[Lieu] Mersant

[Taliesin]

-Pas mal, pas mal du tout... fit-il, amusé. Ce n'est pas la première fois que je remarque tes talents en la matière et, pour ta peine, je te promets qu'un jour, dans une taverne où l'on m'aura demandé de me produire, c'est toi qui chanteras. Je me contenterai de t'accompagner. Ce sera un bon entraînement pour débuter ta carrière de barbare-chevalier-barde jeteur de boules de feu à dos de dragon.
Il ne put réprimer un sourire.
-Par contre, il faudra que tu veilles à mieux choisir tes sujets : mes hauts faits ne sont ni galants, ni amusant, ni glorieux. Hum, et ce ne sont même pas des hauts faits ! Si tu persistes sur cette voie, tu n'aurais donc, face à toi, qu'une foules dépitées, puis plus de foule du tout. D'autre part...
L'elfe, à dessein, adopta un ton docte et pompeux.
-D'autre part, jeune homme, vous devrez sérieusement travailler vos rimes, éléments indispensables de toute chanson qui se respecte. Ainsi, plutôt que "gris comme les cailloux", vous auriez pu mettre "gris comme les souris".

[Galathée]

" Tu dis n'importe quoi, ça ne rime pas comme ça, dans cette chanson." grommela Victor en croisant les bras. " Mais tu sous-estimes le goût des foules pour les histoires sombres et tristes. Je suis certain qu'ils adoreront ! En plus, si ça ne marche pas comme ça, j'inventerai. C'est ce que font les bardes, non ? Au bout d'un certain temps, la frontière entre la réalité et le mythe devient floue... Taliesin a-t-il existé ? A-t-il réellement posé ces actes ? Ou bien est-il la contraction d'une demi-douzaine de héros malchanceux ?"

[Taliesin]

Le barde l'observa, quelque peu déconcerté par ses propos et, surtout, son vocabulaire.
-Dis-moi, bonhomme... Tu as eu des cours sur la manière dont se forment les légendes, par le passé ? Je te demande ça parce que, brusquement, j'ai l'impression de discuter avec un confrère fort expérimenté...
-

[Galathée]

" C'est comme ça qu'on fait des réputations, non ? En tout cas, à Luménis, c'était comme ça. Y'avait un garçon, dans la classe des grands, tu n'imagines pas... Parce qu'avant j'allais à l'école... Maintenant, c'est pas la gloire, j'ai tout oublié ! Mais donc, y'avait un garçon dans cette classe... Il avait une légende autour de lui. On l'appelait Childéric le Fourbe. On racontait des trucs incroyables sur lui ! Nous, on croyait tout. Qu'il avait mangé un poisson vivant. Qu'il écrasait les araignées avec son front, poc, comme ça, sur les murs. Qu'il avait embrassé déjà six filles. Dont sa soeur ! Tu n'imagines pas. On disait qu'il avait du sang de kobold. Que c'était le fils d'un clerc de Talos. Qu'il avait deux zizis ! Et nous, les petits, on était inquiets. C'était un monstre. Il était... inhumain. On avait de plus en plus peur. Alors le tuteur de notre classe, maître Eustache, il nous a parlé de la manière dont se forment les légendes. Que Childéric tuait les araignées, mais que c'était Armand qui mangeait les poissons vivants, un ancien qui avait quitté l'école depuis dix ans et qui était devenu paladin, je crois... Et qu'on ne pouvait pas savoir ce qui était vrai et pas vrai... parce que tout se mélangeait dans les histoires... et que si on n'allait pas voir de nous-mêmes, on croirait toujours n'importe quoi... et alors il a dit, je me souviens, que c'était la contraction... et j'ai retenu le mot parce que tu sais..."
Il rougit.
" Enfin, tu vois... con... traction... c'est comme si un imbécile tirait ta charrette."

[Taliesin]

Le barde l'avait écouté avec autant d'amusement que d'intérêt, car c'était chose exceptionnelle de voir Victor parler aussi ouvertement de sa vie d'autrefois.
La dernière tirade de l'enfant, et surtout sa mine gênée, le firent rire de bon cœur.
-Hé, ne fais pas cette tête-là : je ne suis pas du genre à m'offusquer d'un gros mot ! Et puis, tu sais, tout le monde se sert de moyens mnémotechniques pour se souvenir des termes difficiles. Plus ils sont marquants, mieux ça marche ! D'ailleurs, il ne vaut mieux pas que je te révèle ceux dont je me servais...
Il sourit.
-En tout cas, maître Eustache vous a bien expliqué les choses : c'est exactement comme ça que se forment les réputations, puis les légendes. Je ferai donc très attention à ce que je raconterai, dans mes chansons te concernant. En m'égarant, j'aurais trop peur du retour de bâton...

[Galathée]

" Il faudrait pour ça survivre jusque là." fit une voix juste à côté d'eux.
Victor poussa un grand cri de surprise tandis qu'une petite forme quittait les ombres pour apparaître aux yeux de l'elfe.
" Bon sang ! Vous faites plus de bruit que tout un bataillon de nains au travail !" s'exclama Guéric. " Mais heureusement, ça m'a permis de vous trouver."
Et le halfelin étreignit le petit garçon avec énergie, avant de se tourner vers l'elfe.

[Taliesin]

-Tu as de la chance que je ne sois pas cardiaque... fit l'elfe d'une voix rauque en rengainant son épée.
Il était honteux de s'être fait ainsi surprendre, d'avoir oublié la plus élémentaire des prudences. Mais ce fut finalement le soulagement et la joie qui prirent le dessus et balayèrent tout le reste.
-Ceci dit, content de te revoir, Guéric, lança-t-il avec chaleur. Les dieux en soient témoins, c'est bien la première rencontre heureuse que ces foutus tunnels nous offrent depuis des lustres !
Il n'en revenait pas, n'arrivait pas vraiment à y croire. Et pourtant...

[Galathée]

" Je dois dire que je ne pensais pas vraiment trouver quelqu'un. Je faisais ma ronde habituelle..." dit le halfelin. " Ces foutus séismes ont complètement bouleversé le dédale des couloirs. La carte ne sert plus à grand chose : tout a bougé, il y a de nouvelles fissures, des éboulements partout... Je dois dire qu'on n'a pas essayé de beaucoup creuser... ça parait stupide... Mais je parle, je parle... Comment allez-vous, tous ?"
Il jeta un oeil autour d'eux.
" Vous êtes seuls ?"

[Taliesin]

-Victor et moi sommes partis en reconnaissance. Martin est resté en arrière : il veille sur Jehan, qui est mal en point, et sur deux prisonniers drows.
Son sourire, sans disparaître tout à fait, s'était empli de tristesse.
-J'espère sincèrement que les choses, pour vous, ont été moins difficiles qu'elles ne l'ont été pour nous...
Il espérait aussi que Guéric comprendrait ce que signifiait la non mention de Griselda. Il savait que la nouvelle affecterait le halfelin : membres du même équipage, ils avaient été très liés...

[Galathée]

Guéric plissa les lèvres et soupira. Il resta silencieux une seconde.
" Nous ne déplorons aucune perte, non." fit-il finalement d'une voix sourde. " Mais nous n'avons jamais réussi à retrouver ni George, ni Ruyven, qui étaient de garde à la fissure... Nous ne savons pas ce qu'il est advenu d'eux : il est tout simplement impossible de retrouver la zone où ils étaient. Mais la grotte marine existe toujours. Elle a un peu changé de physionomie... et lors d'un des gros séismes, nous avons eu le grand bonheur de voir remonter le cadavre d'une sorte de... naïade, je dirais, à la surface. Nous n'en avons pas vu d'autres. Et nous subsistons des fruits de la mer..."

[Taliesin]

-Il y a une impressionnante colonie de naïades dans un lac souterrain situé dans les profondeurs de l'île. Elles sont des centaines... Mais j'imagine qu'on leur doit une fière chandelle, en quelque sorte : en attaquant le camp des drows qui nous avaient capturés, et en les exterminant presque jusqu'au dernier, elles nous ont offert une possibilité inespérée de fuite que nous avons saisie au bond.
Il se mordit la lèvre, hésitant. Mais qu'avait-il à perdre en posant la question qu'il avait en tête, puisqu'il en connaissant déjà la réponse ?
-J'imagine que vous n'avez pas pu retrouver notre ancien refuge ? s'enquit-il. Les drows ont pillé tous les vivres et les objets magiques qu'ils ont repérés, mais il y reste un insignifiant petit pipeau dont l'absence m'est des plus cruelles. Surtout vu l'état de Jehan. J'espérais que nous pourrions y revenir en faisant, en sens inverse, le trajet que nous avions suivi avec les drows, mais il semblerait que nous nous soyons trompés d'embranchement... Je sais lequel, cependant, et je n'ai pas perdu espoir de parvenir au but. Je ne suis pas à une dizaine d'heures de marche près...

[Galathée]

" Taliesin, honnêtement, avec tous les éboulements qui se sont produits... Ce serait comme de chercher une aiguille dans une botte de foin." fit Guéric. " Je pense bien plus utile que vous nous rejoigniez à la grotte marine. Le radeau est presque terminé, nous pourrons sortir et aviser. Il n'est pas impossible que les Luméniens soient déjà à proximité, guettant une ouverture. Et vos prisonniers drows ? Ont-ils pu vous en apprendre davantage sur les intentions du Squale ?"

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Tout ce que nous avons pu découvrir, avec l'aide de Rumoc, c'est qu'ils ont été séparés des troupes du Squale et qu'ils ont pris le parti de rentrer en leurs sombres tréfonds. Ils écumaient donc les souterrains en quête d'un passage...
Il eut une moue pensive.
-Pour en revenir à notre ancien refuge... Rumoc et moi connaissons vaguement l'itinéraire pour y retourner. Et je crois qu'il est fondamental de le faire : nous n'avons pour ainsi dire plus d'armes, plus d'armures, plus de matériel, plus rien pour guérir Jehan... Quel que soit le tour que prenne notre expédition, je doute qu'il soit prudent de rester aussi démunis.
Il soupira.
-Ceci dit, rien n'empêche que nous allions chercher Martin, Jehan et les prisonniers, que nous les ramenions à la grotte marine, puis que je parte seul en expédition.

[Galathée]

Guéric haussa les épaules.
" Je pense que c'est une bonne idée. Même si je dois avouer qu'avec le Mélandien dans les pattes, je ne suis pas certain qu'avoir deux drows en plus soit une merveilleuse idée... Mais il me tarde de voir Martin et Victor. Bellyra et Fred seront contents de les revoir aussi, je pense. Cependant, je pense que tu fais erreur en poursuivant des chimères. Nous devrions tous nous concentrer sur la manière de sortir d'ici."
Il soupira.
" Et je pense que nous pouvons obtenir mieux de tes drows que ces vagues informations."

[Taliesin]

-Des chimères ? Pourquoi des chimères ? s'étonna-t-il. Il n'y a pas eu de tremblement de terre depuis que nous avons été capturés : la voie est donc toujours ouverte. Et franchement, Guéric : l'étape suivante, c'est Mélandis. Je ne peux pas y aller avec pour seules possessions les fripes que j'ai sur le dos et une épée... Et je ne peux pas non plus laisser Jehan s'éteindre sans rien faire.
Il secoua la tête.
-Enfin, comme je le disais, je peux y aller seul. Et vous rejoindre plus tard. Soit dans la grotte, soit à la surface, si les Luméniens sont arrivés. Quant aux drows... J'ai déjà usé de menace envers le pire : ça ne lui a fait ni chaud ni froid. Mais sans doute auras-tu plus de succès.

[Galathée]

Guéric secoua la tête.
" Penses-tu que tu ne trouveras rien pour te ravitailler sur Mersant, quand nous l'aurons reprise ? Ou que les navires luméniens qui nous secourront seront complètement vides ? Et pourquoi penses-tu que le salut de Jehan se trouve dans un pipeau ? Vallaelyn est clerc, que je sache ? Tu m'as l'air..."
" Buté, c'est le mot." fit Victor, amusé.
" Mais soit, tu es libre de disposer de toi-même, de toute façon."
Il soupira.
" Bon, je propose de vous mener à la grotte marine. Là, nous pourrons demander à Bellyra de nous accompagner jusqu'à votre refuge. Nous prendrons Martin, Jehan et vos drows en charge, et tu pourras... aller musarder dans les tunnels."

[Taliesin]

Le barde acquiesça aux dernières phrases de Guéric. En revanche, il n'ajouta rien sur son expédition vers leur ancien havre : il avait du mal à comprendre la réaction du halfelin et même celle de l'enfant. Comment pouvaient-ils imaginer que les Luméniens leur apporteraient un artefact aussi puissant - et salutaire - que le pipeau, ou une armure aussi efficace que l'était la cotte de mailles en mithril pour protéger Victor lors de ses élans berserks ? Comment pouvaient-ils accepter si facilement de perdre des objets aussi fondamentaux alors que l'avenir s'annonçait des plus périlleux ? Cela lui échappait. Mais peu importait leur opinion, en réalité : sa décision était prise, il n'y reviendrait pas.
Il s'apprêta donc à suivre Guéric jusqu'à la grotte marine. Et, sur le trajet, il lui parlerait des révélations de Griselda concernant Gauthier : c'était la première chose qu'elle lui avait dite, lors de son réveil provisoire ; c'était la dernière chose qu'elle avait dite à Victor, avant que les drows ne l'emmènent. C'était donc un point à ne pas négliger...

[Galathée]

Guéric parut extrêmement surpris de ce que lui rapporta Taliesin et de ce que confirma Victor. Cependant, même s'il avait compris que Griselda était morte depuis que l'elfe ne l'avait pas citée dans son récit antérieur, il ne prit pas cette annonce avec flegme et préféra prendre la tête de leur expédition, requérant un moment de solitude. Victor et Taliesin suivirent donc en silence, le long des conduits étroits du ventre de Mersant. Le halfelin n'avait pas menti : les tunnels avaient changé, plus rien n'était reconnaissable. Guéric semblait savoir où il allait mais il les entraîna dans des passages obscurs, étroits, des fissures qu'on aurait pu croire impossibles à franchir. Puis ils parvinrent dans un espace plus large, que Taliesin identifia comme la petite antichambre de la grotte marine : plus aucune trace des conduits inondés qu'ils avaient traversés encordés quelques jours plus tôt. Et puis ils débouchèrent enfin dans la grotte. Elle avait également changé de physionomie. Une crevasse avait partagé l'espace en deux niveaux très inégaux. Le niveau inférieur, autrefois berge, était à présent recouvert d'une fine pellicule d'eau. Le bivouac des travailleurs était sur la partie en contrehaut. Des cris de joie les accueillirent, et Fred se rua vers eux avec toute sa fougue. Bellyra suivait de près, et Goran et le Mélandien, bien que demeurés en arrière, semblaient également heureux de les voir. Leurs effectifs venaient d'augmenter d'un seul coup.

[Taliesin]

Oubliant pour un bref moment ses soucis, le barde s'abandonna sans réserve aux retrouvailles. Revoir ces visages qu'il croyait à jamais disparus était réconfortant. Doublement réconfortant, même : car si eux avaient survécu, pourquoi ne pourrait-il en être de même pour l'autre groupe, pour ceux réfugiés dans les grottes au nord de l'île ?
Pourtant, sa décision de partir en quête des artefacts perdus lui revint rapidement à l'esprit; de même que la nécessité d'aller chercher Martin, Jehan et les prisonniers drows. Or, il aurait été tellement facile de s'assoir, de parler, de profiter de cette compagnie nombreuse et chaleureuse... Comment se remettre en route, après cela ?
Bref, il fallait qu'il ne s'installe pas. Et dès que Guéric serait remis, se sentirait à nouveau d'attaque, il le suivrait.

[Galathée]

Il ne fallut pas attendre longtemps et Bellyra, qui voyait aussi sans difficultés dans ces couloirs obscurs, offrit de les accompagner. Victor, par contre, demeura en arrière. Il ne constituerait qu'un poids dans les déambulations à venir. Guéric emporta des provisions (constituées de poisson fumé et d'algues séchées, principalement) : la route était longue et accidentée. Effectivement, il leur fallut près de quatre bonnes heures de marche pour retrouver la petite caverne où se trouvaient Martin, Jehan et leurs prisonniers. Le courtisan fut ravi de retrouver leurs compagnons et leur servit une petite collation. Ils n'étaient cependant pas en état de repartir d'emblée et il leur fallut envisager la possibilité de dormir quelques heures avant de retourner vers la mer.

[Taliesin]

...ou de partir pour une quête que d'aucuns jugeaient vouée à l'échec.
Taliesin se coucha donc, espérant trouver rapidement le sommeil quoi que son esprit soit déjà tout entier tourné vers ce qui l'attendait au réveil. Pour ne pas, à nouveau, perdre complètement contact avec les autres, le barde avait pris soin, avant de partir de la grotte marine, d'emporter l'un des petits cailloux offerts par le pipeau : peut-être son pouvoir fonctionnait-il encore ? Si c'était le cas, il pourrait communiquer avec Guéric, l'informer des résultats de son expédition et du moment de son retour.

[Galathée]

La présence de Guéric et Bellyra et l'absence de Victor contribuèrent à rasséréner le barde, peut-être malgré lui, et il trouva le sommeil sans trop de difficultés. A son réveil, il trouva les autres en train de deviser non loin, planifiant la suite des opérations.
" Guéric me dit que tu comptes rechercher notre ancien repaire ?" fit Martin. " J'imagine que tu auras besoin de Rumoc, dans ce cas... Tu ne m'en voudras pas de gagner la grotte marine... Je crois qu'une petite vue sur le ciel me sera profitable. Et j'aimerais autant garder un oeil sur nos invités. Puis comme notre ami halfelin me dit que tu ne changeras pas d'avis, et bien... Je n'en dis pas plus."

[Taliesin]

L'elfe haussa les épaules.
-Pourquoi t'en voudrais-je ? Je suis conscient du fait que vous trouvez tous cette idée stupide. J'ai du mal à le comprendre, je l'avoue, mais, sincèrement, je respecte votre point de vue. D'autant que je n'en ai jamais manqué, d'idées stupides... Alors, je ne songerais certainement pas à embarquer quelqu'un avec moi.
Il sourit.
-Pas même Rumoc. Bien sûr, son aide me serait précieuse, et s'il désire venir, il est le bienvenu. Mais je connais son désir de revoir la lumière du jour. Je m'en voudrais donc de l'entraîner malgré lui vers les ténèbres.

[Galathée]

" Mmm..." fit la ceinture. " Ne pourrions-nous pas convenir d'un délai ? Passé celui-ci, tu trouves un moyen de me ramener à la surface ?"
" Je l'avais oublié, celui-là." s'exclama Guéric.
" Oublié, moi ??? Je suis scandalisé ! Outré ! Tu mérites... tu mens !"
" Ah ben non, pour une fois..."
" Momentanément oublié."
" D'accord."
" Bref, si nous pouvions convenir d'un moment où tu iras me déposer sur un caillou, bien en vue, là dehors, je veux bien t'accompagner..."

[Taliesin]

Il fronça un instant les sourcils, pensif.
-Si je me souviens bien, il y avait environ quatre heures de marche de notre refuge à la première grotte où nous avons campé, et, de là, à peu près autant pour rallier l'antre des naïades. D'ici... ce doit être grosso-modo la même chose. Bien sûr, il faut aussi compter avec des erreurs d'embranchement, toujours possibles. Dans tous les cas, on peut fixer la limite d'un jour ou deux. De toute façon, je ne pourrai pas emporter des vivres pour davantage de temps. Et je ne suis pas assez endurant pour crapahuter toute une semaine dans le froid...

[Galathée]

" Oh ! Je nous voyais partis pour d'épiques journées de marche dans la bise glaciale..."
" Tu es un peu mythomane, hein, Rum..." fit Guéric.
" Pour toi, ce sera Rumoc le Terrible."
" Rappelle-moi de ne plus t'adresser la parole."
" Quart de demi-portion."
" Rêne de poney."
" Quoiiiiiiiiiiii ?"
" Taliesin, honnêtement, tu ne tiendras pas deux heures avec cette chose cinglée. Tu devrais nous accompagner."
" Parfois, il ne dit rien pendant longtemps."
" Puis il pète, je parie."
" Même pas."
" Si j'avais des mains, tu sais... des poings... Je pourrais toujours t'étrangler !"
" Si tu as des ambitions de te faire garrot, parle m'en. Je suis un spécialiste."
" Finalement, c'est sans doute mieux de les séparer..." fit Martin avec un haussement d'épaules.

[Taliesin]

-Bon, si ma folle quête vers les tréfonds ténébreux de la terre peut avoir des côtés positifs sur la concorde au sein du groupe, je m'y lance avec encore plus d'entrain !
Il sourit.
-Je vais emporter autant de provisions que possible. Pour le reste...: Je prendrai soin de baliser mon chemin pour pouvoir vous retrouver sans mal, et j'essaierai de vous contacter avec le caillou. On ne sait jamais, son pouvoir marche peut-être encore... Même sil ne fonctionne plus, vous ne tarderez pas trop à me revoir. Pas demain, sans doute, parce que je suis un acharné et que je refuse de perdre ce qu'abrite notre ancien havre, mais... Il me faudra bien revenir quand je n'aurai plus rien à manger.
Il était prêt à partir sur le champ. En son for intérieur, il était persuadé que quelque chose tournerait mal, qu'il y aurait au moins un éboulement, quelque part, l'empêchant d'atteindre la grotte providentielle et ses indispensables artefacts. Mais il allait quand même tenter le coup, et il mettrait toutes les chances de son côté : il ferait appel à ses souvenirs, à ceux de Rumoc, il veillerait à laisser des traces pour pouvoir, sans mal, revenir en arrière... Bref, il ferait de son mieux. En vain, probablement mais, au moins, il aurait essayé.

[Galathée]

Martin donna à Taliesin le poisson qu'il avait pu pêcher en son absence, et lui remit également des provisions de mousse. Ensuite, ils lui souhaitèrent bonne route, sans plus tenter de le faire changer d'avis. Ils l'attendraient à la grotte marine, et Guéric promit de marquer le chemin lui aussi. En effet, les couloirs souterrains se ressemblaient tous et les elfes n'avaient aucun prédisposition pour les grottes : il n'était pas certain que Taliesin parviendrait à s'y retrouver. Le halfelin l'enjoignit aussi à ne pas commettre d'imprudences : les pirates étaient plus que probablement encore sur Mersant, et s'ils n'avaient pas trouvé ce qu'ils cherchaient, ils arpentaient sans doute les tunnels. Bref, la circonspection était de mise.
Le barde partit donc avec son acolyte magique et ils s'enfoncèrent dans des conduits obscurs, armés de leur seule mémoire, laquelle n'était pas forcément très performante dans de telles conditions : qu'est-ce qui ressemblait plus à un stalactite qu'un autre stalactite ? A un rocher qu'un autre rocher ? Surtout quand on arpentait un chemin dans le sens inverse, que les reliefs paraissaient nouveaux, qu'on avait si peu de lumière que tout n'était qu'ombre, ombre et ombre encore... Mais la détermination de l'elfe compensait peut-être en partie ses lacunes.
Il marcha longtemps. Revint sur ses pas. Tenta d'autres parcours. Crut reconnaître un tunnel. Ou pas. Se faufila, escalada, rampa, sonda... Creusa, même, un peu. Plusieurs heures s'écoulèrent. Il eut faim, soif, s'assit un moment. Rumoc intervenait pour donner des indications, faire des suppositions, chanter des complaintes en langues étranges ou raconter des bêtises.
Marcher encore. Nuit. Ils montaient, redescendaient, l'île paraissait immense, Rumoc plaisanta qu'ils gagneraient sans doute bientôt Dorrandin à pied. Peut-être finiraient-ils par dénicher le passage vers Ombreterre qu'avaient cherché les drows. Puis la mer venait claquer à leurs oreilles, un trou révélait le ciel (étoilé en l'occurrence) ou les flots, le vent glacé sifflait, les oiseaux de mer criaient. Et inlassablement, Taliesin allait de l'avant, mû par un espoir que n'aurait renié Lathandre, assurément.

[Taliesin]

Tout entier à sa tâche, Taliesin avait perdu la notion du temps. Chercher le chemin menant à la grotte et marquer avec un soin quasiment maniaque celui qu'il empruntait absorbait presque toute son attention. Pour autant, il n'en oubliait pas d'être prudent et ne se plaignait pas des commentaires de Rumoc, fort bienvenus dans ces ténèbres susceptibles de se communiquer à son esprit, de l'orienter vers de noires pensées.
Il était toujours persuadé que son entreprise était vouée à l'échec mais n'en avançait pas moins avec détermination. Peut-être finirait-il par déboucher dans la première caverne où les drows les avaient emmenés après leur capture... S'il y parvenait, ce serait un grand pas de franchi : il ne serait alors plus qu'à quatre heure de la terre promise.

[Galathée]

Il lui fallut encore une heure de marche avant de déboucher dans une salle qui aurait pu être celle qu'il avait occupée avec les drows. Mais c'était difficile d'en être certain. D'abord, il n'y avait aucune trace qu'il y ait jamais eu un bivouac à cet endroit. Ensuite, des petits détails lui étaient étrangers. La forme de certaines excroissances, la couleur du sol, une fissure ici, un éboulis là. D'autres aspects étaient plus familiers. Mais la mémoire est volatile, surtout quand elle est soumise à privations et angoisses.
Bref, difficile à dire. Mais Taliesin avait décidé d'être optimiste, aussi fit-il comme s'il avait trouvé ce qu'il cherchait et reprit-il son chemin.
Et plus il avançait, plus il avait l'impression de suivre la bonne route. Plus il lui semblait reconnaître le parcours, plus il devenait persuadé qu'il allait toucher au but. Rumoc était de son avis. La voie paraissait toute tracée. Puis ils parvinrent à l'endroit où devait se trouver la caverne. Encore deux tournants, encore une zone accidentée et...
à l'endroit où aurait dû se trouver le passage, il n'y avait rien. Un mur lisse, sans la moindre fissure, sans éboulement, sans la trace qu'un jour, il y ait eu une ouverture. C'était comme si la caverne, simplement, avait cessé d'exister.