[Quête] Les méandres de la Houleuse

[Taliesin]

A tout hasard, le barde lui présenta lui-même la nourriture. Si elle refusait, il réitérerait l'opération, avec une portion dépourvue de viande, cette fois. Et si elle déclinait encore... Sans doute renoncerait-il pour ce soir. Peut-être que chanter à nouveau aurait fonctionné, mais il préférait ne pas abuser de cette technique, par crainte qu'elle ne perde progressivement de son efficacité. Et puis, il n'avait pas l'intention de se démener en permanence pour l'adolescente. L'aider, oui. Se dévouer corps et âme, investir trop d'énergie et de sentiments... Non. Il devait impérativement se ménager et gardait cette nécessité absolue à l'esprit, en permanence.

[Galathée]

Elle finit par manger quelques bouchées, manifestement à contrecoeur, et ne toucha pas à la viande. Taliesin avait l'impression qu'elle allait vomir. Une fois son repas terminé, Kerun s'était éloigné de leur refuge pour retourner dans la campagne. Esther avait repris sa place de guetteuse. Le feu était en train de mourir, lançant ses dernières flammèches vers le ciel gris sombre. La petite elfe finit par se lever et se traîna jusqu'à sa couche, où elle se pelotonna en petite boule, dos aux braises.

[Taliesin]

-Dormez tranquille, mademoiselle : nous veillons au grain, dit-il, avec toujours les mêmes inflexions amicales et rassurantes dans la voix.
La journée ayant été fatigante, la nuit précédente s'étant révélée fort peu reposante et celle d'avant pas du tout, il se serait bien couché sur l'heure. Il rechignait pourtant à le faire avant le retour de Kerun et ne s'y résoudrait que si ce dernier tardait par trop à les rejoindre.

[Galathée]

La petite elfe ne manifesta rien, demeurant immobile sur sa couche. Leur bivouac n'était plus éclairé que d'une lumière rouge, ténue, tandis que les derniers tisons s'épuisaient. Il fit soudain plus froid, plus sombre, et la nuit les engloutit. Le ciel était heureusement dégagé et un fin croissant de lune tenait compagnie aux étoiles pour veiller sur eux. Kerun revint un peu plus tard et malgré l'ombre, Taliesin devina son expression soucieuse. Il parut surpris de découvrir le barde encore éveillé.
" Tu n'aurais pas dû m'attendre, j'ai juste été remplir les outres." fit-il à mi-voix.

[Taliesin]

-Je préfère être trop prudent que pas assez... répondit l'elfe, à mi voix.
Il fixa un instant le Luménien.
-Dis... Tu t'inquiète seulement pour la petite, ou bien y a-t-il autre chose ?
Kerun s'étant toujours montré direct avec lui, il commençait à adopter son habitude et devait reconnaître que c'était parfois bien plus pratique que d'en passer par maints tours et détours rhétoriques.

[Galathée]

Le Luménien s'assit et passa deux mains sur son visage, avant de répondre.
" Je ne m'inquiète pas seulement pour elle. Mais je m'inquiète sûrement à cause d'elle. Je n'avais aucune idée du poids qu'elle allait représenter. Je pensais... je pensais qu'elle s'intégrerait rapidement à notre équipage, qu'elle... comprendrait certaines choses basiques. Or elle semble complètement... limitée, quelque part. Tu as l'air de penser que c'est le traumatisme, qu'elle doit réapprendre quelque chose... à croire, ou à faire confiance. Moi j'ai l'impression qu'elle n'en est pas capable. Qu'elle a quelque chose de profondément... altéré, dans la tête. Je ne sais pas de quoi elle est capable. Peut-être de pas grand chose. Et je me rends compte que nous allons devoir la traîner jusqu'à Mélandis. Alors oui, ça m'inquiète."

[Taliesin]

-Allons, souviens-toi de ce que tu me disais, il y a peu, à propos de la résilience des elfes. Pourquoi en irait-il différemment, avec elle ? Si quelque chose s'est cassa, dans son esprit, pourquoi ne se réparerait-il pas ? Nous savons déjà qu'elle n'est pas complètement refermée sur elle-même, puisqu'elle réagit à l'elfique, est sensible à la musique et n'aime pas voir des animaux se faire dépecer. Plus encourageant encore, nous avons réussi à la convaincre de manger... C'est déjà un progrès notable, non ? Peut-être que plus nous la stimulerons, plus la muraille qu'elle a bâtie - ou qui s'est bâtie toute seule - pour la préserver des horreurs qu'elle a vécues s'effritera...
Il jeta un regard en direction de la petite silhouette recroquevillée.
-Cependant... reprit-il.[color=#FFFFF66] Je ne sais pas à quel point elle est pour l'heure capable de réfléchir, mais j'ai peur qu'il faille longtemps, très longtemps avant qu'elle commence ne serait-ce qu'à nous accorder un infime soupçon de confiance. Parce que le problème, c'est que nous sommes les maîtres. Elle ne peut que nous envisager comme ça. Des maîtres sans doute moins brutaux que les précédents, mais est-ce vraiment rassurant ? Elle ne sait rien de nos intentions. Elle peut donc imaginer que nous tentons de l'amadouer uniquement pour mieux lui jouer un mauvais tour ensuite. Que nous tentons de lui faire reprendre des forces pour être en mesure de la revendre plus cher.... M'est avis qu'elle progresserait beaucoup plus vite si elle avait affaire à quelqu'un à qui, d'emblée, spontanément, elle estimerait pouvoir se fier. Ou, au moins, quelqu'un dont elle saurait ne rien avoir à craindre. Malheureusement, comme il n'y a personne de ce genre dans notre groupe, nous devrons faire preuve d'une immense patience.[/color]

[Galathée]

Kerun resta songeur quelques secondes.
" Je ne sais pas... J'ai vu... beaucoup de gens qui avaient frôlé Morféa de très près... de trop près... J'ai vu des gens qui avaient été torturés pendant des jours entiers, parfois des veilles. Aucun ne m'a paru... aussi loin. Elfe, humain, gnome... Je n'ai pas assez d'expérience, je le conçois. Tu as côtoyé tout cela de beaucoup plus près... Mais à qui penses-tu ? A un autre esclave ? Pourquoi nous ferait-il davantage confiance qu'elle, même s'il a toute sa tête ?"

[Taliesin]

-Oh, je n'avais aucun projet à l'esprit en disant cela, se défendit-il. C'était une réflexion d'ordre général, en fait. Mais pour répondre à ta question... Le souci, avec la petite, c'est que nous ne pouvons pas dialoguer avec elle. Elle est effectivement très loin, comme tu le faisais remarquer : elle doit subir d'ignobles traitement depuis des années, voire des décennies. Mais malgré cela, si nous pouvions communiquer, nous aurions une chance de l'atteindre, de ranimer l'espoir qu'il y a en elle. Parce que, bien souvent, celui-ci demeure présent, même réduit à l'état de flammèche, même couvant, insoupçonné, sous les cendres glacées du désespoir et de la résignation. Malheureusement, nous ne pouvons pas utiliser les mots, dans son cas. Nous n'avons que des moyens détournés pour essayer de la convaincre de se fier à nous, de nous laisser l'aider à remonter la pente, si bien que nous devrons prendre notre mal en patience, accepter que les choses prennent énormément de temps. Mais, crois-m'en, ça n'est pas toujours aussi difficile. Obtenir la confiance d'un esclave n'est pas aisé, loin s'en faut. Cependant, si nous avions eu affaire à quelqu'un de moins éprouvé, peut-être, ou en tout cas à quelqu'un capable de parler et d'écouter... Nos chances de raviver ses espérances, de l'amener à envisager que, peut-être, nous sommes réellement bien intentionnés... Nos chances auraient été autrement meilleures. Parce que les mots ont un immense pouvoir, si on sait les choisir et, surtout, si on les confirme par des actes.

[Galathée]

Kerun opina du chef, pensif. Il parut sur le point de dire quelque chose, puis sembla se raviser. Pinçant les lèvres, il finit par soupirer douloureusement.
" Tu as raison, bien sûr. Je dois lui laisser sa chance, nous laisser notre chance, aussi. Je ne peux pas imaginer ce que doivent être des décennies d'asservissement... Les esclaves que tu as ramenés de Melandis... Ils avaient encore un certain feu en eux. Je suppose que c'était indispensable pour qu'ils osent se soulever, pour qu'ils osent te suivre, qu'ils survivent au désert, à Luménis ensuite... Bien sûr, il y a les autres. Je ne les imaginais pas, je suppose. On ne croit jamais, quand on a grandi dans un endroit relativement préservé, que ce genre de vilenie puisse exister... Ou qu'elle puisse exister au point de... briser quelqu'un complètement."
Il eut un rire amer.
" Je dois avoir l'air bien naïf, en somme. Pourtant je ne crois pas l'être. Simplement... Il y a des degrés, je suppose. Je lui laisserai sa chance. Et merci pour ce que tu fais. Je sais que je te l'ai imposé alors que c'est la dernière chose dont tu avais besoin en ce moment."

[Taliesin]

-Bah, j'essaierai de ne pas trop m'attacher à elle, voilà tout. Tellement de choses peuvent arriver au cours de notre voyage, et plus encore une fois notre destination ralliée... Mais ça ne veut pas dire pour autant que je resterai les bras croisés. Elle est avec nous, maintenant, et ne rien tenter, la laisser comme ça... Ce serait assez ignoble de ma part. Alors je l'aiderai de mon mieux. Nous finirons bien par trouver une solution probante et si nous parvenons en fin de compte à l'aider, la traîtrise de Greta et Gauthier aura au moins eu une conséquence positive. Ce serait assez réconfortant, je trouve. Cela prouverait, s'il en était besoin, qu'il y a toujours une lumière au milieu des ténèbres, que même le mal peut, malgré lui, engendrer le bien.
Il s'autorisa un sourire.
-Pour le reste... J'étais comme toi avant de connaître Melandis : j'avais aussi vu nombre de choses affreuses, mais... Jamais à ce point là. Alors, sincèrement, bien loin de te juger... Je te comprends.

[Galathée]

" Peut-être est-ce mieux, finalement, si j'ai pu en avoir un avant-goût avant d'y être réellement... Cela m'évitera peut-être d'y faire n'importe quoi."
Il sourit.
" Merci pour tes paroles et ta compagnie, Taliesin. Je vais aller me coucher... La route est encore longue et je ne suis toujours pas le cavalier dont on pourrait rêver..."
Il serra doucement l'épaule du barde puis alla jusqu'au chevet de la petite elfe qu'il recouvrit de la couverture qu'elle avait délaissée. Elle ne bougea pas, sans doute plongée dans sa transe, et il ne resta pas longtemps près d'elle, se repliant rapidement là où il avait installé ses propres effets, plus loin d'elle que la veille, espérant sans doute la décourager de revenir vers lui.

[Taliesin]

Une fois couché, Taliesin ne tarda guère à constater que ses réflexions et ses inquiétudes à propos de l'adolescente avaient tendance à chasser les pensées qui, ces derniers temps, l'avaient harcelé alors qu'il cherchait le sommeil. Non, son esprit ne vagabondait pas vers le futur lointain, vers Melandis et ce qui l'attendait ensuite, pas davantage qu'il ne se retournait vers le passé, les drames vécus, les crimes commis... Il restait au contraire fermement ancré dans le présent et le futur immédiat, se content d'envisager les difficultés des jours à venir et les moyens de les surmonter. Peut-être était-ce une bonne chose, au fond. Et pourtant, l'elfe était inquiétait, car cela signifiait qu'il commençait à prendre vraiment à cœur le destin de la jeune elfe. Garder ses distances, hein ? Rester le plus indifférent possible ? De jolies principes, certes. De sages intentions, assurément... Malheureusement, ils paraissaient déjà bien illusoires.

[Galathée]

Cette fois, Taliesin s'endormit plus aisément. Son sommeil n'en fut pas moins agité. Il rêva des tunnels de Mersant, de courses folles dans des souterrains obscurs, étroits, d'une poursuite interminable, quelque chose de meurtrier aux trousses, et puis il arriva sur les bords d'un lac enfoui, le lac des elfes noirs, le lac des créatures aquatiques et sanguinaires, au chant ensorceleur. Et il l'entendit, ce chant, aigu, intolérable, lui pénétrant les oreilles, lui vrillant la cervelle, jusqu'à le mettre à genoux sur la pierre humide, sur la rive traître, face à l'eau noire, eau noire dont surgit une main blanche et glacée, fine mais vive, volontaire, qui lui saisit le poignet et il n'eut pas la force, ou l'envie, de résister et se laissa glisser dans l'onde, englouti en une seconde, le souffle coupé, mais c'était nettement moins douloureux que la dernière fois, même agréable, même si trop froid. Les mains de la créature lui touchèrent le visage et il la distingua au travers de la vase. Ce n'était pas une sirène, ni même Squale, c'était Martin. Ce qui ne le surprit pas réellement, après tout, ils étaient sur Mersant, c'était sa place... Le courtisan l'observa un moment, les yeux un peu écarquillés, et un tentacule s'enroula autour de son torse. Taliesin se sentait de plus en plus glacé. Les doigts du cadavre, car c'en était forcément un, se resserrent sur sa peau, puis il se pencha en avant et l'embrassa sur les lèvres. Elles étaient humides, toujours si froides, un peu salées, et... le barde s'éveilla en sursaut.
Il sentit le poids de quelqu'un sur son corps et reconnut tout de suite la petite elfe nue et aventureuse, qui tentait sans doute de le remercier pour sa si jolie musique...

[Taliesin]

La première impulsion du barde fut de l'écarter sans ménagements : après tout, il avait encore en tête les horribles images de son cauchemar. Il n'en fit rien, cependant. Car, aussi sordide cela soit-il, la jeune elfe avait peut-être bel et bien envisagé cet acte comme une façon de lui exprimer sa gratitude. Peut-être était-ce même le seul moyen dont elle se souvenait encore... Aussi, et quoi qu'il refusât évidemment que les choses aillent plus loin, Taliesin ne voulut pas agir avec rudesse : elle n'aurait pas compris, aurait vécu cela comme une punition...
C'est pourquoi il agit plutôt avec une infinie délicatesse, prenant doucement ses mains pour les empêcher d'aller plus avant, basculant lentement sur le côté pour faire glisser leur propriétaire au sol. Et pendant tout ce temps, il ne cessa de sourire, ne cessa de lui parler à voix basse, d'un ton qu'il espérait apaisant, réconfortant, prononçant des paroles de refus mêlées d'excuses et de remerciements qui n'avaient de toute façon aucune importance, puisqu'elles ne seraient pas comprises.
Quant la situation fut un peu moins embarrassante, il drapa une couverture autour des épaules de l'esclave, puis il la prit par la main pour la conduire jusqu'à sa couche. Mais il ne s'éloigna pas lorsqu'elle fut étendue. Non, il resta près d'elle et, à mi-voix, entreprit de lui chanter de paisibles berceuses.

[Galathée]

La petite elfe s'était laissée faire du début à la fin : quand il l'avait écartée, quand il l'avait relevée puis guidée jusqu'à ses couvertures, quand il l'avait invitée à se recoucher enfin. Elle ne le quitta cependant pas des yeux. Si son visage était inexpressif, son regard semblait ouvert sur un néant obscur. Taliesin nota combien ses pupilles étaient larges, dilatées par l'obscurité mais aussi par une émotion intense, comme si elle voyait quelque chose que lui-même ne pouvait détecter. Puis ses paupières papillonnèrent au fur et à mesure qu'il chantait. Elle semblait lutter contre le sommeil, ou ne pas parvenir à s'y réfugier, et il vit ses mains se crisper un instant sur le bord de la couverture, son corps frêle se recroqueviller d'un coup comme sous l'effet d'un spasme, avant qu'elle ne succombe. Elle poussa alors un profond soupir qui se mua en gémissement. Puis plus rien : elle avait regagné les limbes de sa transe elfique.
Il faisait froid, Taliesin en prit alors conscience. Le ciel s'était voilé. Il fallait espérer qu'il ne pleuvrait pas car ils étaient exposés. Il perçut un mouvement sur sa droite et reconnut Esther qui, perchée sur le rocher, observait le petit drame qui venait de se dérouler en contrebas. Kerun, lui, n'avait pas bougé.

[Taliesin]

Indéniablement troublé mais aussi révolté par la manière dont les esclavagistes avaient brisé l'adolescente, bref, beaucoup moins indifférent qu'il ne l'aurait souhaité, le barde regagna ses propres couvertures et s'y emmitoufla. Il espérait avoir agi comme il le fallait, pensait même l'avoir fait mais ne pouvait en avoir la moindre certitude. Pas plus qu'il ne pouvait savoir si cela aurait des conséquences positives pour elle, ou si cela ne changerait rien... Quoi qu'il en soit, il avait fait de son mieux, avec les moyens du bord, avec son inexpérience en ce genre d'affaire. De cela, au moins, il pouvait être convaincu. Il croisait juste les doigts pour que cela ne se termine pas mal... Cependant, à chaque jour sa peine et, pour l'heure, il avait besoin de repos. D'ailleurs, le sommeil le happa assez rapidement.

[Galathée]

La fin de la nuit fut beaucoup plus calme et Taliesin se réveilla étrangement reposé. Après un rapide petit déjeuner, les voyageurs reprirent leur route. La journée se déroula en répétition exacte de la précédente. Ils galopèrent à un bon train, traversèrent un hameau où ils ne s'arrêtèrent pas, marchèrent pour reposer leurs chevaux, puis reprirent le trot dès que les animaux en furent capables. A nouveau, ils croisèrent d'autres voyageurs, des habitants de la région, mais personne ne les importuna et lorsque le soleil déclina, ils dénichèrent un repli de terrain propice à l'installation de leur campement. Le ciel était menaçant et Kerun et Taliesin passèrent un certain temps à leur organiser un semblant d'auvent avec les toiles huilées qu'ils avaient prises aux esclavagistes. Ils trouvèrent également un peu plus de bois que la veille et purent se cuisiner un petit repas avec la fin de leurs victuailles : il leur faudrait s'improviser cueilleurs dès le lendemain, ou trouver un point de ravitaillement. Le Luménien tira cette fois un lièvre et prit bien soin de le dépouiller loin de l'esclave : elle m'en mangea pas pour autant. Taliesin réalisa qu'elle était toujours tendue en présence de l'agent mais qu'elle semblait plus à l'aise avec lui, ce dont Kerun était également conscient et qui le crispait sans doute encore davantage, les entraînant tous les trois dans un cercle vicieux. La nuit se déroula sans incident, même si une courte averse les réveilla en tambourinant sur leur toit, et ils purent se remettre en marche dès l'aube.
A la mi-journée, alors qu'ils progressaient à un bon rythme, Kerun ralentit subitement et fit signe à Taliesin de l'imiter.
" Il y a un barrage sur la route, lui indiqua le Luménien d'un geste. Nous pouvons essayer de le contourner, mais ils se rendront compte aisément que telle est notre intention..."

[Taliesin]

-Continuons plutôt comme si nous n'avions rien à nous reprocher, suggéra-t-il. C'est souvent la meilleure tactique, dans ce genre de situation. D'autant qu'il y a de fortes chances pour que le barrage ne nous soit pas destiné : il peut y avoir des bandits en fuite dans le secteur, des voleurs de bétail ou que sais-je encore. Et même dans l'hypothèse ou Béryl ait vendu nos secrets... Bah, ces gens ne savent pas de quoi on est capables. Nous bénéficierons donc de l'effet de surprise. Tenons-nous simplement prêts à réagir.

[Galathée]

En approchant, Taliesin et Kerun furent forcés de constater que le barrage paraissait très peu officiel. Les quatre hommes qui le gardaient ne portaient en tout cas nul uniforme et ils avaient l'air de ne pas s'être lavés depuis un certain temps. Cependant, l'expérience de Rivenalis leur avait appris à ne pas se fier aux apparences. Ils étaient lourdement armés et le barde remarqua au moins une arbalète pointée dans leur direction. Kerun arrêta son cheval et fit passer la petite elfe derrière lui avant de continuer sa route.
" Il va falloir jouer serré... A mon avis, ça va tourner autour de la bourse ou la vie..." souffla le Luménien.

[Taliesin]

Remarquant l'arbalète, le barde tira aussitôt sur les rennes pour immobiliser sa monture.
-N'allons pas plus loin. Si nous nous rapprochons trop, nous serons à la merci de leurs carreaux, et il nous faudrait alors beaucoup de chance pour nous en tirer sans dommage. De plus, ils ont peut-être des complices dissimulés dans les parages... Bref, restons où nous sommes : nous avons des armes de jet, des sortilèges, et cet immobilité nous laissera le temps de nous en servir s'ils sont agressifs. Et s'ils envoient un émissaire... Nous aviserons.

[Galathée]

Kerun obtempéra. Pendant un moment, personne ne bougea. Les hommes paraissaient les attendre tranquillement. Taliesin vit Esther se glisser le long du dos de l'agent, puis sur la croupe du cheval, le long de son postérieur, enfin sur le sol et dans les hautes herbes. Le Luménien déroula lentement ses épaules.
" S'ils ne sont que quatre, ce sera facile. Mais je pense qu'il y en a un dans ce petit bosquet, à droite, et probablement au moins un dans le groupe de rochers sur la gauche. Sans doute avec leurs chevaux. Ça fait six. Ils savent que nous allons avancer tôt ou tard. Ton arc a une meilleure portée que leur arbalète. Peut-être devrais-tu songer à les tirer à distance..."

[Taliesin]

Il acquiesça.
-De toute façon, bandits ou gardes, l'important est qu'aucun n'en réchappe. Pas de témoins, pas de coupables.
Sans plus tergiverser, il s'empara de son arc et encocha une flèche.
-Si vous êtes prêts à parlementer, envoyez un émissaire ! cria-t-il à pleins poumons en direction du barrage. Sinon, mourrez !
Une telle assurance ne pourrait que les faire réfléchir, non ? Enfin, si sa voix était parvenue jusqu'à eux, bien sûr...
-Quoi qu'il arrive, garde un œil sur la petite, ajouta-t-il à l'intention de Kerun. Je crains qu'elle ne cherche à s'enfuir si les choses dégénèrent.

[Galathée]

" Je vais déjà essayer de nous garder tous en vie... Elle ne sera pas bien difficile à rattraper si elle détalait..." fit-il à mi-voix.
Il s'immobilisa ensuite, comme s'il venait d'être frappé par un sortilège.
" Ils sont deux dans le bosquet, dont un armé... d'un arc long. Nous sommes à portée.
— APPROCHE-TOI, MINUS, ON N'ENTEND RIEN ! beugla alors un des hommes.
— Esther va attaquer celui qui nous tient en joue. Tire dans le tas, je vais au contact... Si nous perdons un cheval, et bien... nous perdrons un cheval..."

[Taliesin]

[color=#FFFFF66]-Je te propose une tactique alternative,[/color] fit-il. Tu restes où tu es, arme en main. De mon côté, j'essaie de toucher leur arbalétrier au moment où Esther passe à l'action. Ensuite, je nous convoque un allier pour aller lui prêter main forte. Un lion céleste, peut-être, à moins que tu ne préfères un aigle géant de même origine... Enfin, nous les canardons pendant qu'ils nous chargent. Ainsi seras-tu moins exposé. Enfin, pour un petit moment en tout cas.
Si l'agent secret se ralliait à son idée, il la mettrait en œuvre sans tarder. Sinon, il suivrait la sienne.

[Galathée]

" Ils ne te laisseront pas incanter sans réagir... mais je ferai barrage... Nous n'avons pas d'autre choix, de toute façon."
Taliesin lâcha sa corde et le trait fusa vers leurs adversaires, heurtant l'arbalétrier en pleine gorge. Les brigands avaient eu le temps de voir la flèche partir et leur réaction ne se fit pas attendre. Deux d'entre eux sortirent leurs armes et chargèrent, tandis que le troisième décrochait un arc de son épaule, qu'il brandit aussitôt. Le barde ne pouvait cependant en prendre réellement conscience, car il était en train d'incanter, comme il l'avait prévu. Kerun sauta de cheval et se rua vers ceux qui arrivaient au contact. La petite elfe n'avait pas bougé. Le lion céleste se matérialisa peu après et fila vers le bosquet, d'où s'échappaient des cris. Une flèche fila dans leur direction et frappa le sol, effrayant un cheval de bât qui tira sur sa longe, entraînant la monture de Taliesin en arrière au moment où ce dernier reprenait ses esprits.

[Taliesin]

-Calme, fit l'elfe d'un ton qu'il espérait adéquat tout en reprenant son arc.
Il aurait bien mis pied à terre pour éviter d'être déporté pendant qu'il tirerait, mais sa position surélevée lui offrait un avantage. Il resta donc en selle et visa l'archer aussi soigneusement que possible. S'il parvenait à l'abattre, les chevaux ne seraient plus effrayés par les flèches, et il pourrait s'attaquer aux hommes en train de charger Kerun.

[Galathée]

Mais le temps qu'il ajuste son tir, Taliesin comprit qu'il y avait en réalité deux archers : un près de l'arbre tombé en travers de la route, l'autre sur les rochers à gauche. Le premier avait d'ailleurs tiré un second trait, plus précis, qui vint frapper le cheval de Kerun à l'épaule. Celui-ci, surpris par le choc et la douleur, fit un écart et jeta la jeune elfe à terre. Le barde put viser et relâcher sa corde mais manqua son adversaire de peu : il était à peine à portée. L'homme prit cependant peur et recula se mettre à couvert derrière le tronc. Le second archer en profita pour lâcher sa flèche, qui rata largement l'elfe mais termina d'effrayer leurs montures. La petite esclave s'était redressée, encadrée par des chevaux terrorisés, et elle fut bousculée par le hongre blessé qui peinait à rester sur ses jambes et poussait des hennissements déchirants. Kerun était désormais au contact mais il semblait plus que capable de gérer deux hommes seul. Ou du moins, Taliesin pouvait-il le supposer.

[Taliesin]

Le barde se résigna à démonter. Une fois aux côtés de l'adolescente, il lui adressa un sourire réconfortant et lui parla avec douceur, comme il le faisait toujours.
-Ne craignez rien, mademoiselle. Nous allons nous débarrasser de ces bandits. Mais laissez-moi vous conduire en un endroit où vous n'aurez plus à craindre d'être ni touchée par leurs traits, ni bousculée par les chevaux.
Et de lui prendre délicatement la main. Il ne voulait pas l'emmener très loin. Juste à quelques pas, en fait, de manière à ce que les montures fassent barrage entre elle et l'archer se trouvant près des rochers. Lorsque ce serait chose faite - il fallait encore que la jeune fille obtempère -, il essayerait d'éliminer ce dernier à distance. Il fallait impérativement se débarrasser des tireurs car, pour l'heure, ils représentaient la principale menace.

[Galathée]

Taliesin parvint à écarter la jeune fille, mais cela lui demanda un certain temps, qu'usèrent les archers adverses pour tirer chacun une flèche. La monture de Kerun s'effondra et le cheval de bât en profita pour prendre la tangente, détalant sur la route. Les deux derniers animaux paraissaient aussi sur le point de fuir, mais ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur la direction à emprunter, ce qui, dans l'instant, les clouait effectivement sur place. Il n'y avait pas vraiment de possibilités de se mettre à couvert à proximité, sinon un buisson malingre, un léger remblais, des obstacles incertains. Kerun avait mis un brigand à terre et harcelait le second lorsque Taliesin le vit perdre momentanément l'équilibre. Il roula cependant dans la poussière et se redressa, apparemment indemne, tandis que le bandit revenait sur lui, la hache levée.