La Couronne de Cuivre

Par ricochet, le sourire de Malo fit s'accentuer celui d'Angèle qui ne tarda pas à répondre.

"Par Tyr, non ! Je ne serais jamais arrivée au bout du parcours. Je n'ai jamais vraiment aimé ramper, ni sauter. Et puis je n'aime pas vraiment la boue. Ce que je préférais était l'équitation et la quintaine. Mais ce que j'aimais par dessus tout ... C'était lire. Mais ça, je pense que vous l'aviez deviné."

Le professeur répliqua d’un ton léger, gagné par l’humour de la paladine :

- Voilà encore un mythe qui s’effondre ! Et dire que je pensais que tous les paladins en étaient passés par là ! Enfin, peut-être pas les Sunites à bien y réfléchir : se traîner dans la boue doit être une épreuve insurmontable pour eux. Mais je dois tout de même avoir l’honnêteté de vous prévenir, Angèle…

Il marqua une pause, poussa un soupir exagéré et déclara avec une certaine emphase :

- Le mythe selon lequel les explorateurs tombent sans cesse sur des trésors de savoir ou des richesses est largement surfait lui aussi. Non, la plupart du temps, il y a de la boue, beaucoup de boue. Et des insectes aussi.

Angèle manqua répliquer à Malo qu'il existait des sunites qui adoraient la boue et la maniaient très bien mais elle garda pour elle ses réflexions. Elle s'était déjà laissée prendre avec Amélie. Aussi, elle espéra ne pas avoir rougi en pensant à Soren. Ici, dans l’académie les plus prestigieuse de tout Dorrandin, cela aurait fait désordre. Elle bifurqua rapidement sur le nouveau sujet.

"A vrai dire, je ne suis pas vraiment venue ici pour les trésors. Bien sûr, la civilisation des LunePierre m'intrigue maintenant que je sais qu'elle reposait sur la connaissance. Et je n'ai pas vraiment peur de la boue, des araignées ou d'autres créatures. Les seules bêtes qui me font peur ce sont ..."

Elle hésita. Malo, s'il la croyait allait en rire. Mais que risquait-elle donc après tout ? Elle continua à mi-voix.

"Les poules."

Malo écarquilla les yeux, sincèrement surpris, et chercha à déterminer l'espace d'un instant si Angèle plaisantait ou était sérieuse. Puis, il réagit comme peu de gens étaient capables de réagir dans ce genre de circonstances. C'est avec flegme et sérieux qu'il répliqua :

- Il y a très peu de risques pour que nous en croisions. Et si cela arrivait, je veux bien me porter volontaire pour les chasser ! Je n'ai surtout pas envie que vous vous sentiez mal à l'aise ou éprouviez plus d'inconfort que nécessaire dans cette expédition. D'ailleurs, je n'en reviens toujours pas que vous ayez accepté d'y participer.

"Et moi donc ...", répondit-elle avec un petit sourire avant de se dépêcher de retrouver son sérieux.

"Je ne le regrette pas, bien au contraire. Je suis sûre que cette expérience sera enrichissante sur tous les points de vue. Mais surtout, j'ai promis de vous aider jusqu'au bout de votre quête, jusqu'à ce que je sois sûre que vous ayez recouvré une parfaite santé."

Le professeur prit une expression à la fois émue et amusée et répondit d'un ton mutin :

- Alors il ne faudrait pas que je vous donne l'impression de guérir trop vite !

Avant qu'Angèle ait pu répondre, un raclement de gorge se fit entendre derrière eux : une façon discrète pour le garde de signaler qu'il s'impatientait peut-être un peu...

Et elle en fut confuse. Il lui avait fallu que Malo parle pour oublier la notion du temps et leur mission de vue. Elle retourna vers le garde, le gratifiant d'un sourire penaud.

"Je suis désolée de vous faire perdre votre temps. C'est juste que je viens de Manost et que dans tout Dorrandin, on parle de cette accadémie et de son parcours d'obstacle. Nous vous suivons. Et nous ne nous arrêterons plus jusqu'aux écuries."

Elle eut un petit sourire en direction de Malo, lui signifiant qu'elle ne lui en voulait pas du retard pris et qu'elle en était à moitié responsable.

Malo semblait s’en vouloir lui aussi un peu mais il répondit à la paladine d’un discret clin d’œil avant de suivre le garde qui les mena à nouveau vers le bâtiment, le leur fit traverser, puis les fit ressortir dans une seconde cour, pavée celle-ci. L’odeur caractéristique des écuries leur aurait permis de les trouver sans aide mais le garde tint à les accompagner jusqu’au bout et qu’ils soient pris en charge par un homme de petite taille en tenue de cuir. Le garde le présenta comme étant le maître des écuries et ce dernier les salua d’un ton un peu bourru :

- Alors, vous avez besoin de combien de chevaux et pour combien de temps ?

Angèle s'approcha à pas comptés du gardien d'écurie, mais avec un sourire. En temps que manostienne, elle était habituée à toutes sortes de caractères bourrus, étranges ou ombrageux. Elle n'avait pas envie de se laisser déstabiliser par celui-là, et pas devant Malo.

"Bonjour, nous aurions besoin de chevaux assez solides pour porter un paquetage conséquent sur une longue distance mais aussi disciplinés pour qu'ils ne s'enfuient pas à la moindre distraction."

Le maître des écuries reporta toute son attention sur la paladine, lui jetant un regard peu amène :

- Tous mes chevaux sont robustes, que croyez-vous ? Et où comptez-vous les emmener, au juste ?

Malo vint à la rescousse d'Angèle bien qu'elle semblait maîtriser la situation :

- Nous comptons nous rendre dans les montagnes. Pour un voyage d'une veille en tout.
- Les montagnes sont trop dangereuses à cette période de l'année d'autant que vous ne semblez pas être des alpinistes chevronnés...

La réponse était presque méprisante et l'homme regardait la paladine avec une certaine insistance.

Houps. Apparemment, elle s'était quelque peu fourvoyée dans les négociations voire totalement. Elle s'était fait trop confiance et jeta un air désolé à Malo.

"Désolée, nous n'avons pas vos connaissances en matière de chevaux et c'est pour cela que nous nous tournons vers vous. Je ne suis effectivement une alpiniste mais le professeur Maloran a l'habitude de l'exploration des montagnes et je puis vous assurer qu'il ne prendra jamais de risques inutiles."

La stratégie conciliatrice de la paladine semblait fonctionner - partiellement - car le maître des écuries répondit avec un peu moins de véhémence mais en se tournant cette fois vers le professeur :

- Je connais bien le professeur et d'ordinaire je vous donnerais raison mais j'attends toujours qu'il me ramène les montures qu'il a empruntée lors de sa dernière expédition. Ou au moins une explication sur leur disparition ?

Ainsi pris à parti, Malo fut déstabilisé à en juger par le sourire qui s'effaça instantanément de son visage. Il sembla aussi indécis quant à la réponse à apporter : ces événements lui semblaient totalement étrangers.

Houps ... Elle aurait dû s'en douter. Si Malo était allé à l’académie les yeux fermés, c'est qu'il s'était déjà rendu là-bas. Et elle était bien embêtée pour l'histoire des chevaux. Peut-être la franchise s'imposait-elle à ce moment là.

"L'expédition ne s'est pas déroulée comme escontée. Le Professeur Maloran a été trahi par un des membres de son équipe qui l'a laissé pour mort, spolié de ses découvertes et volé les chevaux. Si nous voulons remonter là-haut, c'est notamment pour retrouver sa trace et récupérer notre bien."

Elle réalisa un peu trop tard qu'elle s'était inclue de par le "nous" ... Tant pis.

"Sans vos chevaux, nous n'arriverons à rien. Si vous le désirez, nous pouvons passer un accord. Je m'engage personnellement à vous dédommager les chevaux si nous ne les retrouvons pas."

Le maître des écuries consulta Malo du regard comme s'il s'attendait à ce que ce dernier livre une histoire plus crédible mais le professeur se contenta de hocher la tête d'un air gêné. Leur interlocuteur revint alors à Angèle et demanda sans chercher particulièrement à la ménager tout en restant courtois :

- Très bien mais je ne vous connais pas. Vous possédez une lettre de recommandations mais pouvez-vous me livrer des garanties financières que vous avez les moyens de me dédommager pour ces chevaux ?

Le professeur réagit alors pour prendre sa défense, visiblement excédé :

- Cela suffit, vous avez affaire à une paladine confirmée : sa parole devrait amplement vous suffire !

Angèle hocha la tête. Pourquoi le cacher après tout ? Bien sûr, il était possible que l'homme n'aimât pas les paladins et ils ne pourraient rien faire contre cela. Elle n'avait pas emporté assez d'argent pour servir de caution. Mais elle avait peut-être d'autres garanties.
Avec quelques réticences cependant, elle se défit de l'anneau qu'elle portait à l'annuaire droit. Guiguemar avait son jumeau exactement au même doigt. A l'intérieur étaient gravées leurs initiales. Elle le tendit au maître des écuries.

"Cette bague m'est précieuse. Si ma parole ne vous suffit pas, je vous la laisse en garantie."

Le maître des écuries observa l'objet pendant un bon moment mais on voyait clairement que les bijoux n'étaient pas sa tasse de thé. Au bout d'un long silence sous le regard méfiant et scandalisé du professeur, l'homme finit par hausser les épaules et répliquer d'un ton bourru :

- Vous pouvez la garder pour le moment mais vous avez intérêt à revenir avec mes chevaux ou leur valeur en or. Venez, suivez-moi !

L'homme les mena vers le fond d'une allée et leur présenta trois chevaux et un mulet idéaux pour l'expédition qu'ils avaient en tête.

Avant de suivre le gardien des écuries, Angèle adressa à Malo d'un pâle sourire. Elle se sentait éprouvée, souffrant de n'avoir su trouver les arguments espérés. Elle était certes paladine mais fatiguée. Mais ils avaient obtenu les bêtes qu'ils désiraient et c'était ce qui comptait. Elle remercia le bonhomme bourru.

"Merci. Ces bêtes nous aideront énormément. Avec elles, nous vous rapporterons les autres dans les plus brefs délais."

Du moins elle l'espérait.

Mais l'interaction qu'ils venaient d'avoir semblait avoir suffi au maître des écuries qui se contenta de lui répondre d'un grognement un peu bourru avant de leur confier les animaux sur quelques derniers conseils pratiques. C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent à mener quatre bêtes heureusement dociles et à prendre le chemin de la sortie de l'Académie : la journée avait décidément été des plus productives !

C'est donc un peu embarrassée et même contente de partir qu'elle avait quitté l’académie en compagnie de Malo et de leurs montures. Une chose était certaine : ils étaient venus à bout de leurs obligations. Si tout allait bien, ils auraient donc quartier libre pour le restant de la journée. Ce qui impliquait aussi passer son temps libre avec Malo ce qui ne la dérangeait pas plus que cela. A dire vrai, elle appréciait d'être en sa compagnie.

"Où peut-on mettre nos montures en attendant demain ?", demanda-t-elle en espérant qu'il se souvienne d'un endroit adéquat.

Il se souvint de l'endroit idéal, la petite écurie où les clients de sa tante laissaient parfois leurs montures le temps d'un dîner. Ce serait étroit pour tant d'animaux mais c'était pour une seule nuit et ce serait aussi à deux pas de son appartement pour faciliter leur départ le lendemain matin. Sur le chemin, le professeur l'interrogea sur ses envies de programme à sa façon :

- Dites-moi, Angèle, je crois bien avoir oublié ceci : où un homme est-il censé emmener une dame pour qu'elle s'amuse et profite d'un après-midi de liberté ?

Angèle se sentit rougir jusqu'aux oreilles. La question venait de la prendre totalement au dépourvu. Où un homme devait-il emmener une femme ? Avec Morgan, son espace s'était strictement limité au Clos qui n'avait jamais aussi bien porté son nom. Jamais elles n'étaient sorties ou en de très rares occasions mais sous couvert de l'amitié. Aucune promesse, aucune bague passée, aucun statut, aucun deuil.

"Ma foi, je ne sais pas. Peut-être pourrait-il l'emmener au hasard des rues. Peut-être pourra-t-il se souvenir d'un Cojum qu'il avait oublié."

Malo esquissa un sourire énigmatique et ne se laissa pas détourner de son objectif par la manœuvre de son invitée.

- Très bien Angèle : nous allons laisser le hasard nous guider ! A chaque croisement, je jetterai une pièce pour savoir si nous tournons à gauche ou à droite. Et si la pièce tombe sur la tranche, nous irons tout droit... Je suis certain que nous ferons des découvertes extraordinaires avec cette méthode. C'est d'ailleurs celle que j'utilise quand j'explore des ruines.

Il avait prononcé ces mots avec le plus grand sérieux mais son sourire laissait tout de même à penser qu'il plaisantait.

Plaisanterie ou non, la tira de Malo la fit sourire.

"Ne seriez-vous pas un peu tymoran par hasard ?"

C'est aussi le hasard qui avait conduit le jeune homme à Manost et qui avait fait qu'elle avait été désignée pour lui venir en aide. Une chance sans doute.

"Alors faisons ainsi. Mais vous risquez de vous lasser avant moi."

La faire sourire était certainement l'objectif de son compagnon et la réponse d'Angèle le fit rire :

- Je suis donc découvert ! Je loue Tymora : la chance est une composante essentielle de mon métier et j'en ai beaucoup : j'ai fait d'étonnantes découvertes et vous en êtes une aussi, assurément !

Il sortit une pièce de sa poche et la tendit à la paladine : voulez-vous souffler dessus pour nous porter chance ?

"Ah oui ... Etonnante ... Oui ... Hé bien merci. Je ne me serais pas décrite ainsi mais merci. Cela me fait plaisir ... Etonnante ..."

En vérité, elle ne savait pas vraiment comment le prendre. Mais cela quelque part lui faisait plaisir. Pour sa part, elle se serait surtout décrite comme ennuyeuse. Morgan pour sa part disait qu'elle était "spéciale mais dans le bon sens".

"Mais j'avoue que vous n'êtes pas mal non plus."

Les mots avaient devancé sa pensée. Elle eut un sourire penaud et souffla sur la pièce pour faire bonne mesure.

Malo arborait maintenant un large sourire et fit preuve d'un bel aplomb en répondant d'un ton enjoué :

- Pas mal ? Je prends ça pour un compliment ! Mais je ne dirais pas ça de vous ! Vous êtes bien mieux que "pas mal" et vous êtes pleine de surprises.

Il la regarda un moment avant d'ajouter d'un ton plus léger encore :

- Mais revenons aux choses sérieuses et à cette pièce : voyons voir où elle nous mènera ! Etes-vous d'accord pour que face nous mène vers la gauche et pile vers la droite ?

Angèle ne put s'empêcher de sourire à nouveau. Décidément, cette expédition prenait une tournure totalement inattendue. Par contre, elle réprima de justesse le rougissement qui menaçait d'envahir ses joues.

"Plus que pas mal. Je ne sais pas vraiment quoi vous dire. Je suis plutôt ordinaire d'habitude."

Et toujours cachée derrière ses livres. Mais cela, Malo le savait et serait loin de lui en faire reproche. Et il l'avait troublée.

"La pièce ... Face à gauche et pile à droite. C'est très bien comme ça."

Malo était visiblement assez fin pour ne pas gâcher leur début de complicité en pressant la paladine. Il avança joyeusement jusqu'au premier croisement, jeta sa pièce, tourna à gauche en entraînant Angèle à sa suite. Trente mètres plus tard, il recommençait son manège et les emmenait à droite puis à gauche à nouveau. A chaque fois, le professeur empêchait la jeune femme de regarder la pièce aussi devait-elle se fier à lui. Peut-être jouait-il vraiment ? Ou alors il l'amenait volontairement quelque part.

Au début, Angèle se montra un peu réticente. Le hasard et les surprises l'effrayaient plus que tout. Mais face à l'enthousiasme de Malo, elle laissa peu à peu tomber ses défenses et se laissa mener. Jouait-il ou retrouvait-il le chemin d'un lieu connu ? Elle aurait été bien incapable de le dire mais elle le suivait. Peu à peu, l'inquiétude fit place à l'amusement et elle oublia son envie de regarder la pièce. Au fil des rues, elle se rapprocha de Malo.

Elle le connaissait à peine mais se sentait bien avec lui comme s'il avait s'agit d'un frère ou d'un ami. Elle ne se sentait pas sourire mais c'est pourtant ce qu'elle faisait sans s'en rendre compte. Et elle se sentait bien.

Malo aussi souriait sans vraiment se soucier des quelques passants qui le regardaient avec curiosité quand il jetait sa pièce. Arrivé à un nouveau croisement, il sembla hésiter, se frotta le menton mais finit tout de même par jeter sa pièce. Il l'escamota très rapidement une fois encore et annonça avec un aplomb étonnant :

- Incroyable : elle est tombée sur la tranche ! Il faut que nous allions tout droit, Angèle !

Cette fois elle en était convaincu : Malo trichait, sans doute pour l'emmener dans un lieu dont il se souvenait.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Cojum