La Couronne de Cuivre

[Interlude : Ailleurs]

Le garçon se gratta la tête, songeur.
-Le Noyau Occulte est aussi sur une colline. Enfin, en partie. Mais c'est peut-être pas très recommandé d'aller par-là. Oh, et si je dis pas de bêtise, les Thermes de la Rose Fanée sont bâtis sur une source. Mais bon, je vois pas pourquoi il y aurait un portail là-bas.

[Interlude : Ailleurs]

« Les Thermes de la Rose Fanée sur une source ? Moi aussi je ne vois pas pourquoi il y aurait un portail là-bas, mais en même temps, je ne connais presque rien sur les plans. Puisque ça semble plutôt simple à trouver, on va y aller. Même s’il n’y a rien, on aura de quoi boire. Après ça, tant pis, on se rendra au Noyau Occulte. »
Il se décolla du tronc auquel il s’était adossé puis jeta un dernier regard au cercle de pierres.

[Interlude : Ailleurs]

-D'accord.
Son regard alla du cercle de pierres levées à la forêt.
-Bon, si le palais est ici, si le fleuve est par là-bas... Les thermes doivent en gros être dans cette direction.
Ils s'enfoncèrent à nouveau parmi les arbres, marchèrent un quart d'heure, une demi-heure peut-être, sans rien remarquer de particulier dans le sylvestre décor. Puis ils perçurent à nouveau le chant de l'eau et, quelques instants plus tard, se retrouvèrent face à une vision féérique.
Une source abondante jaillissait du flanc de la colline en une petite cascade se déversant dans un large bassin aux berges herbeuses parsemées de fleures multicolores. Une biche et son petit s'abreuvaient à l'onde pure tandis que des oiseaux particulièrement nombreux chantaient harmonieusement sur les branches voisines. Il émanait du lieu une beauté, une paix quasi indescriptibles.

[Interlude : Ailleurs]

Il fallut à Silmandel un petit moment pour détacher son regard de cet endroit enchanteur, pour ne pas dire totalement envoutant. Tant de beauté... il en oublia presque la raison pour laquelle ils s’étaient rendus ici. Presque...
« Ma foi, ton idée des thermes était bonne. Le coin est superbe. Oui, je sais, je l’ai déjà dit, mais ce serait un crime que de ne pas le reconnaître. »
Il s’approcha doucement de la source, tâchant de ne pas effrayer la biche.
« J’ai soif, pas toi ? »
Aussi merveilleuse que puisse être cette source, il avait peur qu’elle ne puisse que les désaltérer. Si un portail se trouvait dans les parages, ce n’était pas ici ou il ignorait comment le faire se manifester.

[Interlude : Ailleurs]

-Si. J'espère juste que c'est pas une sorte de source sacrée et qu'on sera pas punis pour y avoir bu.
Il jeta un regard à la biche et à son faon.
-D'accord, eux, ils semblent pas avoir de soucis. Mais en général, les animaux sont pas concernés par ce genre de trucs.
Les intéressés levèrent la tête quand ils s'approchèrent et s'en allèrent sans véritable précipitation. Quant à l'eau du bassin, elle s'avéra des plus désaltérantes. Voilà qui était fort bienvenu, par cette chaleur.

[Interlude : Ailleurs]

« Et bien, si les animaux ne sont pas concernés, je ne le serai qu’à moitié. Et puisque je suis ton ange gardien attitré, ça devrait me permettre de négocier pour toi ! » rigola Silmandel.
Il ne savait trop s’il était ou non sérieux, mais il mettait un point d’honneur à rester léger. Après avoir bu, il s’allongea dans l’herbe et croisa les bras derrière la tête. Il fixa le ciel puis déclara :
« Bon, faisons le point. On sait ce qu’il y a au palais impérial et aux thermes. On devrait pouvoir trouver le Noyau Occulte et le cimetière, le premier étant repérable grâce à une colline, le second étant très vaste. Vois-tu d’autres lieux qu’on pourrait visiter ? »

[Interlude : Ailleurs]

-Hum, je sais pas trop. Ah si, il y a bien le Jardin de la Mélancolie, dans le Havre bourgeois : c'est un endroit très bizarre, certains disent qu'on y voit parfois des ombres étranges... Mais ça a rien de féérique. Rien du tout.
Il fit la moue.
-Pour le cimetière et surtout le Noyau Occulte, je sais pas si c'est très prudent d'y aller. Même si on trouvait un portail, l'emprunter serait du suicide. Imagine si on se retrouvait dans une crypte bourrée de morts-vivants ou pire encore, à l’École du Necronomicon...

[Interlude : Ailleurs]

« Tu n’as pas tort. Le tout, pour l’instant, c’est de trouver un portail, voir plusieurs si nous sommes chanceux. Après, on avisera en conséquence. Le cimetière, ce serait plus jouable que le Nécronomicon. »
Mais pourquoi y aurait-il des portails aux cimetières ou au Noyau Occulte ? Il lui semblait savoir que la présence de ce genre de passages n’était pas dû au hasard. Il fallait une relation, une raison. Force était de constater qu’il n’y avait pas grand-chose de féérique à Melandis. Mais tant pis, ils trouveraient forcément une solution. L’elfe se tut. Ils allaient beaucoup marcher aujourd’hui, il en avait la conviction. Alors autant prendre quelques minutes ici, profiter de la source, de son ambiance, pour repartir de plus belle.

[Interlude : Ailleurs]

L'endroit invitait à la détente, au repos. On s'y s'entait bien, apaisé, et on n'avait pas vraiment envie d'en repartir. Pas avant que ce ne soit indispensable, en tout cas.
A côté de lui, Alexandre demeurait silencieux, manifestement partagé entre ses réflexions et la contemplation de la source. Mais bientôt, il se redressa subitement. Du coin de l’œil, Silmandel crut remarquer un étrange chatoiement au fond du bassin. Toutefois, l'instant suivant, il avait disparu.
Sans doute n'avait-il s'agit que d'un jeu de la lumière dans l'onde transparente.

[Interlude : Ailleurs]

Curieux, Silmandel observa plus attentivement le bassin.
« Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il également à Alexandre. Tu as vu quelque chose ? »
Il finit par se redresser.

[Interlude : Ailleurs]

-J'ai cru voir un truc dans l'eau. Mais ça devait être un reflet, simplement. En plus, la lumière est un peu bizarre, ici.
C'était le cas, quoique de manière fort discrète. Elle semblait plus tangible qu'elle ne l'aurait dû, paraissait se mouvoir étrangement. Sans doute cela tenait-il à la nature magique du lieu. En tout cas, cela renforçait indéniablement son charme.

[Interlude : Ailleurs]

« J’ai cru aussi. Cet endroit a peut-être quelques mystères à découvrir. »
Silmandel rajusta sa position, pour observer la source et ses environs de manière agréable. Ils ne leur faudrait probablement pas des heures pour se rendre aux quelques lieux où ils étaient le plus susceptible de trouver des choses. Aussi, ce n’était pas une erreur que de prendre du temps à chacun de ces lieux pour y dénicher ce qui pouvait échapper de prime abord. Et puis, l’endroit était tellement agréable, il ne rendait que plus facile ce genre de décision.

[Interlude : Ailleurs]

Alexandre finit par s'allonger sur le ventre et, le menton dans les mains, il fixa la source, le bassin...
-Si la cascade était plus grande, j'aurais bien dit qu'il doit y avoir une grotte derrière, comme il y en a derrière à peu près toutes les cascades dans les histoires. Mais elle est trop petite pour cacher quoi que ce soit. On pourrait aussi se dire qu'il y a des trucs à trouver au fond de l'eau, sauf qu'elle est si transparente qu'on les verrait, si c'était le cas.

[Interlude : Ailleurs]

« Une analyse tout à fait pertinente », déclara Silmandel en poursuivant son observation.
Il avait bien du mal à ne pas se laisser distraire par la beauté de l’endroit. Cela avait au moins l’avantage qu’il pouvait demeurer là un bon moment sans se lasser. Après un temps de silence, il ajouta :
« Cependant, ce qu’on voit pourrait être abusé par une illusion. Ce lieu est magique, j’en mettrai ma main à couper. Tout ce plan est magique. »
Devait-il se lever pour vérifier ? Pour sonder le fond de l’eau ? Pour vérifier qu’il n’y avait rien derrière la cascade ? Il finirait par s’y résoudre si rien ne se manifestait.

[Interlude : Ailleurs]

Peu après, il aperçut à nouveau l'étrange chatoiement au fond de l'eau, aussi fugacement que la fois précédente. Mais il crut également percevoir un étrange son cristallin : écho d'un rire lointain ou simple fruit de son imagination ?
-Oui, si ça se trouve, tout ça n'est qu'une illusion. Si ça se trouve, nous sommes en fait devant la gueule béante d'un monstre gigantesque qui attend que nous nous y enfoncions inconsciemment pour nous dévorer ! fit Alexandre, sur le ton de la plaisanterie
Enfin... à moitié.

[Interlude : Ailleurs]

Le retour du reflet, un rire éthéré... il y avait quelque chose dans cette source. Mais quoi ? Silmandel ne pouvait le savoir. Il ignorait tout de ce plan, sauf qu’il semblait être une sorte de reflet plus que déformé du monde commun.
« Qui sait... » répondit-il en redoublant d’attention.
Perplexe sur ce qu’il devait ou ne devait pas faire, il se leva. Au moins pouvait-il mieux réagir en cas de problème. Entrer dans la source lui semblait imprudent désormais. Alors il continua juste de la regarder.

[Interlude : Ailleurs]

-Oh, j'ai réussi à te faire flipper ! Je suis vraiment trop fort ! commenta le garçon, taquin.
Le son cristallin se fit encore entendre, plus distinct. Et, oui, il rappelait vraiment un rire.
Puis ce furent des murmures, des voix flûtées.
Elles parlaient, aucun doute là-dessus. Mais dans une langue qui lui était totalement inconnue.

[Interlude : Ailleurs]

« Et bien, on dirait qu’on a rencontré des gens, répondit Silmandel qui, cette fois, n’avait pas relevé la plaisanterie d’Alexandre. L’ennui, c’est que je ne comprends pas ce qu’ils disent. »
Il fixa la source, réfléchit un instant, et dit poliment en langue commune :
« Salutation. Vous me comprenez ? »
Il répéta ensuite sa réplique en elfique.

[Interlude : Ailleurs]

-Moi je comprends plus rien, souffla Alexandre.
Mais Silmandel n'eut pas le temps de lui répondre.
-Nous te comprenons, fit une des voix, en elfique.
-Mi elfe, mi chat : curieux visiteur que voilà ! dit une autre.
-Et avec un humain, de surcroit ! ajouta une troisième.

[Interlude : Ailleurs]

Parfait ! La communication était établie et c’était un grand pas en avant. Silmandel se tourna vers Alexandre et dit en langue commune :
« Ces personnes dans la source connaissent l’elfique. Je vais voir si elles peuvent nous aider. »
Il refit face à l’eau, reparla en elfique :
« Vous pouvez discerner ma nature ? Stupéfiant. Nous nous sommes égarés dans cette forêt suite à un étrange phénomène magique. Pouvez-vous me dire où nous sommes et comment faire pour repartir ? Nous vous en serions très reconnaissant. »

[Interlude : Ailleurs]

-Vous êtes en Féérie.
-Le monde le plus merveilleux qui soit.
-Forcément, puisque c'est le nôtre.
-En partir n'est pas très compliqué : il suffit de connaître les bons chemins.
-Mais qui voudrait repartir ?
-Trouvez-vous vraiment votre monde plus agréable que celui-ci ?

[Interlude : Ailleurs]

« Ho non, en toute franchise, votre monde est époustouflant. Et il porte bien son nom, c’est une certitude. Il mérite d’être exploré, apprécié. Et j’en ai sincèrement envie. Cependant, notre départ ayant eu lieu de manière fort imprévisible, nous n’avons pas pu nous préparer à ce voyage et il reste, dans notre monde, des choses d’importance que nous devons accomplir. Nous devons repartir, mais nous reviendrons, c’est certain. »

[Interlude : Ailleurs]

-Quelle assurance !
-Venir ici n'est point si aisé.
-Hormis pour qui connaît les chemins.
-Et peut-être les connaîtrez-vous.
-Mais pas maintenant. Maintenant, vous devez attendre. Vous devez l'attendre.
-Alors prenez vos aises ! Profitez de votre séjour !

[Interlude : Ailleurs]

« Attendre qui ? Ce sera long ? »
Ils avaient encore plusieurs heures devant eux, voir la journée. Certes, au théâtre, ils finiraient par s’inquiéter, mais avec de la chance, cela n’aurait pas d’autres conséquences. Il ne fallait pas que l’organisation du spectacle soit perturbée. Pour autant, avaient-ils le choix ? Bien sûr, ils pouvaient ne pas attendre, mais ce serait prendre des risques pour peut-être aucun résultat. Sans aide, ils ne pourraient probablement pas sortir de ce plan.

[Interlude : Ailleurs]

-Qui ? Notre maîtresse !
-Quand ? Dans quelques heures tout au plus.
-D'ici-là, profitez, amusez-vous !
-Vous n'avez rien à craindre.
-Vous êtes sous sa protection.
-Elle ne saurait tolérer que du mal vous soit fait avant votre rencontre !

[Interlude : Ailleurs]

Silmandel remercia, tout en se demandant à quoi ressemblait leur maîtresse et surtout quelle genre de personne c’était. Il se tourna ensuite vers Alexandre, lui faisant un résumé fidèle de la conversation. Il acheva en ces termes :
« Je pense que le mieux est d’effectivement attendre. Je sais, ça sera long, mais sans doute moins que de errer au hasard dans cette immense forêt. Ils savent comment partir, ils savent même comment revenir. Il faut juste croiser les doigts pour que cette maîtresse soit bienveillante. »
Il était forcément plus optimiste sur le sujet que s’il s’était trouvé au milieu d’un cauchemar éveillé.

[Interlude : Ailleurs]

-Faut croiser les doigts, oui.
Il fixa les environs de la source, cherchant vainement à apercevoir les êtres qui les entouraient.
-Dans les histoires, certaines fées sont bienveillantes, d'autres malveillantes et d'autres encore, ben... entre les deux. Mais dans presque tous les cas, elles sont farceuses. Alors on verra bien ce que ça odnne.

[Interlude : Ailleurs]

Attendre... Attendre alors qu’ils n’avaient pas tout leur temps... Attendre des heures... Attendre alors qu’il fallait rester sur ses gardes... Ce ne serait pas simple. Silmandel se garda bien de montrer sa contrariété, mais il se disait déjà que ce serait long, très long. Encore une fois, tout aurait été différent s’il n’y avait pas eu le spectacle, s’il n’y avait pas eu Alexandre aussi car il devait veiller sur lui. Parce qu’il était avec l’enfant il ne pouvait plus se comporter comme un enfant, ce qu’il faisait sans vergogne il n’y avait pas si longtemps. Avant, il aurait déjà sauté dans la source, probablement. Il aurait déjà oublié ses responsabilités. Il s’assit contre un arbre, observa l’enchanteur endroit. Un elfe impatient, n’était-ce pas ironique ? Un chat impatient, tout aussi. Alexandre lui avait appris à être plus mature. Ce moment lui apprendrait à patienter paisiblement. L’atmosphère de l’endroit pouvait l’aider, cependant il ne voulait pas complètement s’y abandonner. Un minimum de vigilance était rigueur.

[Interlude : Ailleurs]

Si elles demeurèrent invisibles, les fées ne tardèrent pas à se rappeler à son attention.
-Quelque chose ne va pas ? Vous semblez tendu.
-Allez-vous réellement attendre des heures sans rien faire ? Cela risque de vous paraître long...
-Si vous le souhaitez, nous pouvons vous aider à vous distraire. Notre maîtresse serait fort triste d'apprendre que votre attente a été pénible...

[Interlude : Ailleurs]

Silmandel se donna un instant de réflexion. Il ne connaissait pas Féérie, mais il savait des choses sur les fées, tout du moins celles du monde commun. En fait, pratiquement tout le monde savait des choses sur les fées. Alexandre avait bien résumé une partie de ce savoir. En tout cas, l’elfe sut que l’inactivité n’était pas une solution. Il se demanda donc quoi entreprendre pour passer le temps sans pour autant se mettre en danger.
« Qu’est-il possible de faire en ce lieu ? Peut-être pouvons-nous poursuivre notre visite ? Est-ce ici le domaine de votre maîtresse ? Ce domaine est-il vaste ? »

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Bastion des Arts