La Couronne de Cuivre

-Hum, la dernière personne à lui avoir suggéré de se reposer ayant regretté son initiative, j'éviterais de le faire si j'étais toi. Mais oui, je l'ai vu, il est venu de temps à autre ici s'assurer que les groupes étaient bien arrivés. J'imagine qu'il supervise actuellement le déplacement des derniers réfugiés, qu'il s'assure que toutes les maisons sont vides... L'idée était d'avoir amené tout le monde ici avant le lever du jour... Bref, il ne devrait pas tarder à montrer le bout de son nez.

" Je n'ai pas peur des foudres de Thibault. Mais je ne peux pas l'attendre, je dois aller prier, sinon je vais me retrouver démuni pour la journée." dit le Luménien.
Il jeta à nouveau un coup d'oeil vers l'extérieur.
" Bon, nous nous retrouverons plus tard. Pense à te reposer, toi aussi. La colère ne confère qu'une énergie factice."
Il pressa l'épaule de la jeune femme puis retourna vers l'intérieur de la bâtisse. Le soleil ne tarderait plus à surgir, il n'avait pas le temps de chercher les entorses et les égratignures. Il regagna la chambre où ses compagnons dormaient encore. Il s’agenouilla près d’Hubert et le secoua doucement. Le paladin grommela, tenta de se retourner, puis ouvrit les yeux. Pendant un instant, il sourit, un peu vaseux, puis un pli barra son front et le Luménien devina qu’il venait de reprendre pied dans la réalité.
« C’est l’aube. Viens. » murmura simplement le clerc.
Hubert acquiesça et se leva. Albérich lui rendit sa chemise et récupéra sa tunique et son manteau, puis ils quittèrent la petite chambre et traversèrent la vaste pièce voisine. Le regard du paladin courait sur les colons amassés, son visage figé par l’affliction, mais il ne dit absolument rien, se laissant guider par le clerc. Ils atteignirent une petite pièce dont la fenêtre principale s’ouvrait vers l’est et Albérich écarta les mains pour saluer le soleil invisible. Hubert, comme toujours, mit un genou en terre, y posa les coudes, puis son front sur ses poings. Rapidement, leurs murmures envahirent la chambrette, et leur dieu vint à leur rencontre, les emplissant de l’énergie du jour nouveau. Ils en avaient l’un et l’autre besoin plus que de coutume et ils s’y abreuvèrent comme des enfants assoiffés.
Enfin, ils émergèrent de concert.
Albérich se sentait rayonner, et il fut soulagé de constater qu’Hubert avait repris quelques couleurs. Le paladin pinça les lèvres et esquissa un sourire. Avant de quitter leur chapelle improvisée, ils s’étreignirent un moment.
« Qu’est-ce que nous allons faire ? finit par demander Hubert.
— Je ne sais pas, répondit Albérich. D’abord parer au plus pressé, je suppose. »
Son ami hocha la tête.
" J'imagine que c'est déjà un début."
Albérich lui pressa l'épaule et ensemble, ils retournèrent vers la communauté.

Presque rien n'avait changé en leur absence.
Peut-être certains gardes ou guetteurs avaient-ils changé, aux portes et aux fenêtres.
Peut-être davantage de colons étaient-ils réveillés.
Hormis cela... Toujours la même torpeur, toujours le même abattement.
La fatigue devait jouer, aussi : la plupart de leurs compagnons n'avaient pu dormir au mieux que quelques heures...

" Que faisons-nous ?" demanda Hubert.
Albérich jeta un regard circulaire sur la pièce.
" Toi, tu vas essayer d'évaluer ce que tu as comme soldats et éclaireurs encore valides, plus le temps qu'il leur faudra pour être opérationnels. Vous allez devoir nous dégager les tunnels. Agathe peut t'aider, elle a une liste des personnes qui sont venues se réfugier ici. Tu la trouveras aux portes principales. Je vais vous envoyer Alban avec le recensement pour qu'il t'épaule. Je garde Ruth un moment.
— Ruth ?
— Oui. Bon... Il faut d'abord que je trouve quelqu'un pour prendre l'organisation du petit déjeuner en charge. Allez, au boulot."
Hubert l'observait avec circonspection.
" Nous aurons nos grandes discussions quand nous serons en sécurité. Pour l'instant, nous fuyons toujours."
Le paladin finit par opiner du chef et se diriger vers la sortie, tandis que le clerc cherchait un intendant de fortune parmi les colons les plus réveillés.

Il trouva sans mal une femme qui avait fait partie de l'équipe d'intendance quand il dirigeait encore celle-ci et, quoique manifestement éprouvée - qui ne l'était pas ? - elle accepta de l'aider. Plutôt deux fois qu'une, d'ailleurs, comme si elle n'aspirait qu'à s'occuper, qu'à se voir confier une tâche, un but.
De son côté, Hubert fut chaleureusement accueilli par Agathe qui, loin de son humour coutumier, s'empressa de lui donner les informations dont il avait besoin : Gaspard et Edgar étaient à la caserne, de même que Ted et un autre sous-officiers; les avaient également rejoints une douzaine de gardes et huit ou neuf des éclaireurs jusqu'alors aux ordres d’Ézéchiel, duquel on était toujours sans nouvelles.

Une fois assuré qu'une petite équipe se constituerait pour servir à manger aux colons au fur et à mesure de leur éveil, Albérich regagna la chambre. Il rechignait à réveiller les enfants mais il avait besoin de leur aide, aussi s'approcha-t-il doucement de Ruth et Alban. Il hésita puis renonça dans l'immédiat et préféra se rabattre sur le sac de Giovanni. Comme il ne voulait pas non plus déranger le barde, il décida de l'ouvrir sans s'appesantir sur son contenu. Il cherchait le recensement et la carte, rien d'autre.

-Nous sommes tels les dragons : nul ne vole impunément le trésor d'un barde endormi.
Cette déclaration semblait confirmée par les faits : Albérich n'avait pas fait le moindre bruit et, il n'y avait encore qu'un instant, le Sunite paraissait dormir profondément.
-Tu cherchais quelque chose en particulier ? fit le Sunite en se redressant.
Il avait trouvé ce qu'il cherchait, en réalité : le recensement détonnait assez au milieu du fatras de bijoux magiques...

" A ne pas te réveiller, surtout." dit Albérich avec un sourire.
Il s'assit sur ses talons.
" Je cherche le recensement... qui est là... et la carte que nous avions dressée depuis les hauteurs de la forteresse. Tu as pu la récupérer ?"

-Oui, ça doit être en dessous, avec le reste...
Il grimaça, se massa le dos.
-Mon empire pour un lit de plumes : ce sol est d'un inconfortable... gémit-il. Hum, mais donc, il y a cette carte-là, ainsi que celle qui montre les progrès des explorations sur la rue menant aux portes nord... Il y a aussi les inventaires et autres documents du même genre... J'ai vraiment essayé de tout rafler, et c'est en courant comme ça de droite à gauche que j'ai écopé de la bande des affreux. J'étais content du voyage, crois-moi !

" Tu as fait des merveilles, comme souvent." dit le Luménien en récupérant la carte en question.
Il jeta un oeil vers les enfants endormis.
" Et ils ont fait des merveilles, eux aussi."
Il se releva.
" Bon. Je vais porter le recensement à Agathe. Ensuite... Je pense que je serai contraint de réveiller Ruth, notre élue de Tymora."

-Non, pitié ! Si tu la réveilles elle, tu réveilleras toute la bande du même coup et mon calvaire recommencera...
Soupir théâtral.
-Enfin, ce qui doit être fait... doit être fait.
L'instant suivant, il souriait.
-Et n'oublie pas de me donner du boulot, d'accord ? Je ne suis pas certain d'être très.... adapté à notre nouvelle cituation, mais ça n'est pas pour autant que je ne vais pas me retrousser les manches.

Albérich lui sourit.
" Les bardes sont polyvalents... Tu t'en sortiras très bien."
Il allait sortir quand il se retourna.
" Cela dit, une fois que tu es d'attaque, si tu savais inventorier ce que tu as embarqué dans le trésor... Ce serait déjà ça de fait..."
Puis, saluant le barde, il retourna dans la grande salle.

Celle-ci était à peine plus animée que précédemment. Albérich entendit que l'on s'activait dans une pièce adjacente, sans doute pour préparer une manière de petit-déjeuner - froid, puisque le combustible manquait - mais si l'on s'était mis à l'écart, c'était pour respecter le sommeil de ceux qui dormaient encore et... il y en avait beaucoup.
Agathe ne prit l'inventaire qu'avec réticence, comme si elle craignait qu'il lui brûle les mains.
-Je pense que tout le monde est arrivé, dit-elle. Je vais quand même attendre encore un peu puis... Je ferai le bilan avec Philibert et Rebecca.

Albérich comprenait les réticences de l'institutrice, mais il savait qu'elle ferait face. Il n'ajouta rien à ce sujet. Les mots ne changeraient rien à la réalité : il y avait de nombreux prisonniers à la forteresse, de nombreux rescapés dans la caserne, et des morts, aussi. Plus, sans doute, que dans toutes les autres péripéties de leur voyage mises ensemble.
Un frisson le surprit.
" Est-ce que vous avez vu Gabriel ?"

Agathe secoua la tête.
-Pas encore, malheureusement.
Elle jeta un regard à l'extérieur.
-On a trouvé une bonne partie de ses ouailles dans une maison bordant la rue... A en croire ceux qui parlent le mieux le commun, il s'est lancé aux trousses de quelques fuyards.

Albérich soupira. C'était trop bête. Gabriel aurait été un atout pour le groupe, sa bonne humeur en toute occasion était un brise-misère des plus efficaces. Et mine de rien, l'ancien aubemestre s'en sentait presque responsable. Il était sûrement vivant, mais où ? Il faudrait se charger de lui, mais ce n'était malheureusement pas la priorité numéro un.
" Est-ce que ça veut dire qu'il a aussi libéré les trois... esprits noirs ? Ils sont ici ?"

-Je ne sais s'ils les a libérés ou non. En revanche, ce que je sais, c'est qu'ils n'étaient pas dans la maison et qu'ils ne sont donc pas ici.
Elle sourit.
-Contrairement au reste de la bande, donc. Une vraie petite troupe bien disciplinée et bien équipée, puisque Gabriel a veillé à ce qu'elle prenne toutes les couvertures et toutes les frusques que nous avions mis à sa disposition. Il va y avoir des jaloux !

" Et il va y avoir de la redistribution en fonction des besoins." dit le clerc.
Le fait que Gabriel ait réussi à sortir autant d'enfants de la forteresse, en pleine débandade, était à peine croyable. Comment avait-il trouvé le temps de les équiper, de surcroît ? Ce garçon avait de la ressource, on ne pouvait pas le nier.
" Et Thibault ? Il a fait sa réapparition ?"

-Oui, il est revenu avec le dernier groupe. Et reparti aussitôt, pour faire le guet à l'extérieur, histoire de repérer d'éventuels retardataires et de les guider ici.
Agathe haussa les épaules, l'air de dire : "Je n'ai même pas essayé de l'en empêcher".
-Oh, et tant que j'y suis... Ingrid est là. De même que la mère de Pelleas et Galaad. Dis-le à la petite bande, je crois qu'elles apprécieraient que leurs rejetons pensent à venir... je ne sais pas, leur faire un signe.

" J'y comptais bien mais ils dorment encore... Je n'ai pas eu le coeur de les réveiller."
Il sourit, trouvant un certain réconfort dans l'idée que certaines familles allaient pouvoir se retrouver.
" Je vais me mettre en quête de Thibault... Quand vous aurez fait le point sur les personnes présentes, venez me trouver. Je serai sûrement de retour à l'intérieur. Nous devons organiser notre déménagement au plus vite."

Thibault n'était pas bien loin.
Il était debout dans la rue. Parfaitement immobile, il faisait face à l'est.
A ses pieds, un caillou illuminé et un petit miroir.
Le Sunite priait... avec les moyens du bord.

Albérich se garda bien de le déranger. Il le trouvait cependant très exposé, seul à l'air libre, perdu dans ses prières. Il aurait de loin préféré que le Sunite se trouve un coin dans la caserne, à l'abri. Mais il sentait que ses relations avec Thibault allaient être complexes dans les jours à venir. Il n'avait rien oublié des paroles dures qu'il lui avait assénées la veille, de son désir de rester en arrière alors même qu'il leur était possible de fuir, de sa détresse et de sa fureur. Mais il avait besoin de lui. En tant qu'ami et en tant que clerc. Il faudrait qu'il le ménage et qu'il supporte ses humeurs sans broncher.
Il préféra battre en retraite à l'intérieur et retourner à son plan initial : réveiller les enfants, les envoyer voir leur mère, puis réquisitionner Ruth.

Le quatuor ne dormait plus. Plus du tout.
Parfaitement éveillé et, semblait-il, débordant d'énergie, il secondait un Giovanni stoïque dans l'inventaire des objets magiques.
Ruth et les jumeaux parurent fort soulagés quand Albérich leur annonça que leurs mères respectives étaient ici et ils ne se firent pas prier pour détaler les rejoindre. Cependant, ils ne partirent pas sans avoir lancé au barde un "A tout de suite !" qui lui arracha un soupir de condamné à mort.
Ne resta qu'Alban qui, consciencieux, poursuivit son travail comme si de rien n'était.

Albérich ressentit un pincement au coeur en voyant Alban demeurer seul en arrière, appliqué et stoïque. Il hésita une seconde puis se lança.
" Alban, je pense qu'il pourrait être bien, compte tenu des circonstances, que tu... restes un peu davantage avec Hubert. Il va avoir beaucoup de choses à organiser et je crois que tu pourrais le seconder efficacement..."
C'était une manoeuvre un peu traître mais le Luménien savait que la présence du petit garçon rappellerait à son ami la raison pour laquelle il devait tenir le coup et aller de l'avant. Secoué comme il l'était, Hubert avait besoin d'être ancré dans l'instant et la nécessité.

Le gosse bondit sur ses pieds.
-Bien sûr, monseigneur. Je rejoins messire Hubert dans l'instant.
Il se tourna vers Giovanni.
-Messire, je suis désolé de vous ab...
-Sois désolé de continuer à me vouvoyer, non d'aller rejoindre ton maître ! Allez, file, Alban, tu as ma bénédiction.
L'écuyer détala. L'instant suivant, le barde souriait de toutes ses dents.
-Que dirais-tu de créer un mur de pierre pour isoler cette pièce, afin que nous puissions finir l'inventaire tranquilles ?

" J'aimerais beaucoup te rendre ce service mais je crains de devoir réserver ce genre de tour de passe-passe pour un moment plus... critique. De mon point de vue, cela s'entend. Mais si les gamins te dérangent, je peux les envoyer aider à l'intendance... Ils y seraient sans doute utiles et je n'ai vraiment pas envie que tu sois sur les nerfs."
Il déplia la carte sur le sol tout en parlant, avant de relever les yeux.
" Est-ce que tu penses que je devrais faire une sorte de... déclaration ? Un discours, quelque chose comme ça ?"

-Alors là... Pour être franc, je n'ai même pas encore bougé d'ici, pour terminer l'inventaire au plus vite. Je ne sais donc rien de l'état d'esprit des autres... Mais s'ils sont comme moi, je pense qu'ils ont besoin... d'être réconfortés. Et remobilisés. Nous avons échappé aux Ithiliens, d'accord, mais que faisons-nous maintenant ? Quel but poursuivons-nous ? Quelles sont les prochaines étapes dudit but ? Bref, je pense qu'il faut fixer un cap et pour cela... Sans doute un discours est-il recommandé, à moins que tu ne préfères faire ça de manière plus individualisée, en allant trouver les gens séparément...

Albérich eut un sourire contraint.
" La tâche serait plus facile si j'avais la moindre idée du but en question... Pour l'heure, il me semble urgent de nous trouver un pied à terre mieux protégé. Les Ithiliens nous cherchent peut-être déjà et Lothar risque de songer à cet endroit quand ils réaliseront que nous ne sommes dans aucune des maisons de la rue principale... Une fois que nous serons en sécurité, nous pourrons commencer à réfléchir à la suite. Je ne vais certainement pas me fendre d'un discours à ce sujet avant d'avoir pu mettre de l'ordre dans mes propres idées."

-Et bien voilà, parle de ce lieu sûr que nous allons chercher, trouver, sécuriser et rejoindre. En ce qui me concerne, je trouve que c'est un premier objectif très réconfortant.
Il sourit.
-Je serais juste très reconnaissant au Conseil si ce lieu, outre être sûr, s'avérait également chaud et doté de l'eau courante.

" Oui. Je ferai ça dès que nous aurons déterminé où nous allons, dit-il, à nouveau penché sur la carte. Je devrais déjà envoyer Hubert et son équipe nous sécuriser le niveau inférieur. Les gens y seraient mieux que dans les courants d'air du rez de chaussée..."
Il jeta un oeil vers la porte, espérant que Ruth ne tarderait plus à revenir.
" Mais certains dorment encore et le soleil est à peine levé. Nous aurons besoin d'énergie, autant ne rien brusquer."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue