La Couronne de Cuivre

" Il ne faut jamais que tu te retiennes de me parler, Alban. Si, à certains moments, ça tombe vraiment mal, je te le dirai clairement. Pour le reste, je ne veux pas que tu craignes d'exprimer ce qui te vient à l'esprit. En ce qui me concerne, je suis capable de rassembler mon linge sale en devisant."
Il le laissa passer devant lui pour qu'il gravisse les escaliers. Quelques minutes plus tard, ils avaient atteint leur niveau de la tour et l'endroit où se trouvaient leurs affaires. Hubert n'avait plus le moindre vêtement propre, comme la plupart des colons. L'odeur de certaines choses était d'ailleurs presque toxique et il grimaça en empilant ses effets. Seule sa tunique de nuit était plus ou moins acceptable et c'était une chance, sinon il aurait dû regagner ses pénates dans le plus simple appareil, une fois ses ablutions terminées.

Alban avait terminé ses propres affaires : il n'avait pas grand chose, mais c'était désormais plus que la plupart des membres de la Communauté. A en juger par les paquetages visibles autour d'eux, le point était également valable pour nombre de leurs compagnons. Il s'agissait là d'une conséquence imprévue du mode de vie plus inconfortable des membres de l'escorte : n'ayant généralement pas de chariot attitré, n'ayant pas toujours de proches pour veiller sur leurs possessions et ayant souvent dû déposer celles-ci dans le train à bagages, ils avaient, matériellement parlant, moins souffert que les civils de la perte d'une partie de leurs véhicules.
Une fois parés, le paladin et son écuyer regagnèrent la cour, puis descendirent dans les caves. Bientôt, ils pénétraient dans les thermes où se pressaient déjà Edgar, Gaspard et leurs troupes respectives.

Une fois sur le bord de l'eau, Hubert se déshabilla sans faire de manières et constata rapidement qu'Albérich avait vu juste : il avait récolté plus d'une ecchymose au cours de l'assaut matinal. Ce n'était rien qu'une once d'énergie divine n'aurait pu régler, mais comme aucune n'avait mauvaise mine et qu'elles n'étaient pas particulièrement douloureuses, il décida de laisser faire la nature et descendit dans le bassin.
Bien sûr, il savait que l'eau était chaude, mais cela le surprit quand même agréablement. Elle n'était pas aussi délicieuse qu'à Solarcis, mais c'était sans doute simplement dû au nombre de personnes présentes en même temps dans le bassin. Sa surface était trouble, signe qu'ils avaient tous accumulés pas mal de poussière et de boue ces derniers jours, mais il avait entendu dire qu'il y avait un système de renouvèlement de l'eau. C'était une chance, sinon ils auraient pataugé dans un marécage, après le passage de tous les colons et de leurs nippes.
Il n'y avait pas vraiment assez de place pour se mettre à son aise et de toute façon, ce n'était pas le moment, aussi entreprit-il de se décrasser rapidement. Peut-être aurait-il d'autres occasions de mitonner dans cette source miraculeuse.

Sans doute était-ce ce que se disaient les autres, à moins, simplement, que la solidarité les pousse à se dépêcher afin que leurs collègues des autres groupes n'aient pas à attendre trop longtemps avant de pouvoir profiter à leur tour de ces incroyables installations. En tout cas, les premiers soldats sortaient déjà du bassins, récupéraient leurs frusques et se dirigeaient vers les fameux baquets où l'eau, adéquatement traitée, réglerait définitivement leur compte aux parasites qui avaient menacé d'envahir la Communauté.
Edgar finit par s'approcher de son supérieur, un peu hésitant.
-Mon capitaine, je voulais dire qu'elle était très bien, votre intervention lors de la cérémonie. Elle nous a tous beaucoup touché.
Il jeta un regard à Alban qui, plus loin, procédait à ses ablutions, méticuleux en cela comme pour tout le reste.
-Ca nous a tous beaucoup touché, aussi, que vous preniez le petit comme écuyer.

Hubert sourit, un peu embarrassé.
" C'est un bon garçon... Il ne méritait pas de se retrouver seul et Robert aurait voulu qu'il continue son apprentissage."
Il lui jeta un regard à la dérobée.
" Je crains de ne pas être aussi... recommandable que Robert, cependant... Et je n'ai plus eu de gosse à superviser depuis une éternité... J'ai entraîné les fils du seigneur de Solarcis, mais ça s'est limité au combat... Misère. Je ne dois pas trop y penser, ça va me faire peur."

L'ancien sergent lui dédia un sourire encourageant.
-Je suis sûr que vous vous en tirerez haut la main, pour cela comme pour le reste. Et au besoin, vous n'aurez aucun mal à trouver de l'aide...
Il se fit solennel.
-Vous avez dû vous rendre compte lors de notre première réunion d'état-major, aujourd'hui, mais au cas où... On est tous avec vous, mon capitaine. Vous pouvez être assuré de notre entier soutien, dans tous les domaines.

" C'est gentil, Edgar, ça me touche beaucoup, mais..."
Il pinça les lèvres.
" J'ai besoin de croire que vous cesserez de me suivre si je me fourvoie. Je sais que l'obéissance est nécessaire, dans une hiérarchie militaire, et il est possible que le sens de mes ordres ne soit pas toujours évident au premier abord... Mais en même temps... Je ne mens pas en disant que je n'ai pas l'habitude de cette situation extrême... La dernière fois que j'ai combattu réellement, c'était il y a dix ans. J'ai besoin de votre soutien, mais aussi de vos conseils... J'espère que tu n'auras jamais peur de me faire part du fond de ta pensée."

Edgar grimaça.
-Heu... Je ne crois pas que c'est sur moi que vous devez compter en matière d'avis pertinents : n'oubliez pas que ma carrière se limite à avoir servi dans une garde urbaine, que je n'ai pas vécu de sièges ou de grandes batailles... Comment je pourrais avoir une opinion sur la question ? Et je crains qu'il y en ait beaucoup dans mon cas... Enfin, l'escorte comprend quand même quelques vétérans, et nos chevaliers ont mené quelques expéditions. Mais sincèrement, si vous voulez des conseils, c'est surtout vers Guillermo qu'il faut vous tourner.
Il sourit.
-Enfin, si vous voulez avoir les avis de tout le monde, il vous suffira de les demander. Vos désirs sont des ordres, come on dit !

Le paladin rendit son sourire à l'ancien sergent. Il se doutait qu'Edgar devait être ravi de son rôle de subordonné, en l'occurrence, et il ne pouvait le blâmer. Se retrouver à une position, quand on n'en avait pas vraiment les compétences, était coûteux en termes d'énergie tant physique que mentale. Bien sûr, certaines personnes malhonnêtes avaient l'aplomb pour se prétendre à la hauteur et peu se soucier de leurs manquements. Ce n'était pas le cas du paladin et son impression de vague imposture allait encore lui peser souvent, il le savait.
Guillermo, donc. Hubert aurait préféré ne pas dépendre d'un seul homme.
Il avait terminé de se laver, aussi se hissa-t-il sur le bord du bassin pour attraper sa pile de linge sale et entamer sa lessive.

Il lui fallut attendre un peu, car les baquets étaient pris d'assaut. Toutefois, les soldats étaient rapides et efficaces, si bien que la file d'attente ne tarda pas à avancer et qu'il put se mettre à l’œuvre. Alban s'activait à ses côtés : ses couvetures et ses tenues ordinaires furent promptement lavées, mais il s'attarda davantage lorsqu'il s'agit de s'occuper des vêtements arborant les couleurs de son défunt maître.
-Messire ? souffla le gamin, au bout d'un moment.
Embarrassé, il désigna d'un geste discret la tunique de nuit que le paladin avait laissée de côté.
-Sauf votre respect, messire, je crois qu'il faut la nettoyer aussi. Si j'ai bien compris les consignes, absolument tout le tissu doit être traité pour éliminer les parasites et éviter qu'ils se répandent.

" Je crois que je suis plus ou moins immunisé contre ça, dit le paladin avec le sourire. Mais je ne voudrais pas déroger aux consignes."
Il attrapa sa tunique et lui fit subir le même sort que le reste de ses vêtements. En quittant Solarcis, il avait pris des tenues en suffisance, mais son nouveau mode de vie les usait à une vitesse stupéfiante. Enfin... Il ne vivait plus à la cour d'un seigneur, il devait moins se soucier de son apparence. Lorgnant le feu qui brûlait dans la pièce voisine, il espéra qu'il y trouverait une couverture pour s'y enrouler. Sans doute s'étonnerait-on de sa pudeur, mais c'était un moindre mal.

-Messire, toujours sauf votre respect... murmura Alban. Je crois que vous êtes le seul à pas craindre ces bestioles. Et s'il en restait dans vos affaires, si elles allaient dans celles des autres, faudrait recommencer l'opération depuis le début. Alors déjà que je me demande un peu comment on va faire cette nuit..
Un à un, leurs compagnons gagnèrent la pièce voisine et son feu réconfortant. Le paladin et son écuyer s'apprêtaient à en faire de même lorsqu'ils tombèrent nez à nez avec un nouveau venu. Pas le premier représentant de la nouvelle vague de soldats, non.
C'était Albérich.

Le Luménien leur sourit chaleureusement.
" Est-ce qu'elle est bonne ?
— Très bonne." répondit Hubert, embarrassé, tout en rassemblant son linge trempé.
Albérich lui jeta un regard un peu circonspect, que le paladin ne parvint pas à interpréter. Mais son sourire revint rapidement.
" A mon tour d'en profiter, alors. Mais ne partez pas trop vite ! Je dois vous parler à tous les deux.
— Tous les deux ?
— Oui. Toi et Alban. Tous les deux."
Il était déjà sur le bord de l'eau et avait entrepris de retirer sa chemise. Hubert frémit.
" Alban, est-ce que tu peux juste... Hum... t'occuper de cette tunique ? Je dois... aller... Je reviens."
La pile de vêtements humides contre le ventre, il fila vers la pièce voisine et son feu. Il lui fallait une couverture. Tout de suite.

Le feu brûlait toujours aussi joyeusement, entretenu grâce aux bûches déposées non loin de lui. Tout autour se pressaient les soldats : certes, l'atmosphère était sans doute moins froide ici que dans le reste des caves, mais c'était sans commune mesure avec celle qui régnait dans les thermes.
On avait tendu des cordes à bonne hauteur, cordes sur lesquelles pendaient vêtements et couvertures fraîchement lavés.
Ces dernières étaient les seules en vue : qu'il s'agisse d'un oubli de l'intendance ou que celle-ci soit occupée à en rechercher pour les baigneurs, il n'y en avait pas de sèches à l'horizon.

***

Alban avait regardé le paladin s'éloigner avec une mine à ce point stupéfaite qu'elle en était presque comique. Il finit néanmoins par se ressaisir, par entreprendre de laver la tunique abandonnée. Pourtant, il ne tarda àas à relever les yeux vers Albérich.
-Messire ? demanda-t-il timidement. Est-ce que j'ai fait... une bêtise ?
Ajouté à l'attitude d'Hubert, le fait que le Luménien souhaite lui parler semblait l'inquiéter.

Hubert étouffa un juron et sentit la panique enfler une seconde en son sein. Puis il réalisa qu'il était à l'abri. Il suffisait qu'il réussisse à faire sécher un pantalon rapidement, ou sa tunique de nuit, et surtout qu'il contrôle ses pensées. Il songea à la neige, à la pierre froide du fort, aux cannibales, au marécage putride, essaya d'écouter à demi les conversations de ses voisins de feu, alla étendre ses vêtements là où il restait de la place, repoussant le plus loin possible toute image des thermes et de ce qui s'y trouvait.

***

Albérich terminait de se déshabiller et il descendit dans l'eau, avant de se tourner vers Alban. Il eut une légère grimace.
" Je ne pense pas que ça vienne de toi." dit-il.
Il ne comprenait pas non plus exactement ce qui venait de se passer. Hubert avait des comportements bizarres : c'est lui qui devait être possédé, pas le gosse. Mais il fut sensible à la mine inquiète d'Alban.
" Je voulais vous parler de ton programme des jours à venir. Je sais que jusqu'ici tu montais la garde deux fois par jour, mais vu le nombre de volontaires... Vu tes prérogatives, aussi... Nous allons réduire ça à une seule fois."
L'eau chaude, c'était merveilleux, il n'y avait pas à dire. Le Luménien sentit ses muscles épuisés fondre sous son action bienfaisante.
" En contrepartie, tu pourrais aller à l'école. Les classes vont reprendre et je ne crois pas qu'Hubert aura le temps de t'instruire en ces matières... Ce n'est pas non plus sa spécialité..."

La mention de l'école arracha à Alban une mine non horrifiée mais bien dépitée. Toutefois, il se garda de toute protestation, se contenta d'acquiescer et recommença à laver la tunique de son nouveau maître. Quand elle fut propre, il souhaita bon bain à Albérich, rassemblé le linge mouillé et passa dans la pièce voisine. Là, il demanda de l'aide à Hubert pour suspendre les effets trempés puis resta à ses côtés, près du feu.
Quant au paladin, il lui fallu se rendre à l'évidence : il faudrait un long moment avant que quoi que soit ne sèche, même partiellement.

Hubert surveillait nerveusement la porte qui séparait les thermes de la pièce de séchage, hésitant toujours sur la marche à suivre. Il pouvait passer un vêtement trempé, c'était sans doute le plus facile. Ensuite, il n'aurait qu'à prétexter une chose urgente à faire à l'extérieur pour justifier son rhabillage prématuré. Ce serait un mensonge, bien sûr, et les paladins ne mentent pas, mais c'était sa petite entorse aux principes : Lathandre comprenait. Compatissait, peut-être, plutôt.
" Qu'est-ce que c'est que cette mine ? demanda-t-il cependant à l'enfant. Albérich t'a mordu ?"

Le gamin parut tout à coup extraordinairement embarrassé.
-Non non, pas du tout...
Il grimaça, chercha ses mots puis secoua la tête.
-Ne vous inquiétez pas pour ça, messire. C'est moi qui suis idiot. Messire Albérich souhaite s'entretenir avec vous de mon emploi du temps, et je ferai ce que vous déciderez. Sans rechigner. D'abord parce que vous êtes mon maître et mon tuteur. Ensuite parce que je ne veux pas que vous vous tracassiez à cause de moi.

" Alban, je pensais que nous avions convenu... Non. Je t'ai demandé de me dire ce que tu avais sur le coeur... Tu me dis qu'Albérich veut me parler de ton emploi du temps, je vois ta mine dépitée, il va débarquer ici dans un instant pour reprendre cette conversation..."
Et je vais fuir en courant.
" ... et je ne sais même pas ce qui se passe dans ta tête... Apparemment, le programme qu'il t'a concocté te déplait. Mais si tu ne m'en dis rien, comment puis-je négocier avec lui ?"

-Je ne suis pas sûr qu'il faille négocier...
Il soupira.
-Comme il y a beaucoup de volontaires pour monter la garde, messire Albérich a dit que je ne le ferai plus que quatre heures par jour, ce qui n'est pas plus mal : huit heures, c'est long, je ne suis pas certain que je puisse être efficace tout du long. Ensuite, il a expliqué que je pourrais profiter de ce temps libre pour aller à l'école. Mais les autres écuyers n'y vont pas, eux...
Il coula un regard en direction de celui de Gaspard, qui se tenait à quelques mètres.
-Enfin, comme je le disais, c'est idiot. Je suis plus jeune qu'eux, il faut que j'apprenne aussi dans ces domaines et vous n'aurez pas assez de temps pour vous en occuper. En plus, Ruth sera aussi obligée d'y aller, à l'école, et elle ne sera pas contente. Si je suis avec elle, ça sera peut-être moins rude.

Hubert grimaça, embarrassé par ce qui était, indéniablement, son premier manquement. Il soupira.
" Je suis désolé, Alban. Je ne suis pas... un chevalier de bonne famille... Même si j'avais le temps... Je n'ai pas grandi dans ce monde... J'ai appris à lire et à écrire très tardivement et... Si je ne m'exprime pas trop mal, je crois, c'est autre chose quant on en vient à l'écrit... Je serais un piètre professeur de ces choses, vraiment... Je crois que les institutrices pourront te faire progresser beaucoup mieux que moi..."
Il se sentait vraiment mal à l'aise, pour le coup.
" Ou alors... Si tu trouves que c'est trop humiliant... Je pourrais demander à Albérich de vous instruire tous les deux, Ruth et toi. Est-ce que ça te paraîtrait un compromis acceptable ? Je suis sûr que c'est un excellent professeur."

Le gosse arborait à présent une mine effrayée.
-Non non, messire, surtout pas...
Il se mordit la lèvre inférieure.
-Pardon... Ne vous méprenez pas : j'aime bien messire Albérich, et je suis sûr que ce serait un excellent professeur. Mais il a déjà énormément de tâches à accomplir, tandis que les instituteurs, faire l'école, c'est leur rôle dans la Communauté. Ils n'auront donc pas vraiment de travail en plus à cause de nous.
Il essaya de sourire. Sans grand succès.
-En plus, l'une des vertus de la chevalerie, c'est l'humilité. Enfin, je dis ça, mais il n'y a pas grand chose d'humiliant à être traité comme tous les enfants de nôtre âge.

" Il y a une différence entre l'humilité et l'humiliation, murmura Hubert, ennuyé. Ecoute... Vois peut-être comment ça se passe la première fois ? Si tu as l'impression que... Attends... Et si je demandais à Gabriel ? C'est mon aide de camp. Il est censé me suppléer pour les choses qui ne sont pas de mon ressort ou dont je n'ai pas le temps de m'occuper... Alban, je tiens vraiment à ce que... ton apprentissage continue dans la même veine..."
Il relâcha sa respiration.
" Je ne peux pas te donner la même chose que Robert. Mais tu as raison. Un écuyer, c'est un écuyer. Je vais demander à Gabriel de s'occuper de vous deux."

Alban, piteux, lorgnait le bout de ses pieds. Et quand il reprit la parole, ce fut en baissant d'un ton.
-Vous savez, messire Robert n'avait pas non plus vraiment le temps de me faire l'école. Il disait que ça irait mieux une fois dans la cité mais, d'ici là... C'était un secret entre nous : il avait peur que les instituteurs lui tombent dessus s'ils l'apprenaient, déjà qu'ils n'étaient pas très contents que les écuyers aillent pas en classe... Et puis, parfois, il me donnait des consignes qui ne me plaisaient pas trop, comme quand il m'a demandé de passer le voyage dans un chariot alors que j'aurais aimé chevaucher avec lui... Mais voilà, c'était lui le maître, moi l'élève, c'était normal. Et j'avais beau bouder un peu, je n'aurais changé de place pour rien au monde.
Il releva la tête.
-Alors, vraiment, ne vous causez pas trop de souci à cause de moi. S'il vous plait. Je ferai ce que vous déciderez pour moi, et si quelque chose m'embête beaucoup, je promets que je vous le dirai. Si je ne dis rien, c'est que tout va bien.

" Ecoute, j'irai en parler avec Rebecca et Agathe, d'accord ? On verra ce qu'elles disent. Je ne leur dirai pas pour... ce qui s'est passé avant. Il n'est pas impossible qu'elles soutiennent une version alternative... J'ai l'impression que Ruth pourrait profiter de cours particuliers, déjà... Alors peut-être que si tu peux l'accompagner... Ça nous permettrait de faire d'une pierre deux coups... Ce serait moins humiliant pour elle si c'était dû à son statut d'écuyer plutôt qu'à... son niveau."
Il ne pouvait plus prendre de risques, Albérich allait surgir tôt ou tard, aussi tâta-t-il ses pantalons à la recherche du moins trempé (il les avait essorés avec soin) et entreprit de le revêtir. Il sècherait plus rapidement sur lui. Et il n'avait pas froid, de toute façon.

Alban l'observa, surpris, avant de jeter un coup d’œil à Gaspard et à son apprenti qui, eux, n'avaient rien renfilé. Puis il revient à Hubert.
-Messire ? murmura-t-il. Est-ce que, selon les normes des paladins, il est, hum... indécent de rester tout nu même pour se sécher ? Je me souviens que vous nous aviez parlé de décence, à Ruth et à moi, quand nous craignions de devoir traverser le camp sans rien sur le dos, après le recrutement des sentinelles et le bain chaud... Si c'est le cas, je peux me rhabiller moi aussi. Je tiens à respecter vos règles.

Hubert sentit qu'il avait viré à l'écarlate. Maudit gosse ! Heureusement, les flammes étaient leur seule source de lumière et elles cachaient admirablement les nuances du teint.
" Quoi ? Non ! C'est juste... Je voulais gagner du temps... pour... hum... un besoin pressant. Je ne veux pas effaroucher les gens dans les couloirs."
Misère, c'était dramatique, il était en train de raconter n'importe quoi, et il s'enfonçait, de surcroît. Albérich surgit juste à ce moment-là, ses vêtements mouillés sous le bras, dans le plus simple appareil. Il se dirigea vers eux.
" Toutes ces frusques vont prendre des heures pour sécher... Nous ne sommes pas prêts d'aller dormir."

Même si la réponse l'avait laissé perplexe, Alban n'avait pas paru devoir insisté, même avant qu'Albérich n'arrive et ne mène la conversation sur un autre thème.
-Le feu chauffe bien : peut-être certaines affaires seront-elles mettables dans une heure, avança-t-il timidement. Sinon, je suis sûr que l'intendance nous fera porter ici des couvertures et des vêtements. Elle a des réserves.
Puis il se tut, attendant qu'on en vienne aux fameux évolutions dans son emploi du temps.

Albérich était perplexe, lui aussi. Pourquoi diable Hubert avait-il remis un pantalon trempé ? Cela devait être une des sensations les plus désagréables au monde, même quand on était peu frileux. Cela collait avec ce qu'il avait pensé comprendre, que le paladin était pudique, mais alors pourquoi l'avait-il vu se balader tranquillement parmi les soldats quelques minutes plus tôt ? Etait-ce à cause de lui ? Parce qu'il n'était pas soldat, parce qu'il avait été son supérieur à Solarcis ? Ça n'avait aucun sens. Mais il décida de ne pas enquêter. Hubert était très manifestement mal à l'aise, le regard un peu vide, qui dérivait sans cesse, il ne s'agissait pas de le chercher sur ce mystère en présence de son nouvel écuyer. Albérich se souvint qu'il avait toujours l'intention d'en parler au paladin. Mais ils allaient bien ensemble, il fallait l'avouer, et Hubert ferait un bon maître. Evidemment, cela le forcerait, de son côté, à vérifier si l'enfant était présent ou pas avant de raconter n'importe quoi.
" Vous avez pu parler de l'école ?"
Hubert sursauta.
" Heu. Oui. Alban n'est pas très chaud.
— Oh ?
— Les autres écuyers n'y vont pas. Je vais discuter avec Agathe et Rebecca, voir si on ne peut pas trouver un autre arrangement...
— Elles ne vont pas te rater... Voilà que tu essaies de soustraire des enfants à leur enseignement."
Il sourit à Alban.
" Je peux essayer de comprendre la question du statut..."
Il avait du mal avec ces prérogatives de jeunes chevaliers, mais ce n'était pas le moment d'ennuyer Alban avec la question des privilèges.
" ... mais il reste qu'apprendre à lire, écrire, l'histoire, la géographie, les mythes... On ne peut pas vraiment faire l'impasse dessus. Même si on se voue à une carrière militaire.
— C'est pour ça que je pensais demander à Gabriel de les instruire quelques heures par jour."
Albérich resta muet de stupeur.
" A Gabriel ?
— Il est clerc et c'est mon aide de camp. Normalement, c'est moi qui devrais m'en charger, mais voilà..."
Le Luménien ne parvint pas à trouver quoi répondre. Il ne parvint pas non plus à bien comprendre pourquoi la mention du jeune Lathandrite le choquait de la sorte. Ou plutôt il ne voulait pas le comprendre.
" Et Ruth a besoin d'un peu de tutorat personnalisé."
Albérich acquiesça, esquissant un sourire.
" Bien sûr.
— Bref, je leur en parlerai. Le message est passé." ajouta Hubert, une main sur l'épaule d'Alban.

Lequel ne semblait manifestement pas savoir où se mettre. Sans doute regrettait-il de ne pas avoir su cacher son mécontentement. Sans doute, aussi, était-il embarrassé d'être à l'origine d'une négociation entre les deux amis.
-Si les institutrices sont trop en colère, on peut aussi aller à l'école normalement et moi essayer de filer un coup de main à Ruth, souffla-t-il. En plus, même si messire Gabriel aime bien s'occuper des enfants, il doit avoir beaucoup à faire avec ses nouvelles fonctions d'aide de camp...
Et il redevint silencieux. Peut-être craignait-il que la discussion comporte d'autres points dont il n'était pas encore au courant.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée