La Couronne de Cuivre

La source de l'horreur de Cormack, et aussi de l'odeur un peu étrange qu'il avait perçue en entrant, lui apparut aussitôt. Il y avait bien quelqu'un, dans le fauteuil, et ce quelqu'un était peut-être Maurin d'Averlande, mais il était difficile d'en juger : il n'avait plus de tête. Le sang avait coulé sur tout l'avant de ses vêtements — des vêtements soignés mais désormais souillés — jusqu'à ses bottes, et formait une flaque sur le sol. Elle paraissait déjà partiellement coagulée et quelques mouches y faisaient bombance. Le reste du corps était affalé, bras sur les accoudoirs. Le majordome semblait sur le point de s'évanouir, paralysé par le spectacle, et sa bouche était ouverte sur un cri silencieux.

Le barde poussa un profond soupir, se détourna du corps et posa la main su rle bras du majordome.
-Venez, lui dit-il doucement.
Il fallait l'amener ailleurs, dans une pièce où il pourrait s'asseoir sans avoir à contempler l'horrible spectacle.
Et ensuite...
Ensuite, il n'en avait aucune idée. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il était hors de question que les choses se passent ainsi, que son hôte - si c'était bien lui - soit massacré impunément et que Baptiste soit privé de son père sitôt après l'avoir retrouvé. Si nécessaire, il amènerait lui-même le corps à Eredhun et payerait la résurrection de ses propres deniers.

HRP : quel blasé ce Talie

Cormack se laissa aisément guider dans le couloir, tremblant sous la poigne déterminée du barde. Le hall était désert mais il y avait moyen de le faire asseoir sur les marches de l'escalier, ou alors Taliesin pouvait se risquer à pousser une porte, éventuellement celle du grand salon où ils avaient dîné la veille. Il pouvait décider d'appeler à l'aide, aussi. Il était difficile de savoir où se trouvaient les autres serviteurs et le reste des invités.

Se voyant mal appeler à l'aide à grands cris ou parcourir le manoir en tous sens - une démarche peu efficace et pouvant risquer de semer la panique, ce qui n'était pas souhaitable -, le barde décida de conduire Cormack au salon : là, au moins, il serait en mesure de l'installer confortablement et de lui servir un remontant. Peut-être s'en servirait-il un lui-même,d 'ailleurs : pour l'heure, la colère et la nécessité de soutenir le majordome le poussaient à aller de l'avant mais il ne tarderait pas à avoir le contrecoup de ce qu'il venait de voir et... de tout ce que cela impliquait.

Taliesin poussa la porte du salon et comprit dans l'instant qu'il ne pourrait pas s'en sortir discrètement. Les deux halfelins, Elsa et sa fille étaient attablés, bavardant avec entrain devant une fin de petit déjeuner. Ginevra était en train de les servir. Ce fut elle qui les aperçut en premier et se porta à leur rencontre. Les quatre autres ne tardèrent pas à les remarquer.
" Cher Taliesin, bonjour ! s'exclama joyeusement Bernard. Nous discutions justement..."
Il s'interrompit.
" Est-ce que Cormack fait un malaise ?" demanda Elsa en se levant.
Ginevra, sans rien dire, s'était portée à l'aide du barde pour guider le majordome jusqu'à un fauteuil.

Mais quel crétin il faisait ! Il aurait dû se douter, pourtant, que le salon serait plein à craquer à l'heure du petit-déjeuner...
Enfin, ce qui était fait était fait : il fallait à présent assumer.
-Je pense qu'il a besoin d'un petit remontant, répondit-il sobrement.
A moins qu'il ne soit de santé fragile... Auquel cas, il faudrait davantage.

Ginevra s'écarta vivement pour aller chercher le nécessaire dans le buffet. Elsa et les halfelins s'étaient levés pour venir à leur rencontre, seule Miranda restait assise, l'air blasé, peu intéressée par cette commotion. Seule maîtrise que Taliesin conservait sur les événements, Cormack était toujours muet d'épouvante, incapable d'articuler quoi que ce soit. Evidemment, cela n'empêcha pas les questions de jaillir.
" Que s'est-il passé ? On dirait qu'il a vu un fantôme..." dit Bernard.

-Cormack sera le mieux placé pour l'expliquer... Laissons-lui juste du temps pour se remettre.
Sauf que le barde était désormais tenaillé par un sentiment d'urgence. Certes, le majordome lui paraissait être le plus à même de gérer la situation, de prendre les bonnes décisions : par ses fonctions, d'une part, mais aussi parce qu'il était assurément innocent du crime, au regard de sa réaction. Mais voilà, s'il était trop long à se ressaisir, la vérité éclaterait sans qu'aucune précaution n'ait été prise, sans que rien n'ait été organisé...
Il décida d'attendre encore une ou deux minutes, pour voir l'effet du remontant. S'il n'était pas suffisant, il irait s'entretenir à l'écart avec Ginevra.

Mais le majordome était trop choqué. Même s'il reprenait assez ses esprits pour expliquer ce qu'il avait vu, il serait incapable de prendre quoi que ce soit en main dans l'immédiat. Peut-être la jeune femme était-elle plus fiable, mais Taliesin ne pourrait pas le savoir avant de prendre le risque de lui parler de ce qui gisait dans le bureau. Pour l'heure, elle s'était assise à côté de Cormack pour l'aider à boire. Les regards des invités s'étaient portés sur Taliesin, par contre, ne comprenant sans doute pas pourquoi il ne s'exprimait pas, mais désireux de lui en laisser l'espace.

Le barde finit par pousser un profond soupir et par se diriger vers Ginevra.
-Puis-je vous dire un mot, s'il vous plait ? En privé ? lui demanda-t-il à mi-voix.
Bien sûr, ça ne passerait pas inaperçu. Bien sûr, les autres comprendraient que quelque chose de grave s'était produit. Mais il ne voyait vraiment pas comment agir autrement.

La jeune femme parut surprise, dirigeant un doigt interdit vers sa poitrine avant d'acquiescer. Elle se leva, cédant la place à Elsa qui la remplaça auprès de Cormack. Les regards des autres invités s'étaient faits plus suspicieux, cependant, mais aucun n'essaya d'intervenir tandis que l'elfe entraînait la femme de chambre à l'écart. Le murmure de leur conversation lui parvint, mais sans qu'il puisse deviner ce qu'ils disaient.

-Je suis désolé de vous l'annoncer ainsi mais il s'est passé quelque chose de grave, commença-t-il. Je pensais que Cormack était le mieux placé pour gérer cette situation, compte tenu de son rôle et du fait qu'il ne peut être responsable de ce qui s'est produit : sa réaction le dit assez. C'est pour cela que je voulais lui laisser le temps de se remettre mais... je crains que nous ne puissions attendre davantage.
Il prit une profonde inspiration et son courage à deux mains.
-A nouveau, désolé de devoir vous l'annoncer ainsi mais... Nous avons trouvé un corps dans le bureau du sieur d'Averlande.

Ginevra demeura silencieuse une seconde, l'observant d'un air soupçonneux, comme si elle s'attendait à ce que ce soit une blague et qu'il le lui révèle incessamment. Mais devant sa mine grave, elle pâlit et se redressa très légèrement. Quand elle parla, sa voix était légèrement rauque.
" Vous voulez dire... un corps... Quel corps ? Il est arrivé quelque chose à Maître Maurin ?"

-Il n'a pas été possible d'identifier formellement le corps. Mais je le crains...
Il soupira.
-J'imagine qu'il va falloir demander à tout le monde de rester ici le temps de prévenir les autorités d'Athrey. Et peut-être commencer à fouiller le domaine. Je suis évidemmetn prêt à aider mais... Je ne suis certainement pas habilité à prendre les choses en main.
Il s'efforçait de rester pratique, pragmatique.
Une fois les opérations lancées, il pourrait se relâcher quelque peu et, forcément, accuser le coup.

Ginevra, de son côté, n'avait sûrement pas la même habitude des drames que Taliesin et demeura blafarde et figée, sans pour autant s'effondrer. Le barde allait sans doute devoir accepter, tôt ou tard, que personne, dans cette maison, n'avait autant d'expérience que lui des situations de crises. La jeune femme cligna des yeux, deux fois, puis frissonna.
" Sans doute... Lorcan... Il pourrait... Je ne sais pas. Personne... Si... "
Elle secoua la tête, se redressa.
" Qu'est-ce qu'il faut faire ?"

Taliesin resta silencieux quelques instants.
Il allait devoir prendre les choses en main, fut-ce provisoirement, ce qui impliquait de songer très sérieusement à la situation et à toutes ses implications.
Or, non seulement ce n'était pas réjouissant mais, de surcroit, c'était même franchement inquiétant.
-En premier lieu, gardez espoir : ce drame est certes horrible mais il est possible d'y remedier et je m'engage à faire le nécessaire pour que ce soit le cas. C'est important pour moi, à plus d'un titre.
Reester déterminer, garder le cap... Et passer aux choses sérieuses.
-Ensuite, nous devons veiller à ce qu'il ne se produise aucun autre drame. Je vais expliquer la situation aux autres, puis j'irai chercher les enfants. Jusqu'à mon retour, il est impératif que vous demeuriez tous ici. Ensuite, nous nous mettrons en quête de tous les autres occupants du domaine pour les ramener également au salon.

Ginevra ne parut pas comprendre exactement ce qu'il entendait par "y remédier" (le commun des mortels n'avait pas tellement l'habitude de ce genre de pratiques, pour dire le moins...), mais elle acquiesça à tout ce qu'il ajouta ensuite. Elle ne parut pas retrouver sa motricité pour autant. Bernard, entretemps, s'était approché, la mine décidée. A voir l'expression des deux autres invitées, il était clair qu'il avait été désigné porte-parole de leur trio. A table, Miranda les observait avec une curiosité inédite.
" Excusez-moi, mais... Si vous nous disiez ce qui se passe, au juste ?"

Taliesin soupira : quand bien même n'aurait-il pas décidé de révéler la vérité, il n'aurait pu davantage reculer.
-Il s'est produit quelque chose de grave, commença-t-il. Je n'ai pas d'emblée dit de quoi il s'agissait parce que je ne voulais pas semer la panique et parce que j'espérais que Cormack se remettrait assez pour prendre la direction des opérations. Mais il me semble que le temps commence à presser, alors....
Grande inspiration.
-Nous avons découvert un corps dans le bureau du sieur d'Averlande. Nous n'avons pu l'identifier mais... je crains de savoir qui est la victime.
Inutile d'enchaîner avec ce qu'il avait prévu de faire : le halfelin, sous le choc, aurait besoin d'un peu de temps avoir de pouvoir entendre ce genre de choses.

Mais Bernard était loin d'être le seul à avoir entendu les paroles de Taliesin. Il n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit : Elsa poussa un cri et sembla défaillir, s'écroulant à moitié sur le pauvre Cormack, tandis qu'Ancolie se levait d'un bond.
" Il y a un tueur dans le manoir ! s'exclama-t-elle. Il faut nous armer !"
Le halfelin leva les mains au ciel mais, comme Cormack, il ne proféra aucun son.

L'elfe, pour sa part, s'efforça d'afficher un calme olympien, espérant ce faisant avoir une certaine influence sur les autres.
-Ce qu'il faut en premier lieu, c'est nous réunir tous, dit-il d'un ton mesuré. Si l'assassin voulait et pouvoir nous tuer tous, il l'aurait déjà fait, ce qui signifie qu'être ensemble est notre plus grande force. En ce qui me concerne, je dois sans tarder aller chercher mes enfants : vous comprendrez qu'au regard des circonstance, je ne puisse les laisser seuls au cottage. Je reviendrai avec eux le plus rapidement possible et, d'ici là, je vous demande de demeurer au salon. N'hésitez pas à bloquer la porte, si cela peut vous rassurer.

" Bien sûr." balbutia Bernard.
Ginevra était restée debout, Ancolie paraissait déstabilisée.
" Comment on sait que c'est pas un de nous, le coupable ? demanda brusquement Miranda, toujours assise. J'ai pas tellement envie de me barricader avec n'importe qui."

Eh bien, ça n'avait pas tardé...
-Compte tenu de la situation, et jusqu'à l'arrivée des autorités, il est possible que nous en venions à nous soupçonnsr les uns les autres, répondit-il calmement. Mais nous séparer serait une grave erreur : cela faciliterait la tâche à l'assassin, pour peu qu'il souhaite faire d'autres victimes. Non, là encore, notre meilleure défense est le nombre : si nous sommes réunis, il y a fort peu de chances pour que quelque chose de grave puisse nous arriver.
Il s'interrompit un instant, cherchant soigneusement ses mots.
-Par ailleurs, dans la mesure du possible, il ne faut pas laisser la peur et la panique prendre le dessus : ce sont de bien mauvaises conseillères qui amènent invariablement à commettre des erreurs. Alors efforçons-nous de garder notre sang froid. Si nous restons calmes, si nous restons groupés, cela devrait bien se passer.

Miranda haussa les épaules, mais ne quitta pas sa place — à distance — pour autant.
" Un assassin... Vous ne croyez pas qu'il a eu un accident ? C'est... digne d'un roman d'Elstephann ! s'exclama Bernard.
— Non, non..." gémit Cormack, comme pour lui répondre.
Ancolie s'était avancée.
" Je devrais peut-être vous accompagner.
— Tu n'y penses pas !
— Ou alors nous devrions peut-être y aller tous ensemble..."

-Si Cormack allait mieux, et s'il faisait moins mauvais, ç'aurait probablement été la meilleure solution. Mais notre ami a besoin de se remettre et, par cette brume, nous risquerions d'être séparés à moins d'avancer très lentement. Or, vous l'imaginez bien, j'ai plutôt envie de courir. Ce que je devrai pourtant m'abstenir de faire.
Il soupira. Mine de rien, il commençait à être sacrément inquiet pour les enfants.
-Bon, je me met en route. Normalement, je n'en aurai pas pour très longtemps. Et, s'il vous plait... Demeurez ici, tous ensemble, jusqu'à mon retour.

S'ils ne protestèrent pas et ne cherchèrent pas à le retenir, ils ne parurent pas particulièrement ravis pour autant. Bernard l'accompagna jusqu'à la porte, qu'il ferma sur ses talons et Taliesin se retrouva dans le hall humide et gris, seul. Il ne lui fut pas difficile de gagner la sortie et par là l'extérieur. Le cottage était droit devant et, s'il ne pouvait le voir, il lui suffisait d'avancer sans ralentir sur le chemin gris. Quand il y parvint et qu'il entra, il devina sans peine que rien de fâcheux ne s'y était produit : installés à table, Baptiste et Victor bavardaient tandis que le second prenait son petit déjeuner, encore en tunique de nuit.

Il poussa un soupir de soulagement mais... ne s'abandonna pas à ce sentiment. Il ne chercha pas davantage à donner le change : la situation ne permettait pas pareils artifices et, de toute façon, ils apprendraient très vite la vérité. En revanche, il se montra très calme, dans son attitude comme dans son ton, lorsqu'il s'adressa à eux.
-Les garçons, il faut que nous allions sans tarder rejoindre les autres au manoir. Il s'est passé quelque chose de grave et nous devons nous réunir avant de décider de la suite.
Avant de répondre à la moindre question, il entendait récupérer son épée. Mais cela ne lui prendrait que quelques instants.

Les garçons ne tentèrent pas de le détourner de son projet initial, trop sonnés par la nouvelle pour y songer.
" Ça c'est mal passé ? Avec mon père ?" demanda Baptiste, d'une voix blanche.
Victor, encore en tunique de nuit, avait fusé vers sa chambre, sans doute pour se changer.

Son épée au côté, Taliesin était rassuré : c'était peut-être une illusion mais il avait l'impression d'être mieux à même d'affronter la situation. Du moins la situation dans son ensemble car en ce qui concernait Baptiste... il se sentait démuni. Il allait pourtant devoir lui annoncer la nouvelle : mieux valait qu'il l'apprenne de sa bouche que de celle d'étrangers.
-Non... A dire vrai, je n'ai pas eu l'occasion de discuter avec lui.
Il s'approcha du gamin, posa une main sur son épaule.
-Je suis désolé, mon grand, mais il va falloir que tu sois courageux. Et que tu te rappelles qu'en ce bas-monde, il n'y a pas grand chose d'irrémédiable, dit-il d'une voix douce.

Baptiste resta immobile, les yeux écarquillés, et bientôt la bouche ouverte.
" Oh dieux... Il lui est arrivé quelque chose... Je ne voulais pas rester ici et il lui est arrivé quelque chose... C'est de ma faute... Je suis sûr que c'est de ma faute... Qu'est-ce qui s'est passé ? J'en ai rêvé, cette nuit, je ne voulais pas... et puis... et..."
Victor surgit, habillé (plus ou moins correctement) de pied en cap.
" Y s'passe quoi ?"

Le barde resta concentré sur Baptiste, continua à lui parler du même ton réconfortant.
[color=#FFF66]-Tu n'y es absolument pour rien, mon grand. Il y a un assassin au domaine : c'est lui l'unique responsable et nous ferons en sorte de le démasquer. D'ailleurs, ce dont tu as rêvé pourrait nous y aider. Mais plus important encore : je te jure qu'à moins qu'on ne m'en empêche, pour des raisons religieuses ou autres, je ferai en sorte que tu retrouves ton père. Je refuse que les choses se passent ainsi. C'est tout bonnement hors de question : ce serait par trop ignoble.[/color]

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Le Domaine d'Averlande