La Couronne de Cuivre

Les statues étaient effectivement bien trop lourdes pour être soulevées. A peu de chose près, l’angelot faisait la taille d’un véritable bambin de 5, 6 ans. Des statues plus massives comme le chevalier sur son destrier ou le dragon étaient aussi haute qu’un adulte. Restaient les petits personnages comme la fée ou le corbeau, mais c’était alors le socle stylisé qui devenaient un problème.

Jusqu’à présent, la musique provenant de la salle à mangée avait continuée. Bruit de fond devenu habituel, plus personne n’y portait d’attention. Or voilà que cette musique cessait tout d’un coup. Immédiatement, le château se fit silencieux.

Pour Christophe :

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La musique s'était tue. Peut-être monsieur Larouge allait-il se coucher ? A moins qu'il n'ait employé ce moyen pour, mine de rien, indiquer à ses invités que l'heure d'aller au lit était venue ?

Pierre, toutefois, n'y songea que brièvement. Il avait d'autres idées en tête et hésitait quant à la conduite à adopter. Il pouvait soit rester à ne rien faire, soit proposer son aide à Christophe. La première solution serait aussi égoïste qu'inutile au groupe, mais la deuxième l'ennuyait, dans la mesure où le garçon et lui n'avaient toujours pas fait la paix. Il demeura donc silencieux quelques instants puis hocha la tête pour lui-même : la rancune avait perdu la bataille face à son envie de rendre service.

-Tu pourrais peut-être prendre le tiroir d'une table de nuit... suggéra-t-il. Enfin, je dis ça mais j'y connais rien... Par contre, si tu as besoin d'un coup de main, dis-moi. Je sais pas bricoler mais je peux peut-être t'aider à tenir un truc...

Un sourire s'était dessiné sur le visage de Benoît quand il avait compris que Pierre cherchait à finir d'enfiler son pyjama. Allait-il penser à regarder sous son oreiller, là où lui-même l'avait dissimulé dans une tentative de vengeance aussi innocente que mesquine ? L'idée lui avait parue bonne sur le moment, à condition qu'il en profite pour détendre l'atmosphère pesante. Mais l'attention de Benny avait été détournée vers les considérations matérielles de la préparation du piège. La coupure brutale de la musique, angoissante en elle-même, incitait à l'action :

- J'ai quelques livres qui pourraient alourdir ton piège mais il faudra faire attention à ne pas les abîmer. J'y tiens beaucoup.

Puis, pendant que Christophe se changeait, il ajouta d'un ton enjoué à l'adresse de Pierre :

- Tu vas vraiment rester torse nu, Pierre ? Comme les barbares d'antan ? C'est parce qu'il est pire que celui de Bellatrix, je suis sûr ! Elle a eu le courage de montrer le sien alors maintenant c'est ton tour !

Bellatrix avait souri en entendant les commentaires sur son pyjama. Maintenant, elle l'aimait un peu plus. Elle regarda les garçons s'activer autour du piège qu'ils voulaient mettre en place. Elle en connaissait un rayon, coté piège. Le film Cube en regorgeait : piège à acide, piège à grilles qui vous coupait comme des patates pour les frites, pièges à piques et d'autre joyeusetés. Mais elle garda cela pour elle.

Son regard tomba sur son sac où plutôt sur le masque de Simon. Elle eut une vague de nostalgie en le regardant. Où était-il donc ? Et où étaient tous les autres ? Elle essaya de ne pas trop y penser, sinon, elle allait se mettre à pleurer. Comme elle voulait s'amuser un peu, elle enfila le masque et attendit sans rien dire que les autres le remarquent.

Christophe accepta l'aide de Pierre avec joie : porter et tenir autant de livres en hauteur ne serait possible que s'ils s'y mettaient à plusieurs, c'était certain.

"Je vais monter sur une chaise pour attacher tout ça, et vous me passerez les livres un par un, sinon je risque de tomber. Et... aaah ? C'est quoi ça ??" hurla-t-il en pointant Bellatrix du doigt. Il se rendit compte trop tard qu'il venait de crier, alors qu'il avait déjà vu ce masque déformé le matin même, sans que cela lui eût provoqué la moindre réaction. Les conditions étaient bien différentes, évidemment, mais...

Paniqué par le cri de Christophe, Benoît ne put s'empêcher de se retourner dans la direction qu'il pointait du doigt. Là, au-dessus du pyjama moche à faire frémir de Bellatrix, un monstrueux visage le regardait. Benoît ne put s'empêcher de sursauter et de faire un pas en arrière pour se rattraper avant de se souvenir lui aussi du cadeau qu'il avait fait à la fillette de la part de Simon le matin même. Il l'avait complètement oublié, d'ailleurs. Et le matin semblait lui aussi maintenant bien loin, même si le temps s'était écoulé à la vitesse d'un cauchemar. Il parla d'un ton qui voulait démentir la frayeur qui l'avait submergé, sans grand succès :

- Ha ha ha, très drôle ! Mais j'ai même pas eu peur du tout !

Bellatrix éclata de rire.

"Vous auriez dû voir vos têtes. On aurait dit que vous aviez vu Alien."

Elle se défit du masque et y jeta un petit coup d’œil. Elle l'aimait bien, en fait.

"On pourrait l'utiliser comme piège. Comme ça, si des monstres viennent, ils auront tellement peur en le voyant qu'ils s'enfuiront en courant."

HRP : Comme Piotr n'avait pas encore vu le masque, Manfred a effectué pour lui un jet de peur. Ouf, mon gentil PJ n'a pas du tout été effrayé !

Le hurlement de Christophe avait fait sursauter Pierre, manquant lui faire lâcher ce qu'il tenait dans les mains. Se demandant si l'attaque qu'ils redoutaient tant était en train d'arriver, regrettant que son épée soit sur son lit, et donc hors de portée, il pivota et ses yeux tombèrent sur l'horrible faciès d'une sorcière, sorcière qui, par ailleurs, portait un pyjama qu'il connaissait bien. Rassuré, le gamin poussa un profond soupir puis se fendit d'un large sourire.

-Bien joué, Bellatrix, commenta-t-il. Franchement, entre tes peintures de guerre et le masque, je crois que tu pourrais faire peur à n'importe quel monstre ! Où alors ils croiraient que tu es une copine a eux et tu pourrais les piéger !

Même si c'était à sa manière bien particulière, la petite fille avait tenté de détendre l'atmosphère, et il lui en était reconnaissant. Toutefois, son sourire disparut lorsqu'une pensée inquiétante lui traversa l'esprit.

-Mince, si monsieur Larouge a entendu Christophe crier, il va peut-être venir pour voir ce qui se passe... Faut qu'on cache le piège qu'on était en train de construire. Et moi, faut que je finisse de m'habiller...

S'il avait répondu par la négative quand Benny lui avait demandé s'il comptait rester torse nu, les préparatifs du piège l'avaient empêché de chercher aussitôt son haut de pyjama. Mais à présent, il avait bien l'intention de le faire. Il regarda d'abord sur le lit, où il pensait avoir laissé le vêtement. Malheureusement, celui-ci ne s'y trouvait pas et, songeant qu'il était peut-être tombé, le petit garçon se mit à inspecter le sol et le dessous du meuble.

-Dites, vous auriez pas vu où j'ai mis le reste de mon pyjama ? s'enquit-il après que ce premier examen se soit révélé infructueux.

Voyant que Pierre s'était mis à cherché son pyjama sans chercher à demander si quelqu'un l'avait vu, Benoît s'apprêtait à éventer son secret et mettre un terme à la plaisanterie qu'il avait concoctée. Mais Piotr posa la question qu'il attendait tant ce qui provoqua un sourire trop réjoui pour être honnête. Il réfléchit à la meilleure façon de mettre un terme à sa plaisanterie bien innocente tout en en tirant quelque bénéfice :

- Tu es sûr de ne pas l'avoir rangé sous ton oreiller, Pierre ? C'est là qu'on range son pyjama d'habitude ! Mais si quelqu'un avait voulu que tu le retrouves pas, il ne l'aurait pas caché là...

Pierre ne remarqua pas le sourire de Benoît. Et pour cause : il s'était empressé de suivre son conseil et, ayant naturellement trouvé son haut de pyjama, avait aussitôt entrepris de l'enflier. Il était content d'avoir remis la main dessus, car il l'aimait bien, ce pyjama-là : bleu sombre, il était fait d'un tissu à la fois chaud et doux. Parfait lorsqu'on partait pour une classe de neige. Parfait aussi lorsque, plongé en plein cauchemar, on éprouvait une étrange sensation de froid, discrète mais persistante...

Une fois habillé, il commença à s'interroger sur ce qui s'était passé. Il ne se revoyait pas ranger le vêtement sous l'oreiller. Non, il était même presque sûr de l'avoir laissé sur son lit, bien en vue, afin de pouvoir le prendre sitôt après s'être revêtu de son pantalon. S'il était tombé par terre, le gamin ne se serait pas posé de question. Mais là...

-Dis, Benny, t'es sur que c'est vraiment moi qui l'ait mis sous l'oreiller ? demanda-t-il en se tournant vers son copain. Comme j'suis crevé, j'aurais pu le faire sans m'en rendre compte mais... Ça me paraît quand même un peu bizarre...

L'intéressé avait très bien pu vouloir lui faire une petite blague, peut-être pour se venger gentiment de la situation délicate dans laquelle il s'était retrouvé par sa faute. A moins qu'il n'ait vu quelqu'un d'autre cacher son haut de pyjama et qu'il se soit tu pour les mêmes raisons ?

Spontanément, Pierre jeta un regard suspicieux en direction de Christophe.

Ne souhaitant pas altérer la situation entre eux davantage qu'elle ne l'était déjà, Christophe ne tint pas rigueur à Bellatrix de cette mauvaise farce dont il avait été la seule victime. Sans mot dire, il porta une chaise près de la porte de la chambre, grimpa dessus et entreprit d'attacher une ficelle solide passant par une petite poulie qu'il fixa en la fichant directement dans le bois grâce à une entaille réalisée au vilebrequin. Ensuite, il attacha le bout de la ficelle à la poignée de la porte, puis continua à poser son piège. Il lui fallait le tiroir d'un des meubles, et il choisit le plus petit afin d'éviter qu'il soit trop lourd pour ne pas tenir.

Le piège était simple : le tiroir tiendrait en équilibre sur le chambranle de la porte, d'un côté, et de l'autre soutenu par la ficelle. Dès que la ficelle était tirée vers l'intérieur de la chambre, suite à l'ouverture de la porte, le tiroir tomberait sur la personne... ou la créature directement en-dessous. En y rajoutant des livres ou une enclume de poche, on pouvait imaginer faire suffisamment de dégâts pour que l'intrus soit mis hors combat. Et en tout cas, provoquer un vacarme suffisant pour les réveiller !

Pas peu fier, Christophe expliqua son piège aux autres tandis qu'il finissait de fixer le tiroir tout en en jugeant l'équilibre.

"Faudra bien faire gaffe en allant aux toilettes !" fit-il en rigolant à moitié. Détendu à force de s'activer dans un environnement plus familier - celui du bricolage - il était presque rasséréné.

Bellatrix s'était assise en tailleurs sur l'un des lits. Elle aimait bien voir les autres bricoler. Ses parents, eux, ne s'activaient pour ainsi dire jamais. Tout ce qu'ils achetaient était déjà monté, venant tout droit de la chaîne de vente par correspondance. Le plus souvent, ils étaient moins pratiques et moins beaux que ce que la télé disait. Mais selon les petits caractères en bas du contrat, il était impossible de les renvoyer. La plupart s'entreposait donc dans le garage.

Elle était bien contente qu'on sécurise l'endroit.

"Et si on trouvait un mot de passe au cas on devrait sortir ?"

Benoît avait réussi à embrouiller suffisamment le pauvre Pierre à son goût. De plus le regard inquiétant que ce dernier avait tourné en direction de Christophe laissait présager de complications qui auraient gâché la blague anodine en renforçant le ressentiment entre les deux autres garçons. Benoît choisit donc de révéler le pot aux rose :

- Oh, la dernière fois que j'ai vu ton haut de pyjama, il était bien dans ta main. La fois d'avant en revanche, il se pourrait qu'il était dans la mienne... Mais c'était juste pour te faire une petite blague.

Puis, saisissant la diversion de Bellatrix qui venait fort à propos, il ajouta :

- Pourquoi pas "super pyjama" comme mot de passe ? Qui aurait l'idée de trouver ça ? Mais ça suppose aussi qu'on puisse vraiment sortir faire pipi sans faire tomber le piège. C'est possible, Christophe ? Il vaut mieux que tu nous montres comment faire...

Pierre adressa un large sourire à son ami. La plaisanterie ne l'embêtait pas du tout, au contraire. D'autant qu'elle montrait que le garçon se sentait plus à son aise.

-Ben alors, tu te mets aussi à faire des blagues ? C'était bien trouvé ! Mais méfies-toi : je pourrais te faire le même coup, si je vois ton pyjama qui traîne ! Sinon, j'aime bien ton mot de passe : aucun monstre dirait ça, ou alors ça serait un monstre bizarre !

Puis il se tourna à son tour vers Christophe. Il ne le dirait pas à voix haute, mais il devait admettre qu'il savait très bien bricoler et que son piège était ingénieux. Restait à savoir comment sortir sans le déclencher... Pour l'heure, il n'avait pas envie d'aller aux toilettes, mais la nuit pouvait être longue...

"Ca devrait être facile. Il suffit que je mette un clou dans le mur, pour qu'en retirant la ficelle de la poignée, on puisse l'accrocher au clou. Comme ça la ficelle reste tendue pareil, et la poignée de la porte devient libre."

Ce disant, il s'exécuta en prenant la mesure nécessaire pour donner la même tension à la ficelle, qu'elle soit sur la poignée ou le clou. Et le tour était joué. Il fit une démonstration à ses camarades, tiroir vide, tout de même.

"Faut quand même pas tirer comme un dingue, hein."

"C'est très bien ce piège. Bon, faudra faire très attention de pas tirer trop fort si on doit s'enfuir."

Elle émit un bâillement. Si le repas lui avait redonné des forces, elle se sentait tout de même fatiguée. Le contre coup des émotions de la journée sans doute. Elle fouilla dans son sac à la recherche du poster de la famille Adams. Elle ne l'avait jamais montré à personne. Mais comme aujourd'hui, elle était avec les amis qu'elle préférait et qu'elle avait un petit doute, elle leur fit voir. Désignant Morticia, elle demanda.

"Vous pensez pas qu'elle ressemble à la dame sur le tableau ?"

Pierre examina le poster puis hocha la tête.

-Si, elle ressemble à la dame du tableau. Et à la statue qu'il y avait à côté du portail, aussi.

Sa phrase s'acheva sur un bâillement qu'il dissimula au plus vite derrière sa main.

-Pardon... Je crois que je commence vraiment à être fatigué. Mais on peut encore discuter, ça me gêne pas du tout... Par contre, on fait omment, pour les lits ? Ça me dérange pas de dormir par terre mais, si personne en veut, ben... J'en prendrai un.

Dans un lit, il n'y avait aucun risque pour que votre pied sorte des couvertures. Aucun risque, donc, pour que quelque chose s'en empare et le tire... Sans compter que ce serait aussi plus pratique pour sortir Archimède sans que ses camarades s'en rendent compte. Montrer sa peluche à Bellatrix et Benoît l'aurait gêné, bien sûr. Mais il aurait pu le faire. En revanche, il refusait la simple idée que Christophe puisse l'apercevoir : même si celui-ci ne s'était pas moqué sur le moment, il aurait fini par répéter à quelqu'un qu'il avait un doudou. Comme il avait rapporté l'histoire de l'accident...

Ce concert de bâillements était communicatif et Benôît ne put se retenir d'imiter ses camarades et de s'étirer pour chasser un tant soit peu la fatigue. Le poster sorti par Bellatrix était troublant pour ce qui était de la ressemblance avec la dame représentée dans le château. Encore une coïncidence des plus troublantes mais qui n'atténuaient en rien son sentiment de fragilité devant le sommeil qui le gagnait à grande vitesse maintenant. Il se souvint alors qu'il lui fallait encore finir de se changer puisqu'il avait été interrompu alors qu'il n'avait enfilé que son haut de pyjama. Pour ne pas prendre de risques, il décida qu'il y parviendrait tout à fait sous ses draps même s'il fallait opérer dans le noir. Il n'avait pas vraiment envie de se donner en spectacle alors que tous les autres en avaient fini de ces détails logistiques. Pour ce qui était des lits, il y avait lui-même clairement renoncé plus tôt aussi commença-t-il à s'installer entre le lit de droite et le mur.

- Moi aussi je tombe de sommeil !

"C'est quand même bizarre, cette ressemblance", fit-il pour lui-même, sans trop oser émettre d'hypothèses, de crainte que Bellatrix lui en suggère d'autres encore mille fois pires. Il préféra imiter ses copains qui souhaitaient aller se coucher.

"J'dors par terre, je trouve ça rigolo. Et... mince, j'espère que j'ai pas oublié de prendre mon ours !", souffla-t-il, l'air un peu paniqué. Il farfouilla dans son sac et se rendit rapidement à l'évidence : il avait complètement oublié de prendre son doudou favori, craignant vaguement être vu avec durant le voyage. Il avait hésité, puis s'était promis de le prendre au matin du départ, et...

"Beuh, j'aime pas dormir sans lui..." dit-il, l'air attristé.

Pierre s'était retourné en entendant Christophe parler de son ours et était resté à l'observer tandis qu'il procédait à de vaines recherches dans son sac. Il l'avait écouté, aussi. Et à présent, le gamin ne savait quoi penser.

Même si la rancune qu'il éprouvait envers le garçon s'était atténuée au fil des heures, elle avait continué à dresser entre eux une barrière ténue mais bien réelle. Et voilà qu'à présent, celui qu'il avait surnommé le traître avouait posséder lui aussi un doudou. Pierre en éprouva de la reconnaissance : désormais, il n'aurait plus besoin de prendre une foule de précautions, pourrait sortir Archimède sans trop de honte. De surcroît, il était sincèrement embêté pour Christophe : lui-même n'osait imaginer son état s'il avait oublié ou perdu sa peluche...

Il resta un moment sans rien faire, sans rien dire. Enfin, il alla récupérer son manteau et tira Archimède de la poche intérieure où il l'avait caché.

-Moi, j'ai mon hibou... commença-t-il après s'être raclé la gorge. Je voudrais bien te le prêter mais... Je peux pas. Je crois que j'arriverai pas à dormir s'il est pas avec moi. Par contre, je me disais, ben... Si on dort pas loin, on pourrait... Je sais pas... Le partager...

Il s'interrompit et baissa les yeux, rougissant. Il ne savait pas quoi ajouter et se disait qu'il devait avoir l'air ridicule : sa tirade n'avait pas été très claire, et sa solution peu pratique. Mais voilà, il l'avait faite spontanément, sans pouvoir s'en empêcher.

Benoît était ravi des efforts que fit Pierre pour se rapprocher à nouveau de Christophe. Le froid qui s'était installé entre les deux garçons le chagrinaient et mettaient en danger la cohésion de tout le groupe. Ces signes encourageant de réchauffement de leurs relations lui firent donc plaisir et il sourit à part lui bien qu'il partage la peine de Pierre pour Christophe. Il n'avait pas de doudou à proprement parler mais il se serait senti bien embêté sans la présence rassurante de son grimoire. D'ailleurs, il s'approcha de son sac pour y farfouiller et récupérer le fameux ouvrage qu'il tenait à garder près de lui en ce lieu inquiétant. Sincèrement embêté que Christophe ne puisse pas en faire autant, il émit une suggestion en se tournant vers Bellatrix :

- Je sais que ce serait pas pareil et tout mais comme Bellatrix dessine super bien, elle pourrait représenter un ours juste pour cette nuit si ça peut aussi t'aider. Moi je n'ai pas son talent...

Bellatrix n'avait pas attendu la fin de la tirade de Benny pour dessiner, mais c'était surtout pour masquer ses joues qui devenaient rouge brique. Elle comprenait fort bien les réticences de Piotr à prêter son hibou et le besoin de Christophe d'avoir le sien auprès de lui. Que ferait-elle sans le poster avec Morticia ? Elle se sentait troublée de voir à quel point la femme sur le tableau lui ressemblait. Ses amis étaient d'accord avec elle. Comme elle aimerait la voir !

Elle dessina donc un ours en peluche qui n'avait ni dents, ni griffes, mais un joli sourire. Elle n'avait pas l'habitude de ce genre de dessins. Elle le tendit à son ami avec un grand sourire.

"Voila. Il s'appelle Nounours. Désolée, j'ai pas trouvé mieux."

Alors qu'il avait à peine parlé à Piotr depuis l'incident qui s'était produit entre eux, Christophe lui répondit, cette fois :

"C'est super gentil de proposer, mais... ça m'embêterait que tu l'aies pas que pour toi. Chuis pas sûr que j'aimerais partager mon doudou avec quelqu'un, en fait..."

Puis Benny proposa un dessin, que Bellatrix réalisa aussitôt. Bon, c'était un dessin, mais... il avait l'air sympathique, à l'inverse des horreurs dont la fille parlait en permanence. Avec un peu de chance, il ne se transformerait pas en monstre abominable pendant la nuit pour le dévorer tout cru...

"Merci. Vous êtes vraiment trop cool, tous les trois !", fit-il, la voix chargée d'émotion. Même un dessin, ça le rassurait par rapport à rien du tout pour passer la nuit, surtout dans un endroit pareil. Chez lui, il aurait pu, mais ici...

Pierre lui adressa un sourire puis, sans rien dire, gagna son lit. Il vérifia que ses vêtements étaient bien à leur place - il les avait soigneusement pliés et posés sur son sac - puis se glissa sous les couvertures. Il avait pris son épée avec lui, préférant la conserver à portée de main. Enfin, il installa Archimède près de son oreiller.

Tu montes la garde, d'accord ? demanda-t-il mentalement à la peluche.

Benoît s'était rendu compte encore une fois trop tard que ce qui paraissait pour une bonne idée à savoir le dessin avait en fait conduit Christophe à dédaigner l'offre pourtant si généreuse de son ami. Il ne voulait pas que ça jette un nouveau froid dans les relations entre les deux garçons. Décidément, il n'était pas doué pour gérer ce genre de situations. Il tenta donc de se rattraper alors qu'il avait interprété la retraite de Pierre dans son lit comme un signe de dépit :

- J'espère que je ne t'ai pas fâché, Piotr... Je voulais pas. Enfin, Je peux regarder un peu ton joli Archimède, il a l'air vachement chouette. Moi j'ai pas de super peluche aussi bien que celle-là.

-Pourquoi je serais fâché ? demanda Pierre d'une voix que le sommeil enrouait déjà. C'est chouette que vous ayez trouvé une bonne solution pour Christophe. Et ça me dérange pas du tout que tu regardes Archimède.

Il n'avait pas été tout à fait franc. Certes, il était content que le dessin convienne, et un peu soulagé de ne pas devoir partager son hibou. Mais... Il était quand même sinon vexé, au moins embarrassé. A peine avait-il fait sa proposition que Benny s'était empressé d'en suggérer une autre, que Bellatrix l'avait appliquée (avec une grande habileté, il fallait le reconnaître) et que Christophe l'avait acceptée. Cela démontrait assez, si besoin en était, à quel point son offre avait été ridicule. Partager un doudou, ça ne se faisait pas, comme l'avait souligné Christophe... Cependant, Pierre ne pouvait pas vraiment leur en vouloir : il aurait dû réfléchir avant de proposer quelque chose d'aussi idiot. En plus, ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait dans une situation embarrassante à cause de sa fichue manie de vouloir toujours aider les autres...

Après s'être assuré que son piège fonctionnait bien, et l'avoir chargé avec divers livres plus ou moins lourds, Christophe alla se coucher, accompagné du dessin de Nounours, qu'il posa sur son oreiller à côté de sa tête. Certes, c'était moins doux qu'un doudou, mais bon...

"Je tombe de sommeil, je me couche déjà parce que je suis capable de faire dodo dans cinq secondes !", fit-il.

Après avoir regardé le joli hibou de Pierre, Benoît choisit d'imiter ses camarades en emportant sous sa couverture le bas de son pyjama. Il se tortilla ensuite plusieurs minutes pour préserver sa pudeur tout en limitant au maximum les bruits dont il était à l'origine. Pour éviter que les autres ne se posent des questions, il annonça :

- Ne vous inquiétez pas, j'en ai pour quelques secondes !

Puis, après avoir bataillé vaillamment pour parvenir à un résultat satisfaisant, il glissa son grimoire sous son oreiller et lança :

- Bon, qui veut éteindre la lumière ? A moins que vous vouliez la laisser allumée...

Bellatrix avait l'habitude d'éteindre la lumière, car c'était dans le noir que tout se passait. L'imagination prenait possession des limites de la chambre et transformait ce lieu si familier en territoire plein de surprises. Son placard et le dessous de son lit regorgeaient de monstres prêts à fondre sur elle. Les tiroirs de la commode pouvaient s'ouvrir en cadence, jouant ainsi de la musique connue d'elle seule. Quelque part, cela la rassurait.

Ici, elle ne savait pas trop ce qui se tapissait dans les ombres. Aussi fut-elle tentée de suggérer de laisser la lumière. Mais c'était se faire traiter de chochotte. Aussi, espéra-t-elle que l'un de ses amis demande à laisser allumé.

"Comme vous voulez.", dit-elle en baillant.

La petite troupe ne tarda guère à s’endormir, épuisée comme elle était par les événements de la journée. A côté de la porte, dans le couloir désormais plongé dans le noir, la statue de l’angelot veillait sur la nuit de ceux qui l’avaient choisi.

HRP : tous le monde passe sur ce sujet. Bonne nuit !

La Couronne de Cuivre

[SCSA] Sans Chaleur, Sans Avenir