La Couronne de Cuivre

" Alors là, je n'en ai pas la moindre idée... répondit le jeune mage. J'aurais tendance à dire que... vu le sable tout autour... nous sommes encore dans le temple... mais nous sommes peut-être dans une sorte de Plan qui lui ressemble très fort... Je ne suis pas encore très loin dans mes études, et ces réalités parallèles ne sont pas ma matière favorite, je dois dire..."
La passerelle s'évasa, leur offrant une plus large surface pour marcher. Cela parut détendre légèrement le nécromant. Les risques de chute devenaient effectivement négligeables et la pierre grise sur laquelle ils avançaient semblait beaucoup plus solide.
" Lumière, maintenant..." dit Gérold en posant le pied sur un nouveau palier.
Semblable aux précédents, il paraissait en meilleur état. Une table de pierre trônait au centre, sur laquelle étaient posées huit bougies disposées en cercle. Toutes étaient éteintes.

« Ce coup-ci, ça paraît tellement facile qu'il y a sûrement quelque chose qui cloche… passe-moi la torche. »

Claris récupéra l'instrument et examina consciencieusement les bougies. Était-ce encore se faire indûment peur que de soupçonner un piège ? Les épreuves précédentes n'avaient pas été particulièrement délicates – ni, semblait-il, particulièrement piégées –, mais tout de même, trouver directement les bougies posées sur la table et devoir seulement les allumer, cela semblait… un peu trop gros.

« L'inscription, à l'entrée, disait bien “trois fois” ? »

Si rien n'éveillait son attention, Claris tenterait d'allumer les bougies une par une, attendant un instant entre chaque pour observer les réactions. Il lui semblait envisageable que quelque chose se produise lorsque trois bougies seraient allumées.
À moins qu'il n'y ait plutôt un ordre particulier à suivre ? Mieux valait espérer qu'ils aient droit à plusieurs chances, en soufflant les bougies si besoin.

Gérold lui tendit la torche puis resta à nouveau quelques pas en arrière. Claris devina cependant la curiosité dans son regard, comme il se penchait pour observer ce qu'elle faisait. Aucune suggestion ne franchit cependant ses lèvres jusqu'au moment où elle l'interrogea.
" Oui, trois fois. Trois fois sang, trois fois eau, trois fois lumière... ou feu... ou soleil, peut-être, mais ça m'étonnerait que cela puisse avoir le moindre sens dans cet endroit..."
Claris alluma donc une première bougie, au hasard, et aussitôt, une passerelle surgit du néant, semblant simplement passer de l'ombre à la lumière.
" Cet endroit me déplait fortement, commenta le nécromant. Fortement, fortement."

C'était tout ? Une bougie allumée, la voie s'ouvrait ? Il y avait là de quoi rendre… perplexe. Mais cela ne faisait-il pas plusieurs fois que Claris se faisait une réflexion de cet ordre ?

« Moi aussi. Mais il n'y a plus l'air d'y avoir de sortie, alors autant avancer. Quand on sera arrivé au bout, on trouvera peut-être… je ne sais pas. On verra bien… »

Une sortie ? Après tout, hormis le fait que l'instruction initiale était dans une langue un peu trop ancienne, tout semblait jusque là avoir été fait, depuis l'offrande des trois têtes, pour que leur avancée se déroule à peu près simplement…
Et, puisque la torche était désormais dans sa main, Claris passa cette fois en premier. Non sans un peu d'appréhension au moment de poser le pied sur la passerelle…

Ils cheminèrent donc sur un nouveau chemin de pierre suspendu, plus large que le précédent, où Gérold pouvait pratiquement se tenir à côté de la Mélandienne. Le jeune nécromancien conservait cependant une distance de sécurité, craignant toujours le serpent qui le lui rendait bien en prenant un apparent plaisir à lui dévoiler ses crocs dès qu'il était à proximité. Ils parvinrent finalement sur le palier suivant. Deux squelettes gisaient sur le sol, anciens aventuriers terrassés par une quelconque mésaventure, peut-être. Claris monta la première sur la plateforme, Gérold la suivit, et à peine eut-il quitté leur pont de fortune que celui-ci disparut, se dissolvant dans l'air comme un mirage.
Il y eut un petit craquement. Gérold se rapprocha de Claris malgré les sifflement de Sissi.
Ils virent alors clairement un des deux squelettes prendre appui d'une main sur le sol pour s'extirper de sa gangue de sable. Le second bascula sur le côté et claqua une fois des mâchoires.

Chic : les morts-vivants tant envisagés étaient enfin au rendez-vous. Claris, qui avait simplement haussé les épaules au comportement de Sissi, laissant le serpent s'amuser quelque peu de la peur de Gérold tant que ce n'était dangereux pour aucun d'entre eux, tendit la torche à l'humain, afin d'avoir les mains libres pour tirer son épée. Ce n'était peut-être pas l'arme la plus efficace contre ce type de créatures, mais c'était néanmoins celle qui avait sa préférence.

Cependant, Claris n'attaqua pas immédiatement. Prendre le temps d'examiner un peu plus attentivement ce qui semblait être une menace, de saluer, et de parlementer, avait été une tactique plutôt payante quelques instants plus tôt – même si Gérold ne serait sans doute pas de cet avis. Et puis, combattre ainsi, entourés seulement par le vide, des adversaires qui ne craindraient sans doute pas les crocs de Sissi, et avec un jeune mage quelque peu limité dans ses mouvements, c'était… périlleux.

Rester sur ses gardes, se préparer à faire face, mais ne pas se précipiter pour frapper – leur laisser l'initiative. Peut-être pouvaient-ils parler ?

Les squelettes n'avaient pas l'air d'excellente humeur, mais peut-être était-ce dû à leur faciès creusé d'orbites ténébreuses et à leurs dents noires et ébréchées. Le premier brandissait une masse, le second une lance, et comme Claris l'avait espéré, ils parlèrent. Malheureusement, ils le firent dans un idiome qu'elle n'avait jamais entendu et n'entendrait probablement plus jamais, qui tenait du mélange entre le miaulement du chat écorché plongé dans l'eau bouillante et un ongle dur et pointu crissant contre les ardoises du toit. Si Gérold n'avait pas tenu la torche, nul doute qu'il se serait bouché les oreilles mais il se contenta de gémir.
Après ce préambule guttural, les deux créatures s'approchèrent de la jeune femme, armes dressées, avec la probable intention de lui faire passer un mauvais quart d'heure.

Évidemment.

D'un autre côté, après trois portes aussi aisées, il fallait bien que la difficulté commence à se corser. Et puis, ce serait plus amusant.

Claris attendit de pied ferme, l'arme dressée, mais conservant sa ferme intention de ne pas frapper le premier coup. Sitôt que le premier des deux aurait porté un coup, sa riposte serait foudroyante.

« On aurait peut-être mieux fait d'emporter la masse, en fait. Tu crois que la torche leur ferait quelque chose ? »

" Si elle tient le coup, peut-être... Mais si elle se brise au premier choc, nous serons dans le noir... et ça ne les gênera pas beaucoup, eux..." dit Gérold d'une voix blanche.
La première créature était désormais à portée et elle balança un coup de masse en direction de la jeune femme, la manquant de peu. Le second squelette paraissait déterminé à la contourner pour aller tâter du mage et vu la longueur de sa lance, il fallait espérer que Gérold soit doté d'un quelconque talent pour l'esquive.

La remarque était judicieuse. En revanche, il y avait peut-être quelque chose d'autre à tenter…

« Sissi ! Tu pourrais faire tomber celui à la lance ? »

La morsure du serpent n'aurait sans doute pas, sur les os, l'effet qu'elle aurait eu sur les humains ; cependant, s'enrouler autour des jambes squelettiques pourrait grandement l'incapaciter – et la lance était une arme trop longue pour qu'une riposte à ce type d'attaque soit aisée.

En attendant, Claris devait s'occuper de son autre adversaire. Après avoir esquivé le coup, l'enchaînement logique était de frapper à son tour. Sa lame s'abattit, aussi fort que possible, en direction de la main qui tenait l'arme, espérant briser quelques os au passage…

C'était, en fait, le second palier devant lequel s'étaient trouvés des squelettes, et franchir le premier avait demandé du sang. Faudrait-il, en quelque sorte, repasser trois fois le même enchaînement de portes, le risque augmentant à chaque étape ? S'il était possible d'éviter que le sang ne provienne des coups de leurs adversaires, ce serait aussi bien…

Mais le squelette se servit de son autre bras pour parer le coup de Claris et s'il y perdit la main, il ne parut pas s'en soucier réellement, rebalançant à nouveau sa masse dans la direction de la jeune femme. Celle-ci fut forcée à reculer dangereusement vers le muret et le sentit contre l'arrière d'une de ses cuisses, dernier rempart avant le vide.
Le serpent s'était glissé à terre mais le temps qu'il arrive à proximité du second squelette, celui-ci avait déjà tenté d'atteindre Gérold. Le jeune mage gardait la torche brandie devant lui, mais semblait hésiter à faire volte-face pour prendre ses jambes à son cou. Il n'y avait cependant pas beaucoup d'endroits où fuir.
Sissi se glissa autour de la jambe droite du mort-vivant et tenta de s'accrocher à la seconde, mais c'était plus compliqué à faire qu'à imaginer et pour l'heure, le squelette n'avait rien remarqué.

Impossible de reculer davantage : il allait donc falloir avancer. L'espace était réduit, mais il était tout de même possible de tenter un contournement.
Repoussant l'attaque de sa lame aussi bien que possible, Claris se prépara à réutiliser la même tactique que face au brigand un peu plus tôt, lorsque c'était un mur, et non le vide, que rencontrait son dos : baisser sa garde, puis attendre une frappe pour plonger sur le côté, et frapper l'adversaire au niveau des hanches… ou plutôt, en l'occurrence, des côtes : mieux valait viser là où il y avait quelque chose à atteindre.
Bon, le coup précédent avait montré que ces os pouvaient se briser sans trop d'effort. La question était de savoir où il faudrait frapper pour les gêner : quand bien même le coup réussissait, ce serait sans doute moins intéressant que d'atteindre un humain. Mais on faisait comme on pouvait…

Pour Gérold, compte tenu de la situation, rien n'était possible dans l'immédiat, si ce n'était crier pour l'encourager… non, mieux valait se concentrer sur son propre adversaire, et aviser en fonction du succès de sa manœuvre.

Le coup de Claris porta, brisant plusieurs côtes et s'abîmant contre la colonne vertébrale du squelette. Celle-ci résista mais les vertèbres rompirent leur alignement et la créature se retrouva curieusement penchée. Elle claqua des dents comme si elle appréciait peu sa nouvelle allure et vociféra quelques syllabes douloureuses avant de repartir à l'assaut. Mais elle était bien évidemment devenue beaucoup moins précise. Derrière la jeune femme, il y eut un choc subit et elle vit, du coin de l'oeil, que le squelette de Sissi s'était étalé dans le sable. Elle dut cependant revenir à son propre duel car ce que le squelette avait perdu en adresse, il l'avait gagné en frénésie. Elle put cependant profiter d'un déséquilibre pour le frapper à nouveau dans l'échine, ce qui termina de le démantibuler et il tomba en deux morceaux sur le sol, terrassé.
Alors que la jeune femme allait s'intéresser à la seconde créature, il y eut cependant une petite complication : surgissant du sable, un nouveau squelette fit son apparition, armé, cette fois, d'une épée courte.

« Il y en a encore beaucoup, comme ça ? »

Épée contre épée, cela serait un duel acceptable, en espérant que Gérold profite de la situation avantageuse pour se débarrasser du squelette à la lance. Voire pour récupérer l'arme : même s'il ne savait pas la manier, elle lui permettrait peut-être de repousser un éventuel adversaire suivant.

Cette fois, l'initiative fut prise sans attendre. Aussi rapidement que possible, Claris s'approcha du nouveau squelette, pour frapper avant qu'il ne puisse le faire. Le coup visa d'abord son arme, pour l'écarter sur le côté. Si cela portait, le revers pourrait atteindre le crâne… peut-être.

" Cla... Claris... J'ai besoin d'un ordre direct !" s'exclama alors le jeune mage derrière elle, avec une urgence claire dans la voix.
Pendant ce temps, la Mélandienne avait écarté l'arme et décapité l'adversaire, avec un certain style d'ailleurs, mais un quatrième squelette venait de faire son apparition, armé d'un arc à flèches, cette fois. Il était un peu plus loin et il visait déjà la jeune fille, un rictus édenté sur son absence de visage. Le trait ne tardera pas à partir et il serait un peu plus difficile de l'éviter...

Humpf. Ce collier était décidément très dérangeant.

« Prends sa lance, détruits ce truc, et reste en arrière ! »

Envoyer Gérold se faire cribler de flèches à sa place ne servirait qu'à gêner ses mouvements contre les adversaires suivants. Car cela semblait parti pour qu'ils s'enchaînent un bon moment. Il serait toujours temps de donner des contre-ordres quand le squelette aurait tiré…

Bon, ils semblaient assez faciles à tuer ; bien plus que ce à quoi il aurait été possible de s'attendre de prime abord. Mais l'arc était assez dangereux… Claris s'approcha, néanmoins, courageusement, brandissant, aussi loin que possible de sa peau, le sac récupéré sur le premier squelette en guise de bouclier – la flèche y resterait peut-être plantée, avec un peu de chance.
À moins que Sissi n'ait eu le temps d'intervenir, lui.

Le squelette tira sa flèche qui fusa, heurta le sac et le ficha dans le sable. Claris en profita pour porter son attaque, atteignant le mort-vivant avant qu'il n'ait pu encoché un nouveau trait. Il tenta bien d'user de son arme pour se défendre des coups de la jeune femme, mais il ne parvint pas à grand chose et termina en pièces détachées, brisé au niveau du sacrum et de la nuque. Evidemment, avant que Claris n'ait pu souffler, un nouveau squelette avait remplacé le premier, armé de deux lames courtes. De son côté, Gérold s'était servi de la lance comme d'un levier pour faire basculer le second squelette par dessus le muret et le jeune mage regarda un moment dans le vide, la main en visière, avant de réaliser qu'un bras d'os était en train de s'extirper du sol, un peu plus loin devant lui. Au moment où la tête surgit, il l'embrocha proprement, mais c'était sans compter sur un troisième squelette qui l'attrapa par la cheville et le fit chuter dans le sable.

Plus les squelettes tombaient, plus ils se relevaient ; comme s'il y en avait des réserves infinies. En fait, cela semblait presque un miracle qu'ils n'aient été blessés ni l'un, ni l'autre jusque là. Mais bien sûr, si ce que Claris avait deviné un peu plus tôt était exact, cela ne s'arrêterait pas tant qu'aucune goutte de sang n'aurait été versée…

Peut-être valait-il mieux ne pas attendre. Il n'y avait, semblait-il, nul endroit où le sang aurait dû être déposé ; aussi, le sol irait-il peut-être. Profitant du très bref instant de répit entre deux attaques, Claris passa les doigts sur sa lame, pour laisser une goutte de son sang tomber au sol ; puis le combat reprit aussitôt. Deux lames étaient beaucoup : son premier coup s'efforça de briser l'une des mains du squelette…

Au moment où le sang de la jeune fille toucha le sol, pendant une infime seconde, les squelettes s'immobilisèrent. Mais ils ne disparurent pas et reprirent rapidement leurs esprits. Leur instant d'hésitation permit cependant à Claris de briser le poignet de celui qui s'en était pris à elle et d'un second coup, elle heurta ensuite sa hanche. Il tituba, reprit son équilibre, et claqua sa lame restante contre l'épée rouillée de la Mélandienne. Celle-ci eut l'impression que son arme vétuste ne survivrait plus très longtemps. Dans son dos, Gérold respirait laborieusement mais il n'y eut nul appel à l'aide, nulle demande d'intervention ou d'ordre. Sans doute était-il parvenu à reprendre pied... Elle entendit cependant le bois de la lance geindre et craquer. Son mort-vivant à lui était toujours d'attaque, apparemment.

Bien essayé ; mais apparemment, une goutte ne suffisait pas. Combien de sang faudrait-il ? La perspective de devoir se blesser soi-même, ou l'être par les squelettes, n'avait rien de particulièrement enthousiasmant, au beau milieu d'un combat… et ce, même s'il était probable que le combat s'arrête sitôt le sang versé : pouvait-on réellement compter sur cela ?

Claris aurait peut-être le temps de récupérer une épée traînant au sol avant que l'adversaire suivant ne se lève ; mais il faudrait pour cela vaincre l'actuel avant que sa lame ne lâche. Il n'y avait aucun loisir de se retourner pour vérifier de visu l'état de son comparse.

« Tu t'en sors ? »

Sans attendre de réponse, Claris tenta de contourner son adversaire ; de le prendre de vitesse pour frapper là où il ne pourrait parer. Cette manœuvre aurait en outre l'avantage de l'amener davantage face à Gérold… et, sans doute, l'inconvénient de l'amener dos à l'adversaire suivant.

" Plus ou moins..." fut la réponse du nécromancien.
En effectuant sa manoeuvre de contournement, Claris put voir qu'il avait embroché un squelette dans l'orbite, sans pour autant que celui-ci ne renonce à l'assommer d'un bon coup de marteau. La lance était longue, l'allonge du mort-vivant insuffisante, mais le crâne finirait bien par céder et il n'était pas certain que la créature ne puisse alors se rapprocher, toute empalée qu'elle serait. A moins que le manche de l'arme ne craque le premier. Sissi serpentait sur le sol, malhabile dans ce genre de combat.
Claris en revint à son propre adversaire, lui fracassa l'épaule et les côtes, puis le démantibula d'un coup transversal, que sa lame ne supporta pas. Heureusement, cela marqua la fin de ce duel. Elle put donc se pencher pour ramasser une des épées courtes, tandis que le sable ruisselait derrière elle, révélant un nouvel adversaire.

Lutter était vain, sans doute : de nouveaux squelettes surgiraient encore et encore chaque fois que le précédent serait abattu, et cela ne cesserai sans doute que lorsqu'une quantité suffisante de sang serait répandue sur le sol. La sagesse aurait voulu d'interrompre les choses aussi vite que possible, en s'infligeant soi-même la blessure requise – cela serait sans doute moins douloureux que de la recevoir de l'un des adversaires.
Mais Claris avait sa fierté. Plus encore : cela lui permettait de tester ses propres limites. Combien de temps tous trois parviendraient-ils à faire face sans recevoir la moindre blessure ? Qui serait le premier à être atteint ? Il n'y avait qu'en prolongeant déraisonnablement la lutte qu'il serait possible de l'apprendre… et l'enfant de Reuel voulait le savoir.

« Épargne-le le plus longtemps possible : le suivant mettra d'autant plus de temps à arriver. Et tâche de garder le marteau, si tu sais t'en servir : c'est ce qu'il y a de plus efficace contre ce genre d'ennemis… »

Sitôt que son adversaire, comme sa lame, fut brisé, Claris ramassa, aussi prestement que possible, l'une des armes laissées libres, avant de se retourner pour faire face au nouvel adversaire. Que manierait celui-ci ?

Le carreau d'arbalète partit au moment où la jeune femme faisait volte-face et elle eut tout juste le temps de plonger pour éviter le projectile. Son compagnon eut cependant un peu moins de chance... Le trait dépassa Claris, fusa dans sa direction et, bien heureusement, ne fit que le frôler, traçant une longue ligne sanglante sur sa joue droite. Il poussa un cri de surprise et de douleur mêlées, lâcha la lance, et le squelette leva son marteau... pour s'écrouler en un petit tas d'os. L'adversaire de Claris s'était également effondré dans le sable, et ils demeurèrent tous deux, hors d'haleine, dans un silence soudain oppressant. Gérold porta les doigts à sa blessure et jura à mi-voix en découvrant le sang qui lui maculait les doigts.

Au moins, c'était terminé.

Gérold avait désormais versé plus de sang que Claris… était-ce mieux ? Au moins, cela avait permis de l'épargner, et sa fierté était à peu près indemne d'avoir réussi à esquiver tous les coups.

L'adrénaline diminuant, la douleur de ceux portés par les brigands revenait. Le combat avait été éprouvant, tout de même, et il fallut de longues minutes à Claris pour retrouver son souffle.

« Et maintenant, on fait quoi ? »

Au moins, parler romprait le sinistre silence…

" On emprunte ça, je suppose..." fit le jeune mage en lui désignant un escalier qui s'était creusé dans le parapet, de l'autre côté du palier.
Il grimaça encore en épongeant le sang qui coulait sur sa joue, y pressa la paume et soupira. Il conserva cependant la torche au moment où il se remit en marche, n'emportant aucune arme. Il attendit que Claris récupère le serpent puis s'engagea sur la première marche et descendit ensuite dans la nuit.
L'escalier formait un colimaçon de plus en plus large, et ne présentait aucune rampe. A certains endroits, les marches étaient franchement usées, presque glissantes, et soudain, au milieu de toute cette nuit, ils entendirent un murmure. D'abord, ténu, puis plus sonore, enfin grondant, ils devinèrent que de l'eau coulait, là en bas, de l'eau vive et violente, un torrent sans doute, au milieu du néant.
Effectivement, leur escalier finit par déboucher dans une petite grotte où ils pouvaient se tenir tout juste debout. Le chemin semblait se poursuivre plus en avant, mais une rivière d'eau noire et déchaînée, large de trois bonnes toises, leur coupait la route, grondant.

« Chic… quelque chose me dit qu'il ne suffira pas de mettre seulement ses mains dedans, cette fois… »

Il serait intéressant de passer moins de temps devant cette épreuve que devant la précédente. Mais que faire ? Claris n'en avait pas la moindre idée…

Un peu de réflexion s'imposait, sans doute : les trois premières épreuves avaient été fort simple. La dernière un peu plus risquée, mais néanmoins, tout aussi facile : il avait suffit de se laisser blesser – ce que les squelettes cherchaient à faire depuis le départ – pour pouvoir continuer.
Si tout était pensé de la même manière, la réponse devait être là, à portée de main, toute prête à être cueillie. Si on pouvait parler de cueillir une réponse. Bref : inspecter les lieux serait sans doute une bonne idée.

Claris promena donc son regard alentour ; s'approchant de l'eau autant qu'il était possible de le faire sans risquer de se faire emporter.

L'eau rugissait en s'écoulant entre deux parois de pierre humide, puis disparaissait dans un gouffre. De même, elle surgissait également d'un trou creusé dans la roche. De l'autre côté du torrent, le chemin semblait se poursuivre jusqu'à la base d'un nouvel escalier. Il n'y avait rien de spécial dans la petite caverne : quelques flaques, de vieux stalactites, pas la moindre trace de passage d'un quelconque être doué de raison.
" On ne va jamais parvenir à traverser un truc pareil..." fit Gérold, à ses côtés.

« Si je t'avais demandé il y a quelques minutes, tu aurais cru qu'on parviendrait à vaincre autant de squelettes au prix d'une seule blessure ? Bien sûr, qu'on passera : le tout, c'est de trouver comment. »

Et ça, Claris n'en avait pour l'instant pas la moindre idée. Il ne semblait, à première vue, rien y avoir à portée de main qui permettrait d'écluser ou d'écoper le torrent noir.
S'ils avaient eu une corde ou un fouet, il aurait peut-être été possible de l'accrocher à quelque chose de l'autre côté et de passer en s'y accrochant ainsi ; mais Loviatar n'avait pas été conviée dans leur maigre équipement.
Quelque mécanisme était peut-être dissimulé dans les stalactites, comme ils l'avaient été auprès de la grande porte, mais cela semblait peu probable.

À tout hasard, Claris tenta, se retenant aussi fermement que possible, pour éviter de disparaître dans les furieuses eaux, de tremper le bout de ses doigts – ç'avait après tout été une opération clef dans l'ouverture de la première porte de l'eau. Cela ne le serait sans doute plus ici ; mais ce faisant, peut-être que de meilleures idées lui viendraient…

Gérold resta sagement en arrière tandis que Claris s'approchait de l'onde furieuse. La pierre aux abords de la rivière souterraine était glissante, constamment aspergée par les flots tumultueux, et la jeune fille dérapa une première fois avant de redoubler de prudence. Dès qu'elle mit les doigts dans l'eau, ceux-ci furent emportés violemment vers le gouffre, signe très clair qu'au moindre pied posé dans l'eau, n'importe qui serait happé par le courant.

Claris retira ses doigts aussitôt, puis recula aussi sagement que possible, attendant d'être au sec pour venir les essuyer sur sa tenue. N'ayant pas la moindre idée de ce qu'il fallait faire, l'enfant de Reuel entreprit de réfléchir à voix haute ; peut-être cela motiverait-il une intervention plus positive de Gérold ? Après tout, il était mage : la réflexion devait faire partie de ses attributions.

« Il paraît évident qu'on ne passera pas sans qu'il n'arrive quelque chose à cette chute d'eau. Je ne vois, à première vue, rien qui soit susceptible de nous servir à obstruer le trou d'arrivée ; et vu le courant, ça aurait été très délicat à mettre en place.
Pour la première porte, il a suffit de verser une goutte de sang ; pour la dernière, il a fallu en verser davantage. Peut-être est-ce encore une affaire de quantité ? J'avais ouvert la seconde porte en retirant un peu d'eau de la bassine ; il faudrait donc ici en retirer beaucoup…
On peut toujours essayer de plonger le sac dedans, mais même s'il avait été complètement étanche à l'origine, ce dont je doute, la flèche de tout à l'heure n'a pas arrangé les choses. Et puis, avec tout ce courant, c'est un coup à le perdre dans les profondeurs, cela n'aiderait en rien… »

Sans raison particulière, Claris eut soudain envie de ramasser un caillou au sol – ou de casser un morceau de stalactite, au besoin – et de le lancer dans l'eau. Cela ne servirait sans doute à rien, mais au moins, ça détendrait.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Un vieux temple et beaucoup de sable