La Couronne de Cuivre

Elle sourit. Sans laisser rien transparaitre d'autre. Sans montrer sa désapprobation. Elissa savait sans doute ce qu'elle faisait. Sans doute...
Confiance. Elle devait l'accepter. Elle avait fait une promesse. Meme si elles n'engagaient ordinairement que ceux qui y croyaient. Elle se sentait liée à la parole qu'elle avait donnée.

L'elfe lachait prise. Lentement, inconsciemment. Inexorablement. C'aurait du la rendre amère. Mais elle se résignait doucement. Accepter... des sentiments. Autres que ceux de haine ou de violence. Oui. Il s'agissait de cela.
Elle a regardé la demie elfe du coin de l'oeil. Elle aurait aimé briser sa muraille de détachement, de froideur. Pour savoir. Pour en finir avec ses propres doutes, ses propres réticences. Ou peut etre que ce faisant, qu'elle ne l'aurait que d'autant moins aimée, attirée, si elle avait du lire en elle dès le départ comme dans un livre ouvert.
Elle s'était détournée ensuite. Le sourire mué en moue indiscinte. Impénétrable. Un peu attristé, peut etre.

Pendant qu'Elissa lui exposait les réels enjeux de la guilde, Brus avait posé son sac sur son lit et sortait une à une les choses qu'il contenait. Il renifla sa chemise et ses hauts de chausses encore humide. "Mmm, ç'commence à sentir l'moisi." Avec un soin remarquable il les déplia et les étala sur la couverture de son lit pour qu'ils finissent de sécher. Vérifiant le contenu de sa sacoche il replia le rabat et transporta sa sacoche jusqu'au bureau sur lequel il la laissa tomber, rendant un son métallique. Avec son indéfectible sourire enfantin, il se retourna vers l'elfe qui avait fini de parler.

- 'Savez, pour tout vous dire, j'ai eu l'habitude de c'genre de truc, c'tait un peu ma maison avant, 'fin si on peut parler d'maison. Y avait d'jà pas la chambre 'vec le lit et tout et tout, mais même si z'tait pas toujours net, c'tait des gens, comprenez?

Il s'assit sur le bord du lit appuyant ses avants bras sur ses cuisses, les mains jointes.

- Moi tout ça m'va, j'commence quand vous v'lez! Euh... just' un truc, y a qu'des filles ici?

"Si certaines n'ont pas encore émasculé Basile, il y a un homme à la Vierge d'Argent. Au milieu de nous toutes, je pense que vous allez vous serrer les coudes si vous voulez vous en sortir vivants ... et entiers"

A l'étage du dessous, Delcia ne s'arrêtait plus de rire.

"Delcia, décidément"

Elissa était à deux doigts de se mettre à rire. Et depuis assez longtemps. Laisser tomber le masque de temps en temps ne faisait pas de mal. Si ce n'était pas pour trop longtemps. Un observateur plus avisé aurait pu voir qu'il n'y avait pas que le masque qui commençait à se fissurer. Elissa craquait petit à petit. Dans peu de temps, il n'y aurait plus d'occasion de rire. On s'avançait inexorablement dans le chaos, jusqu'à ce que tout bascule. Et bientôt, plus rien ne les rattraperait. La mort, le noir. Et après seulement le repos dans cette grande lande où on ne connaîtrait plus personne. L'oubli peut être était le meilleur des maux.

Brus sourit franchement à la plaisanterie d'Elissa, et tentait déjà d'imaginer à quoi pouvait bien ressembler le nommer Basile. Quel drôle de nom. Il regarda l'elfe de biais, plissant les yeux, la dévisageant ouvertement, toujours assis sur le lit. Bien qu'elle était très sympathique avec lui, très gentille, serviable et généreuse également, le jeune humain ne pouvait s'empêcher de penser que quelque chose clochait, qu'elle n'était pas entièrement elle même, comme si elle jouait un rôle. Comme le gamin avait pu le constater, elle donnait beaucoup d'elle même mais paradoxalement semblait vouloir éviter qu'on lui demande. Pourquoi? Le raisonnement de Brus s'arrêtait là. Il profitait dans l'immédiat d'une position on ne peut plus confortable, en fait la plus confortable et surtout la plus stable qu'il eut jamais eu. Aussi il lui apparaissait inutile de poser trop de questions qui pourraient gâcher les choses. Il n'avait pas quitté Elissa de ses yeux bleus grands ouverts. Il se souvint des premières paroles de Delcia. Sautant du lit Brus s'avança vers Elissa.

- Delcia a dit qu'y avait d'aut' "filles"? M'les présentez?

« Elles ne devraient pas tarder à venir. » Elle avait répondu à la place de la moinesse. D'une voix chaleureuse. Douce. Tellement inhabituelle qu'elle en était suspecte. « A la base, ce n'était sans doute pas pour venir faire connaissance, mais peut être joindront-elles l'agréable aux récriminations. »

Elle avait posé la main à sa ceinture, intercepté le léger sourire de la moinesse qui se changeait en... indéfinissable. Elle l'avait regardée; avec douceur et fatalisme. Prête enfin. Y compris à en payer les conséquences. Le fourreau de la dague était vide alors qu'elle jouait distraitement avec. Ses doigts délicats marqués de discrètes coupures et écorchures récentes. A voix basse, elle avait repris. Masquant sous la désinvolture de façade un aveu.

« Elles finiront bien par la ramener. » Sans préciser la manière de le faire toutefois.

En quelques secondes, Elissa avait tout noté. La coupure des mains, le fourreau vide, le froid détachement qui cachait une animosité latente. Et le tout lui faisait froid dans le dos. Pire, lui déplaisait profondément. Sans Brus, elle se serait récriée, demandé tout de suite ce qui n'allait pas. Elle ne le fit pas. Mais sourire avait disparu.

Elle avait regardé Eliaëdel droit dans les yeux et l'elfe avait pu y trouver l'embryon d'une colère montante. Cela ne dura que quelques secondes. Elissa avait déjà détourné le regard. Elle avait souri franchement à Brus. Le gamin était sympathique, tolérant et peu fouineur. Tout ce dont ils avaient besoin à guilde en plus d'un peu de fraîcheur pour dissiper la pesanteur de l'atmosphère. Mais face aux louves de la boutique, ne se ferait il pas dévorer ? Autant qu'elle le pourrait, elle veillerait sur lui.

"Non, elles ne sont pas là. Tu feras leur connaissance plus tard. Et ne crois pas Eliaëdel, c'est un peu n'importe quoi"

Non, elle ne riait plus. L'espace d'un instant, son menton trembla. De tristesse ou de rage. Nul n'aurait pu le savoir. Mais déjà, elle s'était reprise.

- Ah... Bon...

La réponse brutale d'Elissa le déstabilisa. Ses yeux rencontrèrent brièvement ceux d'Eliaëdel avant de plonger vers le plancher et de se glisser entre les lattes. Brus sentait bien comme un lien entre les deux elfes, quelque chose de ténu et d'assurément sensible. A chaque parole, geste de l'une, l'autre se contractait, le fil se tendait, et quelque part, cela devait tirer. Dès qu'Elissa tournait la tête, Eliaëdel tirait sur le fil. Le gamin se dit qu'il ferait aussi bien de disparaître, histoire de laisser les deux elfes causer, faire quelque chose pour le fil. D'un autre côté il se voyait mal les congédier sur le pas de sa toute nouvelle chambre, il ne pouvait pas dire qu'il était ici chez lui. Il releva la tête en étouffant un bâillement.

- Dites, ça vous ennuie pas si j'commence 'peu plus tard dans l'jour? J'pas vraiment dormi d'puis un bout d'temps, et là vu qu'y a un lit, comme ça, j'me disais ptet que y aurait moyen, voyez? Juste un p'tit somme, comprenez, si ça pose pas d'problèmes, quoi...

Il interrogea la moinesse du regard, espérant de tout cœur que celle-ci accepterait.

Elissa avait hoché doucement la tête. Ses yeux avaient malgré elle rencontré de nouveau ceux d'Eliaëdel. Les siens s'étaient fait de glace. Elle avait de nouveau détourné le regard.

"Bien sûr que tu peux dormir. La literie est propre, les couvertures chaudes, rien que du bon. Oh, ne t'attends pas à ce que je te chante une berceuse, tu le regretterais pendant dix ans, et les enfants de tes enfants s'en rappelleront. J'arrive à faire tourner le lait dès que je pousse la chansonnette. Redescends quand tu voudras, même si c'est demain matin. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas"

Et elle était sortie, sans vraiment prendre le temps d'attendre la barde.

L'elfe avait tourné les talons, sans doute l'autre la suivrait. Brus referma sa porte et s'y adossa lorsqu'elle fut close. Un sourire germa sur ses lèvres.

La pause ne dura que quelques secondes, il reposa sa sacoche par terre et étala sa chemise et ses hauts de chausses sur le bureau. Il ouvrit l'armoire, fourragea dans les tiroirs du bureau, sous le lit, sous le matelas, rien. La chambre était vierge. Il enleva sa veste en cuir et la déposa sur le dossier de la chaise qui faisait face au bureau avant de s'y asseoir. Là il entreprit de vider un à un se que contenait sa sacoche. Il commença par les deux bourses qu'il avait toujours sur lui. Il en fit rapidement le compte. Venait ensuite sa statuette de Waukyne qu'il exposa comme un trophée sur le bureau, puis un certain nombre de fils métalliques plus ou moins tordus. Il regarda avec amusement sa fronde qu'il posa à côté des bourses. Enfin il sortit un étui en cuir. Il l'ouvrit. Dedans un parchemin couvert d'encre que Brus ne savait nullement déchiffrer. Il le déplia sur la table. Comme à chaque fois qu'il en avait le temps, il essayait vainement de capter le sens des lignes, de les orienter, de les structurer, d'en tirer quelque chose en somme, mais les lignes, les arrondis, les traits et les points restaient sans saveur.

Au bout d'une demie heure il remit délicatement le parchemin dans son étui et rangea celui-ci dans un tiroir. Le premier. Il récupéra la dague dans le fourreau qui la dissimulait à l'intérieur de sa veste et la glissa sous son oreiller, une habitude. Il se délesta de ses bottes usées avant de s'affaler sur le lit, sans prendre la peine de se glisser sous les draps. Le sommeil vint rapidement, mais son sourire ne s'éteignit pas pour autant.

Elle était sorti à son tour de la chambre. Le regard froid et dur qu'elle lui avait lancé encore brûlant dans sa mémoire. S'était crispée. Elle s'est retenue de partir à sa suite à grand peine; pour quel résultat? Comme si cela pourrait effacer ses paroles. Ou ses actes.

«*Le jeu est terminé, non?*» Elle l'avait soufflé pour elle même, dans un cortège discret de voix discordantes, seule dans le couloir. Avec une tristesse infinie. Même si ce n'était pas un jeu. Ou du moins ne le considérait pas comme tel.

Mais elle lui devait explication. Lui devait une vérité. Où que cela l'amène; même si elle devait se faire repousser ou bannir. L'elfe s'était approchée du bureau de la moinesse; avait frappé discrètement à la porte. Attendant une réponse.

Kyuushi ouvra la porte du magasin , avec sa grande force !

Kyuushi : " Bien , le bonjour ! "

Eliaëdel : " Oh Bonjour Monsieur Kyuushi Sergent De La Garde Impériale comment allez Vous ? "

Kyuushi : " Bien Bien , ma très chére madame , je suis a la recherche de potion de rapidité pour courir plus rapidement , pour attrapé les voleurs de cette ville ! "

Eliaëdel : " Oui Oui , je doit avoir cela veuillez attendre s'il vous plait "

Eliaëdel chercha pendant cinq petit minutes des potions de rapidité pour le sergent de la garde .

Eliaëdel :" Voila trois potions de rapidité les derniére que j'ai sa fera cinq cent piéces d'or s'il vous plait ! "

Kyuushi : " Ok , madame voici vos belle et trébuchante cinq cent piéces d'or veuillez passez une bonne journée ! Au Revoir ! "

Eliaëdel : " Vous aussi Monsieur au revoir ! "

Kyuushi part du magasin avec le grand sourir parce qu'il avait eu des potions de rapidité qu'il avait rechercher depuis un bon petit moment ! il pourra accomplir sont devoir protéger cette ville !

hrp : bon, on reprend

La réponse était venue de derrière elle.

"Ici. Mais si tu préfères, on y sera mieux "

Elle ouvrit la porte, fit signe à Eliaëdel d'entrer d'un geste de la tête. Puis était allée directement jusqu'à son bureau où tout était rangé avec une méticulosité presque maladive. Là, elle s'était assise avec un geste de lassitude et avait enjoint la barde à l'imiter. Son visage avait repris un masque indéchiffrable. Seuls ses yeux exprimaient une immense fatigue. Elle se sentait proche de ses limites, prête à craquer. Il fallait qu'elle prenne l'air, se repose. Mais pour l'instant, elle avait des responsabilités.

"Deux choses. Ne m'oblige jamais à choisir entre toi et les gens de la guilde. Et si jamais tu touches un cheveu de leur têtes, notre histoire pourrait prendre une tournure désastreuse. Eli, je ne te parle pas en l'air. Cette guilde, c'est ma vie. Et ce sont mes amis. Ils ne sont pas venus là pour qu'on leur plante une dague dans le dos. Ils te protègeront quoi qu'il t'arrive si tu arrives à les convaicre que tu ne les tueras pas à la première occasion. Déjà, où sont elles ? Et qu'est-ce qui s'est passé ?"

Elle avait parlé d'une voix calme et mesurée, mais qui ne souffrirait aucune réplique. Maintenant, la balle était dans le camp de sa comparse. Elle attendait.

« Il ne leur est rien arrivé. Je sais encore viser. Quand je suis partie, elles étaient encore bien vivantes. Mais je ne sais pas où elles sont. Elles ont sans doute voulu prendre l'air après tout ça. » Tout comme elle.

Dire qu'elle avait marché toute la nuit. Dire qu'elle avait erré. Mais les mots se bloquèrent au fond de sa gorge. Ne changerait rien. Ses mots étaient sortis sans désinvolture. Elle ne mentait pas. Elle l'avait regardé, sans ciller. Sans baisser ou détourner le regard. Épuisée toutefois dans cette lutte permanente.

« Je ne te demanderai pas de choisir entre ici et moi. Je sais quels combats sont déjà perdus d'avance. Mais ça ne se reproduira plus. » Sourire triste. Elle perdait le contrôle; sans doute pour ne recevoir comme récompense que la solitude. Elle avait juste voulu du silence lorsqu'elle avait suivi sa colère. Pouvoir oublier ce qu'elle avait vu en profitant du calme. Mais même ça elle ne l'avait pas reçu.

"Bien"

Elissa avait inspiré doucement, le temps d'essayer de garder son calme.

"Alors, si je comprends bien. Tu leur a balancé ta dague. Encore mieux"

Elle avait regardé par la fenêtre, soupiré de nouveau. Ses mains s'étaient crispées sur le bureau durant quelques secondes.

"Et pourquoi ? Parce que tu n'as pas pu t'en empêcher ? Tu sais viser oui ... Mais ça, elles s'en fichent totalement. Et moi pareil. Qu'est ce qui aurait pu se passer si tu visais mal. Tu l'as imaginé ?"

Elle laissa le silence recouvrir ses questions. Elle ne pourrait rien ajouter d'autres sans rompre les digues. Et sa colère se déverserait ...

"Je .. je crois que j'ai besoin d'être un peu seule. Quelques minutes, quelques heures ... je suis fatiguée"

Elle avait acquiescé lentement. « C'est notre lot à tous. »
Ca ne valait guère mieux pour elle. Elle a avait détourné le visage un instant, juste assez pour le laisser entrevoir rongé par les soucis. Par l'angoisse. Les joues creusées. Elle salua la moinesse brièvement avant de s'éclipser et de regagner ses quartiers. Elle s'est appuyée contre la porte de sa chambre après l'avoir refermée derrière elle.

L'elfe s'était assise sur le rebord de la fenêtre en attendant que tombe le soir. S'engourdissant lentement dans la fraicheur de la nuit une fois que celle si avait recouvert la cité; avec des mouvements de plus en plus ralentis. En équilibre instable. Plus bas, la ville lui paraissait si insignifiante avec ses torches et ses lampes vacillantes sous le vent nocturne. Si petite. Elle avait froid. Et faim aussi. Elle se sentait vide; glaciale. Mais cela n'aurait plus beaucoup d'importance. Elle avait survécu jusqu'ici. Pour quel prix, hormis celui de vivre? Elle ne souvenait pas de tout; certains éléments de son passé lui étaient tellement troubles; tellement indistincts. Comme s'ils avaient été effacés, étouffés comme une flamme sans air. Des bouffées de colère soudaines; un tourbillon de chaos dont qu'elle ne souvenait à peine lorsqu'il la laissait enfin.

L'elfe vacilla; autant physiquement que mentalement. Sous un passage fugitif de la lune, elle avait paru plus vieille qu'elle ne l'avait été; les longs cheveux défaits, emmêlés, la peau mate et d'ambre qui avait viré couleur de cendre sous la préoccupation, les lèvres pâles; et surtout ces yeux, si étranges, si inquisiteurs, qui avaient perdu de leur éclat pour un voile terne. Emportée par le courant de chaos et d'entropie par lequel elle se laissait guider; comme le grain de sable dans le torrent. Elle avait voulu l'arrêter, ne serait ce qu'un instant. Unir son destin à elle pour tenter de reprendre le contrôle.
L'échec. C'était de ça qu'il s'agissait. Il approchait à grands pas. Et elle ne voyait guère comment se sortir de cette situation.

Elissa était sortie. Les mains dans les poches de sa robe de bure, elle errait sans but. Le vent glacé de la rue faisait voler ses cheveux et emportait en volutes ses pensées obscures. Elle s'apprêtait à passer par le front de mer quand le tumulte de la foule du marché l'avait subitement attirée.

Dans sa solitude, elle ressentait le besoin impérieux de se mêler à la foule, confondre à leurs histoires ses soucis. Ils la perdraient peut être. Tiens toi tranquille ô ma douleur. Dans la foule bigarrée, elle erra telle une ombre, un léger sourire aux lèvres, énigmatique. Peu à peu, la tension s'en allait, laissant la place à une douleur sourde.

Soudain, elle s'arrêta devant les étals, les yeux perdus. Là, sur des trétaux assemblés à la hâte, un ours en peluche lui tendait les bras au milieu d'autres jouets. Par nostalgie ou l'étrange magie de l'enfance à jamais présente, elle avait entendu son appel. Quel appel ? Celui à la candeur, à l'innocence qu'elle n'aurait plus jamais ? Quelques secondes plus tard, elle était repartie, l'ours entre les bras, couvée par le regard intrigué du marchand. L'énormité de son geste lui apparut quand elle poussa la porte. Et peut être non. A l'ours, elle avait trouvé un propriétaire.

Elle était montée doucement à l'étage et avait poussé sans bruit la porte de la chambre de Brus. Elle avait posé le cadeau sur le bureau bien en évidence et avait griffoné.

"Cadeau de bienvenue. L'enfance n'est jamais bien loin. Prends garde de ne jamais la perdre."

Elle avait fini par s'asseoir sur le lit froid. Elle grelottait littéralement. Plongée dans de vieux souvenirs; des réminiscences de circonstance. D'époques différentes. Elle trouvait pas de réponses.
La femme avait au plus profond d'elle un coeur désespérément sombre; volontiers malveillante. Cruelle s'il le fallait. Pas nécessairement par plaisir. Mais si la nécessité l'imposait, c'était dans ces instants là où elle ne reculait ni hésitait.
Une langue d'acier, un esprit vif et calculateur, toutes ces notes pour mieux tromper et mieux camoufler un goût prononcé pour la violence. En jouant sur la surprise.
Elle avait déjà aimé par le passé. Dans un tumulte de violence, d'interdit, de précipitation. Elle avait tout perdu. Et à chaque mort, cela n'avait eu que pour seul effet de ne la faire que s'enfoncer encore plus dans ce dédale dépourvu de sens, de folie, de froideur, de cynisme. Entre ceux qui s'étaient fait assassiner sous ses yeux. D'autres encore qui avaient disparu du jour au lendemain. Jusqu'à en venir à celle qu'elle avait tuée de sa main avant qu'on la lui enlève. L'amour qu'elle portait était passionné, intense, mais irrémédiablement destructeur. A la suite de ça, elle s'était tout interdit. Étranglée par des remords alors inédits. Elle avait étouffé toute forme de tendresse sous un cynisme et un mépris pour autrui encore plus cinglants et arrogants.
Pourquoi fallait il qu'elle retouche à cette coupe si cela ne devait pas mieux finir? Malgré ses promesses; malgré la protection qu'elle avait promis. Elle ne le savait pas. Cela la rendait malade. Hagarde.
Elle s'est endormie, finalement. Cela a pris du temps, entre les mots sans signification qu'elle balbutiait en tremblant. La fenêtre ouverte. Totalement négligente de sa sécurité.

Brus ouvrit une paupière ensommeillée. Puis la referma. Il se retourna sur le dos et enfouit se tête dans l'oreiller moelleux en poussant un grognement. Le réveil... C'est alors qu'il remarqua une forme étrange sur le bureau. Cette fois-ci ses deux yeux s'ouvrirent à la fois et il se releva sur un coude. De son autre bras il se gratta le crâne. Il s'était attendu à tout sauf à ça. Un ours. Un ours en peluche, brun, assis sur son séant, le fixait de ses deux yeux en forme de boutons de couture. "Ça y est, j'rêve, c'sur!"

Le jeune humain se redressa et s'assit sur le bord du lit. Il se massa les paupières puis son regard se tourna de nouveau vers l'ours. "Ben non, l'a pas bougé". Il nota également la présence de la note. Se levant, poussé par sa curiosité, il s'approcha de la table. La peluche était douce au toucher, un peu râpeuse au bout des pattes et aux extrémités des oreilles. Elle souriait légèrement. Lui aussi. La tenant à deux mains, il la regarda d'un air songeur.

- William? Ouais, c'pas mal William, qu'est-ce t'en penses toi? Ça te va? Bah c'parfait alors, enchanté Willy, moi c'est Brus. Mais... Qu'est-ce tu fais là Willy? Le regard de Brus glissa sur le bout de papier griffonné. William aussi semblait perplexe. Toi aussi t'sais pas lire, hein? Beh, c'pas grave, maint'nant on est deux. Mais... faut pas l'dire, y a des gens vachement sages ici, nous mettraient dehors, pour sûr!

Brus reposa l'ourson nouvellement baptisé et s'intéressa à la note. L'écriture était bien différente de son autre parchemin, certains caractères se ressemblaient, mais il était incapable d'en saisir le sens. Il le laissa retomber à côté de la peluche. Enfilant ses bottes et sa veste, il récupéra sa dague, une de ses bourses qu'il glissa dans sa poche et quitta sa chambre. Il traversa le couloir en coup de vent, dévala les marches et arriva dans la boutique, Delcia était là. Brus sourit et passa une main dans sa tignasse blonde.

- B'jour z'allez bien? Z'êtes toujours 'ssi charmante, pour sûr! Dites, z'auriez pas vu m'dame Elissa? J'ai un problème d'porte qui ferme pas...

"Ah oui, je voulais te dire, lui souffla une voix près de lui, il faut bien pousser le verrou. Sinon, c'est la porte ouverte ... à toutes les fenêtres. Enfin, j'espère qu'on ne t'a pas volé quelque chose, ni agressé. Enfin, ce n'est pas trop la politique de la maison"

Elissa se tenait derrière lui, appuyée contre un mur, un léger sourire aux lèvres. Pour le moment, elle n'avouerait pas pour l'ours, à part s'il lui demandait. Et là, encore, elle pouvait mentir. Sa promenade au marché lui avait quelque peu changé les idées. Et, même si elle n'osait se l'avouer, l'absence d'Eliaëdel lui permettait de se détendre un peu. Ici, elle mettait ses soucis entre parenthèse. Et dans cette parenthèse, elle était libre de s'inventer quelques illusions où tout serait facile et où les gens finiraient par s'entendre, comme dans une chanson d'enfant. Elle sourit à Brus.

"Alors, bien dormi ?"

Elle s'était réveillée dans l'après midi, alors des bruits de discussions planait dans la guilde. Toujours avec cette fatigue. Toujours tiraillée par ses doutes, par ses certitudes, par le désastre imminent. Elle échouerait, forcément. Elle était incapable de se protéger efficacement elle même. Quant à protéger la moinesse. Sa gorge s'est serrée...
Elle la perdrait. Même si la demie elfe n'éprouvait rien pour elle, si elle avait été suivie, elle était condamnée.
ces quelques trop courtes heures de sommeil lui avaient apporté un conseil, elle le paierait tellement cher... Mais avait elle d'autre choix? Partir ne la sauverait pas. Elissa ne le méritait pas.
La barde s'est levée. Elle a préparé une décoction, comme dans un rêve, selon des gestes maintes fois répétés; mais le destinataire différait cette fois. En taisant ses craintes et avec des mouvements précis. Surtout qu'au bout de toute chose, cela ne lui promettait qu'une éternité de souffrance avant que sa conscience ne décide à se dissiper dans un mur d'âmes qui valaient à peine mieux qu'elle. Avant de connaître le seul et véritable oubli. Faute de dieux en qui elle n'avait la faiblesse d'implorer le soutien.
Elle le savait. Elle n'attendait aucune pitié de ce côté. Et n'en méritait sans doute doute.

Elle a écrit un message avant se considérer la tasse en terre cuite. Quelques mots. Emplis d'affection, d'amour, de peur, de détermination. Elle s'est allongée avant de boire la mixture qu'elle avait préparé. Elle n'a pas hésité en le faisant. Sans regrets. Sans trembler. Presque avec satisfaction. Alors que le gout amer coulait sur sa langue et lui brûlait la gorge. Avec un seul espoir; que cela suffise effectivement à la sauver.

***

Elle respirait encore; si faiblement qu'il fallait prêter attention pour le remarquer. Mais elle était vide. L'esprit loin. Parti en on ne sait quelles limbes. Ce qui reposait dans le lit était une coquille creuse; physiquement brisée. Qui l'abandonnerait bientôt.

Brus sursauta en entendant la voix de l'elfe derrière lui. Il ne l'avait pas entendu approcher.

- Beh, ç'va. C'fait du bien en fait. Au fait savez pas c'que j'ai trouvé en m'levant?! D'ailleurs c'bizarre, parc'que d'habitude j'ai l'sommeil léger bah là j'ai rien entendu de qui v'nait dans ma chambre. 'Fin faut que j'regarde pour l'verrou... Mais savez j'pense pas qu'ce soit un voleur parc'que sinon sont vraiment chelou les voleurs ici.

On m'a laissé un ours en p'luche. Il entendit Delcia pouffer de rire et rougit. Piqué, il se retourna pour riposter. Bah quoi? J'pouvais pas savoir moi! J'y suis pour rien, j'sais même pas c'qu'il fait là, pis ça s'trouve c'est toi qui m'l'a amené hein?Delcia rit de plus belle, Brus était dépité. Dites lui m'dame Elissa qu'c'est pas d'ma faute! Qu'c'est quelqu'un d'autre!

Elissa avait souri, l'espace d'une seconde, avant de reprendre on ne peut plus sérieusement.

"Oh, ils reviennent. Et c'est assez préoccupant. A votre place, je ne rigolerais pas. Le gang des ours en peluche. Ils frappent partout, n'importe comment. Un vrai complot. Il paraît même qu'il y en a un qu'on a retrouvé dans le lit de notre grand émissaire. A partir de maintenant, il faudra vérifier toutes les entrées. Mais n'ayez pas peur, nous sommes fichus. D'ailleurs, nous ferions bien de vérifier chacune de nos chambres. Si ça se trouve, Eliaëdel en a reçu un elle aussi."

Elle sourit à cette pensée, se rendant soudain compte de l'improbabilité de la situation. Mais sait on jamais. Ses pas la portèrent devant la porte où reposait la barde, elle frappa doucement. Pas un mouvement trahissant sa présence. Elle était pourtant dans les premières levées et les dernières couchées. Etrange. Elle fut soudain saisie par un mauvais pressentiment. Quelque chose n'était pas normal. Sans tergiverser d'avantage, elle ouvrit.

Son regard embrassa la scène en quelques secondes. Le gobelet, le mot, et la barde à laquelle le souffle manquait.

"Ok"

Elle était sortie de la chambre à reculons et refermé doucement la porte, le visage indéchiffrable. Mais à l'intérieur, la colère était en train de tout emporter. Encore une fois, elle se permettait de décider pour elle, en ne laissant rien de moins que sa vie. Romantique en quelque sorte. L'imbécile. Elle ne voulait aucunement cela. Elle lui dirait tout cela si elle s'en sortait. Pour l'instant, il lui fallait agir, et vite.

Descendant les marches quatre à quatre, elle alla chercher de l'herbe dompte poison sous le regard de plus en plus affolé de Delcia. Avec des gestes sûrs et rapide, elle avait broyé les feuilles avec de l'eau, pour obtenir une sorte de pâte. Sans prendre le temps des explications, elle était remontée. Le regard toujours indéchiffrable.

"Brus, j'ai besoin de toi, dit elle en entrant dans la chambre, je sais que c'est pas beau à voir mais si on se dépêche, on peut encore agir. Bon, première chose, tu ne touches pas le gobelet par terre. Voila ce qu'on va faire : toi, tu lui tiens la tête en arrière, et moi, je lui fais avaler ça"

Elle avait parlé avec une voix presque détachée, pour occulter la panique. Se disperser ne servait à rien de toute façon. Pendant que Brus soutenait Eliaëdel, elle ouvrit la bouche de l'elfe et y glissa la pâte, puis, pinça le nez pour faire fonctionner la déglutition.

Puis, avec une douceur peu commune, elle laissa Eliaëdel reposer sur le lit. Ses yeux se posèrent sur Brus. Ils étaient remplis de larmes.

"Bon, merci beaucoup, elle te doit une fière chandelle. Au fait, ne joues jamais avec les plantes. Il pourrait t'arriver des bricoles. Maintenant, il ne nous reste plus qu'à attendre"

Puis, voyant que Delcia était montée et lorgnait la porte avec inquiétude, elle sortit de la pièce, entraînant l'adolescent et referma brusquement.

"Bon, le spectable est fini. Il y a plus rien à voir"

Sensation de vide. Sensation de chute sans fin. Elle était bien. Elle ne sentait plus rien. Ni son corps, ni ses blessures, ni de tourments. Lentement les choses reprirent de la consistance; l'esprit plongé dans les brumes commençait à se réveiller. Puis survinrent les douleurs. Ce... ce n'était pas normal. Elle ne pouvait pas avoir échoué. Elle n'en avait pas le droit. Mais le réveil était inéluctable. Nauséeuse, faible; si faible. Elle avait envie de crier. De protester; mais elle ne le pouvait pas. Le simple fait de respirer lui faisait mal. Elle avait envie de dormir, mais tout tournait autour d'elle. Elle était gelée.

Elle ne comprenait pas. Cet instant n'aurait jamais du avoir eu lieu. On n'avait pas le droit de lui refuser ça. C'est ce qui s'était passé pourtant. Elle a ouvert les yeux doucement; le tourbillonnement s'est ralenti; sa vision était trouble, floue, indistincte. Elle est restée immobile, sans bouger. Seule avec ses souffances; seule avec ses pensées.

- Bah ça...

Tout était allé très vite, et voyant l'air inquiet de la moinesse, Brus avait exécuté tous ses ordres sans rien dire. Maintenant qu'ils étaient dans le couloir, il ne savait que penser. En entrant dans la chambre il avait pu lui aussi avoir un bon aperçu de la pièce, et le temps qu'Elissa face avaler sa décoction à l'autre elfe, le jeune humain avait eu le temps de remarquer les outils encore souillés qui témoignaient de la préparation du poison. Elle s'était manifestement suicidé, ou du moins l'avait tenté. En outre il admirait le sang froid dont Elissa avait fait preuve, préparant l'antidote sans défaillir, sans douter, jusqu'à ce qu'elle lui administre, laissant échapper ses larmes. Son regard l'avait marqué. Un silence pesant régnait dans le couloir. Il regarda à nouveau dans la direction de l'elfe.

- Euh... Croyez qu'ça suffira? J'veux dire, le truc que vous lui avez donné. Y a des prêtres sinon, sauf si vous v'lez pas parc'qu'ici c'est s'cret? 'Fin, savez c'que vous faites, moi j'm'y connais pas trop là d'dans, 'près tout.

Brus était véritablement mal à l'aise, Delcia était redescendue et il n'était plus que deux dans le couloir, devant la porte close, à attendre? Il s'assit par terre, adossé au mur, en croisant les jambes.

- 'fait, merci pour William, 'fin l'ourson, j'l'ai appelé comme ça, il marqua une pause puis reprit, 'souvenir de quelqu'un.

Puis il fourra ses mains dans ses poches et tomba dans la profonde contemplation de ses chausses usées.

"Pas de quoi. L'essentiel, c'est qu'il te plaise ..."

Elissa adossée au mur avait baissé la tête vers lui et lui avait souri. Un sourire fatigué, empli de tristesse mais sincère. Une petite touche de soleil dans la tempête.

"Je crois qu'on a réagi assez vite. Bon, quelques heures de plus et s'était fichu. On a eu de la chance d'être passés par là. Enfin, elle a eu de la chance. Pas besoin de prêtre, la plante est en train d'agir. Elle va avoir un réveil un peu difficile mais ça aurait pu être pire"

Elle reposa ses yeux sur Brus. Le gamin, avec son William de nounours. En souvenir ... Comment vivait on quand on n'avait plus que cela ? Il avait l'air de le prendre très bien. Peut être parce qu'il n'était plus seul. Et il ne marcherait plus jamais seul.

Elle pensa à Eliaëdel, seule dans son lit, derrière la porte close. Peut être avait elle mal parce qu'elle marchait seule parmi la souffrance et les ombres. Aucun bon souvenir à se raccrocher. La pensée lui fit mal. Elle s'en libéra d'une pirouette.

"Bon, maintenant, il ne reste plus qu'à attendre ... Si tu veux bien, je vais prendre le premier tour de garde, tu prendras le second. Demain, je te montrerai l'herboristerie un peu plus en détail. En attendant, repos. Ah oui, si tu passes par le Loyal, dis à Titoeil, le tavernier de te servir un petit repas. Dis-lui de mettre ça sur mon compte, il comprendra ..."

Une fois Brus partit, elle entra dans la chambre. L'air sentait les décoctions d'herbe et une pesante odeur de ... malaise.

"Je suis désolée, mais je ne peux pas t'aider à te battre contre toi même. Il faut que tu réagisses. Contrairement à ce que tu peux croire, tu n'es pas seule."

Elle tirra un tabouret près d'elle et attendit.

La barde n'a pas répondu tout de suite. Elle l'entendait bien sûr, elle l'avait senti s'asseoir près d'elle. Même si elle avait fermé les yeux, elle aurait su que c'était elle. Ses membres lui faisaient mal; chaque portion de son corps lui lançait terriblement.

« Tu ne comprends pas? » Elle n'a pas reconnu sa propre voix lorsqu'elle a trouvé la force de répondre; un coassement à peine audible, noyé dans la douleur. « C'tait pour toi que j'ai fait ça. » Les mâchoires encore légèrement figées. Les effets du poison n'étaient pas encore totalement dissipés.
Elle a repris son souffle lentement en fermant les paupières. « Même ensemble, pourrai pas te protéger. Tu as vu ce qui m'est arrivé. » Nouvelle pause. « Sais pas comment j'y ai survécu. M'en souviens presque plus. J'aurai du y laisser ma peau. »

Elle a essayé de tourner la tête dans la direction de la demie elfe; avec cette impression de chavirement qui lui a laissé le coeur au bord des lèvres. Elle en voyait à grand peine les contours, troubles et indistincts. Son regard s'est figé, vert, encore vitreux. Humide.

« Tu mérites pas ça. » D'une voix qui se voulait plus ferme et qui n'a laissé que résonner un sanglot étouffé. Douce et profondément triste derrière sa souffrance.

"Non, toi, tu ne mérites pas ça"

La main d'Elissa avait doucement caressé la joue d'Eliaëdel.

"Oh, si ça peut te consoler, tu es pas passée loin. Je crois qu'on a de la chance que Basile oublie toujours de bien rincer la vaisselle. Il reste toujours des goûtes au fond des gobelets. Il s'en est fallu de vraiment très peu. On peut appeler ça de la chance. En tout cas, tu as l'air de bien t'y connaître en botanique. On va devoir faire attention."

Elle s'était tû quelques secondes avant de reprendre.

"Je ne sais vraiment pas quoi te dire ... Tu n'aurais pas dû faire ça, vraiment. Bon, je te laisse te reposer. Dors, s'il te plaît ... Et si tu as besoin de quelque chose, je serai pas loin"

« Tu ne me laisses aucune autre alternative. Voulais t'éviter ça. » Il y eut un silence dans pièce; un petit courant a tourbillonné dans la chambre par la fenêtre ouverte. Elle reprenait son souffle. Elle sentait à peine sa main sur sa joue, le pouce qui caressait ses pommettes doucement. Frisson; peut être parce qu'elle était de nouveau seule avec ses peurs.

Elle a attrapé la main par le poignet avant qu'elle ne s'éloigne d'elle, avant de refermer doucement sa paume sur ses doigts; la peau était froide, les mouvements maladroits et lents. Comme pour prolonger l'instant. Pour retarder son départ. Se raccrocher à cette main pour essayer de se raccrocher à un semblant d'existence. Son expression s'est faite vague à nouveau.

« Pourquoi? » Une simple question. D'une voix presque inaudible. Lourde de sens. Lourde d'implications.

Lorsque la porte s'était refermée sur la moinesse Brus avait fait demi tour à pas de loup. A vrai dire il était bien plus doué en discrétion qu'au vol à la tire. Et tous ses échanges plus ou moins hargneux, amères, ironiques, ou parfois affectueux l'avaient laissés dans le flou le plus total. La tentative d'empoisonnement l'avait enfin décidé. Il avait donc collé son oreille à la porte et suivit la conversation des deux elfes. Conversation qui lui parut tout aussi ésotérique que les précédentes. Fronçant les sourcils il entendit Elissa prendre congé. Il recula toujours aussi silencieusement jusqu'au bout du couloir et descendit les escaliers. La dernière interrogation en suspens, posée par la faible voix de la souffrante, n'était pas parvenue jusqu'à ses oreilles.

Dans la boutique, Delcia avait repris sa place derrière le comptoir, lorsqu'elle vit Brus descendre elle s'empressa de le questionner à voix basse sur ce qui venait de se passer. Le jeune humain toujours vexé par les moqueries prit un air important et lui affirma qu'il n'y avait rien d'important, que ça ne la concernait pas, que seuls les personnes compétentes et distinguées étaient habilitées à en prendre connaissance. Ce qui donne chez Brus:

- Laisse, t'veux pas savoir... Tsé c'pas qu'ça t'concerne pas mais c'pas un truc normal t'vois? C'est p'tet même dangereux! Alors t'vois, vaut mieux pas qu'tu demandes... Ça tient du s'cret...

Puis il sortit sans attendre de réponse. Vers les docks peut-être, il ne savait pas trop, moi non plus.

Delcia s'était contentée de hausser les épaules. Tout le monde avait des lubies ici. Et si Brus voulait voir du secret, il pouvait en trouver. Tant que les gens n'en venaient pas à s'étriper.

A l'étage, Elissa avait dégagé sa main doucement et s'était levée.

"Pourquoi ? Peut être que j'ai fait ce que moi, je pensais le mieux. Oh, je sais, ce n'est pas drôle. Peut être que je pense qu'il y a encore un espoir. Allez, dors. Tu réfléchiras"

Et elle sortit doucement.

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