La Couronne de Cuivre

Taliesin se demanda si on leur avait prêté les montures ou s'ils s'étaient trouvé un travail assez rémunérateur pour se les offrir. Quoi qu'il en soit, et même s'il était ravi de les revoir, il laissa leur père et leurs frères prendre les defants afin que la famille Merlu puisse profiter tranquillement de ces retrouvailles. Et, en attendant de pouvoir les saluer à son tour, il rajouta du bois dans le feu et alla en cuisine leur préparer quelque chose de chaud à boire : ils devaient être gelés, après leur chevauchée.

L'initiative était bienvenue et les deux aînés entrèrent rapidement dans la ferme, transis et ravis. Ils saluèrent le barde et le restant de la maisonnée, s'installèrent près du feu, tandis que Guillhem prenait place à leurs côtés. Galathée était sortie avec Victor pour rentrer les chevaux et la mule. Antoine et Mathilde semblaient l'un et l'autre parfaitement heureux de leur vie luménienne, et ils décrivirent combien l'hiver était plus discret en ville, ne paralysant en rien les déplacements et les activités, même si chacun se munissait de plusieurs couches épaisses de vêtements avant de sortir. Ils ne vivaient plus ni l'un ni l'autre à la maison de l'impasse de l'Orme Creux, déjà, ayant chacun intégré la maisonnée de leurs employeurs. Ils étaient pleins d'énergie et de bonne humeur, ce qui sembla grandement rasséréner Guillhem.

Il était heureux pour les deux Merlus : même s'ils n'en étaient qu'à leur premier emploi, même s'ils pourraient être amenés à en changer pour une raison ou pour une autre, c'était bien que les choses aient évolué si vite et si positivement pour eux. Cela montrait également que Luménis offrait de belles opportunités aux jeunes gens entreprenants. De surcroit, il était content pour Guilhem : bien sûr, depuis le temps, il s'était fait à l'idée du départ de ses aînés, mais constater que tout allait pour le mieux... Le barde comprenait à quel point ce devait être réconfortant.

Antoine et Mathilde avaient ramené des vêtements, des livres et des victuailles de la ville, ainsi que des cadeaux qu'ils escomptaient garder secrets jusqu'au jour de l'an. Les enfants étaient curieux et excités, mais ils comprirent rapidement qu'il ne servait à rien de chercher à savoir : ils recevraient leur présent en temps et en heure. Il y eut une discussion sur le coucher, car les chambres des aînés avaient désormais été réquisitionnées par Callie et les bébés, mais les choses s'arrangèrent aisément : Antoine trouva refuge dans la chambre de son père, tandis que Callie et Mathilde partageraient la leur. Les deux jeunes femmes, proches en âge, semblèrent se lier instantanément. Taliesin apprit qu'Eliott ferait son apparition quelques jours plus tard, sous un statut un peu différent du précédent. Il fallait nourrir tout ce beau monde, aussi une équipe rallia-t-elle rapidement les fourneaux. La maisonnée semblait s'éveiller sous sa gangue de neige, avec l'arrivée des visiteurs.

Revoir Elliot ne le dérangeait en rien. Au fil des mois, il avait appris a apprécier le jeune homme et désormais, il n'y aurait même plus la gêne liée à leurs position respective - l'un étant le prisonnier, l'autre son gardien. Il espérait d'ailleurs que cela aiderait l'agent secret à être moins embarrassé en sa présence... Enfin, il verrait bien ! Dans l'immédiat, il y avait du travail et, gagné par l'afflux d'énergie qu'avait provoqué l'arrivée de Mathilde et d'Antoine, il en prit sa part avec entrain.

Galathée coinça Taliesin le lendemain, alors qu'il effectuait la vaisselle du petit déjeuner. Le retour de Mathilde et d'Antoine se faisait à peine sentir car les deux jeunes gens veillaient à donner un coup de main dans la ferme, même si leur père le leur avait formellement interdit (ils étaient en vacances !).
" Il semblerait qu'il soit traditionnel de s'offrir des cadeaux, à cette période de l'année, dit la rôdeuse. Je pense qu'il serait bon que nous commencions à y réfléchir... Je m'étais dit qu'il serait peut-être utile que nous y travaillions en équipe..."

-Que nous travaillions en équipe ? s'enquit-il. Tu songeais à fabriquer quelque chose ?
Il avait déjà réfléchi à la question et s'était dit que Galathée pourrait prendre prétexte d'une longue chasse pour aller passer quelques heures à Luménis et y acheter des cadeaux. Quoi ? Un livre pour Baptiste, par exemple. Pour l'heure, c'était sa seule idée valable. Et bien évidemment, il pensait à ce qu'il pourrait offrir à sa compagne. Vu l'impossibilité dans laquelle il était de quitter la ferme, sans doute lui dédierait-il une composition dont la nature restait encore à définir.

" Non ! Grands dieux ! Mais je me disais que ce serait plus simple si nous offrions ensemble quelque chose à chaque personne... Vu que tu n'es pas aussi mobile que tu pourrais le vouloir... et que je manque d'idées lumineuses... Je serais les jambes, et tu serais la tête."
Elle lui sourit.
" Bon, je ne suis pas certaine qu'il faut que nous nous creusions trop les méninges pour les enfants Merlus, et tout ça... mais quand même. Ce serait un peu dommage que nous arrivions les mains vides alors que je sais que même les plus jeunes préparent quelque chose..."

[color=#FFF66]-Bien sûr.[/color]
Il garda le silence quelques instants, concentré.
-Bon, s'il s'avère trop difficile de trouver un petit quelque chose pour chacun des enfants de Guilhem, on pourrait opter pour des cadeaux collectifs, comme... des jeux de société où ils pourraient jouer tous ensemble. Il faudra aussi songer à leur père et, évidemment, à nos propres enfants. Hum, on devrait faire des listes.

Galathée lui sourit.
" Tu as une si belle plume ! Et plein de parchemins ! Tu vas réussir à nous faire ça ! Moi je risque d'offrir des peaux de bête à tout le monde, ce ne serait pas sérieux. Je veux dire... une jolie pelisse, ça peut passer pour Mathilde... mais les autres auront l'air de barbares."

Il rit.
-Justement, ils seraient ravis : les gosses, ça adore se déguiser, non ? En plus, ils ont déjà l'air d'une tribu de petits barbares, quand ils sont déchaînés, et Victor veut même embrasser cette carrière...
Il retrouva un semblant de sérieux.
-Mais on va se creuser les méninges et trouver un chouette petit quelque chose pour chacun. Ensuite, il te faudra faire une discrète excursion à Luménis...

" Ce n'est pas un souci, mais le temps presse... Il ne nous reste que quelques jours, et je suis supposée m'occuper de la chasse pour le festin... J'aimerais pouvoir me rendre à Luménis demain ou après-demain, alors si tu as des idées... Il ne faut vraiment pas hésiter. Mais nous en reparlerons plus tard. Je dois aller voir deux brebis qui boitent. On se retrouve à midi."
Elle le gratifia d'un baiser sur la tempe, puis sortit dans le couloir. Quelques secondes plus tard, il entendait la porte donnant vers l'extérieur se refermer.

Savoir quoi offrir à chacun des membres de la maisonnée ne serait pas évident, loin s'en fallait. Néanmoins, en tout cas concernant les enfants, il suffirait sans doute de tendre l'oreille : ils savaient qu'ils recevraient des cadeaux et se perdraient sans doute en conjectures, voire évoqueraient tout bonnement ce qu'ils aimeraient avoir... Il avait donc l'intention de passer un maximum de temps avec eux et de rester particulièrement attentif - sans en donner l'impression, évidemment. Quant aux adultes... Bah, il finirait bien par trouver et, au pire, il poserait quelques questions à la marmaille...

A force d'écouter et d'espionner, Taliesin finit par trouver des idées faciles pour la plupart des enfants, en fonction de leurs intérêts. Un bateau de bois pour Mathieu, histoire de suppléer à ses frégates imaginaires, un livre de magie basique pour Robin qui était de plus en plus certain de sa vocation, une flûte pour Benoît, un arc pour Jehan, ce n'était finalement pas très difficile... La question demeurait plus épineuse pour Victor et Baptiste, et Galathée lui confia la tâche de trouver de bonnes idées. Elle se chargerait de compléter la liste pour les Merlus et de trouver une idée pour Guillhem.

Elle lui laissait le plus difficile mais... c'était de bonne guerre.
Baptiste adorait lire et cuisiner. Il aurait donc été simple de combiner ses deux passions en lui offrant un recueil de recettes. Cependant, c'était un peu trop évident et, surtout, Taliesin n'avait pas envie d'opter pour un cadeau trop "sage" ou qui puisse paraître utilitaire. Alors pourquoi pas un guide d'initiation à l'alchimie ? Après tout, il était là aussi question d'accommoder diverses substances et il était possible de réaliser d'intéressantes expériences avec des produits de tous les jours. Cela pourrait amuser le gamin et, au minimum, cela lui apprendrait des choses. Or, il aimait apprendre.
Ne restait donc que Victor.
Des deux garçons, c'était celui qu'il connaissait depuis le plus longtemps et, pourtant, il n'était pas certain d'avoir une idée précise de ses goûts. Il faut dire que, des mois durant, leur quotidien n'avait pas exactement été ordinaire. Et depuis qu'ils étaient tous réunis à la ferme, il n'avait rien noté de vraiment marquant, hormis que le gosse aimait bouger, se dépenser, qu'il endossait naturellement le rôle de meneur. Bon, Baptiste lui avait bien révélé qu'il souhaitait devenir barde mais... Victor liu-même ne lui en ayant jamais parlé, il valait mieux éviter, par exemple, un instrument de musique. L'elfe se souvenait également qu'à Loth Imarhil, l'enfant aurait bien acheté une peluche pour son propre compte. Néanmoins, sans doute se jugerait-il trop vieux, aujourd'hui. Restait cette histoire d'objet permettant de voir dans le noir : on ne savait jamais, cela pouvait être accessible, financièrement. Sinon, une babiole dotée d'un petit pouvoir magique était susceptible de lui plaire. De surcroit, elle équilibrerait les choses : Baptiste n'hésiterait alors plus à montrer son crâne de faucon. Et si rien n'était dans leurs moyens, pourquoi pas une statuette de dragon ? La rencontre avec Mélie avait été l'un des rares épisodes lumineux de leur périple de l'hiver dernier, le petit Desmoulins en avait été très marqué, en gardait un excellent souvenir, et ce serait un moyen de symboliser ce qu'ils avaient traversé ensemble...

Galathée écouta les suggestions de Taliesin, à la nuit noire, et décida de se mettre en route le lendemain. Mais il fallait aussi réfléchir aux décorations de saison, et le barde devait absolument penser à l'ambiance musicale, même si on ne lui demanderait pas de jouer de la musique pendant que les autres s'amuseraient. Il était probable que Guillhem invite Dame Meredith, et il faudrait faire du vin chaud pour les gardes à l'extérieur. Les réjouissances de fin d'année duraient trois jours, à la mode de la région dont était originaire le fermier, mais chacun pouvait y glisser les traditions de son choix, car leur festin refléterait la diversité de leur famille improvisée.

Taliesin, qui avait par le passé visité bien des contrées, appris bien des traditions, s'apprêtait à les évoquer surtout via des chants et des comtes : le rôle des bardes n'était-il pas de faire voyager son public sans qu'il ait à se déplacer ? Néanmoins, il ne se priva pas d'en exposer quelques-unes qui pourraient être appliquées si les autres le souhaitaient : en plus des incontournables décorations à base de gui, de houx et de bougies, il expliqua qu'on pouvait ajouter un sapin bien vivant, comme dans son enfance ; il parla, aussi, de l'énorme bûche que certains peuples avaient l'habitude de placer dans la cheminée... Et tout en participant volontiers aux préparatifs, il veilla à se ménager des moments pour préparer le cadeau destiné à sa compagne. Il s'agissait d'une chanson évoquant les moments lumineux qui avaient marqué les débuts de leur relation : leur rencontre au cours d'une mission effectuée de concert pour les autorités manostiennes ; leur discussions paisible sur la promenade du port de la cité bénie ; leur vie à l'orée de la Lorien, tandis qu'ils apprenaient à vraiment se connaître... Pour ne pas trop embarrasser la rôdeuse, il veilla à ne nommer personne et écrivit un texte tout en retenue, privilégiant la sincérité aux grands élans lyriques. Un texte empreint de poésie, cependant, et surtout des plus sincères pour lequel il essaya de donner le meilleur de lui-même.

De son côté, Galathée s'absenta près d'une journée. Pour faire bonne mesure, quand elle reparut en début de soirée, elle avait ramené six lièvres, une biche et deux faisans. Par contre, elle semblait n'avoir aucun paquet, mais elle rassura Taliesin en lui glissant qu'elle avait suspecté qu'elle serait accueillie (ce qui avait été le cas) et qu'elle avait tout laissé aux gardes en faction, avec l'idée d'aller récupérer ses trouvailles à la première occasion discrète, de nuit, probablement.
Elle refusa qu'il s'en charge, cependant, car elle ne voulait pas qu'il voit ce qu'elle avait déniché... pour lui.

Espiègle, il commença par jouer les étonnés - "Quoi ? On va s'offrir des cadeaux, nous aussi ?" - puis laissa entendre qu'il n'aurait peut-être pas la force de résister à sa dévorante curiosité. Mais s'il était effectivement très curieux - on ne se refait pas -, il n'était pas du genre à gâcher des surprises et, retrouvant son sérieux, il la remercia pour son expédition et pour le gibier qu'elle avait ramené. Ils étaient presque parés, en matière de nourriture : pour les repas ne manquerait plus guère qu'une oie ou une dinde. Toutefois, il serait aisé d'en acheter auprès de leurs voisins.

L'idée d'une dinde, que proposa Taliesin, parut particulièrement exotique au reste de la maisonnée. Pour Guillhem et ses enfants, il paraissait clair qu'il fallait manger du boudin noir avec des pommes, à cette occasion, tandis que Galathée ne jurait que par la chèvre farcie aux noisettes et chou frisé. Les Luméniens, eux, ne pouvaient imaginer ces réjouissances sans homards et sauce au cresson. Après bien des palabres, ils convinrent que, comme ils étaient nombreux, ils pouvaient très bien préparer les quatre mets. Chacun serait responsable de son plat traditionnel, et ils se promirent de s'abstenir de tout concours. La salle à manger, un peu étriquée vu le nombre qu'ils étaient, était pleine de décorations diverses, du sapin de Taliesin à l'épouvantail de Guillhem en passant par la bûche sculptée de Galathée et le soleil peint de Victor. Il fallait être d'humeur multiculturelle, mais ils l'étaient.

Taliesin en était tout particulièrement ravi. Issu d'une cité où avaient coexisté maints peuples, ayant passé sa vie à voyager de l'un à l'autre, ce brassage de cultures lui convenait d'autant mieux qu'il lui semblait symboliser à merveille leur famille,crée au fil du temps, des hasards, des rencontres... C'est donc avec un allant nourri par l'excitation ambiante qu'il officia en cuisine, qu'il continua à aider aux préparatifs et que, à l'éca et en sourdine, il répéta ce qu'il interpréterait dans les jours à venir. Dans les jours qu'il attendait d'ailleurs avec une impatience croissante, comme tout un chacun.

Ce fut le retour d'Eliott qui marqua le début des réjouissances. Il parut au petit matin du deuxième jour avant la fin de l'année, chargé de paquets et transportant six gros homards encore vivants et de très mauvaise humeur. Les bestioles furent installées dans un grand tonneau d'eau froide et les enfants débattirent un moment de la possibilité de les acclimater dans la mare, avant que Galathée leur rappelle qu'ils vivaient dans la mer et ne survivraient pas longtemps dans la fange de leur nid à têtards. De leur côté, le jeune homme et Mathilde se retrouvèrent avec retenue mais une affection manifeste : si Guillhem avait nourri quelque espoir de les séparer, il pouvait oublier. Une nouvelle connivence transparaissait d'ailleurs dans les rapports des jeunes gens : ils s'étaient probablement fréquentés en toute liberté à Luménis. Les enfants tentèrent d'enquêter mais leur source d'informations, Antoine, ne lâcha pas la moindre information.
La cuisine fut alors prise d'assaut. Trop petite pour accueillir dix cuisiniers en même temps, il fallut établir des roulements. On tira le plat de la nuit de l'an au hasard, et ce sont les homards qui l'emportèrent. Galathée décida de commencer par la chèvre, pour ce premier soir, et elle ne garda que Baptiste et Félix avec elle, virant le reste du groupe dans la salle à manger où s'organisa presque aussitôt le traditionnel jeu de mimes qu'on pratiquait apparemment dans le nord d'Hélonna.

HRP : c'est le moment de te laisser aller à tes envies de scènes de saison...

L'elfe participa volontiers audit jeu - il aimait beaucoup cette période où même les adultes n'étaient pas tenus d'être sérieux - mais, dans l'immédiat, se garda bien de proposer quoi que ce soit d'autre. Ce n'était pas parce qu'il était barde qu'il devait influencer les réjouissances, voire les prendre en main. Non, il fallait que chacun puisse apporter sa pierre à l'édifice, proposer ce qui lui plaisait, ce qui lui tenait à cœur... Pour autant, il n'allait pas non plus se mettre en retrait, guetterait les occasions propices où placer un conte, une distraction particulière.

Les journées étaient devenues épouvantablement courtes et la nuit tomba alors qu'ils profitaient toujours de la chaleur de la salle à manger. Une fois les couverts et la vaisselle posés dans un coin, une fois la nappe déployée, il ne leur restait plus qu'à attendre et se détendre. Elliot avait apporté un jeu d'Hermines de la ville et il se proposa d'initier les enfants Merlus qui ne le connaissaient pas. Victor y avait déjà joué, mais il n'était pas très intéressé et préféra affronter Guillhem, Jehan et Mathieu aux cartes, dans une variante de l'Hydre Rouge à Huit Têtes qui semblait gagner en nouvelles règles à chaque seconde. Baptiste, par contre, proposa finalement à Elliot de l'affronter dans une véritable partie. Taliesin, quant à lui, fut mis à contribution par Mathilde et Callie, qui voulaient s'assurer que tout le monde connaissait les mêmes paroles pour les chants traditionnels du passage de l'an. Ce n'était, bien sûr, pas du tout le cas.

Comme élaborer des versions communes n'était pas envisageable - il aurait fallu que chacun les apprenne et il valait donc mieux réserver cette démarche pour l'année suivante -, Taliesin fit au plus simple : il coucha sur le papier celles qui étaient le plus répandues parmi eux, afin que tous puissent s'y conformer. Cependant, pour éviter que les traditions de l'Helonna septentrionale ne soient hégémoniques (à eux huit, les Merlus représentaient évidemment la majorité), pour que les représentants de la capitale (Victor, Baptiste, Callie, Elliot sans doute) ne soient pas lésés, il fit primer les variantes luméniennes pour deux chansons. Bon, il n'était pas dit qu'ils arriveraient pour autant à toujours s'accorder sur les paroles ... Mais au moins chanteraient-ils sur un même air. Et, au pire, une éventuelle cacophonie serait assurément source de rires joyeux !

La chèvre ne tarda plus à faire son apparition, entourée de ses trois marmitons. C'était un plat rustique et goûteux, que Guillhem arrosa d'un vin rouge avec beaucoup de caractère. On devinait qu'il était originaire d'une région où l'hiver était autrement plus rude, où manger était un plaisir mais surtout une nécessité, un acte de rébellion contre la mort omniprésente. On avait ensuite suffisamment d'énergie pour affronter la tempête. Galathée avoua qu'elle avait autorisé Baptiste à expérimenter avec les saveurs : le plat original était nettement moins relevé. Mais le fromage de chèvre et le miel se mariaient bien aux noisettes et au chou frisé, la chèvre était grasse et délicieuse, ils mangèrent comme des pachas. Ensuite, une fois repus, il s'avéra que c'était la Veillée du Passé Heureux. C'était l'occasion d'évoquer les événements joyeux de l'année précédente, pour qu'ils restent vivaces malgré le passage du temps...

Lorsque vint son tour, il ne manqua pas de choses a évoquer : ses retrouvailles avec Victor, aux mines de Gargouille, rayon de soleil au cœur des ténèbres ; celles avec Galathée, à Melandis, pour le moins miraculeuses ; sa rencontre avec Baptiste, autre lumière dans l'obscurité ; la naissance des jumeaux, événement merveilleux s'il en était ; enfin son retour à la ferme, auprès des Merlus, conclusion espérée à toute force mais qui avait longtemps paru inaccessible. Cela faisait beaucoup d'événements heureux face auxquels les épreuves semblaient bien légères. Beaucoup d'événements heureux qu'il évoqua en seulement quelques mots, pour ne pas monopoliser la parole, pour ne pas embarrasser ceux dont il était question. Mais même s'ils ne se firent pas entendre longtemps, son ton était sincère et sa voix marquée d'émotion.

Bien sûr, ces mêmes événements avaient été évoqués par d'autres, en écho, car ils étaient marquants pour tous les protagonistes, mais petit à petit, l'atmosphère se dérida et on en vint à aborder des petites anecdotes moins chargées, plus ridicules, des moments où les uns et les autres s'étaient joué des bons tours, avaient fait des découvertes, eu des fous-rires, et autres petites aventures du quotidien. Victor évoqua le jour où Benoît, Jehan et lui-même avaient lâché les veaux sur Mersant, les Merlus se remémorèrent les aventures de leurs premiers agnelages, des incidents agricoles, des chasses à l'ours imaginaire dans les bois, Galathée raconta quelques épisodes cocasses chez les Doucechute de Mélandis, Guillhem parla à demi-mots de ses rencontres avec les voisins, du tissage de nouveaux liens, dans un nouveau lieu. Elliot parla de son premier jour à la ferme. Callie de sa résurrection. Baptiste, lui, n'avait rien à évoquer d'antérieur à sa libération, mais il riait sans retenue aux plaisanteries des autres, sans apparente mélancolie.

L'elfe était heureux de voir Baptiste si détendu : ses quelques mois parmi eux lui avaient manifestement fait du bien et, s'il en avait un temps douté, il était désormais convaincu que l'inviter à s'installer à la ferme avait été une bonne chose pour lui. Il était heureux, aussi, de la légèreté que n'avaient pas tardé à revêtir leurs échanges : cela prouvait que, malgré les épreuves traversées et désormais derrière eux, une vie plus ordinaire reprenait ses droit. Il ne se priva donc pas pour y aller également de quelques anecdotes : il évoqua une ou deux péripéties joyeuses intervenues lors de son périple en compagnie de Victor à travers Helonna, d'autres plus récentes s'étant déroulées à la ferme...

La journée du lendemain se divisa entre préparatifs des festivités du soir et du lendemain, et travaux ordinaires. Les lessives et autres rangements demeuraient nécessaires, il fallait récolter les oeufs du poulailler, traire les chèvres, nourrir les bêtes, chevaux, moutons, et la truie, puiser de l'eau, dégager les différents passages, changer les litières, ramasser les crottins, réparer une chaise de la salle à manger dont le pied avait lâché. Entre ces moments de labeur, Taliesin remarqua que tout le monde semblait se promener avec un parchemin à la main, une plume ou un stylet de plomb... La cause demeurant mystérieuse.
Un peu après midi, Galathée attrapa Taliesin par la manche.
" Ce soir, c'est la veillée d'adieux aux tourments. Je ne crois pas que ce soit une tradition de l'endroit d'où tu viens. Il faut rédiger un texte avec les soucis de l'année écoulée, et nous les brûlerons. Comme je vois tout le monde rédiger son texte et pas toi... je me suis dit que je te préviendrais."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins