La Couronne de Cuivre

Hubert proposa de se coordonner avec Frida pour mettre celui-ci au point pendant la réunion d'état-major. Il serait probablement nécessaire de prévenir les colons, histoire que tous les civils dégagent la cour pendant la procédure. S'il devait y avoir un débordement, les soldats seraient sur le pied de guerre pour juguler l'invasion. Il exposa ensuite rapidement ce qu'il avait prévu avec Gabriel et l'état d'avancement de sa tâche. Il hésita à aborder le problème de l'autorité militaire sur les civils impliqués directement dans la défense, mais renonça. Ils avaient déjà beaucoup de travail à abattre ce matin-là et il n'avait pas envie de perdre du temps dans un débat creux sur les prérogatives des uns et des autres. Avec un peu de chance, Gabriel modèrerait sa consommation d'alcool et celle de ses pairs. Il ne voulait pas imaginer la précision de l'arbalète de Giovanni quand celui-ci avait un verre dans le nez.

Parvenus à ce point, ils avaient presque bouclé les sujets à aborder. On évoqua brièvement les civils; Entre les entraînement et le guet, nombre d'entre eux ne resteraient pas oisifs du soir au matin, et on retint le principe de laisser les thermes accessibles en permanence : ils offriraient une bonne distraction pour les gamins, mais aussi pour les adultes souhaitant se délasser, et trouver quelques personnes pour surveiller les lieux et éviter d'éventuels accidents ne serait pas problématique.
Vint enfin la phrase traditionnelle, cette fois prononcée par Étienne : à moins que l'un d'entre eux souhaite mentionner un dernier point, ils pouvaient se séparer.

Hubert n'avait rien à ajouter et il fut parmi les premiers à l'extérieur. Il prévint Frida et Etienne que la réunion d'état-major commencerait dans moins de cinq minutes. Il fit passer le message au premier officier qu'il croisa, lui demanda d'avertir les autres, puis se mit en quête de Varamyr. S'il fallait passer aux choses sérieuses, s'il fallait envisager de détruire les Paludiers qui les assiégeaient, ils auraient besoin de leur seule et unique source d'information sur l'adversaire. Là aussi, Hubert regrettait de n'avoir qu'un seul interlocuteur. Mais il n'avait pas le choix de ses alliés.

Il localisa le paludier quasiment instantanément : celui-ci errait dans la cour, les mains dans le dos, la mine fermée : sans doute Frida l'avait-elle prévenu que sa présence serait requise lors de la réunion d'état-major. Quant à son énorme lynx, il était hors de vue, peut-être retiré dans un coin tranquille du fort, pour peu qu'il y en ait.
-Hubert, dit-il simplement lorsqu'ils furent réunis, accompagnant le mot d'un simple geste de la main.

" Varamyr, répondit le paladin avec un signe de la tête. J'espère que vous n'êtes pas opposé à assister à la réunion d'état-major. Je voudrais vous demander... d'être honnête."
Il pinça les lèvres.
" Mais de peut-être garder pour vous vos craintes les plus noires. Certains des officiers ont été très secoués par les événements d'hier... J'ai besoin qu'ils croient en quelque chose, pas qu'ils sombrent dans le désespoir."

-D'abord, n'en ayant pas encore eu l'occasion, je vous présente mes condoléances. Malgré les réserves que j'ai pu émettre le concernant, j'avais beaucoup de respect pour Robert. Ensuite...
Il fit la moue.
-Participer à la réunion ne me gêne en rien. Mais je ne sais pas ce que je pourrais dire que je n'aie déjà dit. De surcroit, je pense que tout le monde est conscient que l'unique alternative qui s'offre à nous, c'est les anéantir ou être anéantis.

Hubert opina du chef et le remercia pour ses condoléances.
" Je préfère quand même vous avoir avec nous. Je voudrais que nous ayons vraiment toutes les cartes en main et si c'est pour devoir vous faire chercher à tout bout de champ, l'intérêt est limité."
Il sourit et l'invita à le suivre vers la tour.
" Les autres doivent être arrivés. Ne perdons pas de temps, nous avons du travail ce matin."

Le Paludier lui emboîta le pas sans mot dire, et ils gagnèrent l'étage de la tour sud-est qui faisait désormais office de réunion. L'intendance était passée par là, installant une table et des bancs. Ce mobilier, aussi rustique qu'il soit, faisait une drôle d'impression, isolé au milieu de la vaste pièce déserte où s'engouffrait l'air glacé - ce qui ne durerait peut-être plus, vu le projet retenu lors de la réunion du Conseil.
En dehors d'Edgar, qui les talonnait, tout le monde les avait précédé et Louis, sa brève convalescence terminée, faisait désormais partie de la compagnie. Il paraissait plus reposé que la vienne, quoiqu'il affichât moins de superbe, plus de retenue.

Hubert salua tout le monde.
" Bon. Nous allons commencer par un tour de table. Compte rendu des gardes, nuit comme jour, organisation des entraînements, Frida parlera du remplacement des portes, nous discuterons du dispositif à prévoir, c'est notre urgence de ce matin. Je vous parlerai des lanceurs de sorts, puis nous aborderons le sujet crucial : comment nous débarrasser de ce qui rôde dehors. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à Varamyr de participer à la réunion."
Il balaya l'assemblée du regard.
" Avant toute chose, est-ce que tout le monde a bien dormi ? Etes-vous bien installés ? Manquez-vous de quelque chose ?"

Ses officiers dirent avoir dormi comme des souches, à l'instar de leurs hommes : bien sûr, ça n'était pas le grand confort, mais cela ne changeait guère de ce qu'ils avaient connu au cours du voyage et personne ne songea à se plaindre. Les courants d'air avaient gêné l'un ou l'autre, mais puisqu'on allait bientôt remédier à cet inconvénient... Bref : en matière de logement, pas le moindre problème.
Pas de problème non plus en ce qui concernait le gardes. Frida signala que quelques volontaires s'étaient brièvement assoupis en cous de nuit, argua qu'à son avis on pouvait les remettre à l'essai, puisque les heures précédant leur service n'avaient été reposantes pour personnes, et conclut qu'en définitive, si rester éveillés leur était trop difficile, les candidats pour les remplacer ne manquaient pas.
La rôdeuse aborda ensuite la question des portes : l'installation, si elle était bien préparée, serait très brève. Restait néanmoins à prendre des précautions.

" De combien de temps parlons-nous ? demanda Hubert. Et comment cela se déroulera-t-il ? Il faudra abattre les précédentes, je suppose. Cela ne se fera pas sans être vu. Comment l'imaginiez-vous ? Ouverture des portes, sortie d'un cordon de sécurité, démontage, remplacement, en gardant les cannibales à distance ? Pour l'instant, si je ne m'abuse, il n'y en a pas beaucoup à proximité du fort. Le temps qu'ils nous repèrent et qu'ils sonnent l'alarme, une bonne partie du travail pourrait être faite..."
Il grimaça.
" Je n'y connais pas grand chose en menuiserie. J'imagine que les archers et les mages peuvent se placer au-dessus des portes et canarder tout ce qui s'en approche. Et l'idéal serait que votre aigle nous garantisse l'effet de surprise, au moment où nous agissons."

-S'il surveille les cannibales, ceux-ci le remarqueront : ils ont des oiseaux à leur service. Je pense de surcroît qu'ils essaieront de l'abattre. Mais cela détournera leur attention, ils penseront à une simple mission d'espionnage et oui, je crois que cela nous garantira l'effet de surprise. Quant au temps que prendra l'opération... Nous avons profité de notre première nuit au fort pour creuser, sous l'arche, des trous devant accueillir les nouveaux gonds ; il faudra néanmoins consolider leur fixation en y introduisant du mortier et, pour qu'il sèche plus rapidement, demander l'aide des clercs. Cette manœuvre devra bien sûr être précédée de l'enlèvement des anciens battants, et suivie de l'installation des nouveaux. A vue de nez, je dirais que le tout prendra environ un quart d'heure. Hum, et je pense que des tireurs et des mages sur le rempart ouest pourraient suffire à repousser un éventuel assaut.

" En fait, je ne songeais pas à envoyer votre aigle au devant des cannibales, mais plutôt à lui demander de chasser tout volatile suspect survolant notre fort. S'ils aperçoivent nos préparatifs dans la cour, ils pourraient tenter quelque chose. Votre compagnon est bien trop précieux pour que nous le risquions dans cette manoeuvre."
Il se tourna vers les autres.
" Bon. Lanceurs de sorts et archers en position. Il est clair que les sentinelles tiennent leur poste comme de coutume. Est-ce qu'un rang de cavaliers ne reste pas nécessaire, pour repousser des cannibales qui arriveraient au corps à corps ? Nous ne pouvons pas négliger la possibilité que leurs mages... leurs shamans... décident d'entrer dans la danse. Ils se sont faits discrets, hier, mais cela ne veut rien dire. Et je pense qu'il faut avoir des hommes dans la cour, prêts à intervenir au cas où quelqu'un forcerait le passage."

Ses officiers acquiescèrent à ses idées, les habituels cavaliers avec même un certain enthousiasme : sans doute voyaient-ils comme une revanche ou un défi la possibilité de sortir en armes et à cheval du fort ; sans doute, aussi, espéraient-ils qu'on les autoriserait à faire partie des personnes retenues pour cette mission de protection.
-Les cannibales verront probablement cette sortie comme une provocation, intervint Varamyr. Difficile toutefois de dire si cela les encouragera ou non à attaquer immédiatement : de ce que j'en ai vu, ils craignent les projectiles de nos mages et, ayant pu juger de leur portée, il veillent à rester constamment hors de celle-ci.

" Il est clair que cette sortie ne doit en aucun cas dégénérer, dit Hubert. Il s'agit juste de placer une dizaine de cavaliers..."
Il regarda en direction de Guillermo.
"... entre les cannibales et les civils qui procéderont à l'installation des portes. Des armures et du sang-froid, c'est tout ce dont j'ai besoin. Même si les mages sont en embuscade, je ne veux pas prendre le risque qu'une flèche ennemie aille faucher un menuisier. Qu'en pensez-vous, Guillermo ? Est-ce que vous pensez pouvoir vous en charger ? Il n'est pas impossible de penser que nos mages ou nos clercs puissent renforcer les défenses des hommes qui s'exposeront."
Laisser un de ces jeunes chevaliers pétris de haine en première ligne était absolument hors de question, même si Hubert lisait déjà la déception sur certains visages. Il n'avait certainement pas besoin que l'un d'entre eux perde sa maîtrise et aille se brûler au nom d'une vengeance actuellement impossible.

Le mercenaire opina aussitôt du chef. Rien d'étonnant, puisque s'interposer entre la Communauté et ses ennemis était sa mission première.
-Très bien, je constituerai un groupe adéquat dès que la réunion sera terminée.
Si les chevaliers - et même Edgar - semblèrent effectivement déçus, aucun d'entre eux ne fit mine de protester et, un instant plus tard, ils s'efforçaient de se concentrer à nouveau. Le trépas de Robert avait dû faire réfléchir même le plus fougueux d'entre eux.

Hubert ne pouvait pas se laisser émouvoir par leurs mines contrariées, et il n'y prêta donc guère attention. Il convint avec Frida qu'elle le préviendrait une demi-heure avant la procédure, pour qu'ils puissent placer les défenseurs, préparer les cavaliers, vider la cour des civils et y poster des soldats.
Il enchaîna ensuite sur les dispositions qu'il avait prises pour coordonner les mages, avec Gabriel, et sur les résultats prochains de cette initiative.
Enfin, il passa au sujet principal de leur réunion.
« Bon. Soyons pragmatiques. Nous sommes en état de siège. Les sièges se lèvent de deux manières : soit les assaillants sont contraints de partir, parce qu’ils ont faim, froid, soif, parce qu’ils se lassent et que le jeu n’en vaut pas la chandelle, soit les assaillants sont défaits. Varamyr, ici présent, affirme que les Paludiers ne renonceront pas, malgré l’hiver et tout le reste. J’imagine qu’ils viendront à s’entremanger pour tenir le coup, s’ils en ont terminé avec leur bétail actuel. Mais ils viennent de détruire une tribu adverse, ils en ont donc pour un certain temps, et ils sont libres d’aller se ravitailler. Ce qui n’est pas notre cas. Bref, il faut imaginer qu’ils ne partiront pas et qu’il nous faut les détruire. Ils sont plusieurs centaines, nous sommes environ quatre-vingts combattants. Toute sortie de notre part sera soldée par des pertes importantes, en hommes et en chevaux. Ils nous ont vu à l’œuvre, ils n’ont aucune raison de nous sous-estimer. A voir les armures que certains portent, ils ont une certaine habitude des guerriers. »
Il croisa les bras.
« En conséquence, il me semble que notre meilleure chance est le débarquement d’une force extérieure et providentielle. Des renforts, en somme. »
Il se tourna vers Etienne.
« Avons-nous la moindre raison d’espérer que, si une cité alliée était avertie, elle nous viendrait en aide ? Nous avons un trésor conséquent qui pourrait servir à nous acheter du soutien, le cas échéant... L’alternative est d’aller chercher des Paludiers. Aux Dents Grises. Ils doivent détester ces cannibales autant que nous. Si nous pouvions leur porter un message et les convaincre de nous aider… »
Il soupira.
« Voilà l'état de mes réflexions. Où en sont les vôtres ? »

Ils s'entreregardèrent. Apparemment, s'ils avaient tous envie de vaincre les Écorcheurs, ils n'avaient pas forcément réfléchi aux moyens d'y parvenir.
-Je suis d'accord avec toi, il est sans doute possible d'obtenir de l'aide des cités avec lesquelles nous avons pris contact, intervint finalement Étienne. Comme tu le disais, nous avons de quoi payer leur soutien... Bon, si nous avions eu de quoi prouver que les légendes concernant Clairétoile sont vraies, si nous avions eu, par exemple, quelques diamants à présenter, la démarche aurait été encore plus simple. Mais nous avons vu la cité, ce qui n'est pas rien... Bref, à mon avis, cela vaut la peine d'être tenté. Resterait à monter une petite expédition, avec quelqu'un disposant d'atouts certains en matière de persuasion...
-Cela risque cependant d'être très long. Trop, peut-être, car si Grand-Estuaire refuse d'intervenir, il faudra aller beaucoup plus loin... fit Varamyr. -Alors sans forcément renoncer à cette opération, il me semble important de chercher un appui auprès des Paludiers des Dents Grises : nos ennemis sont les ennemis de tous les habitants fréquentables des Landes, lesquels verraient d'un bon œil disparaître cette menace.
-Cette démarche prendra aussi beaucoup de temps.
-Un peu moins.
-Nous pouvons tenir un bon moment : nous possédons plusieurs sacs sans fond copieusement remplis, si bien que nos réserves de vivres sont plus importantes qu'on ne le croirait de prime abord.

Hubert sourit, rasséréné par la réaction des personnes rassemblées autour de la table.
" Je pense que courir les deux lièvres n'est pas une mauvaise idée. Même si les deux factions répondaient présentes, vu ce qui nous assiège, ce ne serait pas forcément problématique. Mais cela veut dire constituer deux équipes, nous assurer que ces deux équipes peuvent quitter les environs sans être repérées par les Paludiers et ne pas déforcer nos défenses ici... Combien de personnes pensez-vous nécessaires dans chaque groupe ? Trois ? Quatre ? Une petite équipe quittera plus facilement le fort sans être détectée. J'imagine, Varamyr, que vous seriez nécessaire au groupe ralliant les Dents Grises. Pour Grand Estuaire, la route est désormais balisée, même s'il va neiger... Frida m'a dit que les éclaireurs tournaient déjà en rond, il y aura bien un volontaire parmi les rôdeurs..."

-Je crois que tous les rôdeurs et tous les éclaireurs sans exception seront volontaires : rester dans un fort n'est pas... notre fort, si je puis dire. La seule difficulté qui se posera donc sera de réussir à en convaincre quelques-uns de demeurer ici. Pour le reste, des groupes de trois me sembleraient convenir.
-Je ne suis pas forcément indispensable pour discuter avec les Paludiers et je pense que ce serait bien que quelqu'un d'extérieur aux Landes aille également leur parler. Néanmoins, je veux bien participer à l'expédition. Mon compagnon en sera ravi, qui se sent un peu à l'étroit, ici...
-Mais qui enverrons-nous discuter avec Grand-Estuaire ? s'enquit Étienne, l'air vaguement inquiet.

" Tu aurais été mon premier choix, dit Hubert. Mais j'imagine que tu n'as nulle envie de partir, et je pense que ta présence en ces murs est plus que nécessaire, si le temps devait devenir long. Je sais que vous vous défendez d'avoir une hiérarchie, au conseil, mais tu restes l'instigateur du projet, l'orateur, le symbole... Si tu disparaissais dans l'hiver, j'aurais peur de l'impact sur le moral, de manière générale."
Il haussa les épaules.
" Qui a traité directement avec eux, hormis toi ? L'idéal serait une tête connue et respectée. Marthe, peut-être ?"

-C'est surtout moi qui ai traité avec les autorités de Grand-Estuaire. Mais elles étaient assez frileuse, assez tatillonnes, assez... procédurières, donc Marthe m'a effectivement donné un coup de main : ça les rassurait d'avoir une magistrate comme interlocutrice. Sinon...
Il marqua une hésitation avant de reprendre.
-Sinon, nous avons fréquemment eu recours à Louis pour ngéocier avec d'autres cités.
L'intéressé donna aussitôt l'impression de vouloir se faire tout petit.

Hubert se tourna vers Louis, sans savoir exactement pourquoi le chevalier réagissait de la sorte. Etait-il crispé à l'idée de devenir le sujet de l'attention ou bien redoutait-il d'être envoyé en mission ? De toute façon, les états d'âme du jeune d'Argencourt ne pouvaient pas primer sur la nécessité.
" Imaginons que Marthe aille avec Varamyr, pour rencontrer les Paludiers. Louis pourrait aller... avec Frida."
Il avait confiance en la rôdeuse, et il avait besoin d'une personne de confiance pour superviser le chevalier. Mais il n'avait aucune idée des liens qui existaient entre les gens, tensions ou amitiés.
" Est-ce que ça a du sens ? Ou bien... Louis, Marthe et Frida à Grand Estuaire, et une autre équipe aux Dents Grises. Mais il va me falloir des interlocuteurs de taille."

-Dame Marthe pourrait plaire aux Paludiers : c'est quelqu'un de sage, de réfléchi, elle pourrait les convaincre que la Communauté n'a rien en commun avec les habituelles expéditions de... pilleurs de ruines.
-Pour ma part, je pense pouvoir amener sans trop de risques quelqu'un jusqu'à Grand-Estuaire. Je commence à bien connaître l'itinéraire.
La remarque parut soulager Étienne, qui se tourna derechef vers son ami. Lequel soupira.
-J'irai où on me dira d'aller, fit-il simplement.

Hubert regarda le jeune chevalier, puis Etienne. Il faudrait qu'ils aient une petite conversation, tous les trois, mais sans doute n'était-il pas nécessaire de l'avoir sous les yeux des autres officiers.
" Bon. Marthe avec Varamyr et un bon combattant. Louis avec Frida et... je ne sais pas ce qui pourrait vous faire défaut. Je rechigne à me séparer des lanceurs de sorts, mais je reconnais qu'ils pourraient vous être utiles. Peut-être devriez-vous choisir votre troisième compagnon en fonction des affinités. Un éclaireur pourrait être approprié, mais je garde les non-humains et vous emportez le casque. Ou l'inverse."

-Un éclaireur supplémentaire dans chaque groupe me semble l'idéal : ils ont désormais bien l'habitude de se déplacer et de se battre dans les marais, ils sont généralement discrets, ils sont doués à l'arc et, pour certains, de bonnes lames.
Étienne toussa dans son poing.
-Sur le principe, je suis entièrement d'accord avec tout ce qui vient d'être dit. Restera néanmoins à consulter Marthe, pour savoir si elle se sent d'accomplir un tel périple, et à réunir le Conseil : envoyer au loin deux de ses membres, ça n'est pas anodin, cela nécessitera sans doute quelques... réaménagements.

" Oui, je sais que ce n'est pas anodin, mais nous sommes obligés d'envoyer des personnes de marque pour convaincre nos interlocuteurs."
Il pinça les lèvres.
" Nous parlerons à Marthe et au conseil ensuite. Nous devons d'abord régler le problème de faire sortir ces groupes du fort. Pour l'heure, je ne connais pas encore l'arsenal des mages, je ne sais pas s'ils ont des sortilèges propres à nous aider ou s'ils ne sont que portés sur la boule de feu. J'imagine qu'il sera difficile d'envisager des méthodes précises sans savoir à quoi nous en tenir. J'aimerais aussi que nous puissions rassembler un maximum d'informations sur les cannibales qui nous assaillent. Sans risquer l'aigle, il me faudrait l'estimation la plus précise de leurs forces... Peut-être y a-t-il moyen de tirer quelque chose de leur ballet autour de notre position, mais si nous mettons ensemble tout ce que nous avons observé pendant l'assaut, peut-être aurons-nous des informations précises à communiquer à nos éventuels alliés."
Il se tourna à nouveau vers Etienne.
" Et si vous pensez que les gens de Grand Estuaire pourraient nous dénier leur aide en l'absence de preuves tangibles de notre succès prochain, nous pourrions envisager de fouiller plus précisément le sous-sol... Il n'est pas interdit de penser qu'il y reste des vestiges. De toute façon, il faudra apporter quelques gages de bonne volonté issus du trésor."
Il regarda Varamyr.
" Je ne sais pas si les Paludiers sont sensibles au même genre d'arguments..."

Il secoua aussitôt la tête.
-Non. Ils pourraien même très mal prendre une telle proposition, car nombreux sont ceux qui ont essayé de les soudoyer pour obtenir les secrets des cités perdues, et ça ne leur a jamais plu. Non, puisque la Communauté souhaite s'installer dans cette région, le mieux est qu'elle en adopte les coutumes. Nous leur demandons de verser leur sang pour nous ? Offrons leur de verser le nôtre pour eux si le besoin s'en fait un jour sentir. Dans les Landes, avoir un allié est une chance énorme à laquelle ils ne resteront pas insensibles. A mon avis, leurs bonnes dispositions et leur haine des cannibales feront le reste.

" Merci de cette précision. Votre concours nous sera précieux. La dernière chose que nous voulons faire est vexer des alliés potentiels."
Il se tourna à nouveau vers Etienne.
" Je pense nécessaire de discuter de ce projet en conseil. Non seulement nous devons en envoyer certains membres au loin, mais de surcroît, cela pourrait changer la dynamique de nos relations avec le voisinage... Si Grand Estuaire est part de notre délivrance, ils exigeront peut-être une contrepartie que nous devons prendre le temps d'examiner."
Il baissa les yeux, demeura silencieux une minute.
" D'autres réflexions sur ce sujet ? Toute observation est bonne à prendre."

Aucun des membres de l'état-major n'eut à ajouter quoi que ce soit : de l'avis général, l'idée était bonne et il convenait maintenant que le Conseil se prononce. On revint ensuite à des points évoqués un peu plus tôt. L'unanimité fut de mise pour dire qu'il fallait pouvoir donner à leurs alliés potentiels une idée aussi précise que possible des forces de l'ennemi qu'ils auraient à affronter ; en ce domaine, Varamyr précisa qu'on ne tarderait pas à voir apparaître le reste de la tribu, composée essentiellement de "civils" mais aussi, peut-être, de quelques guerriers et de prisonniers. Enfin, l'ensemble du groupe manifesta son enthousiasme à propos des fouilles dans les caves : Frida rappela la probabilité de l'existence d'un tunnel reliant les deux forts, tandis que Guillermo estima qu'il y avait sans doute au moins un passage secret permettant de quitter le château discrètement. En tout cas, le contraire l'étonnerait grandement.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée