La Couronne de Cuivre

Il grimaça.
-Je crains que nous ne soyons tombés sur un os, messire, car je ne connais pas mon nom de famille, pas davantage que le prénom de mes parents, et la ville dont je suis natif et qui a été rasée peu après ma naissance... m'a toujours été présentée sous un titre qui n'a absolument rien d'officiel et qui ne doit assurément figurer dans aucune archive...
Il avait été stupide de ne pas penser à ce détail. Il aurait dû écrire à sa soeur, à Loth Imarhil, qui en savait bien plus que lui...

" Ah, dit Anselme, manifestement embarrassé. Vous n'avez pas... grandi quelque part, alors ? Etes-vous resté dans une institution ? Nous pouvons vous attribuer le nom de la ville, de la région... même de l'orphelinat...
— Il avait une famille d'accueil... mais peut-être la région dans laquelle se situait la cité dont tu es originaire pourrait-elle suffire ?
— Par exemple. Ou le nom de vos parents adoptifs."

L'elfe s'empourpra : il aurait dû y penser tout seul. A moins qu'inconsciemment, il ne se soit demandé s'ils... S'ils quoi ? S'ils auraient refusé qu'il emploie leur nom ? C'était stupide : il avait été leur enfant, leur enfant à part entière. Et ce serait une belle manière de leur rendre hommage, non ?
-Engoulevent... murmura-t-il. Ils s'appelaient Engoulevent..
Bigre, il était peut-être plus nerveux qu'il ne se plaisait à le croire...

" Parfait." dit Anselme, et il se pencha sur ses parchemins, qu'il compléta pendant un moment.
Il releva ensuite les yeux.
" Et donc, vos témoins ?"

Il se sentit rougir davantage.
-Ah, hum... Désolé, ni Galathée ni moi-même n'étant originaires d'Helonna, nous ne sommes pas très au fait des règles en matière de mariage et...
Mauvaise excuse : si la chose ne se pratiquait pas partout, elle était néanmoins courante.
-Quelles conditions faut-il remplir pour être témoin ?
S'il était impératif d'être adulte, e choix serait vite fait : Guilhem et Callie.

L'officiel ne sembla pas s'offusquer de leur manque de préparation, leur retournant un sourire indulgent.
" C'est moi qui m'excuse : j'aurais dû vous faire la liste des choses à prévoir, histoire de ne pas vous prendre au dépourvu. J'ai oublié que vous n'êtes effectivement pas coutumiers de nos traditions. La plupart des gens de votre âge ont déjà assisté à une dizaine de mariages, généralement. Mais soit. Il n'y a pas de règles, pour les témoins, sinon qu'ils doivent pouvoir témoigner, justement, de votre lien indéfectible."

Il acquiesça puis se tourna vers Galathée.
-Qu'en penses-tu ?
Si Guilhelm ferait un témoin tout désigné, c'était moins évident pour Callie : il n'avait rien contre elle, bien au contraire, mais ils la connaissaient depuis peu et elle n'était que de passage... Ils pouvaient également demander à Baptiste et à Victor, quoi que confier ce rôle à des enfants ne soit pas forcément très traditionnel.

Galathée haussa les épaules.
" Victor et Guillhem seraient les plus indiqués... Ce sont eux qui sont les meilleurs témoins, il me semble."
Elle se tourna vers Anselme.
" Le fait de prendre un enfant, ce n'est pas un problème ?
— Pour autant qu'il sache écrire et s'exprimer, non."

-Ça disqualifie les jumeaux : ils vont être déçus ! glissa-t-il à la jeune femme, un sourire en coin.
Toutefois, l'instant suivant, il retrouvait tout son sérieux.
-Effectivement, Guilhem et Victor sont tout désignés. Mais est-ce que tu ne crains pas que ce soit un peu excluant pour Baptiste s'il n'a aucun rôle à jouer ? s'enquit-il.
Et de se tourner vers l'officiel.
-Combien de témoins faut-il par conjoint ?

" Un seul." dit Anselme.
Galathée acquiesça.
" Je n'avais pas pensé à ça. Tu as raison. Victor sera mon témoin et Baptiste le tien, c'est le plus logique. Et Guillhem n'en prendra certainement pas ombrage."

L'elfe hocha la tête.
-Il comprendra qu'il nous fallait ménager une manière d'équilibre entre les deux grands...
Dommage qu'ils ne puissent avoir deux témoins par personne. En même temps, il aurait fallu trouver un quatrième larron...
-Tu veux aller les chercher où tu préfères que je m'en charge ?
Dans un cas comme dans l'autre, ils devaient se hâter pour ne pas faire lambiner leur invité.

" Vas-y donc." dit la jeune femme avec un sourire.
Anselme acquiesça et le barde put filer à l'étage trouver les garçons. Il fut accueilli par un ensemble de visages curieux. Victor était parmi eux mais pas Baptiste : il était déjà en cuisine avec Guillhem, pour leur préparer un festin.

Trouvant plus simple de faire son annonce en petit comité, il demanda à Victor de le suivre dans le couloir.
-On a besoin de deux témoins pour le mariage, expliqua-t-il au petit garçon. Galathée aimerait que tu sois le sien... Il faut juste témoigner qu'elle et moi nous aimons et signer des documents.
Il était quelque peu embarrassé de le prendre au débotté mais... Il n'avait pas le choix.

" D'accord." dit Victor, sans se démonter.
Puis il s'interrompit.
" Mais j'ai jamais rien signé. Est-ce que c'est pas quelque chose pour lequel il faut s'entraîner un peu ? Tu sais, pour reproduire toujours le même geste..."

-Normalement si. Et peut-être pourras-tu t'entraîner une ou deux fois avant de signer pour de vrai : tu dois pouvoir vite récupérer le nécessaire... Mais honnêtement, ne t'inquiète pas : comme il s'agira de ta première signature, personne ne s'attendra à ce qu'elle soit définitive et le plus important, c'est qu'on réussisse à lire ton nom.
Il lui sourit, rassurant.
-Bon, je file chercher Baptiste. Ce ne serait pas très courtois de faire attendre notre invité...

Baptiste se montra beaucoup plus surpris par la demande, mais aussi beaucoup plus ému. Il se perdit en remerciements puis en hésitations.
" Tu es vraiment sûr ? Je veux dire... Je vous connais à peine... C'est vrai que je sais que tu étais soucieux de retrouver Galathée... et je peux témoigner que vous vous... aimez beaucoup mais... Je veux dire... C'est un peu... Je suis honoré, c'est certain, mais je ne voudrais pas... que tu fasses ça par politesse... Je comprendrais que tu trouves que Guillhem fait un meilleur témoin..."

S'il avait eu des doutes quant à son choix, la réaction du gamin aurait suffit à les dissiper entièrement.
-On peut être très attaché à quelqu'un même si on ne le connaît que depuis quelques mois. Et... tu comptes beaucoup pour moi, Baptiste. Alors oui, je suis sûr de mon choix.
Guilhem aurait aussi fait un excellent témoin. Mais il était attaché à l'idée d'équilibre entre les deux garçons et le fermier ayant été choisi comme parrain d'Héloïse, il savait déjà l'importance qu'il avait pour Galathée et lui.
[color=#FFFFF66]-Bien sûr, je comprendrais si ma demande t'embarraissait trop, si tu préférais décliner. Mais si tu es d'accord... Viens, nous n'avons déjà que trop tardé.[/color]

" Non, non, je suis d'accord, bien sûr."
Il lui sourit, embarrassé, et le suivit dans la salle à manger où se trouvaient toujours Galathée et Anselme, ainsi que Victor qui, penché sur un parchemin, s'entraînait à signer. Il leva les yeux à leur entrée et leur jeta un regard où, s'il y avait peut-être une légère surprise, Taliesin ne décela aucune animosité.
" Bon, si tout le monde est là... dit l'officiel en reprenant ses documents. Nous avons donc... Galathée Dullahan dont le témoin est...
— Victor Dullahan." répondit le gamin.
Galathée lui pressa doucement l'épaule.
" Et Taliesin Engoulevent dont le témoin est...
— Baptiste de Respelm." dit l'enfant.
Anselme acquiesça et commença à remplir les documents, de sa plume soignée.

