La Couronne de Cuivre

Après l'aube vinrent les nuages. Le vent se mit à souffler, glacé, soulevant des embruns qui semblaient réduire le travail des deux hommes à néant. Corentin ne paraissait pas s'en inquiéter, c'était probablement d'usage. Le ciel demeura menaçant, sans crever, les couvrant d'une pénombre de mauvaise augure. L'odeur des saucisses s'amenuisa, signe que le petit déjeuner était terminé et le jeune pirate jura à mi-voix. Enfin, ils arrivèrent au bout de leur corvée.
"Grouillons-nous d'aller voir s'il nous ont laissé quelque chose..."

Taliesin secoua la tête.
-Vas-y. Mais moi, je crois que je vais descendre à terre. Je me sens un peu patraque, et puis... Je n'ai pas super envie qu'on se paye encore ma fiole à case de cette histoire de Rouste...
Il grimaça.
-D'ailleurs, faut que je réfléchisse à la manière dont on va accomplir notre gage. On est vraiment mal barrés, tu sais... Bref, marcher un peu, ça m'éclaircira les idées. Peut-être aurais-je une illumination...

"Je te reconnais bien là !" s'exclama Corentin en le gratifiant d'une tape amicale sur l'épaule. "Ne vas pas te perdre comme hier soir. Un de ces jours, tu tomberas d'une des falaises, si tu ne te fais pas coincer par l'un des fugitifs. Et n'oublie pas qu'on est de garde sur la plage ce soir."
Puis il fit volte-face et se dirigea vers la coquerie en sifflotant.

Sans plus attendre, Taliesin se dirigea vers la passerelle menant à la terre ferme.
Tout en marchant, il songea aux paroles très révélatrices de Corentin. D'abord, les pirates savaient qu'il y avait des survivants cachés quelque part, ce qui expliquait leurs expéditions dans les grottes. Ensuite, s'il voulait continuer à jouer le rôle de Finn, il devrait se rendre sur la plage à la nuit tombée. C'était bon à savoir et potentiellement intéressant...
Pour l'heure, il avait l'intention de regagner le refuge où Guéric et lui s'étaient installés, usant au besoin d'un sort d'invisibilité pour se soustraire aux regards ennemis. Il espérait bien que le halfelin l'attendait : ils devaient faire le point.

Les rues du petit port étaient animées. Pas comme un jour de marché à Luménis, mais tout de même : le petit bourg de Mersant étant minuscule, il y avait là une grande concentration d'hommes qui vaquaient à leurs occupations. Plusieurs femmes, aussi, et qui n'avaient pas l'air de catins embarquées pour soulager les pirates. A la lumière du jour, les déprédations que les hommes du Squale avaient infligées aux bâtiments étaient plus apparentes. Taliesin gagna le pré sans être inquiété, mais il n'était pas le seul dans la grande étendue herbeuse. Il remarqua que le terrain avait changé de physionomie. Vers le nord de l'île s'ouvrait désormais une grande fosse, comme s'il y avait eu un glissement de terrain. De nombreux pirates étaient amassés autour d'elle, lorgnant dans les profondeurs du trou en devisant. A voir les costumes de certains, ils ne devaient pas manquer de galon.

Voilà qui n'arrangeait pas ses affaires. Compte tenu de la fréquentation des lieux, il ne pouvait pas incanter, ni même s'approcher de l'entrée des tunnels : il aurait couru trop de risques d'être repéré. Impossible également d'aller examiner cette fosse - ce qui le démangeait pourtant - ou de se tenir à proximité des officiers pour écouter leur conversation : mieux valait ne pas se faire remarquer par de tels personnages.
Bref, il n'avait plus qu'à faire demi-tour et à revenir plus tard, quand la zone serait plus dégagée. En attendant, il pouvait toujours flâner dans le village, tendre l'oreille, essayer de repérer cette fameuse prison. D'ailleurs, à la base, c'était pour cela qu'il avait gagné la surface, non ? Avec un peu de chance, il ne rentrerait pas complètement bredouille de son expédition...

Le petit bourg s'animait. La plupart des marins à terre semblaient avoir des tâches à accomplir, mais quelques uns erraient, comme Taliesin. Il n'attira aucun regard, aucun salut : chacun vaquait sans inquiétude. L'elfe repéra des sentinelles aux extrémités du port, sur le site de l'ancienne tour qu'ils avaient jetée au travers de l'entrée (il ne restait rien des blocs qui avaient autrefois obstrué le passage). La plupart des personnes qui traînaient sur le site avaient l'air de pirates quelconques, bretteurs ou guerriers en mal d'iode et de sensations fortes. Il repéra cependant un clerc de Talos, dont l'allégeance s'exprimait en éclairs argentés sur son costume noir, un bandeau lui barrant l'oeil, et au moins une barde, la flûte passée à la ceinture comme un coutelas. Guéric n'avait pas menti : ils étaient des centaines et paraissaient redoutables bien que désorganisés.
Il repéra facilement la prison dont avait parlé Guéric, après tout, il n'y avait que six bâtiments sur l'île. C'était une des maisons sur la droite du port, à l'opposé de l'auberge. Elle était évidemment gardée, et un patrouilleur semblait tourner en permanence autour.

Redoublant de prudence, Taliesin passa non loin du bâtiment, essayant de regarder sans en avoir l'air, d'écouter sans paraître le faire. Peut-être d'infimes détails lui donneraient-ils des indications sur l'identité des prisonniers ? Il en doutait mais, puisqu'il était ici, autant en profiterC Car il ne pourrait pas, sans éveiller les soupçons, revenir fréquemment dans les parages de la prison. Un même individu rôdant souvent en semblables lieux, cela aurait forcément quelque chose de louche pour les sentinelles.

Il n'apprit rien. Ce n'était pas vraiment une prison, juste une maison barricadée. Les sentinelles étaient silencieuses, mi-lasses, mi-attentives. Aucun son particulier n'en sortait : pas de hurlements, de sanglots, de fracas. Une petite baraque gardée au milieu d'un petit port animé.
"Hé, toi, le glandeur !" s'éleva soudain une voix forte derrière Taliesin.
L'elfe ne put que se retourner.
"Oui, c't'à toi qu'je cause !"
Une des portes de la ferme, voisine de la prison, s'était ouverte sur un homme de grande taille, bâti comme un buffle, le corps saucissonné dans un large tablier de cuir. Il déposa un tonneau rempli de flèches sur le sol.
"Amène ça à l'arsenal. Au galop, bouge ton cul."

Le barde garda le silence et, malgré une furieuse envie d'envoyer balader le pirate, se chargea du tonneau.
C'était seulement la deuxième fois qu'il se promenait dans les rues du village. La première, il était tombé sur Corentin : on connaissait la suite. Et maintenant, la seconde fois à peine débutée... ça. Il fallait espérer que la conclusion serait moins catastrophique, ce qui n'était pas gagné puisqu'il n'avait aucune idée de l'endroit où les forbans avaient installé leur arsenal. Mais ça ne pouvait pas être si difficile à trouver, non ? Et puis, s'il tardait à arriver à bon port, si on s'étonnait de le voir errer avec son chargement, il pourrait toujours arguer que le coup sur la tête reçu la veille lui avait occasionné des pertes de mémoire.
Il s'éloigna donc sans mot dire, croisant les doigts pour que son labeur soit vite achevé. Et sans encombres, surtout.

Aucun des bâtiments n'avait une mine d'arsenal, vu de l'extérieur. Taliesin eut beau observer les allées et venues, il ne parvint pas à déterminer où il devait se rendre. Jusqu'au moment où il croisa le regard d'un autre forban, lequel semblait l'observer depuis un petit moment. C'était un humain hirsute, le visage buriné par les grands vents, et un crochet à la place d'une de ses mains.
"Tu vas où, comme ça ? C'est trop lourd ou quoi ?" grommela-t-il.

La rencontre pouvant s'avérer aussi positive que négative, il importait de ne pas commettre l'erreur. Mais il avait prévu son coup et déjà préparé sa réponse.
-Je dois amener ça à l'arsenal. Le souci, ce n'est pas que ce soit trop lourd, mais que mes idées soient trop peu claires. Et en aucun cas à cause d'une gueule de bois... Simplement, la rencontre brutale d'un crâne et d'une poutre lors d'une Rouste, ça laisse temporairement des traces.
Le plus amusant, dans tout cela, c'est qu'il ne mentait pas vraiment : il aurait très bien pu devenir amnésique suite à cet incident. Il aurait même dû s'en remettre beaucoup plus lentement. Et au lieu de cela, il se sentait plutôt en forme. Cherchez l'erreur...

Tu pourrais songer à châtier un peu moins ton langage... lui souffla Rumoc depuis les limbes de son esprit.
Le pirate le regarda un peu curieusement, puis haussa les épaules.
"C'est normal qu'tu t'plantes si t'essaies de passer par ici : la ruelle est trop pentue. Va par l'chemin d'la ferme, puis tourne à gauche derrière le hangar. Y'aura bien un gars pour t'aider à descendre."
Il planta ses poings sur ses hanches.
"T'es d'quel navire, toi ?"

-Du Souffre-Douleur, répondit-il aussitôt - autant continuer à jouer le rôle de Finn !
Puis il jeta un regard dans la direction que lui avait indiqué le pirate.
-Par contre, désolé, mais faut vraiment que j'aille porter ça... J'étais censé me grouiller, alors si je traîne trop, ça va chauffer pour mon matricule !

Le pirate haussa les épaules et retourna à sa propre oisiveté, tandis que Taliesin reprenait son cheminement pénible. Le chemin montait vers le hangar, caillouteux, et pas un seul des forbans qu'il croisa ne se proposa de l'aider. Le tonneau pesait une tonne au bas mot. Le barde devina d'ailleurs des sillons aux endroits où la terre était plus meuble : il n'était pas le premier à transporter avec peine un fardeau jusqu'à l'arsenal. Qu'il découvrit enfin : il était effectivement derrière le hangar, dans une grotte dont l'entrée avait été élargie et étayée. En y pénétrant, il devina où il se trouvait : dans la caverne que son groupe avait surveillé au travers d'une fissure, une éternité plus tôt.
"Pose ça par-là, mon gars." fit un homme à l'entrée, en lui désignant un coin où d'autres flèches attendaient déjà.
L'intendant griffonna ensuite quelque chose sur un morceau de parchemin.

Non sans soulagement, le barde fit ce qu'on lui demandait. Il en profita, mine de rien, pour examiner les lieux : il se disait que provoquer ici un incendie pourrait porter un rude coup aux pirates... Il essaya également de repérer l'anfractuosité par laquelle lui et ses compagnons les avaient autrefois espionnés. S'il avait été seul, il serait allé y jeter un coup d’œil. Mais, bien sûr, il ne le pourrait pas. Et même s'il l'avait pu, qu'aurait-il découvert ? Les deux guetteurs qui étaient demeurés là, s'ils n'étaient pas morts à cause du tremblement de terre, avaient dû périr de faim, de soif...

Le responsable de l'arsenal ne le laissa malheureusement pas musarder bien longtemps, le suivant du regard avec une certaine tension. Les murs de la caverne étaient couverts d'anfractuosité et de recoins obscurs : sans indice pour le guider, il lui serait bien difficile de trouver la fissure qui menait à l'autre couloir. Il ne parvint en tout cas pas à la repérer. Finalement, les yeux inquisiteurs de l'intendant eurent raison de sa curiosité, comme Rumoc lui suggérait de ne pas tenter Dame Tymora de la sorte, et Taliesin dut regagner le grand air. Il n'avait rien découvert de transcendant : des armes, beaucoup, mais pas vraiment plus que ce qu'on aurait pu attendre de la part d'un demi-millier de pirates assiégés sur une île.

Que faire à présent ? s'interrogeait l'elfe tout en s'éloignant nonchalamment.
C'était la grande question. car toutes les pistes évidentes étaient épuisées : il avait localisé la prison sans parvenir à obtenir d'indices sur ceux qui s'y trouvaient ; il avait trouvé l'arsenal sans réussir à recueillir de nouvelles de ses compagnons disparus ; il s'était infiltré parmi les pirates sans rien obtenir en dehors d'un violent coup sur la tête... Bref, il avait fait son possible et, à présent, il séchait.
Tu as une idée pour nous occuper utilement ? demanda-t-il à Rumoc.
Si ce n'était pas le cas, il ne voyait d'autres solution que se réfugier dans un coin hors de vue pour se rendre invisible puis foncer vers l'entrée des grottes en espérant que le sort tienne assez longtemps. Car errer sans but dans le village ne lui avait valu qu'une tâche accomplie à grand peine et qui lui avait fait courir le risque d'attirer l'attention par son manque de connaissances sur l'organisation des pirates. Continuer à déambuler ainsi était donc hors de question...

Je ne sais pas... Poser des questions ? fit Rumoc. Je pensais que Guéric était l'observateur et toi le bavard. On devrait peut-être pousser notre avantage pour récolter des informations de manière un peu plus active. Après tout, tu es le roi du déguisement, et personne ici n'a l'air d'être bien au fait du nombre de pirates sur le bateau du voisin. Tant qu'on reste loin du Souffre Douleur, et que le véritable Finn ne repointe pas le bout de son nez, on devrait s'en tirer ? A l'attaque, moussaillon ! Tirons-leur les vers du nez !

Le problème, c'est que ma meilleure source potentielle d'informations, Corentin, se trouve justement sur le bateau. Lui, j'aurais pu le cuisiner sans trop de mal. Mais les autres... j'ignore tellement de choses élémentaires que tout le monde ici connaît que mes questions pourraient éveiller les soupçons...
Il soupira.
La meilleure solution serait sans doute d'aller à la taverne pour écouter les conversations, mais... je n'ai pas le moindre liard en poche pour me payer à boire. Or, quelqu'un assis sans rien pour se rincer le gosier paraîtrait étrange. Bon, après, peut-être les pirates ne payent-ils pas leurs consommations, puisque, j'imagine, elles doivent provenir de leur pillage de Mersant... As-tu remarqué quelque chose à ce niveau ?

Tu crois vraiment que ces pirates paient leurs consommations ?! Tu as une image bien ordonnée de la flibuste, dis donc. Je n'ai pas vu qu'ils s'échangeaient quoi que ce soit, hier soir. Bon... Cela dit, ils doivent avoir des systèmes de contrôle, sinon ils seraient morts saouls toute la journée... Ce qu'ils sont peut-être.
Il rit gaiement, résonnant dans la tête du barde.
Mais je suis surpris que tu te fasses si peu confiance. Tu es barde ! N'es-tu pas censé pouvoir embobiner n'importe qui ? De tous les menteurs, tu devrais être celui que je percerais le plus difficilement à jour ! Allons-y, je te le dis ! A la taverne ! On va leur tirer les vers du nez en beauté, Corentin ou pas Corentin ! Mais qu'est-ce qu'on veut savoir, au juste ? Prépare ton entretien, mon joli, sinon on va avoir l'air fins.

-Ce qu'on veut savoir ? Et bien tout ce qui concerne leur organisation et que Guéric ne pourrait pas voir par ses observations. L'identité des prisonniers, aussi. Ou encore l'endroit où réside le Squale et ses intentions pour la suite... Un tas de choses, en somme, qui ne sont malheureusement pas toujours faciles à caser dans une conversation. Et pour ce qui est de me faire confiance... Si tu connaissais toute mon histoire, tu verrais à quel point j'ai raison de douter de moi ! Mais au regard des circonstances, il faudra que je passe outre, car nous n'avons d'autres choix que d'aller de l'avant. Bref, en route !
Et de prendre aussitôt le chemin de la taverne.

La taverne était loin d'être pleine à cette heure de la journée. Certains marins y prenaient leur déjeuner, cependant, et ils ne prêtèrent pas attention à Taliesin lorsqu'il entra. Celui-ci nota rapidement qu'en réalité, l'endroit n'avait plus rien d'une auberge : il n'y avait ni serveuses, ni tenancier. Les pirates semblaient aller se servir eux-mêmes, quelque part dans la zone des cuisines. Aucune odeur de nourriture chaude ne flottait dans l'air et les assiettes étaient composées de pain, de fromage, d'un peu de viande froide, d'un oignon mangé cru. A plusieurs tables, des hommes se sustentaient seuls. Taliesin avait l'embarras du choix pour se trouver un compagnon.

Voir les pirates manger lui rappela qu’il n’avait rien avalé depuis la veille ; son estomac s’en souvint aussi et se manifesta immédiatement avec force. Aussi l’elfe se dirigea-t-il sans tarder vers les cuisines, décidé à récupérer quelques mets ainsi qu’une choppe de bière pour les accompagner. Sitôt qu’il aurait rassemblé de quoi se sustenter et s’abreuver, il regagnerait la salle commune. Et puisque les lieux étaient peu fréquentés, ce qui rendait presque impossible de surprendre une conversation utile, il se livrerait à une observation rapide des quelques forbans présents. Il en trouverait bien un qui semblerait susceptible d’accueillir positivement un peu de compagnie !

La cuisine avait des allures de porcherie : on s’y était servi sans prendre garde à respecter les lieux. Plusieurs tonnelets de la même bière étaient entamés, plusieurs jambons avaient été rognés au petit bonheur la chance, et ceux qui avaient découpé le fromage n’avaient décidément pas le compas dans l’œil. Taliesin trouva aussi des pommes (celles qui restaient n’étaient plus de première fraîcheur) ainsi que des oignons, des pommes de terre crues, quelques choux, un motte de beurre à l’aspect incertain, du pain plus sec que sec. Ce n’était certainement pas là qu’on venait pour goûter à des mets un peu préparés ou réfléchis. Le barde put donc se préparer une assiette garnie à défaut d’être appétissante avant de regagner la grande salle.
Là, il regarda autour de lui. Il y avait en tout une dizaine de pirates, de tous les styles. Deux femmes solitaires, un vieux loup de mer, un jeune forban borgne, un grand homme au teint sombre bâti comme une armoire à glace, un demi-elfe propre sur lui, deux gnomes avinés…

En essayant de ne pas en avoir trop l’air, Taliesin détailla les personnes présentes. Il espérait en trouver une qui semblerait s’ennuyer ou, qui sait ? qui paraîtrait souhaiter un commensal. Nouer la conversation avec ce type d’interlocuteur serait assurément beaucoup plus simple, beaucoup plus productif. Peut-être l’un ou l’autre lui jetterait-il un regard, ce qui serait un signe ? Peut-être même Rumoc pourrait-il lui apporter son concours, lui qui n’était pas mauvais, loin s’en fallait, dans le domaine de l’observation ?

Il allait falloir se lancer, simplement. Personne ne levait les yeux vers lui. Les deux femmes bavardaient avec animation. Le jeune propret avait le regard concentré, perdu dans ses pensées. Les autres mâchonnaient sans réfléchir.
Si on choisissait celui qu'on trouve le mieux habillé ? proposa Rumoc. Evaluer nos chances juste en les regardant mastiquer, c'est assez juste. Comment comptes-tu entrer en matière ? Je pourrai peut-être t'aiguiller en fonction ? L'un dans l'autre, fonce, mon gars ! Quand on prend des risques, il faut les prendre. Sinon c'est moitié moins drôle !
La porte s'ouvrit sur un nouveau marin, manifestement mâtiné d'elfe noir, qui lui lança un regard venimeux avant de le doubler pour gagner à son tour les cuisines.

Rumoc… J’ai un garçon à qui j’ai promis de faire attention, une compagne que je dois secourir… Alors même si c’est moins drôle, il me faut être prudent. Mais tu as raison, je ne peux pas rester là à tergiverser. En avant donc pour le mieux habillé ! Quant à l'entrée en matière... Bah, j'improviserai.
Il s’approcha alors de la table occupée par le "propret".
-Ça te dérange si je me mets là ? s’enquit-il, bonhomme.
Après tout, puisqu’un personne d’ascendance drow venait d’investir les lieux, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que les dépositaires de sang elfe se regroupent…

Le demi-elfe le dévisagea, suspicieux et surpris, puis acquiesça d'un signe de la tête. Il quitta ensuite Taliesin du regard et laissa celui-ci courir sur la salle, avant de se réintéresser à son assiette. Le barde put constater que sa pêche dans la cuisine n'avait pas été très fructueuse : les meilleures denrées devaient avoir disparus dans les coqueries des navires depuis belle lurette. Le demi-elfe n'entama pas pour autant la moindre conversation. Taliesin put noter qu'il était mieux habitué et plus propre que la majorité, pour ne pas dire la totalité, des forbans qu'il avait croisés jusque là. Il n'était pas impossible qu'il s'agisse là d'un officier ou d'une autre personne de quelque "qualité". Rien sur lui ne l'identifiait comme mage ou prêtre, cependant, et il semblait encore intègre, anatomiquement parlant.

Le barde songea mentalement à l'image qu'il devait lui-même offrir : sans être le plus sale des pirates, il n'avait pu se laver depuis des éternités et ses vêtements auraient eu, eux aussi, bien besoin d'un nettoyage. Mais c'était sans doute mieux pour se fondre dans la masse...
-Désolé de m'imposer, dit-il après avoir avalé quelques bouchées. Mais j'ai pas envie d'avoir de nouveaux ennuis avec les drows ou les demi-drows. Ce serait bête d'être amoché juste pour ce qui se prépare. Enfin, si la rumeur dit vrai.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant