La Couronne de Cuivre

Ils se trouvaient à proximité de la route reliant le bac à Luménis lorsque le soir tomba, et ils eurent un peu plus de mal que prévu à trouver un lieu de bivouac : la campagne était peuplée. Mais en contrepartie, ils purent déterminer avec précision leur position, se fiant à leurs souvenirs : ils se trouvaient à deux ou trois lieues à l'ouest du grand carrefour où était indiqué la direction de Peyregorde. Cela confirmait leur intuition : le village vers lequel ils se dirigeaient était certainement celui-ci.
Ils en eurent confirmation dans la journée du lendemain, en interrogeant un berger qui gardait quelques vaches et qui était originaire du village en question.

RP solo : apprentie druide

Astrée se savait affaiblie physiquement, aussi prenait-elle grand soin d'avancer lentement et de se ménager des pauses. Elle n'atteignit le grand pont sur la Lézarde que le troisième jour qui suivait son départ de Luménis. Jusque-là, elle était parvenue à éviter le contact de ses congénères. Elle n'avait pas envie de bavarder, pas envie qu'on remarque sa pâleur et qu'on lui pose des questions, pas envie qu'on lui propose de l'aide. Elle n'avait qu'un désir, être seule au milieu de la nature. Malheureusement, sur une route aussi fréquentée, dans une campagne aussi peuplée, ça n'était guère possible. Elle se contenta donc d'avancer les yeux dans le vide, en selle la plupart du temps pour s'économiser, sourde aux récriminations mentales de sa monture qui aurait voulu galoper librement. Pas tout à fait sourde tout de même : elle prenait soin de s'arrêter de bonne heure, de s'éloigner de la route, et de trouver un vaste espace dégagé pour que Prince puisse se défouler librement durant la soirée. Le lendemain, face au soleil qui se levait, elle s'isolait mentalement, se réfugiait dans la méditation, sans personne pour la déranger ou presque : elle émergea de sa transe, le premier matin, face à un berger méfiant et vaguement inquiet, et bafouilla des excuses incompréhensibles qui ne firent que le rendre plus méfiant.
Mais globalement, le début de voyage s'annonçait prometteur : l'air qu'elle aspirait à grandes goulées, chassant de ses poumons les derniers relents de fumées et de pollution de la ville, lui paraissait incroyablement vivifiant, le temps se maintenait au beau fixe, et elle reprenait peu à peu des forces. Elle s'efforçait de songer le moins possible à cet enfant espéré, à Reynald, et de se concentrer que ce qui l'attendait au-delà des Pics des Orcs, et même si elle se surprenait encore trop souvent à sombrer dans la mélancolie, elle parvenait à en sortir relativement facilement, en se concentrant sur le chant d'un oiseau, le parfum d'une fleur, les facéties de Prince.

" Oh, bonjour jeune dame ! Je ne m'attendais pas à vous revoir si vite sur les routes..."
Astrée reconnut la voix avant même de tourner la tête, et se sentit blêmir.
" Je vous trouve encore bien pâle, pourtant. Ne vous avais-je pas recommandé d'attendre quelques veilles pour voyager ? Mais après tout, vous n'allez pas forcément loin, pardonnez-moi..."
C'était la sage-femme, une femme entre deux âges aux cheveux blonds striés de gris, qui la regardait avec douceur et paraissait sincèrement embarrassée de se montrer indiscrète, mais tout aussi sincèrement inquiète pour sa santé. La rôdeuse lui retourna un sourire contrit.
" Si... enfin, je veux dire, il me semble que vous m'aviez dit de me reposer, mais je ne me souviens plus vraiment... et je vais assez loin... Mais je fais attention, ne vous en faites pas. Et ça me fait du bien de prendre l'air.
- Balivernes ! Croyez-moi, ça vous aère peut-être les poumons, ça fait du bien sur le moment, mais c'est pas pour ça que c'est bon pour vous : le moindre refroidissement par-dessus ce que vous avez eu et vous vous retrouverez alitée pour un bout de temps ! Votre sang n'est pas assez reconstitué, en tout cas ça m'étonnerait. Il aurait fallu deux veilles de plus.
- Mais je fais attention, je vous assure, répéta Astrée, et puis je prends des plantes pour aider à récupérer.
- Plante ou pas plante, soyez prudente. J'en ai vu beaucoup, des jeunes femmes comme vous, qui ne se méfiaient pas assez... Ce n'est pas anodin, ce que vous avez eu !
- Je sais," marmonna Astrée, la gorge soudain nouée.
La sage-femme prit conscience de son malaise et s'empourpra.
" Pardonnez-moi... je n'aurais pas dû vous rappeler tout ça... Pour moi qui soigne ça tous les jours, c'est devenu trop banal, j'oublie parfois que pour les jeunes femmes c'est une épreuve terrible. Et pourtant, la majorité y passent un jour ou l'autre...
- Je n'ai pas envie d'en parler, coupa la rôdeuse, sèchement.
- Je... je suis désolée. Mais sérieusement, pour en revenir à votre voyage... il faut que vous évitiez la pluie. Le vent est en train de tourner au sud, ça pourrait signifier du mauvais temps demain ou plus probablement après-demain. Si vous en avez la possibilité, si votre voyage n'est pas trop urgent, essayez de passer les jours de pluie à l'abri d'une chambre d'auberge. C'est important de préserver votre santé. Au moins pendant une veille ou deux encore...
- Je m'en souviendrai, lâcha Astrée avec un soupir.
- Je... bon... Alors... je vous souhaite un bon voyage.
- Merci. Bonne fin de journée."
Elle n'attendit pas de réponse et piqua des deux en direction du pont.

Elle mit Prince au galop dès qu'ils se furent éloignés de la cohue. Devant eux s'étendait la Trouée et ses grands espaces, et sa monture piaffait d'impatience. Il faut dire que ce terrain était fait pour les chevaux, indéniablement. Se rappelait-il leur trajet, plus de deux mois auparavant, dans la joie toute simple de galoper en liberté ? Celui du retour, bien plus récent, avec toute la tristesse de la rupture en elle ? Dans deux jours ils seraient à Rohan, là où elle avait croisé Reynald. Elle avait prévu d'éviter la ville pour ne pas ressasser de souvenirs -elle avait d'ailleurs prévu d'éviter toutes les villes qu'elle croiserait. Mais si la sage-femme disait vrai, si la pluie arrivait, il faudrait qu'elle songe à y demeurer. Bah, elle saurait affronter cela. Elle venait de vivre bien pire.
Elle comptait laisser Prince galoper tout son saoul, mais elle sentit assez rapidement une douleur dans son bas-ventre, et, à regret, elle ralentit l'allure. Elle devait être prudente. Le temps était magnifique, elle bivouaquerait dans quelques heures sous les étoiles, dans ce magnifique paysage qu'elle avait appris à aimer tant il symbolisait pour elle la liberté. Et elle serait sans doute demain soir à Rohan, ou peut-être après-demain dans la journée. S'y reposer un jour ou deux était une bonne idée : elle avait tout son temps...

Quête : Le Berceau

Quittant la campagne, les voyageurs atteignirent le Pont alors que les étoiles piquetaient déjà le ciel et que le soleil se couchait dans des couleurs fantastiques, à l'ouest. Il faisait trop sombre pour qu'on puisse réellement distinguer l'ouvrage, mais de nombreuses torches éclairaient le tracé de la route et le bourg qui s'étendait de part et d'autre de la Lézarde encaissée au fond du ravin.
" De quel côté voulez-vous descendre ? demanda Boris. Il y a une petite demi-heure de traversée, même à cette heure-ci..."

-De ce côté, ce sera parfait.
L'édifice étant réputé, il serait plus intéressant de le traverser en plein jour.
-Il y a une auberge sur cette rive, j'imagine ?
Dans le cas contraire, son idée tomberait un peu à l'eau mais au moins, les garçons pourraient se dégourdir les jambes.

Le marchand avait rangé son chariot sur le bord de la route, pour libérer le passage car de nombreux voyageurs traversaient encore à la nuit : le Pont était un lieu de convergence pour ceux qui voulaient franchir la Lézarde.
" Y'en a une de chaque côté. De ce côté-ci, c'est la plus grosse. C'est pas l'endroit le plus reposant de toute la région, mais si vous montez vers le nord ensuite, vous vous rattraperez en chemin... Et si vous aimez la musique, vous serez servi. En demandant une chambre tout en haut, vous devriez pouvoir dormir, cela dit..."
Un bâillement s'échappa de sous la bâche.
" Taliesin, y'a Baptiste qui dort." remarqua Victor d'une voix pâteuse.

-D'accord, je viens le recupérer dans un instant.
Le réveiller pouvait prendre du temps, ce qui amènerait probablement leur hôte à récriminer. Mieux valait donc le laisser repartir au plus vite. Il lui tendit donc la main :
-Merci mille fois de nous avoir conduits jusqu'ici. J'espère que sincèrement que votre poème aboutira au résultat escompté.[/colro]

" Moi aussi. Merci maître barde."
Il semblait réellement reconnaissant, pour le poème sûrement, mais peut-être aussi pour cette oreille attentive qui l'avait écouté raconter sa vie et ses doléances pendant toute une journée.
A l'arrière, Taliesin put récupérer Baptiste sans mal, mais le gamin ne s'éveilla pas et se contenta de grommeler en se pelotonnant contre sa poitrine. Il était grand et pesait son poids. L'elfe ne pourrait pas le trimballer sur des lieues. Victor, de son côté, avait pris Minuit par la bride. Boris les salua et reprit sa place dans le flot des chariots, cavaliers et marcheurs qui se dirigeaient vers les obélisques marquant l'entrée du pont. Victor bâilla. L'heure du souper était passée depuis longtemps.

Taliesin lui sourit.
-Tu veux bien mener Minuit, s'il te plait ? Nous allons nous mettre en quête de cette fameuse auberge...
Il croisait mentalement les doigts pour qu'elle ne soit pas trop difficile à trouver et, surtout, pour qu'elle soit proche : il se voyait mal porter Baptiste très loin et espérait à demi qu'il s'éveillerait en cours de route...

Baptiste s'éveilla effectivement et eut un sursaut en réalisant où il se trouvait. Il sauta à terre, embarrassé, et tituba sur quelques mètres, peinant à reprendre parfaitement ses esprits.
" Je me suis endormi, nota-t-il finalement, interdit. Il faut dire... qu'il était particulièrement... prolixe...
— Chiant comme la pluie, tu veux dire."
Victor se tourna vers Taliesin.
" Tu sais, je ne sais pas si je te l'ai déjà dit, mais... tu es l'homme le plus courageux que je connaisse. Dans bien des domaines."
Baptiste acquiesça avec vigueur.

Son sourire s'élargit.
-C'est très gentil de dire ça. Mais honnêtement, je n'ai guère de mérites : bien que très bavards, les bardes sont également formés à écouter les autres, quoi que ceux-ci aient à dire.
Il les observa tour à tour.
-Et vous avez été très courageux, aussi, d'affronter aussi vaillamment cette journée fort peu palpitante. Son principal mérite a été de nous faire bien avancer : demain, nous pourrons découvrir ce fameux pont et, peut-être, acheter la carte dont nous avons besoin.
Il se tourna vers le fleuve.
-Et au-delà de la Lézarde, l'aventure commencera vraiment !

Victor sourit tandis que Baptiste cherchait la rivière invisible du regard. Ils suivirent ensuite le barde dans les rues. On les renseigna rapidement sur l'endroit où se trouvait l'auberge, le plus grand bâtiment du Bourg. Elle se dressait sur la berge, imposante, et comme l'avait dit Boris, il s'en échappait musique, rires, et conversations.
Il faisait toujours chaud dehors, mais l'atmosphère était encore plus étouffante à l'intérieur, malgré toutes les fenêtres ouvertes. La salle paraissait comble, envahie par une foule dense et d'humeur festive. Sur une petite estrade, tout au fond, on jouait des airs entraînants, avec énergie, mais il se passait manifestement quelque chose le long du mur de gauche, car un attroupement empêchait d'apercevoir les tables.
" Trop bien, dit Victor.
— Ah misère." fit Baptiste, en écho.
Une serveuse — brune, la vingtaine, la mine joviale mais sous pression — portant en équilibre instable plus d'une dizaine de godets sur un plateau s'extirpa de la foule et se planta devant eux.
" Bienvenue au Repos des Bottes ! s'exclama-t-elle. Trouvez-vous une table... par là..."
Elle désigna une porte qui donnait sur une seconde salle, sur leur droite.
" Et je suis à vous ensuite. Si vous voulez dormir, pas de panique, nous avons encore de la place... mais faudra attendre un moment avant qu'on puisse monter ! D'ici là... reposez vos bottes !"
Elle les gratifia d'un clin d'oeil et disparut.

-Je comprends maintenant pourquoi la journée à été à ce point ennuyeuse : c'était pour nous permettre de profiter à plein de cette soirée animée !
Laquelle n'était pas pour lui déplaire.
-Baptiste, tu veux bien aller nous garder une table pendant que Victor et moi allons mettre Minuit à l'écurie ?
Connaissant l'enthousiasme de Victor, mieux valait ne pas le laisser tout seul ici...

" Je vais de nouveau me faire jeter..." grommela le gosse, tout en se dirigeant d'un pas trainant vers la salle voisine.
Victor, de son côté, n'avait pas entendu qu'il était censé aller aux écuries, et Taliesin dut le lui répéter.
" Quoi, pourquoi ? dit-il avec humeur. Tu peux pas faire ça tout seul ?"

Il leva les yeux au ciel.
-Et ensuite, comment suis-je censé ramener toutes nos affaires ici ? Je n'ai que deux mains, tu sais !
Il sourit.
-Allez, viens, ce ne sera pas long. Et tu as entendu notre ami marchand : la fête durera jusqu'à l'aube. Il n'y a donc aucun risque que tu rates quoi que ce soit.

Victor trottina sur ses pas, regagnant l'étouffante atmosphère de l'extérieur.
" Parce que tu vas me laisser faire la fête toute la nuit, c'est vrai ? Trop génial !"
Il avait laissé Minuit à Taliesin et s'était mis en quête des écuries, qu'il trouva juste à gauche de l'établissement, derrière une arche de pierre qui dissimulait une grande cour bordée de stalle. Deux jeunes gens y dansaient, au son de la musique qui leur parvenait par les fenêtres grandes ouvertes. Pris en flagrant délit, ils s'interrompirent et s'approchèrent des visiteurs. C'étaient les palefreniers.
" Oh, un cheval...
— Heu... Par ici... Hum."
Et de leur désigner une stalle vide, dans le fond, à un endroit où on entendait la rivière gronder en contrebas.

-Merci beaucoup, leur dit-il, amical.
Pourquoi s'offusquer de leur comportement ? Ils auraient eu tort de se priver d'amusements aux moments où aucun client ne se présentait...
-Je crois que qu'on peut y retourner, dit-il enfin à Victor, une fois Minuit bien installé et débarrassé tant de sa charge que de son harnachement.

Victor avait pris les devants et ils regagnèrent la salle de l'auberge. Ils dénichèrent Baptiste dans un coin, l'air passablement terrorisé, défendant une table avec des sourires inquiets lorsque quelqu'un s'en approchait. La survenue de Taliesin et de Victor parut grandement le soulager.
" La prochaine fois, c'est moi qui vais à l'écurie." dit-il.
A peine assis, Victor était déjà agité.
" Je peux aller me balader ? demanda-t-il. Si je promets de ne pas quitter le bâtiment ? S'il te plaaaaaait ?"

-D'accord.
Il l'avait bien mérité. Cependant, quelques précautions s'imposaient.
-Mais je compte sur toi pour être sage et pour revenir nous voir de temps à autre, ne serait-ce que pour manger, même si je pense qu'il faudra un certain temps avant que nous ne soyons servis.

Ravi, il hocha la tête en signe d'assentiment et déguerpi aussitôt. Baptiste jeta un coup d'oeil désolé à Taliesin, mais ne fit aucunement mine de le suivre. Quelques minutes plus tard, la serveuse qu'ils avaient croisée à l'entrée surgit près de leur table et leur déposa un pichet d'eau, trois verres vides, ainsi que trois verres pleins — deux de jus, un de vin, et un bol empli d'olives et de fruits secs.
" Sur le compte de la maison, pour vous remercier de bien vouloir patienter."
Elle leur déposa un parchemin.
" Le menu. Je repasse dès que possible. Je vous ai réservé une chambre pour trois, c'est la 73. Quatrième étage, aile ouest. C'est haut, mais c'est au plus près des étoiles. La clé est sur la porte."

-Merci beaucoup : ce sera parfait, répondit-il, affable. Et surtout, ne vous pressez pas : je vois bien que vous êtes débordée et nous prendrons le temps d'examiner ce menu comme il se doit.
Ah ça, il ne doutait pas que Baptiste l'éplucherait jusque dans le moindre détail. Et il ne s'en priverait pas non plus. Resterait à savoir si Victor reviendrait assez tôt pour pouvoir faire son choix...

La carte était à la mesure de l'endroit : gigantesque. Il y avait dix plats de poisson, autant de viande, et une liste de vins à faire tourner la tête. La lecture de ce menu parut détendre Baptiste qui, comme l'avait prévu Taliesin, la parcourut avec le plus grand sérieux. Il finit par la reposer devant lui.
" Moi je vais prendre les moules d'eau douce à l'ail des ours. Victor prendra les cuisses de grenouille aux petits légumes. Il en parle depuis des mois."
Il sourit.
" Tu as choisi, toi ?"

Il secoua la tête.
-Pas encore, non...
A vrai dire, plusieurs plats le tentaient et il avait du mal à trancher. C'était pire encore pour les boissons...
-Mais voyons voir si tu connais aussi bien mes goûts que ceux de Victor : pour quoi vais-je finalement opter, à ton vais ?

Il arbora un large sourire. C'était manifestement le genre de jeu qui lui plaisait.
" Alors... pas pour quelque chose qui vient de l'eau... Non... Tu viens des forêts, et c'est là que ton estomac te rappelle... Ce sera donc du gibier..."
Il parcourut la carte.
" Tu es un aventurier, même culinaire, mais pas au point de choisir n'importe quoi... Cependant, tu ne vas pas choisir quelque chose de trop classique, qu'on mangerait à la ferme de temps en temps... Hum... Ça se joue à mon avis entre le marcassin à la bière de Lunaros... et le chevreuil à la sauce fraise. Hum. A mon avis plutôt le marcassin."
Il reposa la carte.
" J'ai juste ?"

L'elfe adopta une mine désolé.
-Alors là, pas du tout. J'étais très tenté par des moules et des pommes de terre frites.
Il secoua la tête puis ne put réprimer un sourire en coin.
-En réalité, tu as tapé dans le mile. Mes félicitations !

" Je ne t'ai pas cru une seconde. Les moules te rendent malades rien qu'à les regarder !"
Il rit joyeusement et engloutit quelques olives. La serveuse se représenta et Baptiste mena la commande. Elle promit qu'ils auraient leur plat endéans le quart d'heure, puis repartit.
" Maintenant, il va falloir dénicher Victor... Les cuisses de grenouille froides, c'est pas très bon."

-Tu as raison.
D'autant que Victor avait semblait-il oublié de revenir les voir de temps en temps...
-Que préfères-tu : partir à sa recherche à travers les méandres de l'auberge ou demeurer ici et défendre vaillemment notre table en notre absence ?
Il y avait peu de chances, en réalité, que quelqu'un s'y installe maintenant qu'il était évident qu'elle était occupée. Néanmoins, il préférait lui laisser le choix.

Le gosse s'empourpra.
" Heu... J'imagine qu'on ne peut pas le chercher ensemble... alors je vais rester ici, je crois. Je veux dire, heu... Si je le trouve, c'est pas sûr qu'il voudra bien me suivre, tandis que toi... Il t'obéira. Mais... si tu ne le trouves pas... Tu peux repasser ici pour me prévenir que ça prend du temps... ou bien au cas où il est revenu... Il va peut-être arriver en fait."

Bigre : le pauvre n'en menait vraiment pas large à l'idée de rester seul...
-A mon avis, il est juste dans la salle d'à côté : après tout, il a promis de ne pas sortir dehors... Je vais aller jeter un bref coup d’œil et s'il n'y est pas, je reviendrai te le dire.
Il se leva et posa brièvement la main sur l'épaule du garçon.
-Ce ne sera pas long, ne t'en fais pas.

La salle d'à côté... était un bien vaste espace, et bien encombré, pour y retrouver quelqu'un de la taille de Victor. Les tables étaient occupées, certes, mais il y avait aussi un certain nombre de personnes debout. Taliesin commença par la piste de danse où valsaient une vingtaine de personnes, au son d'une mélodie elfique qu'il connaissait, car c'était un classique du répertoire d'Eternelle Rencontre, en Féérune. Aucune trace de Victor, bien qu'il y ait là quelques enfants qui se trémoussaient avec ardeur. Plus loin, il comprit enfin la raison de l'attroupement près du mur : il s'y déroulait une compétition de bras de fer, et des tas d'hommes — et de femmes, dans une autre catégorie — s'opposaient avec de grandes grimaces, des cris et de la sueur. Autour d'eux, les spectateurs les encourageaient, hurlant de bonheur à la victoire de leur poulain, invectivant l'adversaire, et s'échangeant des deniers : on pariait manifestement sur le vainqueur. C'est là qu'il découvrit Victor, fasciné par le spectacle d'un humain balafré des sourcils à la gorge aux prises avec un demi-orque dont les crocs rebiquaient sur la lèvre supérieure. Le gosse était tellement stupéfié qu'il ne vit absolument pas le barde.

Il posa une main sur l'épaule du petit garçon et se pencha pour lui dire à l'oreille - pour s'assurer d'être entendu :
-Victor, on a commandé les plats et on ne va pas tarder à être servis. Alors rejoins nous dès que ce duel est terminé, d'accord ?
Inutile de le ramener tout de suite, puisqu'ils n'étaient pas pressés. Pour autant, il ne s'éloigna pas avant d'être certain que le gosse avait compris le message.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Le Pont des trois Sires