Il sourit à Galathée, sourit aux deux enfants. Il était heureux qu'ils soient réunis tout les quatre : c'était important pour eux, cela concrétisait, d'une certaine manière, les liens qui les unissaient. Surtout pour Baptiste qui, bien qu'il ait décidé de rester à la ferme, bien qu'il sache ne pas être un simple invité, doutait encore de sa place exacte : ses hésitations, quelques minutes plus tôt, l'avaient bien montré. Bref, malgré la solennité de l'instant, l'elfe était heureux et n'aurait pas voulu que les choses se soient déroulées autrement.

Anselme termina ses corrections puis se redressa.
" Bon. Allons-y."
Il sourit.
" Ce sont surtout des formalités administratives, vous le savez, mais je veux que vous preniez d'abord quelques secondes pour songer, en vous-même, à ce que cette union signifie pour vous, pour le futur, pour votre vie."

Taliesin fit ce qu'on lui demandait, même s'il estimait avoir déjà beaucoup réfléchi à la question. Mais en réalité, y avait-il vraiment réfléchi ? Avant leur retour de Melandis, le sujet n'avait pas été évoqué. Et lorsque la perspective du procès l'avait rendu nécessaire, il n'avait pas hésité : cela lui semblait être un aboutissement aussi logique que naturel. Il aimait Galathée, il voulait vivre avec elle, quoi de plus normal que de l'épouser ? Cela simplifierait les choses, notamment sur un plan administratif mais aussi pour leur famille, pour leurs enfants. Et surtout, c'était un symbole puissant... En somme, il était sûr de sa décision. Plus que jamais.

Galathée acquiesça elle aussi, et Anselme reprit.
" En ce jour de Nuiteuse, je suis heureux de présider à votre union. Le mariage civil, tel qu'il est institué par la loi luménienne, n'assigne pas de rôle différent au mari et à la femme. Il exige de vous que vous vous promettiez amour et fidélité, que vous veillez l'un sur l'autre, que le plus capable protège l'autre quand il est blessé, que le plus riche pourvoie aux besoins de l'autre, ainsi qu'à ceux des enfants."
Il releva les yeux.
" Rien de très inattendu, je suppose. Si vous pensez pouvoir vous donner l'un à l'autre de la sorte, je vais continuer."
Il se tourna vers Galathée.
" Galathée Dullahan, désirez-vous épouser messire Taliesin Engoulevent, ici présent ?
— Je le veux, oui.
— Taliesin Engoulevent, désirez-vous épouser dame Galathée Dullahan, ici présente ?"

Ils avaient beau être en petit comité, il avait beau être entouré de ceux qu'il aimait, dans le cadre familier de la ferme, l'instant n'en restait pas moins solennel...
-Oui, je le veux, répondit-il avec sérieux, sans marquer la moindre hésitation.
Aux diables les ombres, les angoisses, les embûches : il voulait épouser Galathée et, en cet instant, ne songer qu'à leur avenir radieux.

" Et bien dans ce cas, je vous déclare unis par les liens du mariage..." dit Anselme avec un léger sourire.
Galathée avait l'air émue, elle aussi, ses yeux clairs étaient couverts d'une pellicule humide, mais elle se hissa à sa hauteur pour l'embrasser. Les deux petits garçons applaudirent vigoureusement, tandis qu'au-dessus de leurs têtes, en écho, on tapait des pieds.
La rôdeuse se détacha finalement du barde, sur un léger sourire, tandis que l'officiel rassemblait des documents.
" Plein de choses à signer, maintenant !"

Et bien ça y est, ils étaient mariés. Cela faisait un drôle d'effet...
-Alors signons ! dit-il d'un ton qui, pou être joyeux, ne s'en avéra pas moins marqué d'une certaine émotion.
Autant de documents qu'il puisse y avoir, ce serait une affaire rondement menée. Mais il veillerait à paraître détendu et à garder un œil sur les garçons : il ne fallait pas qu'ils soient intimidés, qu'ils éprouvent la moindre pression.

Les garçons étaient en réalité beaucoup moins intimidés que lui-même ou Galathée. Il y avait en tout et pour tout quatre copies de l'acte à signer, plus un registre, et ils se mirent côte à côte pour y apposer leur nom. Baptiste et Victor comparèrent leur signature à mi-voix, le plus jeune s'appliqua comiquement, la langue sortie au coin des lèvres, tandis que le premier gérait ça avec une expression de détachement et un geste souple qui le faisait ressembler à un officiel lui-même. Enfin, Anselme appliqua sceau et cire sur les différents exemplaires, et leur remit le leur. Il leur expliqua que s'ils avaient jamais besoin de copies, il faudrait qu'ils viennent les chercher à Pré aux Sources où ils étaient désormais enregistrés comme mari et femme. Il les félicita ensuite pour ce beau jour et cette promesse formidable.

Il le remercia puis demeura immobile, regardant tour à tour Galathée et les enfants, un sourire un peu incertain aux lèvres. Il était heureux, fier... et vaguement perdu, aussi, ne sachant trop que dire, que faire... C'était étrange comme cet événement qui, les jours précédents, n'avait pas suscité en lui la moindre nervosité l'avait finalement décontenancé, troublé, touché... Parce que les choses s'étaient concrétisées, sans doute. Parce qu'il avait mieux appréhendé ce qu'elles signifiaient.

C'est Galathée qui rompit la glace en remerciant leur visiteur pour son concours. Baptiste en profita pour filer hors de la pièce, Victor sur les talons. Quelques secondes plus tard, les Merlus déferlèrent dans la salle à manger pour féliciter les jeunes mariés. Guillhem proposa alors de ramener Anselme au village, tant qu'il ne neigeait pas, et celui-ci reconnut que c'était sans doute plus prudent. Il salua Galathée et Taliesin, puis gagna la cour où le chariot les attendait déjà. Baptiste refit son apparition et réquisitionna Robin pour la cuisine, tout en murmurant quelque chose à l'oreille de Victor. Celui-ci opina du chef puis ouvrit le buffet : c'était le moment de boire un verre à la santé des épousés !

Taliesin, qui s'était presque attendu à ce que leur visiteur reste pour le repas - ce qui lui aurait permis de "rentabiliser" son déplacement -, trouva dommage de boire en l'absence de Guilhem mais se rassura en se disant qu'ils pourraient toujours faire une deuxième tournée à son retour. Pour le reste, il s'abstint de toute initiative : Victor et Baptiste semblaient vouloir prendre les choses en main et il n'allait pas les priver de ce plaisir. Bref, il se contenta de demeurer près de sa compagne, en profitant pour l'embrasser à novueau.

Victor fit circuler les verres et Félix se chargea de déboucher une des nombreuses bouteilles de poiré familiale. En cette occasion, même Mathieu eut droit à un petit verre. Quelques minutes plus tard, le bruit du chariot se fit à nouveau entendre et Guillhem reparut, seul. Il ne tarda pas à leur offrir des explications : le capitaine de Rivecendre avait offert de raccompagner lui-même leur invité à Pré aux Sources, histoire que toute la maisonnée puisse profiter du festin sans tarder. Il faudrait cependant attendre les marmitons pour trinquer réellement, ce qui tombait bien : le fermier avait une petite bouteille en réserve qu'il entendait bien ouvrir au moment opportun.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins