La Couronne de Cuivre

Taliesin réfléchit longuement. Il était tenté et, pourtant, il finit par secouer la tête.
-Si je m'écoutais, je t'emboiterais le pas sans hésiter. Mais il nous faut être raisonnables et pragmatiques. Seul, tu pourras mener à bien la reconnaissance poussée que tu évoquais. Les informations que tu recueilleras sur les effectifs et l'organisation des pirates seront cruciales pour nous, mais aussi pour nos alliés, si nous arrivons a établir le contact avec eux grâce aux cailloux. De plus, tu seras à même de repérer les itinéraires les plus propices à la discrétion, ceux que j'emprunterai lors de nos prochaines sorties et qui me permettront d'être efficace tout en prenant le moins de risques possible.
Il sourit.
-Je vais donc t'attendre dans notre petite grotte. Mon moment finira bien par venir... Il me faut juste apprendre à patienter !

" Bon..." fit Guéric. " Une fois que tu y es, préviens les autres de se mettre en route. Je n'ai vu que des bateaux côté plage, mais il doit aussi y en avoir côté port... et peut-être quelques patrouilleurs. Ils ont intérêt à filer le plus vite possible. La mer a l'air calme mais on ne sait jamais bien comment ça va tourner."
Il sourit à Taliesin, lui serra la main.
" Je reviens le plus vite possible. J'espère sans trop de mauvaises nouvelles."

-Je l'espère aussi. Comme j'espère pouvoir t'annoncer que nos compagnons sont sains et saufs sur l'un des navires....
Il lâcha la main du halfelin, recula d'un pas.
-Bonne chance, Guéric, et à plus tard !
Il lui adressa un dernier geste d'adieu, tourna les talons et reprit la direction de la petite grotte. Là, il sortirait le caillou de son sac, contacterait les autres et les engagerait à embarquer au plus vite sur le radeau.
Ensuite, ce serait l'interminable, l'insupportable attente.
Mais elle finirait bien par se terminer. D'une façon ou d'une autre.

Lorsqu'il prit le caillou, Taliesin n'entendit d'abord rien. Il lui fallut se concentrer, formuler clairement son intention, chercher le contact pour que des sons lui parviennent. La mer d'abord. Des voix ensuite. Aucune n'était proche : il lui faudrait crier pour attirer l'attention d'un interlocuteur... Ce qui ne manqua pas, une fois qu'il eut pris la peine de se faire entendre. Il restait à espérer qu'aucun ennemi n'arpentait les ténèbres à proximité.
" Nous sommes parés." lui apprit Martin. " Enfin, si on peut appeler ça parés..."
" C'est pas pire que d'être prisonniers de drows, hein." fit Victor.
" Bref, souhaite-nous bonne chance. On n'a aucun marin avec nous, ça promet."
" On va s'en tirer, tu dois pas t'en faire."

-Oh, je ne m'en fais pas trop, menti--il. Et puis, la mer est tranquille, c'est une aubaine ! Par contre, si vous pouviez, après avoir pris pied sur l'un des bateaux, essayer de me contacter via le caillou... Qui sait, cela marchera peut-être, et cela me rassurerait quand même d'avoir de vos nouvelles. Sans compter que disposer d'un moyen de communication pour coordonner nos efforts et ceux des Hélonniens, ce serait un avantage non négligeable.

" Il nous en reste deux. On va les mettre bien en sécurité, histoire de les avoir encore. Je suis sûr qu'ils fonctionneront. Après tout, on en aura rudement besoin, comme tu le dis." fit Victor.
" Bon, je vous laisse, je vais aider à mettre ce machin à l'eau. A plus tard, Taliesin." dit Martin, et le barde entendit ses pas décroître.
Victor resta silencieux un moment.
" Bon, ben... C'est le moment, alors. Heureusement que je sais nager, ça me détend un peu."

Un instant, l'image d'un naufrage s'imposa au barde, lui arrachant un frisson.
-Il n'y a pas de raison que cela se passe mal, dit-il. La mer est calme, vous avez les talismans ou de quoi vous boucher les oreilles si les naïades veulent vous chanter une chanson, et puis, comme il fait nuit, les pirates ne vous verront pas... ou vous verront trop tard pour vous ennuyer. Enfin, Martin connaît bien l'île : même s'il n'est pas marin, il saura vous diriger au mieux. Bref, tout ira bien !
De belles paroles, comme de coutume. S'il était si convaincu de la réussite de la traversée, pourquoi sentait-il l'angoisse commencer à l'étreindre ?

" J'espère juste que les naïades ne penseront pas à démantibuler le radeau." souffla Victor. " Parce que noyés, même avec les talismans, je pense qu'on sera comestibles. Moi je ne les ai pas beaucoup vues... Enfin, pas dans mon état normal... Tu penses qu'elles seraient assez malignes pour faire ce genre de choses ? Martin ne veut pas se prononcer... Et puis c'est vrai que c'est toi qui en sais le plus, non ? Tu crois qu'elles penseraient à nous couler ?"

-Je ne sais pas, Victor... répondit-il avec sincérité. Mais, de ce que j'en ai vu, elles ne m'ont pas semblé particulièrement intelligentes. Elles m'ont plutôt donné l'impression d'agir presque comme des bêtes, à l'instinct, sans finesse ni plan réfléchi, Alors certes, tenter de faire couler un radeau ne requiert pas un intellect génial, mais je pense que si elles s'en prennent à vous - ce qui n'est pas du tout sûr ! -, elles commenceront par employer leur chant. Il leur faudra un certain temps pour réaliser que ça ne fonctionne pas, ce qui vous permettra de vous éloigner de la côte.
Il avait essayé d'être à la fois honnête et rassurant, chose peu évidente lorsqu'on n'a aucune certitude. Cependant, il se serait mal vu éluder la question : le petit garçon semblait fort inquiet, ce qui ne lui était pas coutumier... Une nouvelle conséquence de ses récentes épreuves, à n'en pas douter.

Victor soupira, à l'autre bout du monde. Puis reprit son souffle et s'exprima à voix basse.
" De toute façon, ils ont déjà un plan, si les bestioles attaquent. Martin a dit de ne pas t'en parler, parce qu'il dit que tu n'aimerais pas ça, et que de toute façon, il était trop tard, et que ça allait t'énerver pour rien, mais..."
Il baissa encore le ton.
" On leur donnera les drows. Ça devrait suffire à détourner leur attention. Vu qu'on en a deux, en plus."
Il demeura silencieux une seconde.
" Ça devrait me révolter, non ? C'est bizarre. Je me sens comme endormi, quand j'y pense."

Le barde poussa un profond soupir.
-Tu as vu ce dont les drows sont capables, répondit-il doucement. Alors, ça se comprend que tu n'éprouves pas beaucoup de compassion pour eux...
La chose se comprenait, oui, mais il espérait malgré tout que ces épreuves récentes n'avaient pas marqué Victor au point de le faire fondamentalement changer. Pourtant, la chose n'aurait rien d'étonnant : la vie n'avait pas épargné le petit garçon, ne l'épargnait toujours pas... Comment réagir, face à tant d'acharnement du destin, sinon en s'endurcissant ? C'était triste, certes, mais lui-même, vu son parcours, était mal placé pour donner des leçons à l'enfant. D'autant que, s'il avant tant pris la défense des elfes noirs, élan d'humanisme un peu incongru, n'était-ce pas par crainte de glisser à nouveau, doucement mais sûrement, sur la pante de l'insensibilité et de ce qu'il y a au-delà ?
-Merci pour ta franchise, en tout cas, reprit-il. Et si les naïades attaquent effectivement... Et bien, tout ce qui compte, c'est que vous en réchappiez.
Il l'avait toujours dit : si venait un moment où il fallait choisir entre la vie de ses compagnons - la vie de Victor, surtout - et celle des drows... Il n'hésiterait pas un seul instant.

Victor murmura un mot d'assentiment puis demeura silencieux. Taliesin entendit les murmures distants de conversations et de cris, le bruit monotone de la mer, puis quelqu'un appela l'enfant.
"Il faut que j'aille voir Jehan." fit-il. " C'est surtout pour lui que j'espère que les choses vont rester calmes..."
Il soupira.
" A bientôt, alors ?"

-A bientôt, bonhomme, répondit l'elfe d'un ton qui se voulait tranquille. Mais n'oublie pas d'essayer de me contacter avec le caillou quand tu seras sur le bateau, d'accord ? Guéric est parti en reconnaissance tandis que moi, par prudence, je suis pour l'instant resté dans notre petit refuge. Du coup, il n'y a aucun risque que ton appel me fasse repérer par les pirates !

"D'accord." fit Victor. "Mais ne t'attends quand même pas à avoir des nouvelles trop rapidement... La mer est assez rude, apparemment, et on ne sait pas où seront les bateaux... D'autant qu'on n'y voit pas grand chose dans le noir, tous... Enfin, il y a Bellyra pour nous guider, mais c'est la seule... et on ne peut pas allumer de lanternes, pour ne pas attirer l'attention des pirates, donc..."
"Ne le stresse pas davantage !" grommela Martin, à quelque distance de là.
"Mais je dis ça pour... Enfin, je t'appelle dès que possible. Au revoir. A bientôt, quoi."
Et Taliesin entendit le son de l'étoffe, une poche, un sac, engloutir le caillou du bord de l'eau.

Le barde resta un long moment à contempler la petite pierre déposée au creux de sa paume. Il ne parvenait pas à se décider à la ranger. Pourquoi ne continuerait-il pas à écouter les sons ténus qu'elle émettait, se demandait-il ? Ne pourraient-ils pas l'informer de la manière dont se déroulerait l'expédition ?
Mais il finit par renoncer à cette idée. Il n'entendrait pas grand chose, de toute façon. Et le peu qu'il percevrait ne ferait, assurément, que nourrir son angoisse déjà grandissante.
Lentement, à contrecœur, il fourra le caillou dans son sac, se retrouvant à nouveau seul au milieu des ténèbres et du silence absolu. Des images ne tardèrent pas à se former dans son esprit : ses compagnons embarquant sur leur petit radeau de fortune, puis s'engageant sur une mer houleuse, obscure, ne pouvant compter que sur les conseils de Bellyra pour louvoyer parmi les rochers, les récifs ; des naïades par dizaines, guettant au fond de l'eau, prête à passer à l'assaut ; des pirates embusqués sur les falaises, aux aguets, l'arc à la main ; les bateaux venus les secourir, si loin, perdus dans la nuit...
Son cœur se mit à battre plus vite, sa respiration à s'accélérer. Pourquoi Victor était-il si doué pour lui faire broyer du noir, pour réveiller ses pires craintes ?
Bientôt, il n'y tint plus.
-Dire qu'à une époque pas si lointaine, je n'avais à me préoccuper que de moi-même... lança-t-il à voix haute.
Pour s'adresser à Rumoc, il n'aurait pas eu besoin d'ouvrir la bouche. Mais il lui avait absolument fallu rompre cet affreux silence qui l'entourait de toutes parts, oppressant, menaçant...

" Aimer, c'est jeter son coeur un peu plus loin et tenter à jamais de le rattraper." lâcha Rumoc. " Rares sont ceux qui y parviennent."
Il ne put s'empêcher de glousser.
" C'est ce que me disait autrefois une charmante courtisane à qui j'ai appartenu brièvement. Tu me diras que je n'ai pas le design idéal pour orner la tenue diaphane d'une prostituée de luxe, mais elle ne me portait pas... Elle ne m'utilisait que pour d'autres activités que je ne vais pas te décrire parce que tu as beau faire le fier, je vois bien que tu es un petit elfe à peine sorti des jupons de ta mère, et je ne voudrais pas te déciller !"
Il gloussa davantage.
" En fait, je devrais te raconter mes multiples aventures pour te changer les idées. Après tout, tu es barde. Tu devrais être désireux d'agrandir ton répertoire. Tu dois déborder de complaintes elfiques et de grasses histoires humaines, mais combien de récits halfelins comptes-tu dans ta caboche, hein ?"

-Une poignée, admit-il. Mon maître m'a appris l'importance d'avoir un répertoire varié : un barde itinérant est par nature amené à intervenir devant des publics très différents les uns des autres, et s'il veut gagner sa pitance, il doit veiller à ne jamais être pris au dépourvu... Je me suis efforcé de suivre cet enseignement, mais, par la force des choses, c'est surtout des histoires propres à satisfaire les humains que je connais.
Il se cala le plus confortablement possible contre la paroi rocheuse. A nouveau, la présence de Rumoc était une bénédiction, et il avait la ferme intention d'en profiter au maximum.
-Je t'écoute donc bien volontiers. Ah, et ne crains pas de me "déciller", ou tu me verras contraint de te parler des orgies qui ont cours dans la riche société mélandienne. Je peux te garantir que là-bas, ils n'ignorent pas une pratique, pas un vice...
Il eut un rictus de dégoût en songeant à une soirée bien particulière à laquelle il avait dû assister, alors qu'il fréquentait les hautes sphères de la Cité du Chaos.

"En fait, tu l'auras deviné, je ne suis pas un spécialiste. En général, mes propriétaires m'ont toujours enlevé avant de passer aux choses sérieuses, et curieusement, ils ont toujours eu tendance à me recouvrir d'un item vestimentaire, genre chemise, pourpoint, caleçon, une fois entre les bras de leur aimée. Je serais donc presque innocent, si ce n'était pour cette bougresse d'Orlinda."
Il gloussa pour lui-même.
"En plus, je ne suis pas barde. Mon boulot, ça a toujours été d'écouter puis de souffler à mon propriétaire s'il était en train de se faire plumer ou pas. Je n'ai donc pas mille histoires... Ma vie se résume à des tractations, de nouvelles tractations, d'autres tractations, des négociations, parfois, des transactions, des discussions, des compromis, et beaucoup beaucoup beaucoup de mensonges. Rien qui ne fasse l'étoffe d'une bonne ballade ou d'une chanson de geste. Cela dit, je me suis de temps en temps retrouvé pris entre deux factions en guerre ou face à un monstre sanguinaire mais disert... Et je t'endors, n'est-ce pas ?"

-M'endormir ?!
Le barde sourit.
-Rumoc, j'ai "dormi" une bonne partie de la journée, alors je suis plutôt bien éveillé. De surcroît, avec Victor embarqué sur un radeau de fortune, sur une mer ag...
Il s'interrompit avant de lister tous les éléments qui nourrissaient son angoisse.
-Bref, tant que je ne saurais pas qu'il est en sécurité, je serai incapable de fermer l’œil. Alors n'hésite surtout, surtout pas à parler : t'écouter m'empêche de trop me ronger les sangs. Et puis, c'est pour toi, une fois n'est pas coutume, l'occasion de beaucoup parler à une oreille plus qu'attentive, non ?

"Mais c'est parce que tu crois que j'aurais éventuellement besoin d'une bonne âme attentive auprès de qui m'épancher. C'est un leurre. Je ne suis pas comme toi, ou comme le petit assassin, ou comme ton garçon. Je suis un objet, une ceinture, j'ai une parcelle de la personnalité de l'homme qui m'a créé. Mais je n'ai ni esprit, ni coeur. Je ne tiens à personne. Je n'ai pas d'ambition. Je n'ai que l'envie de servir car c'est comme cela qu'on m'a fait. Je bavarde, je bavarde, mais voilà, on m'a voulu bavard. Pour le reste, je suis lucide : je tiens dans quelques onces de métal, et c'est tout."
Il gloussa.
"Maintenant, raconte-moi plutôt comment tu vas t'y prendre une fois que tu auras quitté cette île et que tu feras voile vers la cité du Chaos. Tu auras sûrement besoin de moi, non ? Je suis un excellent auxiliaire de détective en herbe. Je sais toujours si les témoins mentent. Et je sais aussi lorsqu'ils omettent certaines informations. Nous allons faire une bonne équipe."

-C'est sûr que tu pourrais beaucoup m'aider... Cependant, tu n'es pas obligé de venir avec moi, tu sais : je comprendrais très bien que tu préfères aller vers des lieux moins malsains.
Il soupira.
-Mais de toute façon, tu as du temps avant de prendre ta décision. Parce que, honnêtement, je ne sais pas du tout quand je pourrai aller à Mélandis. Le bateau sur lequel nous sommes venus ici a peut-être été endommagé, sinon détruit. Et même si ce n'est pas le cas : notre équipage sera au pire décimé, au mieux trop éprouvé pour reprendre la route dans l'immédiat. Le plus probable est donc que nous suivions nos alliés à Luménis. Ce détour occasionnera malheureusement une énorme perte de temps, mais il me permettra de rendre les petits Merlus à leur père et de lui confier à niveau Victor... s'il accepte de le garder malgré ce qui s'est passé.
Nouveau soupir : la chose n'était pas certaine, loin s'en fallait. Sans compter qu'il ne pourrait peut-être ramener vivant qu'un seul des deux garçons. Voire aucun...
Ensuite seulement viendra le temps de réfléchir au voyage vers Mélandis, reprit-il. Hum, enfin, si les Luméniens ne me retiennent pas...
Il ne put réprimer une grimace. Oui, il y avait fort peu de chances qu'il puisse gagner la cité du chaos avant de longs mois. Longs mois pendant lesquels Galathée...
Mieux ne valait pas trop y penser.

"Tu sais, ma nature me porte à aller là où il y a du travail pour un bidule comme moi. Cela dit, j'ai déjà fait Mélandis, deux fois. Tout le monde mentait tout le temps. Au bout d'un moment, mon propriétaire ne me posait même plus la question. On avait convenu du signal inverse : je le prévenais si, miracle, notre interlocuteur disait la vérité. Ce n'est pas arrivé bien souvent."
Il ricana.
"Cela dit, si tu cherches quelque chose..."
Il se tut brusquement.
Tu entends ? lâcha-t-il, mais cette fois directement dans l'esprit de Taliesin.
Au début, rien.
Puis le murmure d'une conversation. Pas très loin. Sans doute au détour d'un tournant ou un peu plus bas.

Oui, maintenant, j'entends.
Rumoc n'était donc pas doué que pour détecter les mensonges : il avait apparemment des perceptions sensorielles encore plus développées que celles d'un elfe. C'était bon à savoir.
Mais déjà cette réflexion était balayée de son esprit : il y avait des gens dans les tunnels. Des gens dont l'identité ne faisait guère de doutes.
Il bondit sur ses pieds, rassembla les affaires que Guéric et lui avaient laissées sur le sol et les transporta dans le coin le plus discret de la petite grotte, celui que les pirates ne verraient pas de prime abord en y pénétrant. Lui même s'y dissimula, l'épée tirée, prêt à bondir.
Il se serait bien rendu invisible, mais il craignait que les échos de l'incantation, portées par la sonorité hasardeuse des souterrains, ne parvienne aux visiteurs...

Mais les visiteurs n'empruntèrent pas la bifurcation qui menait à son repère. Taliesin entendit leurs voix se rapprocher, le bruit de leurs pas, le roulement d'une pierre qui cède et dégringole sous une botte, un rire, encore quelques échanges, perceptibles mais incompréhensibles. Puis les sons se mirent à décroître. Ils s'éloignaient. Qui sait dans quelle direction et dans quel but...

Taliesin se mordilla la lèvre inférieure. Il n'aimait pas l'idée que des pirates rôdent dans les tunnels : ils pourraient revenir dans les parages à un moment inopportun - par exemple quand Victor le contacterait pour lui dire qu'il était sain et sauf - ou barrer la route à Guéric lors de son retour, à un endroit où il lui serait difficile de se dissimuler. Toutefois, les suivre pour les éliminer pourrait s'avérer très, très risqué...
As-tu pu saisir la teneur de leur conversation ? demanda-t-il mentalement à Rumoc.
Des informations sur leurs intentions ne seraient pas malvenues.

Pas parfaitement. Ils avaient mal aux pieds, si j'ai bien compris... Envie de manger, de boire. Je dirais qu'ils étaient trois, peut-être quatre. Mais au-delà de ça... L'écho porte étrangement dans ces cavernes, sans doute à cause de la proximité de la surface : comme si le son était aspiré vers l'extérieur. Mais ils étaient en fin d'expédition, assurément.

Il soupira.
-Ça veut donc dire qu'ils sortent. Tant mieux. Et comme Guéric n'est pas parti depuis très longtemps, il ne risque pas de les croiser.
Il rengaina doucement son arme.
-S'ils reviennent d'une longue expédition dans les tunnels, ils pourront assurer leurs comparses qu'ils sont déserts, du moins ce qu'ils en on vu. J'imagine que c'est un bon point pour nous.

Rumoc émit un son qui pouvait signifier qu'il était d'accord.
"Nous ne saurons sans doute jamais exactement ce qu'ils faisaient dans ces tunnels." fit-il. "Mais si nous en avons trouvé la sortie, il n'est pas surprenant qu'ils en aient trouvé l'entrée. Surtout si leur objectif est de mettre la main sur le trésor du dragon... Et maintenant que les navires luméniens encerclent l'île, ils ne peuvent sans doute pas partir, même s'ils l'ont trouvé."

J'aurais quand même aimé en savoir plus sur ce qu'ils faisaient sous terre. Mais les suivre serait dangereux... et j'ai promis à Victor d'être prudent. Je ne vais pas déjà me dédire alors que les choses sérieuses n'ont pas encore commencé...
Il s'assit contre la paroi.
Bon, je te propose que nous écoutions encore quelques minutes pour voir s'ils ne reviennent pas, puis que nous reprenions notre discussion. Le silence ne me fait guère de bien quand je suis anxieux.

Rumoc se tint coi, comme l'avait demandé le barde. Ils attendirent ainsi que le silence redevienne pesant, qu'il s'infiltre autour d'eux jusqu'à les enlacer, comme immuable, glacial, comme mort.
Puis Rumoc se mit à siffler. D'abord dans la tête de Taliesin, puis à voix basse, enfin à voix haute.
"Ils sont loin. Et le petit nabot devrait bientôt revenir, à moins qu'il ne se soit lancé dans une aventure suicidaire et périlleuse pour libérer des prisonniers torturés moribonds."
Voilà de quoi repartir sur un sujet riant.

La Couronne de Cuivre

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