La Couronne de Cuivre

-Allons, tu devrais savoir, depuis le temps, que je m'en tire toujours, même dans les pires situations ! répondit-il sur le même ton que précédemment.
Sa boutade avait pour but de dédramatiser la situation, mais elle lui arracha des pensées amères : il songea brièvement à tous ceux qui étaient morts à ses côtés, à cause de lui, alors qu'il survivait, parfois à son corps défendant. Aussi, lorsqu'il reprit la parole, ce fut d'une manière sensiblement plus grave.
-Plus sérieusement... Je ferai attention, Victor. Tu peux compte sur moi.

" D'accord." fit le gamin, d'un ton sérieux.
A nouveau, il demeura silencieux.
" Guéric a dit qu'il te surveillerait. En même temps, je ne suis pas certain qu'il soit très fiable dans le genre, mais..."
Il soupira.
" Est-ce que tu promets ? J'ai pas tellement envie, tu sais, d'être de nouveau tout seul. Même s'il y a les Merlus, je sais. C'est pas complètement la même chose. Et j'ai dit que je resterais sage ici, mais seulement si tu promets."

Depuis le début de la discussion, il savait que Victor ne chercherait pas à venir. A présent, il en avait la confirmation définitive. Ce changement d'attitude de la part de l'enfant le soulageait autant qu'elle le peinait, car c'était une preuve douloureuse des conséquences qu'avaient eu, sur lui, les derniers événements.
Il chercha les mots susceptibles de le rassurer, mais il n'en trouva pas. Il avait l'impression que s'il faisait un long discours, comme à son habitude, il serait amené à mentir, à minimiser les risques encourus... Victor le sentirait immanquablement et serait plus inquiété qu'autre chose...
Non, pas de long discours, cette fois.
-Je te promets d'être prudent, Victor, dit-il, solennel.
Au moins, cela, c'était la stricte vérité.

" Alors moi aussi." répondit Victor, avec tout autant de sérieux.
Puis il émit un léger rire.
" Enfin, sauf si un requin attaque notre radeau, alors je deviendrai furieux et je lui exploserai la cervelle à coup de rames !" rugit-il. " Martin a dit qu'il prendrait des notes pour que tu puisses ajouter ça à ta grande épopée de Victor le terrible. Ce serait moche que tu manques un tel coup d'éclat."

Le barde sourit, rassuré de voir que l'enfant parvenait à garder de l'allant.
-Tu remercieras Martin de ma part : je m'en voudrais terriblement si ma chanson de geste n'était pas complète, s'il y manquait quoi que ce soit... Et tu fais bien de me faire penser à ça, d'ailleurs : il faudra que je fasse jurer à Guéric de ne rien te dire de mes propres actions en surface. Ainsi, tu seras forcé de me croire quand je te dirai avoir exterminé, à moi tout seul, des centaines de pirates, puis éliminé le Squale après une seule botte à l'épée !

Victor rit.
" Je parie que c'est Alphonse, ton élémentaire domestique, qui s'en chargera." fit-il. " Mais comme il a un nom de scène peu romantique, tu lui voleras la vedette. Alphonse, l'éternel second rôle, dans l'ombre de son maître. Mais je rétablirai un jour la vérité. Ce sera ma première complainte... Lamentations d'un élémentaire, ça s'appellera."

-Ça sonne plutôt bien ! Mais il ne faudra pas que tu oublies le moment le plus poignant, celui où Alphonse s'est vu contraint de jouer les feux de camps pour réchauffer un groupe de malheureux survivants.
L'élémentaire n'avait probablement pas dû tout apprécié l'épisode...
-Ah, et je te demanderai une faveur, reprit-il. Préviens-moi quelques jours avant de rendre publique ta complainte, d'accord ? Ça me laissera le temps de m'exiler sur un autre plan... La vie d'imposteur démasqué ne doit pas être très amusante.
Mais n'était-ce pas comme ça qu'il avait vécu, ces dernières temps ? songea-t-il, amer malgré lui.

Victor rit.
" Est-ce que tu penses que c'est toujours le même élémentaire ? Il se fait tuer de temps en temps, non ? Est-ce que c'est toute une famille dont tu exploites chaque génération ? Ah... Oh ? Heu, Taliesin... Je vais devoir y aller. Il y a du boulot et je dois aller voir pour installer Jehan sur le radeau... Enfin, on part à la nuit, c'est certain, mais ils veulent que je regarde pour comment on va l'attacher..."
Il se tut.
" Bon, alors, j'imagine que je dois te dire au revoir."

-Au revoir, bonhomme. Mais attendes quand même qu'on vous contacte avant de larguer les amarres : on vous transmettra des nouvelles dès que possible.
La communication n'était pas encore rompue que, déjà, il redoutait la longue journée d'attente et de solitude qui le guettait avant l'arrivée de Guéric. Elle ne serait pas très agréable, d'autant qu'il n'aurait rien à faire pour s'occuper. Juste à penser...
Penser et broger. Activités nocives pour lui, s'il en était.

" Bonne chance !" s'exclama le petit garçon. "Et à dans quelques jours !"
Puis il y eut un silence.
"Bon, ben, j'y vais. Je sais pas si je suis sensé enfouir le caillou quelque part, ou quoi, maintenant, pour que tu arrêtes de tout entendre."
Il rit.
"Bon, je suis parti. A bientôt."
Taliesin l'entendit reposer le caillou sur le sol puis les sons furent plus distants. Le roulis de la mer, toujours. Murmure de conversations incompréhensibles. Cela avait quelque chose de frustrant. Ou de rassurant, peut-être.

C'est le côté frustrant qui l'emporta, et le barde se hâta d'enfouir le caillou au plus profond de son sac. Ainsi, il n'aurait plus à supporter le murmure lointain mais entendrait si quelqu'un, d'aventure, souhaitait le contacter.
Ceci fait, il se sentit accablé par un brusque sentiment de solitude. Il n'avait plus d'objectif, sinon attendre, ne pouvait rien faire pour s'occuper - pas même convoquer un instrument fantôme, dont le son pourrait parvenir à la surface toute proche - sinon réfléchir.
Réfléchir, donc. Et à quoi ? A tous les objets à jamais disparus, pertes aussi incommensurables et irremplaçables que préjudiciables à leur avenir ? Aux heures infinies qu'il lui faudrait patienter ? Ce n'était assurément pas chose recommandée, dans un cas comme dans l'autre. Aussi s'efforça-t-il, une fois rassemblés tous ses souvenirs de l'extérieur, d'élaborer des plans d'action. Son esprit se peupla d'assassinats nocturnes de sentinelles sur la plage, de discrètes incursions dans le village endormi pour y semer la mort... Macabres réflexions, s'il en était. Mais, au moins, elles avaient l'avantage d'avoir un semblant d'utilité.
Et, dans le pire des cas, s'il en venait à brasser trop d'idées noires, il proposerait à Rumoc de se lancer de concert dans un concours de blagues pour tenter de déterminer qui, parmi le duo qu'ils formaient, avait l'humour le plus navrant.

Rumoc n'interrompit pas le barde dans ses noires pensées. Pourtant, un artefact aussi ancien, doté de parole et de mémoire, aurait probablement constitué une mine d'or pour un barde, si Taliesin s'était encore perçu comme tel pendant ces heures pénibles. Mais à nouveau, malgré la grisaille de son esprit, il retrouva une certaine propension à la méditation elfique, qui lui permit de déconnecter légèrement du réel, perturbant par là sa mesure du temps. Il entendit Guéric plus tôt qu'il ne l'avait escompté. Le roublard ne tentait pas réellement de dissimuler sa progression, espérant sans doute que l'elfe le dirigerait au mieux sur les derniers mètres. Le caillou, lui, était demeuré muet.

Le barde se releva, l'esprit encore un peu embrumé. Ce phénomène de transe auquel il était peu habitué - ayant grandi parmi des humains, il avait, plus ou moins inconsciemment, adopté leurs manières - l'étonnait toujours lorsqu'il l'expérimentait. En l'occurrence, il avait été une bénédiction, un rempart contre l'insupportable attente. Mais il aurait aussi pu être fatal, au cas où un ennemi, silencieux comme une ombre, se soit faufilé vers son refuge...
Ce n'était pas le cas, cependant, et il était inutile d'envisager toujours le pire. Surtout lorsqu'il ne s'était pas produit. L'elfe fit donc quelques pas hors de la petite grotte.
-Guéric, par ici, dit-il d'un ton mesuré - il n'oubliait pas la surface toute proche.

Le halfelin, bardé de mille sacs de fortune, le rejoignit en quelques bonds et se glissa dans son repaire.
" Ça fait du bien de voir un visage familier, après toute cette marche dans le noir... Je ne me suis jamais senti un petit-homme typique, avec petite baraque bien aménagée et champ de betteraves, mais honnêtement... Je suis marin, que diable ! Cette enfouissement va me rendre fou."
Il sourit.
" Tu as l'air en forme malgré ta tête de déterré. Je t'ai apporté de quoi manger. Du poisson qui était frais quand je l'ai empaqueté. Martin dit qu'on peut le manger cru, sauf la tête. Alors j'ai déjà coupé les têtes, histoire d'éviter les erreurs malencontreuses."
Il déballa le contenu d'un sac de toile.
" J'ai aussi des algues, puis des patates, et un restant de miel, incroyable, et aussi des oeufs. Ben oui. Bon, je parle bouffe parce que je meurs de faim. Combien de temps avant la nuit, tu as une idée ?"

-Aucune, avoua-t-il. Par prudence et pour ne pas user mes sorts d'invisibilité, je n'ai pas bougé d'ici depuis notre dernier contact. Mais la sortie n'est pas loin, je t'y mènerai sitôt que nous serons sustentés. Parce que je suis affamé, moi aussi, et voir toutes ces victuailles me met au supplice...
Son estomac apporta alors à ses propos une confirmation aussi bruyante qu'indéniable.

Le halfelin déballa la nourriture et la disposa devant le barde. Les pommes de terre étaient déjà cuites, heureusement, et le reste paraissait appétissant malgré les aléas du voyage. Guéric sortit également une demi-douzaine de fioles, des potions dénichées dans le trésor du dragon, ainsi qu'un petit sac humide, qui se révéla contenir d'étranges mollusques.
" Mange. Et ne regarde pas trop ce que je fais." lui conseilla le petit-homme. " Martin m'a expliqué que ces petits trucs..."
Il secoua un escargot vert vif devant le barde.
"... étaient absolument mortels. Je m'en vais t'en presser un p'tit tas, histoire d'avoir de quoi enduire ma dague..."
Son sourire s'élargit, carnassier.
" Faut pas que j'y r'prenne goût, faut pas ! Si Constance me voyait, elle me tordrait le cou."

-Prends quand même le temps de manger : tu disais, à l'instant, mourir de faim... fit Taliesin après avoir enfourné une première bouchée. Pour le reste, bah, nous devons utiliser tous les moyens possibles pour nous en sortir. Alors, autant joindre l'utile à l'agréable...
Son ton léger fut aussitôt démenti par une grimace, et il s'empressa d'ajouter :
-Le tout est de se dire que c'est une parenthèse qui prendra fin avec la déroute des pirates.
La remarque s'adressait surtout à lui-même. Il savait que le halfelin brûlait de se venger, et lui-même n'était pas sans éprouver un désir similaire, avivé par la perte des précieux artefacts qu'il leur imputait, à tort ou à raison. Or, il avait trop conscience des extrémités auxquelles la vengeance l'avait autrefois mené. Mais les choses étaient différentes, aujourd'hui, puisqu'il escomptait bien ne pas se laisser emporter, consumer, puisqu'il avait juré à Victor d'être prudent et refusait de redevenir un monstre, puisqu'il avait un objectif beaucoup plus noble à atteindre. Et puis... La fait même qu'il éprouve cette crainte de sombre à nouveau, n'était-ce pas la preuve, rassurante, qu'il avait commencé à ériger de solides remparts contre son ancienne folie ?

Guéric avait mis des gants pour presser ses mollusques, et sitôt qu'il en eut terminé, il les ôta et se joignit au festin du barde. Taliesin le sentit un peu nerveux, sans doute impatient.
" Bon, c'est la nuit de tous les dangers. Nous devons nous dépêcher de confirmer aux autres la présence des Luméniens, pour qu'ils aient le temps de bouger. Repousser la traversée d'une nuit encore m'a semblé inutile... et risqué. Les nerfs sont en pelote, dans cette grotte. Et l'idée de ce qu'il y a dans l'eau... N'en parlons pas."
Il haussa les épaules.
" Bon, quel est le plan, exactement ? Où est-ce que ton tunnel débouche ?"

Si fournir à Guéric les indictions géographiques qu'il demandait fut chose aisée, il en alla différemment lorsqu'il fallut parler stratégies. Taliesin était extrêmement réticent à évoquer ses idées puisque, autrefois, quand elles avaient été appliquées, leurs conséquences s'étaient avérées pour le moins calamiteuses. Mais il se contraignit malgré tout à verbaliser le fruit de ses réflexions du jour écoulé : en effet, le halfelin aurait sans nul doute son propre plan, bien plus judicieux que les siens, et lui-même s'y rallierait sans hésiter.
-Le plus évident serait d'éliminer les sentinelles de la plage, puis de faire signe aux Luméniens de débarquer leurs troupes. Mais il nous faudrait aussi déblayer les lieux que les pirates ont copieusement pourvus en pieux, ce qui prendrait du temps et nous ferait courir le risque d'être surpris par ceux venant relever les factionnaires... Autre solution : s'infiltrer dans le village pour y causer au minimum une diversion, au maximum des ravages. Nous pourrions allumer un incendie, trouver des moyens de semer la discorde dans les rangs ennemis, ou gagner les chambres pour égorger les dormeurs... Quand je suis sorti, hier, j'ai entendu de la musique provenant de là-bas : peut-être sont-ils convaincus que le seul danger qui les menace vient de la mer, ce qui pourrait nous offrir de belles opportunités.

" Hum... Je pense que dans un premier temps... Nous avons intérêt, quel que soit l'objectif choisi, à nous faire accidents, hasards et manques de chance. Si nous révélons notre présence sur l'île trop vite, nous pourrions mettre en danger ceux qui sont peut-être encore dans les grottes de l'autre côté, tout ça en imaginant que notre groupe ait gagné la mer. Ensuite... Je pense qu'il faudra passer par une phase de reconnaissance... Je peux me glisser dans les ombres et aller voir ce qu'il en est, mais j'aurai besoin de ton aide. Je sais que ton invisibilité est de courte durée, mais... peut-être pourrais-tu faire un pirate de bonne qualité ! D'après ce que m'a dit le drow, l'équipage des différents bateaux se connait mal, est constitué de bric et de broc, d'anciens esclaves mélandiens, de fééruniens en goguette, de manostiens athées, de luméniens débauchés... Il y a de quoi faire."

Taliesin demeura silencieux, réfléchissant à cette possibilité qui, jusqu'ici, ne lui était pas venue à l'esprit. Il pesa le pour et le contre, puis, au bout d'un moment, se fendit d'une grimace.
-Dans l'absolu, ce serait possible, mais... Il faudrait que je me procure des vêtements un peu moins particuliers, histoire de ne pas trop détonner, et que je rassemble des informations sur leurs bateaux, leurs officiers, leurs pratiques, afin d'être en mesure de donner des réponses crédibles à ceux qui pourraient me poser des questions. Mais, même si je disposais du costume et de ces données.... Les elfes du soleil ne courent pas les rues et ne passent pas inaperçus. Ne crois-tu pas que cela se saurait, si quelqu'un comme moi servait le Squale ?

" Je ne parlais pas de t'intégrer complètement à leur groupe... mais peut-être de déambuler en rue, un soir... Pour le costume, je ne m'en inquiéterais pas : il y a suffisamment de pirates à la surface pour que l'un d'entre eux aille pisser au mauvais moment. Quant au côté rareté... On peut grimer ce petit minois, à mon avis. Mais ce n'était qu'une idée parmi d'autres. C'est juste que... tu vas être vachement exposé, au dehors, si tu ne peux compter que sur quelques minutes d'invisibilité."

Avec amertume, il songea au pipeau, à toutes les situations désastreuses où ses erreurs et son incompétence l'avaient fourré et dont il n'avait pu se sortir que grâce aux pouvoirs de l'instrument providentiel. Son irrémédiable disparition ne rendait que plus flagrantes ses propres insuffisances : il savait se servir d'un arc et d'une épée, mais pas suffisamment pour être un guerrier redoutable ; il savait lancer des sorts, mais pas en nombre suffisant et pas assez dévastateurs pour être un mage valable. Tout ce dont il était capable, à vrai dire, c'était épater la galerie, satisfaire le public des tavernes ou des salles de concert par sa musique, ses chansons et ses histoires.
Ses histoires.
Il eut un sourire ironique.
Il n'y avait pas qu'avec ses clients qu'elles fonctionnaient. Autrefois, il avait su embobiner des ennemis potentiels pour en faire ses alliés, tels ces maris jaloux surgis au mauvais moment ou trop soupçonneux : il avait réussi à les convaincre que, non, vraiment, il n'avait pas couché avec leurs femmes mais leur avait simplement dispensé des cours de harpe. Plus tard, à Mélandis, il s'était intégré à la haute société sans faire naître de soupçons, avant que les esclaves ne le prennent, certes malgré lui, pour une sorte de prophète libérateur. Plus tard encore, il avait réussi à entourlouper un groupe de Luméniens au point qu'ils avaient obéi aveuglément aux ordres du spectre vengeur qu'il prétendait être...
Jouer la comédie, tromper autrui : voilà le domaine où il excellait.
Un imposteur usant et abusant de son charme : voilà ce qu'il était.
Avait été.
Son sourire se fit encore plus ironique lorsqu'il repensa à la suggestion de Guéric. Autrefois, il n'avait pas trouvé la chose désagréable, loin s'en fallait. Aujourd'hui, elle le dégoûtait, allait à l'encontre de son désir profond de vérité, de sincérité. Mais le halfelin avait vu juste : puisqu'il était doué pour cela, puisqu'ils ne devaient reculer devant rien pour survivre, il fallait qu'il le fasse. Et tant pis pour ses états d'âme. Peut-être même éprouverait-il un plaisir malsain à endosser le rôle d'un pirate pour mieux poignarder ses ennemis dans le dos...
-Non, tu as raison, c'est sans doute la meilleure solution, répondit-il simplement.

" Je dis ça, mais en fait..."
Il se pencha sur son sac.
" J'ai les potions du dragon. Qu'est-ce qu'on avait déniché, déjà... Lévitation..."
Il y avait des notes, pattes de mouche illisibles, sur les étiquettes.
" Respiration aquatique... Soins des blessures légères... Flou... Peau d'écorce... Haha !"
Il posa une petite fiole bleue devant le barde.
" Invisibilité. Bon, il n'y en a qu'une, mais c'est déjà ça. Evidemment... Difficile de savoir le temps qu'elle durera."
Il baissa les yeux, continua sa fouille.
" Bon, c'est pas terrible. Mais on peut en reparler. Guide-moi vers la sortie et j'irai voir si nos sauveurs sont arrivés."

Taliesin avait beau se méfier de ses propres idées, cela ne l'empêchait pas d'en avoir et, à chaque nouvelle potion présentée par le halfelin, il se prenait à réfléchir, à imaginer la manière dont elles pourraient leur être utiles.
C'est donc l'esprit en relative ébullition qu'il se leva et conduisit son compagnon jusqu'aux abords de la surface.
-Je préfère m'arrêter ici, dit-il au bout d'un moment. Ne sachant pas si nous passerons à l'action dès ce soir, je préfère ne pas utiliser un sort d'invisibilité, ce qui serait nécessaire si j'avançais davantage : on ne sait jamais, un pirate pourrait passer dans le secteur...

C'était le crépuscule. Le ciel était nuageux sans être chargé. Le vent sifflait, sauvage, comme toujours sur Mersant.
" Très bien. Je vais jusqu'à la plage, histoire d'identifier ceux qui croisent dans nos eaux. Je promets de ne tuer personne en route."
Il déclara tout ceci avec le plus grand des sérieux.
" Je ne serai pas long. Si je ne revenais pas... Je te conseillerais de retourner à la grotte marine. C'est sans doute le plus sûr."
Puis, sans attendre, il sortit. Taliesin ne le vit pas disparaître, de crainte de se révéler à un pirate en maraude. Puis le temps se distendit, comme il savait si bien le faire dans ces moments d'attente insupportables qui étaient devenu leur quotidien sous terre. Guéric était parti une heure. Peut-être une année.
Puis il reparut, dans un souffle.
" J'ai compté trois frégates du côté plage. Elles ne battent pas toutes le même pavillon, mais au moins l'une d'entre elles est luménienne. Les deux autres... Les drapeaux sont jaunes avec un animal noir. Je me demande si ce ne sont pas les armoiries d'Antelucas."

-Je n'y connais pas grand chose en héraldique hélonnienne mais, effectivement, ces drapeaux font furieusement penser à ceux d'Antelucas.
Il sourit.
-Quoi qu'il en soit, il n'y a plus de doute, à présent : les renforts sont bel et bien là ! C'est une excellente nouvelle. Ne reste plus qu'à prévenir nos compagnons pour qu'ils embarquent sur le radeau. J'ai hâte qu'ils soient en sécurité sur l'un des navires... Et, qui sait ? Les cailloux fonctionneront peut-être encore quand ce sera chose faite, ce qui nous permettrait de coordonner nos efforts avec nos alliés...

" Oui." fit Guéric. " J'espère qu'ils traverseront sans trop de tracas... de nuit, sur cette mer instable... Mais bref, il vaut mieux ne pas y penser. Je propose que tu te charges de les prévenir. Pour ma part... J'ai un goût de trop peu ! Je vais retourner vers le port, cette fois... La nuit ne fait que commencer, j'ai de longues heures d'une ombre parfaite devant moi. J'ai bien l'intention d'en user pour reconnaître les forces en présence... Ensuite... Ensuite, nous aviserons."

Le barde s'assombrit sans parvenir à le dissimuler tout à fait. Lui aussi aurait aimé sortir : il venait d'attendre les résultats de la reconnaissance de Guéric et, précédemment, il avait guetté son arrivée tout un jour durant. De plus, l'action lui aurait évité de se ronger les sangs à propos de cette navigation en radeau dont il ne connaîtrait peut-être pas le résultat, si les cailloux ne fonctionnaient pas entre l'île et les navires. Mais il devait se montrer pragmatique, prendre son parti des heures interminables et insupportables qui se profilaient... Aussi hocha-t-il la tête.
-Très bien. Mais fais-moi une faveur : laisse-moi quelques pirates, d'accord ? J'ai promis à Victor d'être prudent, certes, mais j'ai malgré tout l'intention d'être... hum... activement utile.

Guéric perçut son changement d'humeur.
" Je te proposerais bien de venir... Nous pouvons opter pour une autre approche... Aller pousser quelques sentinelles dans le vide... Empoisonner leur pitance... Il fait nuit, même si tu n'es pas expert en ombres et recoins, ils ne te verront pas facilement. Les herbes sont beaucoup plus hautes que dans mon souvenir. Il y a moyen de s'y faufiler."

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