La Couronne de Cuivre

" Je vais t'aider, pour la vaisselle. Je vais en profiter pour essayer de me remémorer ce que m'avait commandé Isudë... Et je peux aussi m'occuper de chasser pour aider au ravitaillement, je ne veux pas forcément vivre à vos crochets ! "
Elle n'avait même pas eu la présence d'esprit, à Montequine, de partir à la recherche de ce qui pouvait rester de ses affaires. Elle se souvenait avoir laissé un peu de surperflu dans le village extérieur avant de fuir, dont un ou deux plants qui auraient du être repiqués à Luménis. Tout le reste, et notamment les herbes cueillies avec l'herboriste, était soit dans son sac à dos abandonné dans la chambre de Neffen, soit dans sa sacoche dont elle ne savait pas ce qu'ils avaient fait. Bah, c'était trop tard de toute façon. Tout avait dû être récupéré par les montequins. Certes, elle aurait pu demander à ce qu'on lui rende la soixantaine de pièces d'or qu'elle avait dans sa bourse, mais l'argent avait si peu d'importance pour elle que ça ne lui avait pas effleuré l'esprit. Et pour ce qui était des herbes, Dymphéa les connaissait certainement aussi bien voire mieux que Bertille, et serait une guide bien plus agréable.

Elles partirent donc peu après dans la campagne. Dymphéa l'entraîna sur un petit chemin forestier tranquille, et elles purent profiter du doux soleil et du parfum des fleurs. Les oiseaux chantaient et mille insectes bourdonnaient dans les hautes herbes. Elles atteignirent rapidement un sous-bois luxuriant, où fougères, jonquilles et myrtilliers tapissaient le sol entre de grands feuillus probablement centenaires. La centaure en profita elle aussi pour procéder à un petit ravitaillement et elles purent échanger le nom local des plantes, les usages qu'elles en faisaient, et découvrir, l'une contre l'autre, de nouvelles manières de préparer onguents et tisanes. Une fois la récolte sylvestre terminée, elles pique-niquèrent dans une clairière, puis Dymphéa mena Astrée dans un alpage où elle put ramasser les herbes de prairie, également présentes en grand nombre. Pour terminer, elles gagnèrent une zone plus rocailleuse où poussaient des plantes grasses. Un dernier détour par le marécage, et Astrée disposerait de tout ce dont elle pouvait rêver.

La cueillette, et les discussions qui l'accompagnaient, présentaient l'immense avantage de lui occuper pleinement l'esprit. Pas une seule fois elle ne songea à Reynald. Et même si la présence d'une petite mésange, dans les alpages, réveilla subitement sa peine en lui rappelant Neffen, elle parvint à se concentrer rapidement sur autre chose. Il y avait beaucoup d'herbes qu'elle connaissait déjà, mais dont Dymphéa lui dévoilait de nouveaux usages. Il y en avait aussi quelques-unes qu'elle ne se souvenait pas avoir jamais rencontrées, et elle écoutait religieusement les explications de la centaure pour pouvoir les transmettre à Isudë. Même si l'herboriste, sans doute, les connaissait déjà... Elle ramenait la petite vingtaine de plantes rares de la liste qu'elle était parvenue à se remémorer, mais bien d'autres encore. Elle tenta même d'empaqueter une ou deux d'entre elles avec leurs racines : si elle avait de la chance, elles se conserveraient suffisamment pour qu'Isudë puisse les repiquer.
A la fin de la journée, elle se retrouva finalement avec un volume assez important d'herbes en tout genre : heureusement qu'elle disposait à nouveau de Prince pour transporter toutes ses affaires jusqu'à la capitale. Il lui resterait à faire un détour par les marécages, mais pour l'heure, elle était épuisée. Entre le refroidissement qu'elle avait attrapé quelques jours plus tôt, ses pérégrinations en tout sens dans la vallée, les émotions négatives et destructrices, elle avait trop puisé dans ses réserves et avait besoin de repos. En même temps, elle savait qu'il était important de s'activer pour ne pas risquer de sombrer dans la mélancolie. Et finalement, la sérénité de la vallée lui fournissait le cadre idéal pour retrouver à la fois des forces et la paix de l'esprit.

Elle dormit dans les mêmes conditions que la veille : les centaures n'avaient pas déplacé leur bivouac et elle put partager leur repas avant de trouver refuge dans l'intendance. Cette fois, Dymphéa lui proposa de s'installer à une place légèrement différente, histoire de ne pas être réveillée par le petit déjeuner des premiers levés. La nuit se déroula sans heurts, sombre et silencieuse, et au petit matin, après un bon bol de gruau, elle put à nouveau emboîter le pas de Dymphéa pour gagner les marécages. Avant midi, elles avaient récolté tout ce qui pouvait être utile à la rôdeuse : sa mission pour Isudë était remplie.

La rôdeuse n'avait objectivement pas vraiment de raison de rester davantage, puisqu'on n'avait plus besoin d'elle ici. Et pourtant elle n'avait pas vraiment envie de partir. Sa cueillette avait été un bon moyen de s'occuper, c'était un objectif à court terme qui convenait parfaitement à son état d'esprit actuel. Mais partir, quitter la vallée, c'était se trouver confronter au vide sidéral qu'était devenu sa vie, affronter l'avenir, et elle n'en avait pas la volonté. S'il n'avait pas été nécessaire qu'elle ramène le fruit de l'arbre de vie au petit garçon de l'orphelinat, si elle n'avait pas craint que Miranda ne finisse par s'inquiéter, elle aurait volontiers passé toute la belle saison ici. Là... il fallait bien qu'elle rentre, tôt ou tard. Mais... pas tout de suite. D'abord, elle voulait d'abord revoir Byron, peut-être Leanne aussi, pour les saluer. Et puis elle pouvait chasser pour contribuer un peu au ravitaillement du petit groupe, pour avoir aussi des provisions pour son voyage. Et puis, elle voulait reprendre encore quelques forces. Bref, tous les prétextes étaient bons pour s'attarder dans ce lieu enchanteur. Sauf qu'elle était parfaitement consciente que si elle s'attardait trop à se reposer, l'inactivité risquait de ne pas améliorer son moral.
" Je pourrais passer des veilles et des veilles dans votre vallée sans jamais me lasser, avoua-t-elle à Dymphéa. Mais j'ai l'impression d'abuser un peu de ta gentillesse. Tu as sûrement d'autres choses à faire... et puis je pourrais me rendre utile au groupe, chasser par exemple, au lieu de te monopoliser ainsi. Ou bien... je pourrais aussi t'accompagner à Montequine, et te présenter Mara. C'est l'une des centaures qui a pris les choses en main là-bas, et elle m'avait aidée lorsque j'étais partie à la recherche de Reynald. Elle est sympathique mais très... citadine, avec des idées un peu trop arrêtées sur les centaures sauvages. Je parie qu'elle n'imaginerait pas une seule seconde qu'une elfe puisse choisir de vivre cette vie. Enfin bref... si je peux faire quelque chose pour favoriser un premier contact..."

Dymphéa pinça les lèvres.
" Astrée, tu t'agites comme l'éphémère dont la vie touche à son terme après quelques heures. Nous avons bien le temps de ses choses."
Elle secoua la tête.
" Fais comme bon te semble, je te l'ai dit, tu peux rester dans la vallée si tu le désires. Mais je pense, et je le redis, que les centaures ont désormais besoin d'être entre eux, sans humains, aussi bienveillants soient ils. Et toi, tu ne dois pas trop repousser ton retour parmi les tiens. Plus tu attends, et plus ce sera difficile."

De façon inattendue, les paroles de Dymphéa l'amenèrent subitement presque au bord des larmes. Depuis deux jours, elle cherchait à oublier, à nier cette tristesse sans fond, cette fêlure au fond de son âme. Mais elles étaient bien là, hélas.
" Que je parte maintenant, dans une veille, dans un mois, ça ne changera rien à la difficulté de rentrer. Personne ne m'attend", se surprit-elle à lâcher avec amertume.
Elle soupira. Elle n'avait pas envie d'en parler avec Dymphéa. Ni avec personne, d'ailleurs. Elle avait envie d'être seule, à nouveau... Et à la réflexion, le retour vers Luménis pouvait être un long voyage en solitaire. Elle pouvait prendre son temps, éviter les routes et les villages si elle souhaitait rester seule, passer quelques jours à pleurer dans un coin de nature si elle en ressentait le besoin, marcher plutôt que chevaucher pour chercher l'oubli dans l'épuisement physique. Alors que rester ici risquait plutôt de lui rappeler trop la perte de Neffen, surtout si elle restait inactive. Et dire qu'elle avait un jour envisagé de revenir passer tout un été auprès d'eux, une fois la harde sauvée, pour apprendre leur langue, comme l'avait fait Reynald. Mais la harde n'était plus, Neffen était mort, tout cela était fini, révolu, et elle se sentait si triste.
" Enfin... Je sais bien que je dois partir. Je reviendrai vous voir dans quelques mois, un an ou deux, pour pendre des nouvelles. Mais... J'aurais voulu saluer Byron avant, tout de même"

" A mon avis, il ne tardera pas à reparaître. Ici ou à Montequine. Son rôle a toujours été de circuler d'ici à là et de là à ici. Je pense qu'il va essayer de retrouver tout le monde et de prendre la température de chacun. Puis il avisera. Comme nous tous, il doit se retrouver une voie. Je crois qu'elle sera davantage parmi les domestiques qu'ici, vu son expérience et la disparition de Sheldon... Mais je peux me tromper. Peut-être aura-t-il simplement envie de ne plus rien faire, pendant un moment. Galoper et profiter du soleil."

" Je pense qu'il aura envie d'être utile, en jouant les intermédiaires sans doute. Il va se rapprocher un peu des centaures domestiques, comme tu vas sans doute le faire. A travers les quelques paroles qu'on a échangé... il semblait plein d'enthousiasme, il parlait d'une nouvelle voie qui s'ouvrait. Il fera partie de ceux qui seront des passerelles entre le monde des centaures domestique et celui des survivants de la harde. En fait, il continuera de galoper d'un groupe à un autre comme il l'a toujours fait."
Il resterait un messager, un porte-parole, et contribuerait ainsi à maintenir la paix entre les différents groupes. Il était illusoire d'imaginer qu'ils puissent se fondre en une seule harde avant des années encore. Peut-être la prochaine génération. Il y avait pour le moment bien trop d'écart entre une centaure comme Mara et la soeur de Sheldon qui l'avait agressée, autrefois.
" Mais avant de songer à repartir, je ferais bien de m'occuper d'un peu de ravitaillement pour le voyage. Je vais trouver des oeufs, faire une provision de galettes si vous avez un peu de farine, récolter quelques fruits... Tu veux que je chasse quelque chose pour le repas de ce soir ?"

Sans doute sensible au besoin viscéral qu'Astrée semblait avoir de les aider, Dymphéa acquiesça avec un calme sourire.
" Si tu trouves quelque chose, nous l'accommoderons avec plaisir. Mais ne t'écarte pas de ta route pour ça : nous n'avons pas besoin de manger de la viande tous les jours."

" Bah, ça m'occupe... Et je verrai ce que je trouve. Une volaille à griller, pour me fournir de la viande froide pour mon casse-croûte de demain, m'irait parfaitement. Si j'ai la chance de pouvoir en rapporter assez pour vous, on partagera !"
Il lui fallait des oeufs, surtout, pour confectionner des galettes, à moins que les centaures n'aient du pain en grande quantité qu'elles la laisseraient emporter.
" Je vous rejoins au même lieu de bivouac que les deux nuits précédentes ? Ou bien vous comptez vous déplacer ?"

Dymphéa acquiesça.
" Nous n'avons pas l'intention de bouger, non. Le site est agréable, riche en ravitaillement, abrité du vent. Tu nous y retrouveras sans difficultés."
Ensuite, la centaure souhaita bonne chasse à la rôdeuse et repartit dans le sous-bois de son pas chaloupé. Dénicher un faisan ou une bécasse serait sans doute une formalité.

Astrée avait du temps devant elle, et pas la moindre envie de se presser. Elle sentait toutes ses émotions négatives soigneusement refoulées prêtes à l'envahir à nouveau. Le plus sage était sans doute de s'isoler et de laisser couler un moment toutes ces larmes de chagrin qu'elle avait tant de mal à contenir.
Elle se guida sur le bruit de l'eau courante et dénicha un petit ruisseau, qu'elle longea jusqu'à une petite clairière où le cours d'eau s'élargissait. Elle s'adossa un moment à un arbre. Elle ne chercha pas à analyser ses sentiments : elle se sentait incapable de pensées cohérentes. Juste une immense tristesse, une envie de rester là à ne rien faire et à pleurer toutes les larmes de son coeur. ne pas penser au retour, à l'avenir, au vide de sa vie. Bien sûr, elle pouvait aller à Erhedun, mais cette seule idée la fit s'effondrer encore davantage. C'était trop tôt, certainement. Elle pouvait aussi distraire un moment sa peine en s'occupant à autre chose... voyager, aller dans la Lorien où l'avait invité le jeune herboriste rencontré aux portes de Luménis... Ou aller à la rencontre d'autres hardes de centaures, juste par curiosité, pour savoir comment eux vivaient. S'occuper le corps, l'esprit, pour ne pas passer des veilles et des veilles à pleurer. Une sorte de fuite en avant pour nier le vide de son coeur et de sa vie, surtout. Elle en était bien consciente...

Elle finit par ouvrir petit à petit son âme aux mille et un petits bruits de la nature qui l'entourait, trouvant peu à peu un certain apaisement. Un nid abandonné, dans un chêne de l'autre côté du ruisseau, lui fournit une demi-douzaine d'oeufs. Parfait pour les galettes. Il y avait par là une famille de canards, une poule d'eau, des perdrix, et même un faisan caché dans les fourrés. Quelques oies se posèrent à leur tour. Elle se choisit une oie de belle taille, un mâle. En cette saison, les femelles couvaient et les petits avaient besoin d'elles. Elle prit tout son temps pour viser et l'abattit d'une seule flèche.

Elle revint au lieu de bivouac alors que le soleil déclinait derrière les cimes. Elle se sentait plutôt mieux.

Quand elle atteignit le bivouac, Byron s'y trouvait. Elle reconnut sa voix tranquille, discourant en sylvestre, tandis qu'elle approchait du feu rougeoyant. Les centaures l'entendirent aussi et le jeune homme se leva pour venir à sa rencontre. Il lui prit les mains pour la saluer à la manière de son peuple. Il avait l'air en bonne santé, peut-être un peu fatigué.
" Astrée. Je suis heureux de te voir." annonça-t-il simplement.

" Moi aussi, répondit-elle avec sincérité. Je n'aurais pas voulu repartir sans t'avoir croisé à nouveau, quitte à patienter ici des veilles entières !"
Elle lui sourit doucement. Il avait l'air d'aller bien, et c'était l'essentiel.
" Ah, si j'avais su que tu serais ici ce soir, j'aurais ramené une oie de plus... Mais raconte-moi, comment vas-tu ? Et comment se portent les centaures que tu as retrouvés dans la vallée ?"

" Je vais bien, dit Byron. Et tous les centaures que j'ai vus allaient plutôt bien. Certains n'y croient pas, évidemment, et demeurent méfiants. Il faudra un certain temps avant qu'ils ne s'approchent de Montequine. D'autres sont curieux... ou cherchent d'anciens proches : après tout, il y a des sauvages parmi les prisonniers qui ont été libérés. Je pense qu'il y aura pas mal de mouvements, dans les jours à venir, mais tout le monde semble bien disposé, de part et d'autre de la vallée."
Il parut embarrassé.
" Les nouvelles du départ de Sheldon ont rassuré les domestiques, je dois dire."

Astrée acquiesça avec une grimace.
" Je me doute... J'ai discuté avec eux, vu leurs réactions, leurs préjugés... Ils n'avaient pas confiance, ils auraient gardé leurs distances et la cohabitation aurait pu être délicate."
Elle soupira.
" Il a pris la décision la plus sage compte tenu des circonstances - comme lorsqu'il avait fallu décider de quérir l'aide des autorités luméniennes-, la meilleure pour l'avenir de ceux restants. Mais je suis triste, pour lui, qu'il ait dû s'exiler. Est-il déjà parti ?"

Byron acquiesça.
" Il est parti dès qu'il a pris sa décision. Maelwys est parti avec lui, comme ça ils sont deux, je pense que c'est mieux, ils pourront veiller l'un sur l'autre. Je ne sais pas lequel est le plus raisonnable, cela dit. Mais je pense que s'ils survivent aux quelques premiers jours, ils trouveront une manière d'être. Je crois qu'ils vont monter vers la Lorien. Les humains sont un peu trop infréquentables en ce moment, mais les elfes feront l'affaire."

Deux hommes, alors qu'il en restait si peu ici... Sheldon n'avait-il pas une compagne ? Elle se souvint qu'il en avait un nombre impressionnant : les siennes et celles des guerriers morts au combat, quatorze si ses souvenirs étaient exacts. Mais aucune d'elle ne l'accompagnait, donc. Bah, le chef était un cas tellement à part qu'il n'y avait pas forcément de place pour l'amour dans ces unions.
" Je doute que Maelwys soit un modèle de sagesse, mais effectivement, c'est mieux que Sheldon ne soit pas seul. Peut-être qu'ils iront à la rencontre d'une autre harde... Ou qui sait, peut-être qu'ils reviendront un jour ici, en ayant appris d'autres manières d'être, de fonctionner. "
Elle l'espérait sincèrement. Mais ça ne serait viable que si Sheldon perdait une part de son orgueil de chef de harde. En tout cas, c'était une bonne chose que Byron l'ait déjà annoncé à ceux du village, avant que les méfiances et les inquiétudes se cristallisent trop là-bas.
" Et donc, tu es déjà retourné au village. Comment est-ce que les choses se passent là-bas ? Mara, l'une des centaures qui ont pris les choses en main, me disait qu'ils s'attendaient à ce que les nuits soient un peu difficiles... Mais comme il valait mieux éviter toute présence humaine parmi eux, je ne me suis pas attardée."

" Je pense que tu as bien fait. Les Luméniens se sont retirés, eux aussi, en ne laissant que quelques observateurs en arrière : trois elfes. Ils ont estimé que c'était plus prudent. Cela dit, je crois qu'ils n'ont pas l'intention de s'interposer, si les choses devaient dégénérer... et elles l'ont déjà un peu fait : plusieurs maisons humaines ont été pillées et incendiées. Mais je trouve que les centaures gèrent bien les choses, en dépit de cela. Ce sont de petites débordements prévisibles."

" Oh, tu sais, Montequine peut bien brûler, je doute que beaucoup le regrettent... répondit spontanément Astrée. Enfin, si... les quelques centaures qui y vivaient libres, puisqu'il y en avait. Et ceux qui aiment avoir un toit en dur sur leur tête, tout de même."
Elle haussa les épaules.
" Et toi, Byron... que vas-tu faire maintenant, au milieu de tout ça ? Ça doit te faire bizarre, de ne plus avoir Sheldon auprès de toi..."
Et ça devait être encore plus étrange de pouvoir prendre ses propres décisions. Elle se souvenait de son hésitation à fuir alors que Sheldon restait prisonnier, lui qui n'avait jamais été séparé de son chef. Et de son incapacité à partir sans sa permission.

" Je ne sais pas... Je me sens... plein d'énergie, curieusement ! Bon, j'ai toujours été plein d'énergie, mais... j'ai l'impression qu'il y a plein de nouveaux sentiers, partout, et que j'ai la possibilité de tous les explorer... C'est... excitant !"
Il sourit.
" Mais tu sais... Je pense que... je n'avais plus Sheldon auprès de moi depuis de nombreux jours, déjà... Finalement... j'ai le sentiment que c'est le prolongement de ce qu'il a provoqué en m'envoyant loin de lui."

" C'est vrai que tu avais énormément changé en quelques jours...", acquiesça Astrée.
Compte tenu de la dissolution de la harde, c'était une bonne chose, au final, qu'il ait évolué ainsi. Mais si la harde n'avait pas disparu, aurait-il tout naturellement retrouvé sa place, son rôle, une fois à proximité de la pierre et de sa magie, ou aurait-il eu au contraire du mal à se réadapter ? Et en prenant le problème à l'envers... Est-ce que l'éloignement de Byron, faisant suite à celui de Maelwys et trois autres guerriers, n'avait pas contribué à affaiblir la magie liant la harde, en réduisant encore le nombre de mâles présents et en amputant la harde de l'un de ses éléments-clé ? Présenté ainsi, ça rendait la décision d'envoyer Byron chercher de l'aide encore plus dramatique. Neffen le savait-il ? Il avait dit qu'il aiderait Byron dans ses rêves, mais il était devenu si faible...
Elle réprima un soupir, et s'obligea à revenir au présent.
" D'ailleurs, je ne t'ai pas demandé... Comment ça s'est terminé, à Luménis ? Vous avez pu trouver la prêtresse de Lurue, tu as pu témoigner sans souci ?"

" En fait, on a accéléré la procédure à cause du contact que Reynald et Tybert ont eu par télépathie. On est partis tout de suite à Bortheias, et la prêtresse nous y a rejoints, on a fait la déclaration, et c'était réglé. Le capitaine de Tempura estimait de toute façon que ton témoignage suffisait. Ensuite, une fois ici, ils ont découvert la situation... Nos paroles n'ont plus d'importance désormais. Les faits ont été constaté par des dizaines de personnes et les victimes sont à disposition. C'est mieux : nos vies ne sont plus menacés, non plus."

" Ce qui coinçait, c'est qu'il leur fallait la présence de quelqu'un ayant témoigné pour entrer dans le village, d'après leur procédure. Et comme je ne pouvais pas être là, j'avais peur que ça prenne un temps fou avant qu'ils ne se décident à bouger quand même. Donc c'est mieux qu'il y ait eu ton témoignage... et ta présence sur place. Maintenant, c'est clair que tout ça n'est plus utile."
Elle sourit.
" En tout cas, c'est gentil à cette... Hestia... d'être venue jusqu'à Bortheïas. Mais vu la description qu'on m'en avait fait, ça m'a l'air d'être quelqu'un de sympathique."

Byron acquiesça.
" Je ne l'ai pas vue longtemps... Comme tu l'imagines bien, nous étions un peu à cran, un peu pressés par le temps... Elle était très impressionnée par moi... mais je n'étais pas son premier centaure. Et de ce que j'ai compris, elle s'intéresse surtout aux créatures de la mer, désormais. Une fois que la procédure a été enclenchée, elle est repartie pour Luménis et son bateau."

" Oui, j'ai bien compris qu'elle passait tout son temps auprès des dauphins. Mais l'essentiel est qu'elle ait pu venir, ça n'est tout de même pas rien..."
Elle se demanda fugacement pourquoi l'aubergiste de la Bienveillance l'avait décrite comme une ancienne prêtresse, alors qu'elle avait visiblement encore tous ses pouvoirs. Mais ça n'avait guère d'importance après tout. Elle aurait bien voulu la rencontrer, tout de même. Quelqu'un qui passait plus de temps auprès des dauphins qu'auprès des humains lui semblait être quelqu'un d'intéressant à connaître. Sans doute parce que ces derniers temps, elle-même avait passé plus de temps auprès des centaures qu'auprès des humains, et s'y était trouvée très bien. Ça leur faisait presque un point commun, en un sens.
" Bon, je crois que je ferais mieux d'aller faire griller cette oie si je veux qu'elle soit cuite pour dîner... Tu vas passer la nuit avec nous ?"

" Oui, il est tard. Je partirai demain matin. Mais tu devrais garder ton oie : tu ne nourriras jamais toute cette smala avec une seule oie sauvage ! Il en faudrait bien quatre, surtout en cette saison. Je te conseille d'allumer un petit feu sur le côté... Histoire de ne pas réveiller les estomacs avec une odeur délicieuse mais vouée à la déception."
Il sourit.
" Mais je ne t'ai pas demandé comment tu allais, toi."

Astrée avait sous-estimé l'appétit des centaures. Il faut dire que Dymphéa l'avait plutôt encouragée à ne pas trop se préoccuper de les ravitailler. Effectivement, mieux valait qu'elle fasse cuire l'oie et les galettes seule dans son coin... et le lendemain serait peut-être suffisant.
La question de Byron l'embarrassa. Elle hésita un instant, puis haussa les épaules.
" Oh, je vais bien, je suppose. Même si je suis un peu triste de ne plus pouvoir bavarder avec Neffen, tout de même. Et un peu triste à l'idée de vous quitter bientôt, aussi..."
La vérité était qu'elle avait le cœur en miettes, et aucune envie d'aller où que ce soit. Mais elle ne voulait pas parler de Reynald, et il ne pouvait pas comprendre vraiment sa tristesse d'avoir perdu Neffen.
" Mais j'ai repris des forces, grâce à la bonne cuisine centaure, donc je vais bien mieux que lorsque tu m'as croisée à Montequine."

Byron la regarda avec une expression indéchiffrable, puis sembla sur le point de dire quelque chose, avant de sourire.
" Il faudra que tu notes quelques recettes. Je suis sûr qu'ouvrir une taverne spécialisée dans notre cuisine pourrait avoir son petit succès dans une ville telle que Luménis."
Il lui décocha un petit clin d'oeil puis l'invita à rejoindre le feu où s'étaient réunis les quelques membres de la petite troupe.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine