent-ils qu'on ne peut détruire un site historique... Surtout que, pour autant que je sache, les observatoires avaient un petit côté sacré... Enfin, on verra bien : si la chance est avec nous, personne ne découvrira ces ruines.
En tout cas, Cordélia avait vraiment réussi à l'inquiéter.

Cordélia était revenue en arrière et elle se rassit dans l'herbe. Victor et Titus s'étaient éloignés vers l'orée du bois; Baptiste écoutait les adultes.
" Bah, si on laisse le lierre du côté extérieur, ce sera déjà vachement plus discret. Et puis si ton copain porcher est le premier à en avoir parlé, c'est que personne n'y avait fait attention avant. Est-ce qu'il a eu l'air intéressé par les cailloux bleus, lui ? Il a bien dû les voir pourtant, non ?"

-Si si, il les a vues, mais il n'a pas paru songer un seul instant à leur valeur marchande. Mais tout le monde ne réagira pas forcément de cette manière. Par ailleurs, nos allers-retours dans le sous-bois laisseront des traces et les bergers, à forces de nous voir passer près de leur pâture, finiront par se demander ce que nous tramons ici.
Soupir.
-Enfin, inutile de s'inquiéter pour les choses sur lesquelles nous n'avons pas de prise. Nous verrons bien ce que nous faisons si cela arrive.

" Je ne suis pas sûre que les gens soient si curieux, par ici. En cette saison, ils ont l'air tous très affairés... Enfin, Champsdor, c'est déjà autre chose que le patelin dans lequel vous avez atterri."
Elle sourit.
" Mais je sais que tu aimes ça, toi, la campagne."
Elle lui décocha un clin d'oeil.
" Bon, mais on s'y met ? On arrache des plantes ? Le faune le permet sans te balancer sa horde de moucherons ?"

-Je lui ai expliqué la situation et je ne l'ai pas obligé à participer. Et donc tout va pour le mieux. Mais...
Il grimaça.
-Mais tu n'es vraiment pas obligée de travailler, Cordélia. Je culpabilise déjà d'exploiter les garçons... Enfin, bien sûr, si ça te tente, tu es la bienvenue, là n'est pas le problème...

" Victor s'est fait la malle, Baptiste a l'air d'avoir envie de dessiner... Honnêtement, Taliesin... Même avec tes copines bêlantes, si je ne te donne pas un coup de main, tu n'auras pas fini avant l'été."
Elle lui fit un clin d'oeil.
" Je trouverai bien un moyen que tu me rembourses tôt ou tard."

-Du moment que tu ne me demandes pas la permission de prélever des pierres ici...
Il se leva.
-Merci, en tout cas.
Et il se remit au travail, pas mécontent d'avoir du soutien.

Ils travaillèrent avec énergie. Cordélia ne manquait pas d'endurance, et elle lui proposa de chanter en travaillant, des morceaux populaires assez répandus qui visaient à donner le coeur à l'ouvrage. Baptiste circulait entre eux, comptant ses pas, et reportant les murs et les alcôves sur son parchemin, concentré. Victor et Titus étaient bien sûr invisibles, sans doute à construire une cabane quelque part dans les bois.
En fin d'après-midi, alors que le soleil avait déjà glissé derrière les arbres, nimbant la forêt de couleurs chaudes, ils eurent enfin terminé : toute la végétation intérieure avait été ramenée à une taille raisonnable, et la plupart des murs étaient dégagés sur une hauteur d'une toise. Pour grimper plus haut, malheureusement, il leur faudrait tenter l'escalade, ou rapporter une échelle. L'un dans l'autre, ce n'était peut-être pas immédiatement nécessaire.

Non : il y aurait déjà beaucoup à observer, au moins dans un premier temps.
Il regrettait presque que la ruine ne possède aucune partie souterraine : une salle même modeste aurait eu un petit côté aventureux qui aurait plu aux garçons, à Victor tout du moins. Mais le côté positif, c'était que la taille relativement modeste des vestiges lui donnait une chance d'en tirer tout ce qui était possible au cours de son séjour, même avec toutes les obligations qu'il aurait par ailleurs.
Après avoir admiré le fruit de leur travail, il entreprit de ranger leurs outils : l'heure de rentrer n'allait pas tarder à sonner.

Cordélia lui donna un coup de main, puis il leur fallut rassembler les enfants. Victor et Titus émergèrent du bois après quelques minutes, encore plus crottés que la veille. Comme il avait plu pendant la nuit, l'humus était humide et collant, ils étaient beaux à voir.
Ils repartirent ensuite entre les arbres.
" Quand penses-tu passer par Champsdor ? demanda Cordélia. Demain je suis en vadrouille, mais le jour d'après, je pourrais te faire visiter, si tu veux."

-Il faudra de toute façon que j'y aille pour solliciter une audience auprès de la princesse elfe qui s'y trouve présentement : j'espère qu'elle m'indiquera où dénicher des faunes. Mais j'imagine qu'il faudra que je lui fasse parvenir au préalable un courrier : me présenter comme ça ne serait sans doute pas très protocolaire... Écoute, partons sur après-demain : je verrai si je peux faire d'une pierre deux coups et sinon, je ferai deux voyages. Ce n'est pas comme si le bourg était très éloigné...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile