La Couronne de Cuivre

La conseillère se redressa sur son siège, son regard se fit plus sombre, mais elle n’éleva pas la voix.
« Dame Du Varden. Il est des choses de l’histoire luménienne que vous ne connaissez pas, et des épisodes que nous aimerions tous oublier. Vous me voyez ravie qu’en ces circonstances, vous ayez confiance en Taliesin. Cela ne peut que contribuer positivement au travail de votre équipe. Vous me permettrez de réserver mon jugement en ce qui le concerne. Il n’a en tout cas démontré aucun attachement sincère à la ville, ni à ce qu’elle représente, et n’escompte que profiter du refuge qu’elle offre. S’il faut lui forcer la main pour qu’il prenne sa part de responsabilités, je m’en chargerai. Plutôt deux fois qu’une. Mais il se montrera coopératif, j’en suis certaine. Il sait que s’il mène cette mission à bien, en votre compagnie, nous le laisserons tranquille, nous estimerons qu’il a prouvé suffisamment d’attachement à Luménis pour remiser nos rancoeurs. Mais certains âmes sont asséchées, repliées sur elles-mêmes. Sans le savoir, elles se font du tort à elles-mêmes, à ceux qui les entourent. »
Lathiriel secoua la tête et grimaça.
« Quant à ce qu’il appelle mélodramatiquement un traquenard, ce n’en était pas un. Il était nécessaire de convoquer les personnes présentes sous un prétexte fallacieux, de manière à ce qu’aucune d’entre elles ne puisse involontairement prévenir nos ennemis de nos intentions. Taliesin avait rendez-vous avec Marcus, mais j’ai signé son invitation. Il savait parfaitement que le message avait un double-sens, même s’il s’en défend. Et quelque part, il devrait prendre conscience de la confiance qui lui est faite en l’impliquant dans cette affaire. Nous lui confions, ainsi qu’à vous, la vie d’une personne qui nous est chère. Cela ne signifie-t-il absolument rien ? »
Elle soupira.
« Mais je n’ai pas à me justifier. Je suis vraiment ravie que vous vous entendiez à merveille, et ravie qu’il vous donne le meilleur de lui-même. Cela signifie qu’Albérich avait raison sur son compte. En l’occurrence, je suis heureuse d’être trompée. Mais rappelez-vous que c’est un maître comédien, Arya. Ne vous laissez pas abuser par son charme et le fait qu’il est de la même espèce que vous et moi. Je le dis pour vous. Enfin… Avouez que pas une fois au cours de la réunion, il n’a manifesté le moindre souci pour la santé des disparus. Il n’a eu qu’une idée en tête, s’en laver les mains, et au plus vite. Vous pouvez compter sur mon soutien dans toutes vos entreprises, mais n’espérez pas que Marcus va subitement le trouver sympathique. Marcus a été profondément choqué par l’attitude de Taliesin, j’en suis persuadée. De plus, et vous devez vous en douter, les Lathandrites sont fragilisés par cette histoire. Pas seulement en tant que dogme, mais aussi intimement, dans leur chair et leur âme. Marcus a perdu un frère. Faire montre d’une telle indifférence était tout simplement cruel et indécent. Et Marcus n’a pas les ressources pour garder la tête froide. Pas avec le chagrin qu'il ressent. »

Arya fut rassurée par l’attitude de Dame Lathiriel, si elle eut besoin d'une preuve, rien ne put être plus vrai que sa réaction. Mais surtout elle ne s’en offusqua nullement ayant depuis plus d’un siècle essuyé des revers parfois bien plus virulents à ses propos. Elle sourit navrée d’avoir causé tant de colère alors que la conseillère n’en avait nul besoin en ce moment. Pourtant, l’alchimiste ne pouvait renier le point commun de ses deux congénères, ils avaient fait tous deux un choix qui ne correspondait pas à leurs paroles, le barde avait fait le choix de faire passer sa famille avant de se faire respecter et accusait d’avoir été victime de fourberie, alors que la conseillère faisait une confiance aveugle dans une affaire des plus délicates à celui qui semblait être l’auteur de faits innommables . Mais elle ne dit rien, car ce n’était pas une opinion, mais une conclusion. <o></o>

Sa voix se fit douce, elle reflétait son caractère entier, sans compassion exagérée, ni jugement d’aucune sorte. Elle n’avait pas à justifier son opinion puisque la question n’était pas là, mais elle n’avait pas à la renier à l’écoute de faits anciens qui n’étaient pas la raison de leur mission, mais uniquement celle de la présence du barde.<o></o>

Je ne voulais ni vous offenser, ni renier que vous eûtes des raisons, ni vous demandez de vous justifier, si ce fut le cas, je n’aurai pas accepté et ne serait pas là. Je vous fais confiance, ce n’était que mon opinion, peut-être suis-je naïve, mais je ne le crois pas. <o>

</o> Quant à Taliesin, il est elfe, il a un charme indéniable, mais nous sommes elfes aussi, nous savons décoder les apparences. Ne pensez pas que je me sois laissée dupée par un quelconque stratagème. Vous pensez qu’il a accepter pour demain être tranquille, peut-être,son regard laissait entrevoir que la raison n’était pas directement celle évoquée,dans un sens, cela est vrai. Mais nous sommes aujourd’hui et si nous n’avançons pas, nous reculerons car le temps lui ne s’arrêtera jamais, même lorsqu’il nous offre l’opportunité de regarder en arrière sans que nous ayons de limites ou presque.
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Le regard d’Arya s’embruma lentement, sa voix se fit presque inaudible.<o>

</o> Certes ma vie a été douce parmi les nôtres, pourtant … j’ai vécu deux drames. Mais j’ai toujours fait confiance àCorellon pour guider mes pas,elle secoua la tête pour chasser la souffrance qui l’avait étreinte,et aujourd’hui je fais aussi confiance à Lathandre, je sais qu’il ne nous abandonnera pas. Je ne juge pas, je ne renie rien, mais je regarde ce qui est maintenant, je ne pourrai vivre autrement.<o></o>

Dame Dithazir sourit à Arya avec compassion, sans pour autant lui demander de s’étendre sur les sujets douloureux qu’elle venait d’effleurer. L’heure était sombre et il n’était plus temps, ni pour l’une, ni pour l’autre, de regarder vers le passé. Peut-être d’autres temps viendraient-ils, plus heureux, qui leur permettraient de reprendre là cette conversation, et de trouver un soutien mutuel dans la compréhension d’un semblable.
« Il faut de la force pour vivre comme vous le faites. » dit simplement Lathiriel. « J’aimerais que tous en soient dotés. Mais vous avez raison, nous devons faire confiance à Lathandre, au regard qu’il pose sur nous, ici, dans la ville que nous lui avons dédié. Parfois la question se pose… Le sait-il seulement ? Les dieux ont-ils la latitude, le temps, de se pencher sur nos destins mortels. Ont-ils l’envie ? »
Elle secoua la tête.
« Mais il n’est plus l’heure de se poser ces questions. Ce que je sais, c’est que la survie d’Albérich ne dépend pas des dieux, elle dépend de vous. Et je vous souhaite bonne chance. Prévenez-moi si je puis vous aider d’une manière ou d’une autre. »

Arya s’était levée, Dame Dithazir avait raison, elle avait du travail qui lui prendrait de nombreuses heures et plus elle tardait à se mettre à l’ouvrage, plus elle rentrerait tard. Il faudrait bien qu'elle puisse prendre quelques heures de repos pour aborder la journée du lendemain. Elle posa un regard plein de certitude sur la conseillère tout en souriant.
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Nous pouvons faire confiance à Lathandre, il guidera nos pas, car il n’abandonnera celui qui lui a dédié sa vie. Restez confiante, nous y arriverons. A bientôt Dame Dithazir !
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Puis, elle sortit rapidement, prit la direction de son bureau où elle récupéra son grimoire et quelques ingrédients qu’elle avait apporté peu après son arrivée et se dirigea vers le laboratoire qu’elle occupait pour ses recherches. Elle aurait pu se servir de celui de la salle de classe, mais tout un chacun aurait pu y pénétrer et cela pourrait susciter des questions sur ce qu’elle y préparait.
<o></o>
Dès qu’elle fut dans son laboratoire, elle afficha <!--[if !supportEmptyParas]--> <link rel="File-List" href="file:///C:/DOCUME%7E1/AMETHY%7E1/LOCALS%7E1/Temp/msoclip1/01/clip_filelist.xml"><!--[if gte mso 9]><xml> <w:WordDocument> <w:View>Normal</w:View> <w:Zoom>0</w:Zoom> <w:HyphenationZone>21</w:HyphenationZone> <w oNotOptimizeForBrowser/> </w:WordDocument> </xml><![endif]--><style> <!-- /* Style Definitions */ p.MsoNormal, li.MsoNormal, div.MsoNormal {mso-style-parent:""; margin:0cm; margin-bottom:.0001pt; mso-pagination:widow-orphan; font-size:12.0pt; font-family:"Times New Roman"; mso-fareast-font-family:"Times New Roman";} p {margin-right:0cm; mso-margin-top-alt:auto; mso-margin-bottom-alt:auto; margin-left:0cm; mso-pagination:widow-orphan; font-size:12.0pt; font-family:"Times New Roman"; mso-fareast-font-family:"Times New Roman";} @page Section1 {size:612.0pt 792.0pt; margin:70.85pt 70.85pt 70.85pt 70.85pt; mso-header-margin:36.0pt; mso-footer-margin:36.0pt; mso-paper-source:0;} div.Section1 {page:Section1;} --> </style>[font=&quot]l’écriteau « Danger d’explosions ! Ne pas déranger ! » qui comme toutes les nuits depuis son arrivée trônerait sur la porte, ferma celle-ci à clef comme à l'habitude,[/font]puis elle déposa son grimoire sur le chevalet prévu à cet effet. Son regard se porta sur les différents plans de travail qui étaient tous couverts de fioles, éprouvettes, flacon, bocaux et autres composants de ses recherches actuelles, ils étaient placés selon une organisation bien définie et elle resta perplexe quelques instants, avant de commencer à en déplacer avec minutie une partie libérant suffisamment de place pour travailler. La tâche allait l’occuper une bonne partie de la nuit, mais aucun de ses gestes n’étaient précipités, elle prendrait le temps qu’il faudrait, mais agirait comme à son habitude avec la plus grande des minuties, une potion mal préparée pourrait ne pas avoir l’effet escompté, voire un effet négatif et cela elle ne pouvait pas se le permettre, elle ne se permettait jamais d’avancer à la hâte, même lors de ses recherches, tout était calculé, pesé, mis goutte à goutte, noté, étudié et le peu de temps n’y changerait rien.
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Pour être de retour à leur repaire avant les premières lueurs de l’aube, elle ne pourrait préparer que deux, voire maximum trois potions et un onguent pour soigner les plaies, bien moins long à préparer qu’une potion, peut-être moins efficace, mais les incantations pourraient les aider pour autant qu’ils ne soient pas à bout de force, mais il fallait décider. Le plus important étant, vu que la magie serait probablement omniprésente, d’apporter à Kasumi la même protection contre la magie qu’ils avaient naturellement le Barde et elle-même. Elle donnerait ensuite la priorité à un amplificateur de force et, si le temps le permettait, un anti-poison.<o>

</o>Après une brève consultation de son grimoire pour se remémorer les formules, elle prit les premiers ingrédients et l'al'aïren et se mit à l’ouvrage. Les minutes s’égrenèrent lentement accompagnées du tintement des flacons, fioles, éprouvettes, pipettes, bourdonnement des liquides bouillonnants et sifflement des alambiques. Chaque préparation serait conditionnée en petites fioles identifiables par un signe finement gravé dans le verre selon la potion qu’elles contiendraient, car toutes étaient totalement translucides. Le temps que les ingrédients décantent, réduisent ou distillent, Arya avait eut la possibilité de préparer l’onguent et maintenant vu qu'il lui restait un peu de temps, elle se remémorait les événements de la journée afin de noter ce qui lui semblait utile d’approfondir. <o></o>

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Concentrée sur ses recherches, la magicienne ne s’était pas occupée des minutes qui s’étaient lentement égrenées pour finir par faire des heures et ce n’est que lorsque le liquide composé de moult ingrédients atteint le but recherché en se transformant en paillettes fines et cassantes, qu’elle décida de mettre fin pour l’instant à son travail en cours. <o>

</o> Sans hâte, elle prit le temps de recopier les notes qu’elle avait prises avant de ranger soigneusement son laboratoire et de reprendre le chemin de la sortie pour se rendre à la Taverne afin d’y prendre deux heures de repos pour être fraîche et dispose pour entamer sa future journée.<o>

</o> Il n’avait cessé de neiger depuis son arrivée et lorsqu’elle sortit, elle se trouva face à un tapis blanc immaculé personne ne l’ayant foulé depuis bien longtemps au vu de l’heure avancée. Le silence régnait tant les quelques bruits émanant d’un volet qui claque ou d’une enseigne mal fixée étaient assourdis pour le manteau neigeux et les flocons légers qui ne cessaient de tomber.<o>
</o> Sur le chemin parcouru depuis l’université, Arya n’avait pas rencontré âme qui vive, même les chats de gouttières qui hantaient d’habitudes les rues la nuit ne s’étaient pas aventurés dans l’épaisse couche de neige fraîche qui scintillait sous le halo tremblant des lampadaires.<o>

</o> Ces traces de pas à peine visibles étaient rapidement recouvertes par les flocons légers qui ne cessaient de tomber et bien qu’elle éprouve un réel plaisir à entendre le crissement de la neige sous ses pas, d’admirer la blancheur du manteau blanc, elle fut ravie d’arriver à destination pour trouver un peu de chaleur.
<o></o>

Streen n’avait pas mis longtemps pour comprendre qu’il ne s’était pas trompé. L’université de la magie se trouvait bien dans le quartier du gouvernement. Son immensité aussi bien dans la hauteur que la longueur surprit Streen. Certes elle avait éveillé l’attention de la vieille femme qui vivait à l’écart du monde mais il ne s’attendait pas à cela. Il franchit les doubles portes de l’université et pénétra dans un grand hall.
-Il y a quelqu’un ? demanda t’il.

-Oui oui, il y a quelqu'un... fit une voix sur sa gauche.
Le hall était désert : tous les étudiants étaient probablement en cours. Cependant, derrière un bureau, se tenait une jeune femme. Sans doute là pour aiguiller les visiteurs. D'ailleurs, d'un geste de la main, elle invita Streen à s'approcher.
-Vous désirez un renseignement, messire ? fit-elle, souriante.

Streen s’approcha vars la jeune femme qui devait probablement s’occuper de l’accueil.
-Hé bien voilà, je viens pour une affaire assez étrange. Je ne sais pas comment expliquer ca mais c’est un problème me concernant. Est-ce que je pourrais m’entretenir avec un professeur spécialisé dans les contrôles ou les manipulations des êtres vivants ?
Il se sentit stupide. Il existait peu de zigotos qui venaient pour un problème qui devait provenir de la folie selon de nombreuses personnes.

La jeune femme, visiblement perplexe, demeura un instant silencieuse. Mais elle se reprit bien vite. Elle ne s'occupait pas de l'accueil des visiteurs depuis très longtemps mais, déjà, elle avait été confrontée à une ou deux reprises à ce genre de demande. Et les autres mages l'avaient préparée à y répondre : il n'était pas rare que des personnes se présentent à l'université, prétendant être victimes de maléfices, d'envoutements, de sortilèges... voir de possession, tout simplement. Leurs dires étaient parfois véridiques. Parfois affabulateurs, frôlant ou dépassant largement les limites du dérangement mental. Le tout était de différencier le bon grain de l'ivraie. Et, pour ce faire, rien n'était mieux qu'un examen...
La jeune femme consulta donc le document déroulé devant elle, en fait l'emploi du temps des différents professeurs.
-Et bien... fit-elle, son sourire retrouvé. A cette heure-ci, madame Trèslongnez tient sa permanence dans son bureau. Elle est spécialiste en divination. Je pense qu'elle serait à même de répondre à vos questions... Cela vous conviendrait-il ?

La divination ? En quoi cette spécialité allait l’aider ? Il aurait mieux valu une personne spécialisée dans les enchantements à moins que la divination permette de comprendre ce qu’était cette présence. Quoi qu’il en soit,il devait faire avec ce qui était disponible.
-D’accord, j’accepte cette proposition. Ou puis je la trouver ?

-Je vais vous accompagner... fit la jeune femme en se levant. L'université est un vrai dédale, s'y retrouver n'est pas toujours évident, surtout pour un nouveau venu...
De fait, le trajet qu'elle lui fit suivre empruntait plusieurs couloirs et escaliers. Il n'était pourtant pas aussi compliqué qu'elle l'avait annoncé, et, avec les bonnes indications, Streen n'aurait pas eu de mal à s'y retrouver. Ils s'arrêtèrent finalement devant une porte a travers laquelle jaillit un joyeux "Entrez !" avant même que la magicienne n'ait frappé.
Ils pénétrèrent alors dans une vaste pièce, confortable et chaleureuse. Deux grands fauteuils encadraient la cheminée, séparés par une petite table basse. Les murs étaient recouverts d'étagères chargées de livres ou d'ustensiles dont le demi-elfe ne pouvait deviner l'utilisation. Sous la large fenêtre, un bureau trônait, recouvert de documents... et de cartes aux dessins étranges et tarabiscotés.
-Madame Trèslongnez, commença la jeune femme, ce monsieur voulait voir un professeur. Il dit avoir des problèmes personnels... qui seraient liés à la magie. J'ai pensé que vous seriez à même d'évaluer la situation.
-Vous avez bien fait... répondit l'enseignante. Petite, replète, elle présentait un visage ridé comme celui d'une veille pomme, encadré par de longs cheveux blancs... et fendu d'un sourire des plus avenants. Je vais m'occuper de lui.
-Voulez vous que je prévienne...
-Non non, ne vous embêtez pas. Mais je vous remercie de la proposition.
La jeune femme parut hésiter, puis acquiesça.
-Très bien, je vous laisse, alors.
Sitôt la porte refermée, madame Trèslongnez fit signe à Streen de prendre place sur l'un des fauteuils.
-Installez-vous. Faites comme chez vous, messire... dit-elle d'un ton léger. Désirez-vous du thé ? Des biscuits ? Le premier est prêt, les seconds à portée de main... Je vais les sortir, d'ailleurs. Vous en prendrez si vous en avez envie. Moi, j'ai un petit creu...
Elle déposa sur la table basse une boîte en métal contenant des petits gateaux ronds et dorés, l'air tout à fait délicieux. Et servit deux tasses de thé, déposant la première devant son visiteur. Il en émanait des fragrances fruitées des plus agréables.
-Alors... dites-moi ce qui me vaut le plaisir de notre rencontre, fit-elle en s'asseyant à son tour.

-Hé bien voilà, je sais que je vais paraître fou mais tout ce que je vais raconter n’est que la vérité. Avant tout, sachez que je m’appelle Streen et que je suis un aventurier venu rendre visite à votre université pour un problème me concernant.A certains moments, je ressens une sorte de vertige. Je ne contrôle plus mes gestes et une mystérieuse force me pousse à faire telle ou telle chose. Avec l’aide d’une gentille vieille dame, nous avons pu constater qu’une présence se trouvait au fond de mon esprit et qu’elle exerçait un contrôle total sur moi. Nous avons essayé de l’analyser mais elle ne tenait pas à ce que nous sachions quoi que ce soit sur elle.
Il sortit le talisman autour de son cou.
-Tenez, jugez en par vous-même. Cette même personne m’a donné un médaillon qui pouvait soit disant limiter le contrôle que pratiquait cette présence. J’ignore s’il est d’une efficacité quelconque. Le pire, c’est que durant ces derniers temps, elle s’est très peu manifestée, comme si elle souhaitait que je vienne dans cette cité.
Il lui jeta un regard inquiet. Il avait tout débité sans même toucher à sa tasse.
-Et par dessus le marché, je souffre d'amnésie. je me suis reveillé un jour au milieu d'un champ et je ne me souviens depuis de rien.
Il soupira avant de poursuivre:
-Qu’est ce que vous en pensez ?

La magicienne l'avait observé, toujours souriante, tandis qu'il parlait. Et lorsqu'il lui avait remis l'objet, elle l'avait fait tourner entre ses doigts, concentrée.
-Difficile de dire ce que j'en pense... murmura-t-elle enfin, d'une voix douce. Se montrer affirmatif avec si peu d'information serait un signe de charlatanerie, et ce n'est pas le genre de la maison... Je peux par contre sans risque de me tromper avancer que ce talisman est bel et bien magique. Je ne suis pas experte en magie naturelle, mais a vue de nez, il semble receler un charme de protection relativement puissant. Le mieux, je crois, est que vous le remettiez à votre cou.
Elle lui rendit le petit sachet.
-Pouvez-vous m'en apprendre davantage sur cette dame que vous avez rencontré ? Sur la manière dont elle a tenté d'analyser cette... présence ? Le fait qu'elle vous ait remis cet objet et qu'elle vous ait adressé à nous semble indiquer qu'elle n'a en rien tenté d'abuser de votre crédulité. C'est déjà un bonne chose, et si je peux en savoir plus sur les moyens qu'elle a employés pour parvenir à ses conclusions, nous pourrons les considérer comme un bon point de départ pour les recherches à venir.

-Je ne sais pas grand-chose d’elle. Elle vit dans une petite chaumière en attendant de trouver une apprentie qui prendra sa succession. Elle dispose de quelques connaissances en matière de magie. Elle utilise un chaudron pour faire sa cuisine ou bien préparer quelque chose de…magique. Elle semble apparemment désireuse d’aider et elle est dotée d’une perspicacité étonnante.
Streen se remémora ensuite tout ce qu’elle lui avait dit.
-Elle a accompli un rituel pour en savoir un peu plus sur cette présence. Pour cela, elle m’a plongé dans une sorte de coma en droguant mon repas. Elle ne l’avait pas fait par méchanceté mais pour me protéger car si j’étais éveillé, j’aurais pu sombrer dans la folie. Elle a tenté de l’examiner mais cela n’a pas été facile, elle s’est dérobée comme si elle ne voulait pas que l’on sache qui elle est. Néanmoins elle a pu constater qu’il ne s’agissait pas d’une possession mais d’une volonté extérieure que l’on aurait implanté dans mon esprit. Et cette volonté ne se manifeste qu’à certains moments comme pour me guider bien que je doute que ses intentions soient pures. Parfois lorsqu’elle me contrôle, ma conscience se révolte et du coup, le contrôle n’est pas sans défaut.
Il fixa le talisman autour de son cou.
-C’est ainsi qu’elle m’a donné cet objet pour limiter les effets de cette volonté. Elle m’a ensuite recommandé d’aller à Luménis et à Manost pour y rencontrer quelqu’un de mieux renseigné en la matière.

Madame Trèslongnez, toujours tranquille et visiblement détendue, prit le temps de boire plusieurs gorgées de son thé parfumé avant de parler à nouveau.
-Et bien, vous avez eu de la chance de rencontrer cette personne... fit-elle. Pas d'affirmation péremptoire, un stratagème pour tenter d'analyser cette volonté sans qu'elle puisse prendre votre contrôle, le don d'un charme efficace et le renvoi vers d'autres spécialistes des arcanes... Tout indique qu'elle a véritablement voulu vous aider, et je ne vois aucune raison de remettre ses conclusions en cause.
Elle cueillit un biscuit dans la boîte en métal et le grignota doucement, pensive.
-Et cette volonté... comment la décririez-vous ? s'enquit-elle finalement. Se manifeste-t-elle comme une voix résonnant dans votre esprit, vous donnant des ordres que vous avez du mal à ne pas exécuter ? S'agit-il plutôt d'une prise de contrôle, vous faisant agir tel une marionnette dont on tirerait les ficelles ? Avez vous la nette impression d'une présence consciente, pensante ? Dans quel sens vous fait-elle agir ? Dites-moi tout ce que vous pouvez à son sujet...

Streen prit le temps de réfléchir à cette question. Il savait que cette question était cruciale pour la suite.
-Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une voix qui résonne dans mon esprit pour m’indiquer ce que j’ai à faire. Je pense qu’il s’agit d’une présence consciente et réelle qui intervient quand bon lui chante. Néanmoins, son apparition soudaine me laisse penser qu’il s’agit de quelqu’un ou de quelque chose qui me contrôle à distance. C’est comme quelqu’un exerçait un contrôle en manifestant cette présence dans mon esprit. Lorsqu’elle se manifeste, je ressens une sensation de vertiges et parfois, lorsqu’elle prend fin, je me retrouve quelque part sans savoir pourquoi. De temps en temps, je reste au même lieu, la présence ayant juste l’intention d’éviter à ce que j’accomplisse une action. Quand elle ne se manifeste pas, je ne la ressens pas.
Il réfléchit longuement à ce qu’il savait sur elle mais la vielle femme elle-même ignorait beaucoup de choses.
-Je n’en sais pas plus finit il par avouer. En revanche le plus étrange, c'est que plus je me suis approché de Luménis, moins elle s'est mnifestée. C'est comme si elle voulait que je m'en approche.

La vieille femme posa le menton dans ses mains, le regard toujours rivé sur Streen.
-Intéressant... Très intéressant, même... Cette volonté vous empêche donc de faire certaines choses ? Quel genre de choses, exactement ? Et, autre point : n'avez vous réellement aucun souvenir d'avant votre réveil, en dehors de votre nom ? Il existe des amnésies partielles qui font oublier tout un pan d'existence, tout une période ; d'autres, complètes, où l'on ne se souvient pas même de son identité... Votre cas est un mélange étonnant... N'aviez-vous rien, lorsque vous avez repris connaissance, qui pût vous renseigner sur vos origines, votre passé ? Pas même un objet ?

Streen réfléchit sur son passé. Ce qu’il avait vécu après son réveil, il s’en souvenait comme si c’était hier. Mais en ce qui concernait l’avant, il n’y avait rien. Il avait eu beau ressasser durant son séjour à Luménis tout élément susceptible de se rappeler de quelque chose mais à chaque tentative, cela s’était conclu par un échec.
-Je ne me souviens de rien avant mon réveil. J’ai eu beau me concentrer, rien ne m’est revenu. C’est comme si je n’avais jamais existé avant. J’ignore pourquoi je le suis réveillé au milieu d’un champ sans aucun souvenir. En ce qui concerne la présence dans mon esprit, elle est intervenue une fois pour m’amener sur un chemin, une fois pour éviter une ville et plusieurs fois lorsque la vieille femme m’avait aidé. Parfois soit elle m’obligeait à me déplacer soit elle me figeait sur place. Je ne sais pas combien de fois elle s’est activée mais j’ai l’impression qu’elle souhaitait que je vienne à Luménis. De plus elle cherchait à se protéger pour éviter que l’on en apprenne plus sur elle. Depuis quelques jours,il ne s’est rien passé mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle est partie.

La magicienne demeura un moment silencieuse. Puis elle hocha la tête, pour elle même, et termina son thé.
-Très bien... fit-elle. Pour éclaircir tout cela, il va me falloir procéder à des tests importants. Et comme les préparer me demandera un certain temps, je me propose de vous conduire à des appartements où vous pourrez demeurer tout au long de votre séjour à Luménis. Nous en avons plusieurs que nous destinons aux mages étrangers qui viennent parfois nous visiter. Je pense que vous y serez à votre aise.

En entendant ces paroles, la déception passa sur le visage de Streen. Cependant il finit par reconnaître que son interlocutrice avait raison. La vieille femme qu’il avait rencontré n’avait pas trouvé de résultats concluants alors que le talisman révélait une certaine puissance ? Il fallait procéder pas à pas en prenant le temps. Ca ne fonctionnerait pas en un clin d’œil.
-Bon, très bien, si c’est ce que nous avons de mieux à faire sur l’heure, je vous suis.

La vieille dame se leva et se rapprocha de son bureau. Ouvrant un tiroir, elle y farfouilla un moment puis finit par en tirer un imposant trousseau de clefs aux formes étranges et tarabiscotées. L'instant d'après, elle invitait son hôte à la suivre hors de la pièce.
Ils empruntèrent un itinéraire bien plus complexe que celui suivi par Streen lors de son arrivée, montant et descendant nombre d'escaliers, enfilant une infinité de couloirs, tournant dans maintes intersections aux multiples embranchements... A tel point que le demi-elfe finit par perdre totalement le sens de l'orientation.
Après de longues minutes de progression silencieuse, ils débouchèrent dans un étroit corridor où des torches enfilées dans des appliques de fer constituaient la seule source de lumière. S'emparant du trousseau, madame Trèslongnez y choisit une clef et ouvrit une porte de bois massif renforcée de métal.
-Après vous ! fit-elle d'un ton joyeux.
Streen pénétra dans une pièce confortablement meublée d'un grand lit d'allure confortable, d'un bureau, d'une table basse entourée de fauteuils... Dans un coin, une bibliothèque regorgeait d'ouvrages aux couvertures de cuir. Rien n'y manquait. Un détail clochait, pourtant, et il fallut au demi-elfe un petit moment pour mettre le doigt dessus.
Mais il comprit, enfin : la chambre ne comportait pas de fenêtre.
-Je vous présente mes excuses pour ce petit tour... fit la magicienne, derrière lui. Mais vu tout ce que vous m'avez raconté, je craignais que la volonté qui vous habite ne se révolte en apprenant la vérité.
Elle soupira.
-Cette pièce est protégée par des sorts et des enchantements puissants, reprit-elle. Ils empêcheront toute magie de pénétrer ici... Et vous y serez donc totalement à l'abri de la présence qui essaie de vous utiliser. Tandis que vous résiderez en sûreté, je pourrai me livrer à toutes les investigations nécessaires, sans crainte de vous voir filer. Mais il y a une clochette, ici : n'hésitez pas à vous en servir si vous avez besoin de quoi que ce soit. Et je vous promets d'agir au plus vite, afin que vous ne restiez pas enfermé trop longtemps. Dès que moi - et mes collègues, le cas échéant - aurons découvert la source de ce pouvoir... Nous pourrons agir. Vous en libérer.

Quête : Tel est pris qui croyait prendre

Malheureusement pour Streen, si certains ouvrages se révélèrent relativement récents, il ne l'étaient pas assez pour inclure la période de la dictature et la libération de Luménis. Celle-ci remontait à tout juste un an et si certains livres en traitaient déjà, ils n'étaient pas encore assez répandus pour avoir pris place dans la petite bibliothèque de cette chambre enfouie dans les profondeurs de l'université. Mais le demi-elfe ne perdit pas totalement son temps : ses lectures lui en apprirent beaucoup sur le passé un peu moins récent de la cité, ses habitudes, ses coutumes...
Le temps passa. Les minutes succédèrent aux minutes. Les heures au heures. Et madame Trèslongnez n'avait pas l'air de vouloir donner signe de vie.
Streen ne pouvait pas le savoir mais, à l'extérieur de la petite pièce, les choses avaient pris un tour imprévu. La magicienne avait regagné son bureau. Décidé, pour commencer ses recherches, de tirer les cartes. Elle le fit une fois. Deux. Trois. Obtint le même résultat, invariable, indéniable, et sa prime perplexité se transforma en franche inquiétude. Laquelle alla croissant à chaque nouvelle expérience qu'elle tenta.
Enfin, la vieille dame quitta son bureau. Gagna rapidement celui de la directrice, dame Lathiriel et s'y entretint longtemps avec l'elfe. Ensemble, elles lancèrent de nouveau sortilèges. Eurent la confirmation que les cartes n'avaient pas menti...
Bientôt, Lathiriel quitta les murs de l'université. Elle avait rendez-vous au Palais, avec les autres membres du Conseil, afin de discuter d'une étrange proposition de rencontre provenant du chancelier de Mélandis, Mornagest. Epineuse question diplomatique, certes. Mais son importance serait grandement relativisée lorsqu'elle aurait révélé à ses confrères ce que madame Trèslongnez avait découvert...

Quête : Tel est pris qui croyait prendre

Streen courut à perdre haleine. Tout autour de lui, l’obscurité régnait. Grâce à son infravision, il évitait les obstacles qui se trouvaient face à lui comme les murs. Il ne savait pas ce qu’il faisait ni pourquoi. Il savait qu’il devait courir à n’en plus finir sans jamais s’arrêter. Sa survie était en jeu. Il semblait chercher avant tout à échapper à quelque chose ou à quelqu’un mais il ne savait pas qui ou quoi ni pourquoi. Il ne devait pas réfléchir. S’il était rattrapé, sa vie s’arrêterait ici. Il entendit soudain une voix qui se trouvaient face à lui
-Cela ne sert à rien de s’échapper, on se retrouve toujours d’une façon ou d’une autre confronté à son destin.
C’est alors qu’il aperçut devant lui deux silhouettes qui marchaient d’un pas lent et inlassable devant lui. Il ignorait qui étaient ces silhouettes mais il savait qu’il fallait s’échapper. Il voulut bouger mais ses jambes refusèrent de fonctionner. Il se retrouva immobilisé et il poussa un cri qui…le fit sortir de son cauchemar. Il prit un certain temps avant de réaliser qu’il se trouvait dans la pièce dans laquelle il était enfermé. Il s’était apparemment assoupi sur la table alors qu’il était entrain de lire. Il ignorait pourquoi il avait fait ce rêve mais son soulagement d’être dans l’université reprit le dessus. Il décida de s’allonger à terre attendant des résultats du professeur.

Quête : Tel est pris qui croyait prendre

Venu d’ici

C’était une bonne chose d’avoir de bonnes relations ! Cela finissait toujours par servir et le moment était venu.
Manfred pénétra dans l’université une heure avant le début du cours qu’il devait donner en fin de mâtiné. Il prit la direction du bureau de madame Trèslongnez qui, normalement, devait être libre en ce moment. Il avait déjà eu quelques petites conversations avec elle, histoire de parfaire sa couverture, et il voulait en avoir une autre. Peut-être que cette fois, ce serait digne d’intérêt…

Quête : Tel est pris qui croyait prendre

Dans sa chambre, faute d'ouvertures sur le monde extérieur, Streen avait du mal à évaluer le temps qui s'écoulait. Lorsqu'il avait émergé du sommeil, la prochaine fois, un copieux repas l'attendait, déposé sur sa table basse. On n'avait lésiné ni sur la quantité, ni sur la qualité, et les mets étaient même accompagnés d'un excellent vin rouge. Peut-être, par là, essayait-on de rappeler encore au jeune demi-elfe qu'il n'était pas un prisonnier mais bien un hôte que l'on essayait de protéger.
Une fois rassasié, Streen partagea son temps - qui passait, indéniablement - entre lecture et sommeil. On finirait bien par lui donner des nouvelles...

Dans son bureau, madame Trèslongnez avait poursuivi ses expériences, inlassablement. Si l'origine de la volonté qui tentait de contrôler leur invité était désormais identifiée sans qu'il puisse subsister le moindre doute, sa nature demeurait en revanche mystérieuse. Elle émanait d'un résident de l'Hospice, lequel était parvenu à contourner les protections magiques de sa prison. Mais de quel sort usait-il ? De quoi était constitué ce lien qui l'unissait au demi-elfe ? C'est ce que tenta de découvrir la vieille devineresse. Sans grand succès, malheureusement.
Dame Lathiriel, rentrée du palais, vint s'entretenir un moment sa collègue affairée. Elles débattirent surtout des mages susceptibles de rejoindre l'expédition à venir. Puis la directrice regagna ses propres appartements, et madame Trèslongnez reprit son labeur.
Elle y était encore attelée lorsque, le matin venu, Manfred toqua à la porte de son bureau.
-Oh, heureuse de vous voir ! lança-t-elle d'un ton joyeux mais fatigué en lui ouvrant. Entrez... Je crains d'être quelque peu débordée, mais une petite pause ne sera pas de refus...