La Couronne de Cuivre

HRP : bon, y'avait une faute dans le message de Reynald, c'était évidemment "même SI tu mens"... Ça lui fait 31 mots, mais on va dire qu'il a parlé très très vite o

Astrée perçut le soulagement du petit cheval, qui nicha son museau contre son cou et souffla doucement. Il était encore très nerveux, elle sentait les muscles tressaillir sous sa peau tiède, et il claquait de temps en temps d'un sabot sec sur la terre de la route.
" C'est un animal formidable que vous avez là, dit Bertille, qui s'était approchée. Je savais que les liens entre un rôdeur et son compagnon pouvaient être très forts... Nous en avons eu toute la démonstration. C'est une chance qu'il soit parvenu à s'enfuir de Montequine... même si je dois avouer que nous étions très embarrassé de son évasion... Mais c'est un animal rapide et subtil, assurément."

HRP : j'avais compris... et je m'étais dit que le mot était sciemment sous-entendu pour ne pas dépasser les 30 mots

(cela dit, mon post à moi pouvait faire douter, peut-être, de la compréhension...)

- Oh, oui, il est extrêmement débrouillard, répliqua Astrée avec un sourire empreint de fierté. Je savais qu'il réussirait à vous guider là-bas...
Elle n'avait pas lâché le cou de l'étalon, sentant son inquiétude, sa nervosité. Elle essaya de lui transmettre un peu de sa confiance retrouvée. Tout allait bien, ils étaient vivants, ils ne risquaient plus rien. Tout allait rentrer dans l'ordre maintenant. Il était un héros, le plus beau et le plus intelligent de tous les chevaux au monde, et elle lui était infiniment reconnaissante de son aide. Et plus jamais elle ne partirait à l'aventure sans lui. Elle s'efforçait de lui transmettre tout cela, son soulagement, sa joie, sa gratitude, sa confiance, à travers le lien qui les unissait.
Et c'était le roi de l'évasion, bien sûr...

Ils remirent le cap sur Montequine, suivant désormais la route rouge. La terre était boueuse, reflets de l'averse qui avait détrempé la région pendant la nuit, et marquée de mille pas et empreintes de sabots. Les Montequins bavardaient désormais tranquillement, sans plus refléter de réelle inquiétude. Seul Hugo restait à scruter les bois, mais sans paraître particulièrement tendu. Ils longèrent ainsi l'orée de la forêt, grimpèrent vers la crête puis la franchirent, et le village apparut dans son écrin de verdure, adossé à la falaise, derrière sa palissade de bois. Madeleine échappa aux bras de Clémence et se mit à courir vers le hameau en poussant des cris de joie. Aucun des adultes ne parut s'en soucier outre mesure. Astrée nota une autre différence avec la dernière fois qu'elle avait vu la bourgade : le pont-levis était abaissé et la herse levée.

Le contraste avec la tension des jours précédents était visible. L'atmosphère sentait la paix retrouvée, la confiance, la tranquillité. Comme s'il ne s'était jamais rien passé, comme s'il n'y avait pas eu toute cette violence. La guerre était finie... Et les montequins avaient sans doute envie de fêter, comme Madeleine, cette paix retrouvée.
C'était compréhensible... Et sans doute cette guerre était-elle justifiée, inévitable. Elle avait pu constater par elle-même la violence et la haine du mâle roux. Mais comme toute guerre, il y avait des victimes qui ne méritaient pas de l'être. Et une cause, peut-être, qui lui était inconnue, mais qui se résumait sans doute à une simple défense de territoire. Une guerre. Tout cela lui laissait un sentiment de tristesse dont elle ne pouvait se défaire. La sensation que peut-être, elle aurait dû dire, ou faire, quelque chose d'autre que ce qu'elle avait fait... mais non, elle n'avait rien pu faire. Et elle était étrangère, ici, de toute façon. Qui donc se soucierait de son avis ou de son ressenti ? Personne, c'était évident. Reynald avait raison : la meilleure chose à faire était de partir. Mais... pour où ?

Elle se souvint de cette faille dont parlait Madeleine. Elle était sensée être proche, elle aurait dû la voir. Peut-être l'avait-elle vue, d'ailleurs, sans l'identifier. Était-ce là-bas qu'elle devrait aller, puisqu'ici semblait une impasse ? Peut-être. Ou peut-être pas. Elle n'avait absolument aucun moyen de le savoir.
Décidée tout de même à satisfaire sa curiosité, elle se tourna vers Hugo.
- Je me demandais... c'est quoi, cette faille dont les centaures parlaient dans leur message ?

A nouveau, il la regarda avec embarras, puis bienveillance.
" C'est une crevasse qui mène à une grotte dont ils se servaient comme point de chute, lorsqu'ils venaient dans les environs. Nous ne l'avons découverte que récemment et nous l'avons murée, pour qu'ils ne puissent plus se servir de ce relais. A présent qu'ils n'ont plus de tanière à deux pas de Montequine, c'est plus compliqué pour eux de venir jusque chez nous. Leur harde réside généralement beaucoup plus loin, au-delà des bois."

Astrée hocha la tête.
- Je comprends, fit-elle simplement. Vous serez tranquille maintenant..."
Elle avait cru, un peu naïvement, que ça aurait pu être une sorte de passage vers d'autres secteurs de ces montagnes. Vers des régions inaccessibles, inexplorées peut-être. Décidément, sa quête impossible l'obnubilait à nouveau. Mais peut-être se trompait-elle en imaginant qu'elle devait aller plus loin, plus haut dans les montagnes. Il faudrait qu'elle relise les rares informations glanées par Miranda. Quoique, vu ce que lui avaient dit Reynald et Maedron, ces descriptions étaient certainement complètement inutiles. Quoiqu'il en soit, Hugo semblait embarrassé par le sujet, il était donc inutile d'y revenir.

Elle réprima un soupir. Non, elle ne savait absolument pas où aller à présent. Elle ne voulait ni rester au village, ni redescendre dans la vallée. Cela dit, dans l'immédiat, elle avait besoin de refaire sa provision d'herbes. peut-être Bertille lui indiquerait-elle un de ces coins riches en plantes qu'elle avait mentionnés, maintenant que la montagne était redevenue sûre. Cela lui ferait une destination pour le lendemain... mais pour l'heure, c'était de repos dont elle avait besoin.

Au village, ils furent accueillis par un groupe d'une dizaine de personnes soulagées, qui vinrent les féliciter. Madeleine fut rapidement escamotée après qu'une des Montequines ait décrété qu'elle avait besoin d'un bon bain, et plus vite que ça ! Antoine proposa à Astrée de retourner dans sa modeste auberge, où elle pourrait également se débarbouiller et se changer. Bertille lui promit de lui indiquer de bons coins de cueillette dès le lendemain. Les alpages de l'est demeuraient la meilleure destination pour ce genre de choses, mais elle pouvait bien sûr profiter des bois si elle le désirait. L'herboriste lui suggérait cependant de rester accompagnée : comme Hugo l'avait dit, la région demeurait sauvage.

Astrée ne se fit pas prier pour regagner l'auberge. Elle aussi avait besoin d'un bon brin de toilette. Et envie d'être seule, tranquille, et de s'allonger un moment sur un matelas confortable. Elle espérait juste qu'il ait été débarrassé de ses hôtes indésirables... mais elle devait avoir du répulsif dans ses bagages. Ce fut un soulagement de se changer, d'ôter ses vêtements sales et imprégnés de l'odeur de maladie du centaure. Tout à l'heure, elle les laverai. Quand elle se serait reposée un peu.

Allongée sur le lit, elle contempla un moment le plafond, sans parvenir à déterminer ce qui l'emportait dans le mélange de sentiments qui l'animaient, entre le soulagement d'être en vie, la joie d'avoir entendu Reynald, son malaise face à cette guerre qui s'achevait, sa culpabilité de n'avoir rien tenté pour essayer de sauver le gris, ses interrogations sur ce qu'elle devait faire maintenant. Partir... pour où ? Demain, elle irait en cueillette, suivant les conseils de Bertille. Elle essayerait de les convaincre qu'elle était de taille à se défendre seule, mais s'ils insistaient, elle ne pourrait décemment pas refuser qu'on l'accompagne : ils ne voudraient pas qu'elle risque une seconde fois sa peau. A croire qu'ils la jugeaient novice... D'un autre côté, elle avait perdu ses armes dans l'aventure, donc était effectivement peu apte à se défendre : il faudrait qu'elle se fabrique un nouvel arc, des flèches peut-être. S'ils pouvaient au moins lui fournir des pointes... Ses pensées s'emmêlèrent peu à peu, et elle finit par somnoler un moment.

Lorsqu'elle émergea, elle s'obligea à faire cette lessive qu'elle repoussait depuis longtemps, fit également l'inventaire de ses simples, fortement entamés par les forte doses qu'elle avait utilisées pour soigner le centaure. Ce simple souvenir fit monter une vague de mélancolie, qu'elle chassa bien vite. Il était temps de sortir un moment prendre l'air et la température du village. Elle n'avait pas la moindre idée de l'heure qu'il était mais... elle avait faim.

Au moment où elle allait gagner la salle de l'auberge, Astrée entendit des voix. Deux hommes discutaient à l'étage inférieur, Antoine l'aubergiste en était un, l'autre, elle ne parvint pas à identifier sa voix. C'est peut-être quelque chose dans leur ton qui l'incita à s'immobiliser...
" Si elle n'est pas digne de confiance, il faut qu'elle parte, Antoine, disait l'inconnu.
— Je n'en sais rien, vraiment. Elle est juste... oui... Je ne sais pas.
— Est-ce qu'elle représente un réel problème ?
— Non ! Non, nous n'en sommes pas là. Mais c'est vrai que... oui, sans doute qu'il est temps qu'elle est parte, tu as raison.
— Débrouille-toi. Lâche des rats dans sa chambre, s'il le faut. Les gens en ont marre de surveiller leurs paroles et leurs actes, tout le temps.
— Je sais bien.
— On en reparle au banquet. Je vais voir Bertille."
Puis la porte claqua et Astrée entendit un léger soupir.

Astrée recula d'un pas, puis de deux. Silencieuse comme une ombre. Et revint vers sa chambre qu'elle n'était pas sensée avoir quittée. Elle avait l'esprit en ébullition, les nerfs tendus, et elle tentait de débrouiller l'écheveau de ces paroles floues. Mais étonnamment, elle n'était pas aussi surprise qu'elle l'aurait dû. Elle avait plutôt la sensation de quelques pièces de puzzle se mettant en place.
C'est pour ça qu'ils ne me lâchent pas d'une semelle... fut sa première pensée cohérente.
Depuis qu'elle était ici, elle n'avait pas pu faire un pas hors du village sans surveillance. Pour sa sécurité, soi-disant. Certes, la menace des centaures était réelle, elle l'avait appris à ses dépens, mais les villageois avaient le don de découvrir des traces de bêtes dangereuses à chaque fois qu'elle émettait l'idée de sortir seule. Alors qu'elle-même, peut-être trop confiante, n'en avait pas vraiment vu les signes.
Ne nous emballons pas. Les bois par ici sont sans doute réellement peuplés d'animaux dangereux. Mais il y a autre chose... Autre chose qu'un étranger au village ne doit pas voir, ou pas entendre, ou pas connaître. Le ton de l'inconnu était tendu. Il voulait absolument qu'elle parte au plus vite.

Reynald avait dit de gagner leur confiance, en mentant si besoin. Il avait dit, aussi, de partir, pour chercher l'arbre ailleurs. Mais... non, elle ne voulait pas partir sans savoir ce que les villageois voulaient tant lui cacher. Elle n'aurait peut-être pas dû, ce n'étaient pas ses affaires, elle était trop curieuse... mais elle voulait savoir. Et c'était sans doute en rapport avec cette guerre contre les centaures, qui lui causait un tel malaise. Ou peut-être pas après tout.
Elle soupira. Gagner leur confiance, mentir... Elle ne savait pas faire ces choses-là, elle n'était pas barde ! Si elle avait eu la moindre idée de ce qu'ils cherchaient à cacher, ça aurait pu l'aider. Peut-être.
Bon, en y réfléchissant... elle les avait sentis mal à l'aise lorsqu'elle posait des questions, ou lorsqu'elle émettait des opinions différentes des leurs. Il suffisait qu'elle fasse profil bas. Qu'elle se contente d'observer, d'écouter, mais sans trop questionner ouvertement, et sans jamais aller dans un autre sens qu'eux. Après tout, en tant qu'étrangère au village, elle n'avait pas à juger ni à se montrer indiscrète. Est-ce que cela suffirait ? Bah, si elle trouvait des rats dans sa chambre, elle saurait que non...

Et donc, il y avait un banquet, finalement... Madeleine serait contente. Et... y mangerait-on de la viande de centaure ? La question jaillit dans son esprit sans qu'elle sache trop pourquoi, et elle haussa les épaules en secouant la tête. Non mais quelle drôle d'idée. Madeleine l'avait proposée, oui, mais c'était une gosse... Tu as vraiment été traumatisée par ces histoires de secte hippogriffe, toi....
Elle hésita. On allait peut-être lui proposer de se joindre au banquet. Si elle n'avait pas entendu cette conversation, elle aurait refusé. Mais maintenant, la curiosité serait la plus forte. Même -ou surtout- si sa présence risquait de mettre mal à l'aise les villageois. Mais elle n'y ferai qu'une brève apparition, qui passerait pour de la politesse : elle n'avait pas envie de faire la fête, pas envie du tout, et ne saurait pas faire semblant.
Mais peut-être qu'elle ne serait pas invitée à ce banquet, et que personne ne lui en parlerait. Antoine avait dit à Madeleine, devant elle, qu'il n'y aurait pas de fête...

Cessant de tergiverser et de se poser mille questions, elle quitta à nouveau sa chambre et se dirigea vers la salle principale. Elle avait faim. Le reste attendrait.

Antoine se trouvait toujours dans la salle, en train d'empiler du bois à côté de l'âtre, et il l'accueillit d'un sourire.
" Bien reposée ? Je vous ai préparé une tourte pour le déjeuner, je devine que vous devez avoir faim, après toutes ces émotions."
Il lui indiqua la table dressée pour une personne.
" Installez-vous, je vais vous chercher ça dans un instant."
Il s'épousseta les genoux, esquissa une grimace.
" J'imagine que vous devez être impatiente de rentrer chez vous, de retrouver vos proches, après ce cauchemar..."

Astrée grimaça intérieurement : depuis qu'elle était là, il lui semblait qu'il ne se passait pas une seule conversation sans qu'on l'incite à redescendre au plus vite. Néanmoins, elle acquiesça.
- J'ai hâte de retrouver des lieux plus paisibles, c'est vrai. Loin de tout ça. Cela dit, on ne peut pas dire que j'aie vraiment des proches qui m'y attendent...
Si... Reynald. Même s'il avait décrété que leur histoire était vouée à s'achever, il se ferait du souci, c'était certain. Et Kasumi, aussi... Ce n'était vraiment pas le moment d'y penser.
Elle soupira.
- Je me dis que vous devez trouver ça injuste, que j'aie survécu, alors que Léon et Isaure... Elle secoua la tête. Je suis désolée, pour leurs proches... J'espère qu'ils n'avaient pas de jeunes enfants...

Antoine passa un moment en cuisine, revint avec la tourte et une salade, qu'il posa devant elle.
" Je voudrais vous dire que nous avons l'habitude, mais ce serait mentir... Léon laisse une épouse et deux adolescents. Isaure laisse son vieux père et puis un fiancé..."
Il haussa les épaules.
" Vous n'y êtes pour rien. Ils ne sont pas morts en essayant de vous arracher aux pattes des centaures ni en tentant de vous protéger. Madeleine a été enlevée et les centaures savaient que nous partirions à sa recherche... Quelque part, c'est nous qui sommes désolés de vous avoir laissée marcher vers ce piège sans pouvoir l'anticiper."

Astrée secoua la tête.
- Vous n'avez pas à être désolés. Je savais, en y allant, qu'il y avait des risques, que peut-être ils nous attiraient dans un piège. J'espérais me tromper, peut-être que je les ai sous-estimés ou que j'étais trop sûre de moi... En tout cas je n'ai pas été utile à grand-chose, là-bas, pour leur venir en aide...
Elle grimaça.
- Ça me servira de leçon, sans doute. Mais je regrette, tout de même, qu'ils ait fallu des morts...
Elle ne précisa pas qu'elle y incluait la mort non nécessaire, à ses yeux, du mâle gris. Elle avait faim, aussi se mit-elle à manger un moment en silence. Elle ne revint pas sur son prochain départ. S'ils insistaient, elle expliquerait qu'elle se sentait encore épuisée et avait besoin d'un peu de temps pour se remettre... Ce qui n'était pas faux, du reste.

" Nous le regrettons tous." dit simplement Antoine avec une grimace.
Puis il la laissa manger et retourna à son empilement de bûches. Une fois qu'il en eut terminé, il nettoya l'âtre, le vidant de ses cendres, puis s'éclipsa vers la cuisine où Astrée l'entendit fredonner. Les fenêtres ouvertes laissaient entrer l'air frais du dehors et la rôdeuse aperçut un léger rayon de soleil, baignant la rue déserte. Montequine paraissait tranquille, presque silencieuse.

Le soleil qui brillait au-dehors était une invite à sortir... Aussi Astrée ne traîna-t-elle guère dans la petite auberge. Il était inutile de rester à broyer du noir ou se questionner indéfiniment sur le sens de ce qu'elle avait entendue.
Elle sortit sans but précis. Elle allait faire le tour du village, voir si elle trouvait quelque chose ressemblant à une forge ou un atelier quelconque où elle pourrait se procurer des flèches. Ou simplement des pointes, puisqu'elle savait les fabriquer après tout. Et peut-être pourrait-elle rendre visite à Prince, et faire avec lui un tour au-dehors... Juste pour voir si on se précipiterait pour l'accompagner.

A chercher au hasard, Astrée ne trouva absolument rien qui ressemblât à un atelier ou une forge. Quand elle interrogea une villageoise, celle-ci lui dit qu'elle demanderait à Hugo et que celui-ci lui ouvrirait sûrement les portes de la réserve de chasse. Mais le pisteur était sorti pour une affaire d'ours, aussi ne devait-elle pas l'attendre : le message lui serait transmis et il viendrait la trouver. Elle put alors rejoindre Prince et personne ne l'empêcha de le sortir de sa stalle puis du village. Tout juste les gardes lui recommandèrent-ils d'être prudente, car on ne savait jamais ce qui rôdait dans les environs. Le petit cheval était ravi et prit immédiatement le galop dans l'herbe rase, sans s'inquiéter des brebis malingres qui se plaignirent aussitôt de ses frasques.

Astrée se laissa griser un moment par le galop de sa monture et par la sensation de liberté retrouvée. Qu'il était bon de se sentir vivante... Et Prince semblait partager pleinement cet état d'esprit, aussi le laissa-t-elle décider un moment de l'itinéraire, savourant simplement le plaisir de galoper en sa compagnie.
Elle ne pouvait s'empêcher de jeter de temps à autre des regards à la crête derrière laquelle disparaissait la route, menant à la forêt où elle avait vécu tant de choses douloureuses. Elle éprouvait à la fois l'envie d'y retourner, et une certaine crainte. D'abord parce qu'elle n'était pas armée, et qu'effectivement il pouvait y avoir des bêtes dangereuses. Ensuite parce que ça allait immanquablement éveiller des souvenirs douloureux. Mais pourtant... Elle avait envie d'y aller, de suivre ces traces qu'elle n'avait pas suivies le matin. C'était absurde : il n'y avait plus rien à voir, plus rien à faire, les centaures étaient morts, et elle n'était pas sûre du tout d'avoir envie de savoir de quelle façon et encore moins de tomber sur leurs cadavres. Et puis, s'il y avait eu quoi que ce soit qu'elle n'était pas sensée voir, on l'aurait accompagnée. Elle se demanda un instant si on la surveillait, et si on s'étonnerait de cette curiosité morbide. Peut-être prendrait-on cela pour de la défiance...
Elle décida finalement de faire un large tour qui, au retour, s'approcherait de la forêt en question, sans forcément pénétrer à l'intérieur. Juste pour essayer d'évaluer, par elle-même, si elle y percevait la présence d'espèces dangereuses. L'heure n'était pas à la témérité : elle n'était pas armée.

Prince était heureux de galoper dans les hautes herbes et il s'en donna à coeur joie. Une fois dépassés les petits troupeaux de Montequine, Astrée se retrouva seule dans la nature, l'unique signe d'une quelconque présence humaine demeurant la route rouge, qui serpentait dans les collines. Ils coursèrent les papillons, les grenouilles, les lièvres et les faisans, soulevant fleurs, feuilles, ravageant la prairie sans arrière-pensée. C'est seulement après avoir épuisé l'enthousiasme de son cheval (ce qui ne fut pas chose aisée), qu'Astrée retourna vers la forêt. Au début, il lui sembla qu'il n'y avait rien à voir de particulier : la terre rouge portait les stigmates de leur retour vers Montequine, et dans l'herbe qui bordait la forêt, elle vit les traces de pas des chasseurs s'enfonçant dans la forêt, les traces des sabots de Prince à droite, à gauche, puis elle trouva des marques plus larges, signes que des choses de grande taille avaient été traînées sur le sol, et, en mettant pied à terre pour les observer, elle distingua du poil et du sang, petits vestiges de l'aube. Le corps des créatures avait manifestement été charrié jusqu'à la route, puis en direction de Montequine. Au moment où elle s'apprêtait à remonter en selle, elle vit une nouvelle série d'empreintes dans la boue, à l'orée du bois. Des sabots de cheval à nouveau. Mais plus larges que ceux de Prince et qui sortaient du bois, avant de partir vers le village...

Ils les avaient... charriés jusqu'au village ? Elle sentit un frisson la parcourir. Se pouvait-il que la remarque de Madeleine n'ait pas été complètement anodine ? Non, elle ne devait pas laisser courir ainsi son imagination, ne pas faire le rapprochement avec la secte de Bortheias. Il pouvait y avoir des tas d'autres explications... même si aucune ne lui venait à l'esprit pour le moment.
Les traces de sabots l'intriguèrent encore davantage. L'un des centaures était-il vivant ? Ou peut-être ces traces-là étaient-elles antérieures... Mais en supposant que ce ne soit pas le cas, ce qui était probable, cela signifiait que l'un d'eux avait survécu... Etait-ce le gris ? Pas forcément. Elle l'espérait de tout coeur, mais il était inutile de s'emballer. Elle doutait que ce soit le mâle roux, il était le plus dangereux et on n'aurait pas pris ce risque. Mais pourquoi donc se dirigerait-il vers le village ? S'il y allait de son plein gré, ce serait complètement suicidaire. Cela laissait à penser qu'on l'y avait conduit, peut-être, contre sa volonté ? Non, cela n'avait pas de sens... Pourquoi capturer un centaure ?
Elle essaya de voir s'il y avait des traces de pas humains qui semblaient suivre particulièrement ces empreintes de sabot, mais il y avait tant d'empreintes que c'était quasiment chose impossible.
Quoiqu'il en soit, les traces de sabots se dirigeaient vers le village, et c'était aussi sa destination. Il était donc tout naturel qu'elle les suive... peut-être sans en avoir l'air, sans garder trop le nez au sol, au cas où on l'observe.

Astrée ne tarda cependant pas à trouver des signes confirmant une de ses hypothèses : aux quelques rares endroits où elle parvint à retrouver les empreintes du centaure (plus que probablement), trois paires de bottes, toujours les mêmes, l'encadraient. La foulée de l'animal était indéfinissable, elle ne disposait pas de suffisamment de traces nettes, mais il avait été, sans doute possible, escorté vers Montequine. Elle atteignit cependant le haut de la crête, face au village. Il devenait très difficile de garder un oeil sur la route en toute discrétion. D'autant que deux silhouettes circulaient à proximité de la piste, rassemblant leurs bêtes pour les ramener vers le hameau.

Astrée poursuivit sa route sur quelques dizaines de mètres encore, sans vraiment regarder les traces, réfléchissant à ce qu'elle pouvait faire pour éviter de perdre la piste. Pour le moment, celle-ci suivait la route, apparemment. Mais si jamais elle s'en séparait, il fallait qu'elle sache dans quelle direction elle repartait.

Elle salua d'un signe de tête les bergers rassemblant leurs bêtes, et ralentit un peu le pas, flânant tranquillement. Puis elle s'éloigna de quelques mètres à travers la prairie, faisant mine d'avoir repéré une herbe intéressante. Elle était là pour cueillir des simples, après tout. Certes, il n'y en avait guère dans ce pâturage trop fréquenté, mais elle pouvait, durant un petit moment encore, flâner à pied à la recherche d'herbes, navigant d'un côté à l'autre de la route, sans paraître suivre une quelconque trace. Si le centaure et son escorte avaient bifurqué par ici, elle s'en rendrait compte.
Et si on l'observait trop, si elle sentait que son manège paraissait suspect, ou s'il s'avérait qu'il n'y avait nulle herbe intéressante dans les environs, elle reprendrait tranquillement son chemin en direction du village, quitte à renouveler son manège par moments. Mais elle ne s'obstinerait pas indéfiniment : il paraîtrait anormal qu'elle passe trop de temps à cueillir des simples dans ce secteur-là. Et puis, il lui semblait acquis que le centaure était soit à l'intérieur du village, soit à proximité. Donc même si elle devait abandonner définitivement la piste, elle pourrait toujours, un peu plus tard, envoyer son écureuil favori en exploration.

Il n'y avait pas grand chose à ramasser, mais Prince lui fournit une bonne excuse pour flâner : il se mit à brouter l'herbe, voracement, louvoyant autour de la route. Bien sûr, il marquait la piste de ses propres traces, mais elles étaient moins larges que celles que suivait Astrée, et le petit cheval veillait à franchir la terre rouge le plus rapidement possible. Les empreintes étaient de plus en plus rares car la fréquentation des abords de Montequine était plus importante qu'en bordure du bois. Astrée ne vit cependant aucun signe indiquant que le centaure ait quitté la voie principale, et ce jusqu'au pont-levis : le pré boueux ne présentait aucune trace visible de sabot équin. Selon toute vraisemblance, il était entré dans Montequine, accompagné de ses gardiens ou amis ou...

Le centaure se trouvait donc quelque part à l'intérieur des murs... mais où ? Elle n'avait rien remarqué de particulier lorsqu'elle avait arpenté les ruelles du village plus tôt dans la journée. D'un autre côté, elle ignorait totalement qu'il puisse y avoir un centaure à l'intérieur, elle n'avait donc guère été attentive à des indices qui auraient pu être en rapport. Mais à présent, elle regardait avec davantage d'attention ce qui l'entourait, s'efforçant bien sûr de ne pas trop l'afficher. Où donc pouvait-il avoir été conduit ? Etait-il toujours dans le village ? Sans doute, puisqu'apparemment, il n'y avait qu'une issue : le pont-levis...
Et les corps des autres, avaient-ils été tractés aussi à l'intérieur du village ? En un sens, cela était moins important à ses yeux. Ce qui comptait, c'était que l'un des centaures ait survécu, et soit peut-être prisonnier. Ou bien... était-il possible qu'il les ait suivis volontairement, après négociation, ou quelque chose comme ça ? Non, certainement pas : les montequins considéraient les centaures comme des bêtes, guère plus, et ne leur accordaient aucune confiance. C'était le discours qu'ils lui tenaient depuis son arrivée. Il ne pouvait donc qu'être prisonnier.
Elle raccompagna Prince à son écurie, décidée à poursuivre ensuite un moment son exploration du village avant de rentrer à l'auberge, en ouvrant grand les yeux et les oreilles. Elle ressentait une certaine exaltation. Elle avait senti un tel malaise devant l'exécution -parce que ça en était une en quelque sorte- des trois centaures qu'elle s'accrochait à ce minuscule espoir que l'un d'eux puisse en réchapper. Elle espérait que c'était le gris. Les deux autres... Tiens, oui, comment réagirait-elle si c'était un des deux autres ? Bah, elle verrait bien.
Elle salua d'un sourire les quelques personnes qu'elle rencontra. Si on s'étonnait de la voir errer sans but, elle pourrait toujours prétendre qu'elle était à la recherche d'Hugo, pour des armes. De toute façon il était peu probable qu'elle voie quelque chose de particulier... mais un peu plus tard, elle enverrait Prince à son tour : sous forme d'abeille ou d'écureuil, il verrait certainement bien plus de choses qu'elle...

Astrée rencontra rapidement un problème : Montequine était trop petit pour qu'on puisse vraiment y errer longtemps. Une fois Prince dans l'écurie, une fois qu'elle eut inspecté celle-ci, discrètement mais méthodiquement, il ne lui restait que l'étable et la bergerie, vastes espaces vides, au sol couvert de paille, puis quelques rues presque désertes, dont elle eut rapidement fait le tour. Bien sûr il restait les maisons mais elles semblaient toutes anodines et chercher des traces au sol était illusoire : la terre rouge de la route maculait tout le village. Son comportement faussement promeneur attira rapidement un regard, puis un autre, bien que les gens ne disent rien, jusqu'au moment où Hugo vint à sa rencontre. Il paraissait harassé, passablement boueux et lui décocha un sourire tranquille.
" On m'a dit que vous me cherchiez, pour les flèches. Je vais vous emmener à la réserve, si vous voulez. Vous devriez y trouver votre bonheur."

Astrée avait renoncé à espérer trouver quoi que ce soit dans le village. Le centaure devait y être, pourtant, forcément... A moins qu'il n'y ait une autre issue, bien cachée ? Ou des grottes creusées dans la paroi, peut-être accessibles par l'une de habitations... Il faudrait qu'elle envoie Prince explorer tout cela un peu mieux.
Se résignant à s'en tenir à son "alibi", elle adressa donc un large sourire à Hugo dès qu'elle l'aperçut.
- Oui, je vous cherchais, confirma-t-elle. C'est simplement parce que j'ai perdu mon arc et mes flèches lorsqu'ils m'ont... kidnappée. Et je me demandais si vous auriez, au moins, des pointes de flèches à me fournir, le reste je peux le fabriquer moi-même. Mais ça n'a rien d'urgent, cela dit, ça peut attendre demain : vous avez l'air épuisé...
Qu'avait-il donc fait de sa journée pour être aussi épuisé ? Les environs n'étaient-ils pas sensés être sûrs ?

" Bah, la routine. On s'occupe d'un problème, il en vient un autre. Les bergers ont trouvé des crottes d'ours en bordure du pré, alors j'ai essayé de voir si je pouvais le trouver. Mais c'est un jeune mâle plein d'énergie, le genre qui m'a baladé des heures pour me perdre. Bref. Il a gagné un peu de répit... ou la tranquillité, s'il évite de revenir. Mais les brebis constituent un gibier trop facile pour toutes ces bestioles... Si seulement ils avaient un peu plus de cervelle..."
Il sourit.
" Mais venez, je vais vous emmener à la réserve..."
Il lui fit signe de le suivre.
" Je suis le genre de chasseur que vous détestez, Astrée, je peux le voir dans vos yeux... continua-t-il tandis qu'ils marchaient vers les remparts. Je traque du gibier pour l'usage que nous en faisons : viande, peau, os, on récupère quasiment tout sur un cerf ou un loup. Je tue ce qui nous menace, aussi. Mais je ne peux pas nier que j'apprécie l'excitation qui va avec, aussi. Pister, traquer, tuer, parfois, quand on a de la chance, ou qu'on a bien fait ça, un animal de qualité... C'est une sensation inégalable."
Il rit.
" Je sais que je vous choque. Mais voilà. On est comme on est."

Sa déclaration surprit la rôdeuse. Était-ce ainsi qu'ils la percevaient ? A ce point ? Un sourire amusé aux lèvres, elle répliqua sans hésiter :
- Et pourquoi donc est-ce que cela devrait me choquer ? Je chasse, moi aussi, et je récupère tout ce que je peux sur un animal. Et j'aime suivre une piste, avec l'exaltation qui va avec, la fierté de réussir à s'approcher sans se faire repérer... Pourquoi donc serais-je choquée que vous preniez plaisir à faire votre métier ? C'est plutôt normal, au fond...
A la différence, sans doute, qu'elle ne tuait jamais juste pour le plaisir d'avoir vaincu l'animal. Elle ne tuait que par nécessité. Mais elle se garda bien de le préciser. Et sans doute Hugo estimait-il ne tuer lui aussi que par nécessité.

" Pour rien, vous avez raison." fit-il avec un petit sourire.
Ils étaient arrivés devant une grange adossée à la muraille et Hugo en ouvrit la porte, lui révélant un espace réduit encombré d'armes et de munitions. A la lumière du jour, Astrée vit de nombreux épieux, de toutes tailles, en bois ou en métal, des arcs nombreux, des arbalètes aussi, puis des monceaux de flèches et de carreaux.
" Vous pouvez prendre ce que vous voulez. Même un arc. Ce ne sont pas des oeuvres d'art et ils ne sont pas toujours parfaitement équilibrés, mais cela vous dépannera le temps de vous en retrouver un meilleur... ou alors vous pouvez le travailler vous-même, si vous vous y connaissez un peu. Je n'ai que des flèches normales, ici. Si vous en voulez de meilleures, il faudra voir avec Bertille : c'est elle qui conserve les traits spéciaux dont nous avons besoin dans certains cas particuliers."
Il se tourna vers elle.
" C'est quand même curieux, d'ailleurs... En général, ses flèches empoisonnées sont fatales, même pour des animaux aussi gros qu'un centaure adulte... Pourtant le gris avait été touché, n'est-ce pas ? Il manquait une flèche à Isaure, quand nous l'avons retrouvée, et j'ai vu la plaie sur son flanc..."

Astrée hocha la tête et sourit.
- Ils m'ont obligée à le soigner. C'est pour ça qu'ils ne m'ont pas tuée, parce qu'ils ont vu que j'avais des herbes médicinales, donc ils ont supposé que je saurais. Ils m'ont clairement dit que s'il mourrait, je mourrais... Mais il devait être particulièrement résistant, tout de même, à l'origine : il a tenu plusieurs heures avant que je le soigne. Et apparemment, je ne me suis pas trop mal débrouillée dans mes dosages...
Elle hésita. Cherchait-il, par ce biais, à réentendre son opinion sur le centaure ? Que pouvait-elle dire, exactement, sans que ce soit mal interprété ?
- C'est peut-être à cause du poison qu'il n'était pas agressif. Je n'en sais rien...
Elle était certaine que ce n'était pas à cause du poison. Mais elle ne devait pas perdre de vue qu'elle n'était qu'une étrangère nouvellement arrivée, et qu'ils estimaient connaître le problème bien mieux qu'elle.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine