La Couronne de Cuivre

-Demain, il faudra que nous allions voir Kolia pour lui dire que nous sommes de retour au village et que nous nous y attarderons encore quelques jours, fit Taliesin après quelques instants d'un silence songeur.[color=#FFF66] Je pense aussi envoyer une lettre à Galathée, pour la tenir au courant : si vous avez envie de lui écrire un petit mot, ce sera l'occasion.[/color]
Il hésitait, de surcroit, à prévenir la commanderie : les paladins, leur grand maître en particulier, avaient le sort de Baptiste très à cœur et si d'aventure ce drame était un complot pour le priver de son héritage, leur appui pourrait se révéler précieux...

Baptiste acquiesça.
" Je peux aller prévenir Kolia. Maintenant. Ça ne me gêne pas !" dit joyeusement Victor en quittant son perchoir.
Il s'était débarrassé de ses bottes mais il les reprit rapidement.
" Je me laverai après. On peut pas tous le faire en même temps, de toute façon."

Taliesin hésita puis secoua la tête.
-Je regrette, Victor, mais au vu des circonstances, je préférerais vraiment ne pas te savoir seul dehors, de nuit qui plus est. Je sais bien que tu serais prudent et que tu ferais juste l'aller-retour : je n'ai aucun doute à ce sujet. Mais admets que le contexte est un peu particulier.... Enfin voilà. Cependant, je ferai en sorte que tu puisses prendre l'air et te dépenser demain : je comprends très bien que tu en aies besoin.

Victor parut stupéfait.
" Quoi ? Mais on a quitté ce manoir ! Et j'ai rien à avoir avec les d'Averlande, moi !"
Il secoua la tête.
" Qu'est-ce que tu crois qu'il va m'arriver ? Qu'un fantôme va me zigouiller dans une impasse ? Il pourrait le faire ici ! Tu vas venir aux toilettes avec moi aussi, ou quoi ?"

-Exactement ! répliqua-t-il du tac au tac.
Puis il reprit, plus sérieux :
-Blague à part, nous ne savons pas si c'est un fantôme, Victor. Et si c'en est un, nous ne savons pas qui l'a fait venir. Dans tous les cas, nous ne savons pas non plus qui cela vise exactement, ni dans quel but. Tout ce que nous avons, c'est des hypothèses. Dans un tel contexte, crois-moi, bien d'autres parents ne seraient pas ravis à l'idée qu'un de leurs enfants se promène tout seul, de nuit, dans un village où ils ne connaissent personne.

" Mais tu n'es pas un autre parent, si ? grommela Victor. Je ne suis pas un gosse ordinaire. Je prendrai... une bûche. Tu sais ce dont je suis capable avec une bûche. Tu m'as laissé cavaler dans le manoir avec Trévor ! Alors pourquoi je ne pourrais pas aller jusqu'à l'auberge voisine en pleine ville ! Il fait noir mais il n'est pas si tard. Je me faufilerai comme... un elfe noir dans la nuit."

-Le manoir, nous l'avions exploré, nous nous étions assurés qu'il ne recelait aucun danger. Ici...
Il s'interrompit, renonça à argumenter davantage sur cette voie : Victor trouverait toujours des contre-arguments.
-Écoute, je comprends que tu trouves cela pénible, voire même absurde, mais ce soir, je préfère que tu reste ici. Je suis déjà suffisamment inquiet comme cela, vu tout ce qui se passe, et j'aimerais donc ne pas me faire davantage de souci. Or, je m'en ferais forcément si tu sors, même si je te fais confiance, même si je sais ce dont tu es capable.

" Mais après ce sera impossible ! s'exclama Victor. Après on sera des suspects ! Dès qu'on mettra le nez dehors, on nous regardera de travers !"
Il poussa un soupir de dépit et se laissa tomber sur son lit, bras croisés.
" Si j'avais su, je serais pas venu.
— Moi non plus." intervint Baptiste.
Il leva les yeux vers Taliesin.
" Quand est-ce qu'on pourra rentrer chez nous, tu crois ?"

-Malheureusement, je ne sais pas, avoua Taliesin. Tout va dépendre du temps que les autorités mettront à boucler l'enquête ou, au moins, à estimer l'avoir suffisamment avancée pour que nous ne soyons plus obligés de demeurer sur place. J'aurais tendance à penser que ce pourrait être l'affaire de quelques jours seulement mais... je préfère ne pas m'avancer.
Il lui sourit, encourageant.
-Promis, on fera en sorte que ce soit le moins pénible possible.

Baptiste soupira mais n'ajouta rien. Il était assez grand pour savoir qu'effectivement, il n'y avait pas d'autre solution.
" Est-ce qu'on ne pourrait pas aller chez Haran, comme il l'a proposé ? demanda Victor. Ce serait sûrement moins pénible qu'ici. On dit qu'il a un manoir fantastique, gigantesque, pas du tout... sinistre. Ici, on va vite être à l'étroit. Et même si Baptiste... heu... enfin, tout le monde... n'aime pas ses livres, je suis sûr qu'il a une grande bibliothèque ! C'est forcé, non ?"

-En tout cas, c'est probable. Et ne t'en fais pas : nous irons lui rendre visite. Par contre, je ne peux dire ni quand ce sera, ni combien de temps cela durera : ça ne dépend pas que de moi, sans compter qu'il y a trop d'inconnues...
Il les regarda tour à tour puis reprit :
-Allez les gars, je sais que la situation est difficile pour vous, à plus d'un titre, mais on va faire face, comme toujours. Et je ferai de mon mieux pour rendre tout ça le moins pénible possible.

" Qu'est-ce que tu vas faire ?" demanda Victor, bras croisés, peu convaincu.
Baptiste enleva ses chaussures et se coucha sur son lit, yeux au plafond. On frappa trois coups à la porte pour les prévenir qu'il y avait désormais de l'eau chaude dans la salle d'eau. Cette nouvelle tempéra un moment Victor qui s'y rendit le premier, laissant Baptiste et Taliesin en tête à tête pour quelques instants.

Baptiste l'observa un instant avant de hausser les épaules.
" Soulagé, murmura-t-il finalement. Soulagé et impatient de rentrer chez nous."

Le barde le fixa quelques instants avant d'acquiescer.
[color=#FFFFF66]-Très bien. Bon, je vais sans doute enfoncer une porte ouverte mais voilà, si à un moment tu as envie de parler de tout ça, tu ne devras surtout pas hésiter. D'accord ?[/color]
Il n'entendait pas insister dans l'immédiat, même s'il se montrerait vigilant : Baptiste se sentait sans doute réellement soulagé, mais cette histoire finirait par revenir le hanter et il ne vaudrait mieux pas, alors, qu'il garde tout par devers lui...

" Non. Je sais. Mais je n'en ressens pas le besoin." dit-il avec un sourire.
Il haussa à nouveau les épaules.
" J'espère que nous serons rapidement innocentés, c'est tout. Comme on est des étrangers, et vu mon implication... je suppose que ça va prendre un certain temps. Mais je peux signifier clairement que je n'ai pas de vues sur le manoir, si ça aide... Après, peut-être qu'on avait besoin d'argent... que le vendre nous aurait été utile. Non ?"

" C'est gentil, mais ce n'est pas famille. Vous êtes ma famille. Je n'ai rien à voir avec eux. Ce n'est que le sang, et s'il y a bien une chose que vous m'avez apprise, c'est que le sang, ce n'est rien."
Il eut un léger sourire.
" Peut-être que j'aurai envie d'en savoir davantage, un jour... mais pourquoi sur lui, Maurin, que je n'ai jamais connu ? Je ne suis même jamais retourné dans le village de ma mère, alors qu'elle m'a élevé depuis le premier jour ? Il n'y a aucune raison que je me pose des questions sur un étranger. Et si je m'en pose un jour, ce sera juste de la curiosité. Pas quelque chose de dévorant. Je le sais. Je ne suis plus si jeune. Mon histoire, je la connais. Je suis le fruit d'un amour impossible. Et puis c'est tout."

" Si le manoir est à quelqu'un d'autre, les options seront limitées, dit Baptiste. Et s'il est à moi, les options seront limitées aussi, vu l'état dans lequel il est, et l'argent nécessaire à le maintenir en état."
Il se recoucha sur son lit. Victor entra à cet instant, propre et écarlate.
" Au suivant !" clama-t-il avec énergie.
Baptiste se glissa hors de son lit puis hors de la pièce.

Il terminait son premier courrier lorsque l'on frappa à la porte.
" Excusez-moi, je suis le valet d'étage, lui parvint une voix étouffée, mais on demande un certain Maître Baptiste, ainsi que son tuteur, en bas. Je ne sais pas si vous êtes disponibles ? C'est de la part de Maître Urbain, le notaire. Il dit que c'est urgent."

Déjà ?
Il en resta pantois : c'était allé tellement vite...
-Demandez lui be bien vouloir patienter quelques instants : nous arrivons dès que possible, répondit le barde.
Il se leva : il allait toquer à la porte de la salle d'eau pour demander à Baptiste où il en était et, le cas échéant, l'inciter à se dépêcher. Ensuite, et à moins que le garçon tienne à ce qu'il l'attende, il descendrait pour tenir compagnie au notaire.
Que ce dernier disparaisse - ou trépasse - avant qu'ils n'aient pu se parler paraissait des plus improbables. Du moins, sauf si on avait l'impression d'évoluer dans un roman d'horreur tout droit sorti de l'imagination d'un écrivain tel que Haran.
Or, cette impression, il l'avait déjà eu, par moments...

Baptiste était peu enchanté de cette visite impromptue.
" Est-ce qu'on ne devrait pas discuter... avant ? Se mettre au point ? Je ne sais pas de quoi mais... de quelque chose ?" demanda-t-il sur le palier.

-Mais il n'y a rien à mettre au point, Baptiste : selon toute vraisemblance, le notaire vient simplement te faire part du testament de ton père. Je ne pense pas qu'il y aura de décision particulière à prendre mais si cela devait être le cas, on nous accorderait probablement le temps de la réflexion.
Il se frotta le menton, songeur.
-Par ailleurs, ce n'est pas plus mal de ne pas se préparer. Tu sais qu'on va me soupçonner : alors montrer que tout n'a pas été planifié, que je n'ai pas déjà réfléchi à tout... Cela ne peut pas nous nuir.

" Est-ce que..."
Il baissa le ton.
" Est-ce que Victor t'a parlé de son escapade de la nuit passée ? Il a promis qu'il le ferait... Ah... Je vois à ton expression qu'il n'a rien dit. Mais c'est mieux. Hum. Je craignais... Laisse. Allons-y."
Il se fendit d'un sourire bravache et s'élança dans les escaliers.

Taliesin poussa un profond soupir.
-J'espère vraiment que personne ne se rendra compte de son escapade, parce qu'elle pourrait nous valoir de sacrés ennuis... Enfin, j'en discuterai avec lui plus tard. Dans l'immédiat, allons rencontrer ce notaire.
Et de s'engager à son tour dans l'escalier, s'efforçant de de mettre de côté son mécontentement.

Baptiste se garda bien de faire le moindre commentaire et précéda le barde jusqu'au rez-de-chaussée. Ils se glissèrent sous le rideau qui les séparait de la salle de l'auberge —*le majordome les salua en s'inclinant, raide comme un piquet — et ils furent aussitôt pris en charge par un serveur qui les guida jusqu'à une table décentrée. Il y avait un monde respectable dans la pièce et Taliesin sentit qu'on les suivait des yeux. Ils arrivèrent enfin devant le notaire. C'était un très très vieil homme, très mince, dans un costume soigné. Il ne se leva pas à leur approche mais leur adressa un chaleureux sourire en leur faisant signe de prendre place. Ensuite, le serveur prit leurs commandes et s'esquiva.
" Un vrai petit Maurin miniature, s'exclama le notaire en regardant Baptiste de ses yeux très bleus. Quelle tragédie, mes amis, quelle tragédie. Il se faisait une telle fête à l'idée de faire connaissance. Quelle pitié. L'univers a des moyens bien cruels de punir les gens de leurs erreurs. Mais je vous remercie d'être venus si vite. Je voulais vous parler avant les enquêteurs. C'est Kathleen qui est venue me prévenir... même si à l'heure actuelle, la rumeur se répand dans les rues et les ruelles, si bien qu'à l'aube, demain, tout le monde saura. Les gens sont friands de ces histoires macabres, ici comme ailleurs je suppose, bien que je ne connaisse qu'ici."

[color=#FFFFF66]-C'est en effet pareil partout ailleurs. Et bien que ce soit compréhensible, ce n'est pas très réjouissant. Surtout quand on est concernés par les histoires macabres en question. Enfin, j'espère que les autorités pourront vite faire la lumière sur celle-ci : c'est important à plus d'un titre.[/color]
Il esquissa un sourire.
-En tout cas, c'est très aimable à vous d'être venus nous trouver.

" C'est naturel."
Il adressa un sourire embarrassé à Baptiste, puis sortit une pile de documents de sa besace.
" Je crains que les nouvelles ne soient pas très bonnes en ce qui me concerne. Maurin avait l'intention de léguer le domaine à son fils, mais il voulait le voir... avant de finaliser les documents. Vous voyez, même s'il était impatient... et confiant... Il n'était pas complètement convaincu que vous alliez venir et pas complètement convaincu non plus que... l'enfant était de lui, ni même que c'était le bon enfant. Bref, n'entrons pas dans les détails. Ses hésitations ont certainement été balayées lorsqu'il vous a vu... Mais, vous voyez où je veux en venir... Les papiers sont prêts mais pas signés... et ils sont donc sans valeur légale. Le Manoir d'Averlande appartient désormais à la famille Steynhave, de droit."