La Couronne de Cuivre

Sujet sur lequel il avait bien l'intention de ne pas s'attarder.
-A mon avis, il va simplement faire son repérage avec la plus grande minutie et, quand il reviendra, il disposera d'assez d'informations pour nous permettre d'élaborer des plans efficaces.
Il tenta de trouver une position un peu plus confortable.
-Mais en attendant, si tu me racontais des choses ? Attention : si tu me réponds que tu n'as rien d'intéressant en réserve, le silence va se réinstaller, et tu devras longuement endurer mes pensées angoissées...

"Je sais aussi fermer mes écoutilles, tu sais ça ? Ne me dis pas que tu ne m'as jamais entendu ronfler ! Je dors comme la pierre dont on a extrait le minerai pour fondre mon carcan de métal. Auparavant, je n'étais rien. Ou peut-être un petit oiseau. Ou un rat. Je me souviens mal de mon façonneur, à vrai dire, et je ne lui ai jamais demandé ma recette. Pourtant, j'aurais pu... j'aurais dû ! J'aurais pu me faire forger une compagne de route ! Je ne serais jamais seul, même quand un crétin de mage mégalo et suicidaire m'oublie dans le ventre d'un dragon !"
Il gloussa.
"Le pire, quand tu as été tout seul un moment, c'est d'essayer de faire semblant que tu n'es qu'une bête ceinture sans voix ni personnalité, ni rien... Ça m'est arrivé une fois où j'étais resté coincé pendant trois mois entre deux cailloux sur un flanc de montagne. Pas de bol, j'ai été déniché par un orque absolument décérébré. J'ai fait l'inerte pendant deux semaines, jusqu'au moment où l'orque en question s'est fait démonter par un rôdeur demi-elfe sur un sentier forestier. Je te jure, ça m'a écorché les lèvres, de devoir la fermer. Et ça m'a écorché les oreilles, de devoir subir leur sabir immonde. Sans parler des odeurs de pisse... Je plaisante, je ne sens rien !"
Il éclata de son rire métallique.
"Cela dit, Filgorn, le demi-elfe, n'était pas un cadeau non plus. Il était silencieux, taciturne, létal, chiant comme la pluie. Il me disait toujours de la boucler. Comique pour une boucle, hein ? Enfin, lui, il n'avait pas d'humour, il n'a jamais capté son propre jeu de mots. Et il a fini par me troquer sans même me dire au revoir. Classique avec ces hommes de bois. Ils parlent aux bêtes, ils puent la bête, ce sont quasiment des bêtes. Je ne te parlerai même pas de sa stupide belette et de ses petites dents aiguës..."

-Minute, papillon ! s'exclama le barde. J'ai été élevé par des forestiers, moi ! Une petite cabane perdue au milieu de nulle part, à l'orée d'une grande forêt... Et pourtant, je t'assure, ça n'était pas taciturne du tout, bien au contraire. Sans doute parce qu'il y avait une ribambelle de mômes... Mais pas seulement. Mon père adoptif, s'il était un peu taiseux, savait rire et plaisanter. Quant à ma mère...
Il sourit, brusquement nostalgique.
-Bref, tu n'as pas eu de bol, avec ton rôdeur. Et tu n'en as guère plus avec moi : déprimé, torturé, broyant toujours du noir, pessimiste même si je m'en défends... Bon, et avec un peu d'humour quand même. Enfin, j'espère.
Il se fit plus sérieux.
-Écoute, si cette aventure se termine bien et si tu n'as pas décidé de m'abandonner pour un comparse plus agréable, je t'emmènerai à Loth Imrhil, la cité elfique où vit ma sœur. Peut-être pourra-t-on t'y forger une compagne ? Et si ce n'est pas le cas... On trouvera bien une communauté de helfelins quelque part sur Hélonna !

"Oui, je crois que je préférerais, en fait. Ce n'est pas pour te manquer de respect, Grandes-Oreilles, mais tous les artefacts elfiques que j'ai connus se croyaient sortis de la cuisse de Corellon. Notamment un arc... Mes aïeux ! Il s'appelait un truc du genre "Bras Chatoyant de la Seldarine". Autant te dire que pour moi, c'était Bracha. Il ne pouvait pas me sentir. Moi non plus. Je n'ai jamais autant invectivé un bout de bois. Notre propriétaire commun, un humain, pas de chance pour Bracha, devenait dingue à force de nous entendre à longueur de journée. Finalement, il s'est débarrassé de l'arc et de moi. Je pense que nous y avons tous gagné. Trop de passif. Bracha était le pire, mais j'ai aussi fréquenté une sale petite viole prétentieuse, que si j'avais eu des pieds, je lui aurais défoncé sa caisse avec félicité. Menteuse, pas croyable ! Je pense qu'elle avait été conçue ainsi, mais quand même... Nous ne faisions pas une bonne équipe. Elfique, elle aussi. J'ai eu ma dose de mépris, avec ces fichus machins pleins d'arabesques végétales couvertes de feuilles d'or et serties de diamants. Plus jamais ça !"

-Tous les elfes ne sont pas aussi imbus d'eux-mêmes qu'on le raconte... répondit-il. Et par conséquent, tous les objets qu'ils créent ne le sont pas non plus. Mais dans la majorité des cas... Hum... Bref, je te comprends. Quoi qu'il en soit, je n'avais pas à l'esprit de t'adjoindre une compagne d'inspiration elfique : je comptais demandé aux artisans de Loth Imarhil de forger un caractère plus halfelin. Peut-être en sont-ils capables ? Si ce n'est pas le cas... On ira directement voir des halfelins. Il se peut même que Guéric ache nous indiquer où se trouve leur plus proche communauté.

A cet instant, il y eut un léger souffle, à peine perceptible, et Guéric surgit du néant, à moins d'un mètre d'eux. Il décocha un sourire contraint à Taliesin puis se laissa tomber assis sur le sac qu'il avait rapporté de la grotte marine.
"Ils ont des prisonniers. Je ne sais pas qui et combien. Je ne sais même pas si ce sont des nôtres. Mais ils ont des prisonniers..."
Il soupira en s'étirant puis lâcha une bordée d'injures bien sentie, avant de sourire à nouveau au barde.
"Je m'en doutais, ce n'est pas ça. Mais il me restait un peu d'espoir. Naïf que je suis."

Si la discussion avec Rumoc avait permis à l'elfe d'éloigner pour un temps ses idées noires, les paroles de Guéric les ramenèrent brutalement. Quoi que ce n'était pas exactement celles contre lesquelles il avait lutté...
-Et bien, ça va sacrément compliquer les choses, grommela-t-il. Si les Luméniens débarquent trop vite, les pirates tueront sans doute les prisonniers ou s'en serviront comme otages. Idem si nous menons des actions dont la cause peut leur sembler autre que le pur hasard.
Il soupira. Comme s'ils avaient besoin d'un nouveau sujet d'inquiétude...
-Le mieux est probablement de les libérer. Sais-tu où ils sont enfermés ? As-tu pu voir combien sont nos ennemis, et quelle est leur organisation ?
Il s'interrompit, sourit.
-Ah, et heureux de te revoir en un seul morceau. Mais comme tu es entré directement dans le vif du sujet, j'en ai oublié les politesses !

Guéric opina du chef, déjà perdu dans ses pensées.
"En fait, on dirait un petit port pirate classique... Y'a de l'animation dans les deux rues, des mecs avinés qui titubent, l'un ou l'autre qui se cherchent querelle. Combien ils sont... Manifestement beaucoup, mais je ne me suis pas attardé à les compter. Il y a des sentinelles et une sorte de service de sécurité... Eux ont l'air sobre. Mais ils contemplent tout ce raffut sans s'en mêler... Sans doute savent-ils que leur position de force ne nécessite pas une vigilance de tout instant."
Il croisa les bras.
"Quant aux prisonniers... Disons que certaines choses sont claires. D'abord, le comptoir a été pris. J'ai vu des pirates y entrer et en sortir, nonchalants. Il n'y a pas de nouveaux corps exposés aux quatre vents, je sais que ça ne veut rien dire, mais... Je crois aussi qu'ils ont une prison. Un endroit gardé d'où sortaient des lamentations sourdes. Honnêtement, je crois qu'on doit aller voir... tôt ou tard... Personne ne devait être pris vivant."

-Je sais. Mais si on avait appliqué à la lettre ce précepte, je ne serais pas en train de te parler : mon cadavre, avec ceux de Victor, de Jehan et de Martin, pourrirait sur le sol de notre caverne...
Il soupira, se prit à penser à tout ce qu'il pourrait faire s'il avait le pipeau. Sans lui, sur quoi pouvait-il compter ? Sur son épée, sur une poignée de sorts médiocres, sur son bagou... Peu de choses, et rien qui soit susceptible de réellement faciliter une évasion.
-Honnêtement, je ne sais pas quoi te dire. On pourrait atteindre que nos compagnons aient rejoint les Luméniens, faire en sorte que les troupes de ceux-ci atteignent la grotte marine, puis les tunnels et enfin la surface... Mais les pirates verraient les barques, règleraient peut-être leur compte aux prisonniers sans tarder. Alors sans doute nous faut-il agir, mais comment ? Si au moins les tunnels n'avaient pas connu tant de bouleversements, la carte - si tu l'as encore - nous montrerait si l'un d'entre eux passe sous la prison. Mais avec ces fichus tremblements de terre... Bref, je ne sais pas. On pourrait aller repérer les lieux, voir si on peut sans trop de mal les faire sortir... Ou leur donner des armes pour qu'ils attaquent celui ou ceux qui leur apportent leur nourriture, puis créer une diversion pour qu'il s'échappent...
Il sourit tristement.
-Tant de risques, si peu de certitudes... Honnêtement, je me demande comment on va arriver à régler ça à nous deux.

"Ton idée d'amener les Luméniens à s'introduire dans les grottes n'est pas mauvaise... Pour autant qu'ils soient prêts à risquer la vie de leurs hommes dans ce genre d'aventures. Nous avons déjà de la chance qu'ils soient venus jusqu'ici. Ils n'ont jamais voulu se mouiller beaucoup... et Mersant est sensé être un terrain neutre... En même temps, ils s'attendent à devoir aborder... Je ne sais pas bien... Les attendre me semble... comme une éternité... Qu'as-tu convenu avec Victor ? Les autres vont-ils nous envoyer du renfort ?"

Il fit non de la tête.
-J'ai juste demandé à Victor de tenter de prendre contact avec moi par l'intermédiaire du caillou, quand il sera arrivé à bon port. Si cela fonctionne, nous pourrons établir une stratégie en accord avec les Luméniens. Sinon...
Il écarta les mains en signe d'impuissance.
-Sinon, nous devrons agir seuls. Sauf si nous tentons de retrouver le groupe de Valaellyn dans l'autre réseau de grottes. Mais nous ne savons même pas où se situe son entrée... et si ceux qui s'y cachaient ne croupissent pas déjà dans les geôles du Squale.
Il soupira.
-Bref, laissons passer la nuit. Si on n'a pas de nouvelles de Victor d'ici l'aube, c'est que nous n'en aurons pas avant que toute cette histoire ne soit réglée. Il faudra alors agir... Et à nouveau, je ne vois pas comment. Donc, si tu as des idées, n'hésite pas : je les suivrai.
Il avait vraiment l'impression que la situation était inextricable, que le problème, par quel bout qu'il le prenne, était impossible à résoudre. Ils n'étaient que deux, ils devaient affronter des ennemis sans nombre, bien armés, bien organisés, détenant des prisonniers...
Si au moins il pouvait avoir la certitude que Victor s'en était tiré...

"Oui." fit Guéric. "Je pense qu'il faudra ressortir, simplement. Tu pourras te déguiser, j'en suis certain. Il y a vraiment toutes sortes de personnes, dehors, je dirais qu'ils sont bien cinq cents. Tu dois être un pro de l'improvisation, et avec Rumoc pour te seconder, je suis certain que tu t'en tireras. Moi je ne peux que garder l'ombre. C'est efficace pour égorger quelqu'un, moins pour soutirer des informations."
Il le regarda de bas en haut.
"Mais nous pouvons attendre, Taliesin. Tu peux attendre. Je peux faire mes sorties en solitaire, si tu ne t'en sens pas."

A nouveau, il secoua la tête.
-Je préfère mille fois agir que rester encore à attendre dans cette grotte, d'autant que ça a été ma seule activité depuis un jour ou un jour et demi.... Je te suivrai donc volontiers, mais attendons quand même l'aube avant de sortir : nos compagnons ne mettront pas des heures à rejoindre les bateaux. Si les pierres fonctionnent, nous ne devrions pas trop tarder à avoir des nouvelles.
Bien sûr, une absence de manifestation de la part de Victor ne signifierait pas forcément que les cailloux étaient incapables de communiquer entre eux. Cependant, il refusait d'imaginer l'autre possibilité.

"L'aube aura des avantages et des inconvénients... Moins d'ombre, mais plus de pirates couchés, peut-être ? En tout cas, le ciel est plombé. Le vent est levé. Veux-tu que je sorte te chercher des vêtements ? Je devrais pouvoir soustraire un p'tit gars à leur compagnie... Ta tenue n'est pas exactement... marine, à vrai dire. Enfin, je te crois capable de leur faire gober n'importe quoi. Mais peut-être que si tu planques tes cheveux sous un chapeau, tu seras moins... flamboyant."

Il haussa les épaules.
Le caillou, lui, demeurait silencieux.

-A toi de voir si tu préfères aller chercher mon "costume" tout de suite ou souffler un peu... Pour le reste, si je veux jouer un pirate crédible, il faudra que nous glanions quelques informations sur le nom de leurs bateaux, de leurs officiers... Il faut que je puisse répondre pertinemment au cas où on me pose des questions. Et plus j'aurais de détail, plus je pourrai peaufiner mon rôle

"Tu as raison..." fit Guéric. "Bon, j'imagine qu'il ne me reste plus qu'à ressortir. Quant à toi... Tu devrais en profiter pour... dormir ? Parfaire ton accent ? Faire quelque chose, en tout cas. Je ne pense pas que cette inactivité, ou cette attente, en fait, puisse te réussir... Même si je te promets de ne pas être long."

Il sourit.
-J'ai dormi tout mon saoul pendant ton long périple à travers les tunnels pour me rejoindre... Mais ne t'en fais pas : je discuterai avec Rumoc pour passer le temps !
Il se tut un instant.
-Ah, j'allais oublier... Tout à l'heure, des pirates sont passés près d'ici. Apparemment, ils revenaient d'une longue expédition dans les cavernes. Quelle était son but ? Aucune idée. Mais c'est important de savoir qu'ils fréquentent le sous-sol de l'île.

"Oui." fit Guéric, songeur. "En fait, je ne pense pas qu'ils aient trouvé le trésor du dragon... Et maintenant qu'ils sont assiégés, ils ont encore moins de raisons de se lasser. Cela dit, il faudrait qu'on y réfléchisse. Cela pourrait nous servir de monnaie d'échange, si les choses tournaient mal... Et pour autant que tu te sentes encore capable de retrouver sa tanière. Personnellement... Nous avons tellement tourné dans ces couloirs ces derniers jours, que tout se mélange dans ma tête..."

HRP : Combien en sagesse, le p'tit Talie ? c'est l'estimation de la mémoire.

-Je ne sais pas. Les elfes et les cavernes, ça fait deux. Et puis, il y a eu les tremblements de terre... Mais peut-être que si tout n'a pas été trop chamboulé, je pourrais retrouver la direction générale à partir de la grotte marine. Ensuite, le passage lui-même... Cela dépendra vraiment de l'état des lieux. Si ça n'a guère changé, peut-être les reconnaîtrais-je. C'est sans garantie, toutefois.

HRP : Talie a 14 en sagesse

HRP : C'est sûr que les cavernes, ce n'est pas trop elfique...

"Ah, pour une fois, un nain nous aurait été utile ! Mais ils font de piètres marins et leur humour laisse souvent à désirer. Mais que l'humour elfique soit transcendant..."
"Pour une fois, nous sommes d'accord !" s'exclama Rumoc.
Guéric rit.
"Bon, je file. Ne prenez pas froid. Et ne vous rongez pas les sangs."
Il salua l'elfe, et reprit la direction de la sortie.

Lorsque le halfelin fut parti, Taliesin ne put réprimer un soupir.
-Bordel, des prisonniers... J'espère que Valaellyn et Benoît ne sont pas du lot...
Il secoua la tête.
-Mieux vaut ne pas y penser. En fait, mieux vaut ne penser à rien.. Hum... Rumoc ? Tu connais des histoires de pirates ? Elles m'aideraient à me mettre dans le bain...

Et Rumoc se mit à raconter des histoires de pirates. En réalité, il brodait sur de nombreux racontars qu'il avait ouï ici ou là. Les seuls marins qu'il avait fréquentés étaient ceux qui avaient conduit son maître mage, autrefois, jusqu'aux rivages de Mersant. Mais la ceinture était bavarde, et en mal de compagnie, aussi blablata-t-elle avec aplomb. Taliesin n'avait cependant rien à craindre : Rumoc était très mauvais conteur. Il sautait du coq à l'âne, s'appesantissait sur des détails qui n'intéressaient probablement aucun être vivant au sens classique, passait d'un vocabulaire ampoulé à du langage vulgaire à peine audible, bref il se croyait intéressant, sans l'être. Mais il y avait un certain humour dans son discours, peut-être à son insu, et par moments, il traversait un instant de grâce et relatait subitement quelque chose de vraiment intéressant. Sans doute un barde attentif en aurait-il retiré des épisodes à replacer, mais Taliesin était à la fois concentré et ailleurs, hors d'un contexte propice à la récolte. Et quand on y réfléchissait... C'était un peu paradoxal qu'il se passionne ainsi pour les tribulations d'un premier être sur Mersant... Le seul qui n'ait en réalité pas d'existence à proprement parler.
Mais cela passa le temps, et Guéric revint.
De Victor, par contre, aucune nouvelle.

Il avait beau essayer de ne pas y penser, beau se concentrer sur les propos de Rumoc, le fait que l'enfant ne le recontacte pas le rongeait de l'intérieur. A chaque instant, il sentait son cœur se serrer un peu plus... Bien sûr, il combattait son angoisse en tentant de recourir à des explications plausibles : peut-être ses compagnons avaient-ils été obligés de contourner l'île pour rejoindre les navires ; peut-être les cailloux ne fonctionnaient-ils pas à cause de la distance ou parce que Victor n'était plus sur la terre ferme... Il n'empêche : il sentait une prémonition glacée grandir en lui, celle d'un drame irréversible...
L'arrivée du halfelin fut une diversion bienvenue, et il ne perdit pas un seul instant :
-Alors, la chasse a été bonne ? l'interrogea-t-il.

"Plutôt."
Il prit son sac sur ses genoux et l'ouvrit. Une odeur particulièrement délicieuse s'en échappa, et il sortit un paquet de tissus enchevêtrés. Il commença à déballer, révélant de nombreuses couches d'étoffes, de plus en plus graisseuses, jusqu'à révéler un morceau de cuissot encore fumant.
"Je pense qu'ils ont tué toutes les bêtes de la ferme. J'ai emprunté ceci... Cela passera inaperçu, vu les monceaux qu'ils en avaient."
Il retourna à son sac, et sortit de nouveaux vêtements, cette fois chiffonnés mais secs.
"Et voilà de quoi te déguiser. J'ai identifié quelques navires. Le Crève-Panse est le moins recommandable, apparemment. Ceux qui y naviguent foutent la frousse aux autres, et ils ne les fréquentent pas. Il y a un bateau qui s'appelle le Souffre-Douleur, un autre le Meurs-Chiure... Non, je ne plaisante pas. Encore un qui est le Havre-Crapules. Je te jure, ils sont pleins de créativité, ces pirates. La caraque amirale s'appelle, par contre, la Citronnelle. Comme quoi..."

-Effectivement, ils ont de l'imagination et savent se montrer surprenants... Tant mieux, car c'est difficile d'oublier de tels noms !
Il fronça les sourcils, pensif.
-Je pourrais prétendre appartenir au Crève-Panse : ce serait un bon moyen qu'on me fiche la paix. En même temps, si son équipage évite les autres pirates, ça pourrait étonner de me voir déambuler tranquillement au milieux d'eux...
Il lorgna le cuissot rapporté par Guéric.
-Tu as dit qu'ils ont tué toutes les bêtes... Est-ce qu'ils t'ont l'air de vouloir saler ou sécher la viande, pour lui éviter de se gâter ? Sinon, ça pourrait être un signe, un indice montrant qu'ils ne comptent pas s'éterniser ici malgré l'arrivée des Luméniens. Dans le cas contraire, ils n'auraient pas abattu tout le cheptel en une seule fois.

"Je n'ai pas vu de signe d'un quelconque traitement de la viande... En même temps, ils sont là depuis un bon bout de temps, maintenant... Ce qu'ils ont dans leurs cales, je l'ignore. Et je n'ai pas visité la ferme, j'ignore combien il y avait de bêtes. Si ça se trouve, j'ai l'impression d'avoir vu des monceaux de carcasses, mais ce n'est rien par rapport à ce qu'ils avaient dans leurs prés et hangars..."
Il haussa les épaules.
"A mon avis, tu peux compter sur le fait que les pirates ne se connaissent pas tous. Mais il faut avoir un objectif de sortie. Si tu te contentes de traîner parmi eux, tu seras tôt ou tard grillé."

-On devrait sans doute se renseigner sur les prisonniers et trouver un moyen de les libérer. Malheureusement, si on y parvient, les pirates se lanceront à leurs trousses, sauront qu'ils ont bénéficié d'une aide extérieure. Mais en dehors de cette piste...
Il haussa les épaules.
-En dehors de cette piste, je ne sais pas ce qu'on peut faire, Guéric. Ils sont tellement nombreux ! Ont des captifs à leur merci ! On pourrait empoisonner la nourriture, mais ça n'en tuerait qu'une partie... et peut-être certains prisonniers, s'ils les nourrissent; On pourrait aussi essayer de s'en prendre au Squale, mais il doit être intouchable...
Il soupira. Tout aurait été tellement plus simple s'il leur avait été possible de se coordonner avec les Luméniens ! Ils auraient pu se concentrer sur la libération des captifs tandis que les soldats alliés débarqueraient dans la grotte marine, puis prendraient la direction de la surface...
Mais voilà : le caillou restait obstinément silencieux.

"Même si les Luméniens n'arrivent pas, nous pouvons nous retrancher ici bas. Nous savons qu'il y a des pirates dans les tunnels, mais ils sont tortueux, ils descendent loin, nous pourrions aisément nous y planquer le temps qu'il se passe quelque chose... Et honnêtement... La grotte marine est restée inviolée pendant tout le temps que nous y avons passé. Nous ne pouvons pas attendre l'arrivée de renforts. Ils arriveront, j'en suis sûr. Mais s'ils n'arrivent pas... De toute façon, nous sommes coincés ici."
Il se leva, fit quelques pas rageurs.
"Si nous ne pouvons pas sauver les prisonniers, allons au moins les délivrer du poids de leur survie terrestre."

Le barde frissonna. Si les prisonniers étaient des inconnus, les "délivrer du poids de leur survie terrestre" s'annonçait déjà chose plus qu'éprouvante. Mais si en plus il y avait, parmi eux, des visages familiers...
-On pensera d'abord à tenter de les libérer, fit-il. Et si on ne peut les sauver tous mais qu'il y a des amis à nous parmi eux... Je pourrais me faire passer pour l'un des hommes du Crève-Panse et exiger d'emmener l'un ou l'autre captif à l'écart pour "en profiter". Ces pirates particuliers ont une sacrée réputation, m'as-tu dit, même parmi leurs comparses déjà très sinistres. Alors, ça ne serait pas forcément illogique, comme demande... Si ça marche, ne resterait plus qu'à regagner les profondeurs de l'île.

Guéric se mit à arpenter leur petite grotte, nerveux, le regard concentré, fixé sur des événements qui n'avaient pas encore eu lieu mais qu'il planifiait déjà.
"Il faudra que j'aille en reconnaissance, alors. M'introduire dans une prison improvisée... Ça ne devrait pas être trop difficile... Tout dépend de s'ils savent qu'il y a du monde sous terre ou pas... Je pense cela dit que tu pourrais déjà te mêler aux pirates, si tu as envie d'en savoir plus... Rumoc pourrait sûrement te guider..."
"Ne me surestime pas." lâcha platement la ceinture.
"Ou alors je nous rabats un elfe jusqu'ici. Il y en a quelques uns. On le capture, on l'interroge, et tu prends sa place ? Mais ça risque encore de nous rallonger nos affaires..."
Vu sa fébrilité, il n'avait pas l'air d'être du genre à pouvoir encore attendre bien longtemps.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant